Anonyme
L'Histoire 
de l'Archiduc Albert 





L'HISTOIRE DE L'ARCHIDUC ALBERT GOUVERNEUR GENERAL

ET PUIS PRINCE SOUVERAIN DE LA BELGIQUE


A COLOGNE

Chez les héritiers de Corneille Edmond

M.DC.XCIII








A SON ALTESSE SERENISSIME

JOSEPH PRINCE ELECTORAL DE BAVIERE

PRINCE SERENISSIME ET ELECTORAL



EPITRE DEDICATOIRE




Puisque nos Brabansons de l'an 1144 mirent le Baston-de-General dans les petites mains de leur Duc Godefroi III, qui n'avoit pas encore un an; et puisque la Ville de Ratisbonne a dejà presenté à votre Altesse Serenissime un placet pareil à celui que les Enfans de Jacob presenterent à Joseph Vice-Roi d'Egipte, au tems d'une grande cherté de vivres, l'on ne doit pas trouver etrange que je pose respectueusement sur vos maillots l'image d'un Prince de votre Sang, qui a occupé en la Belgique la place que Monseigneur votre Pere remplit si dignement.

Je ne m'amuse point aux Horoscopes, mais je dis aprez Cassiodore qui s'entendoit parfaitement en Pronostications, qu'etant le fruit des Parens vertueux, nous avons lieu d'augurer que vous serez un jour l'extrait de leurs vertus héroïques. Ex Parentum virtutibus Prolis indicatur successus.

Je dis aprez Aristote 1e Secretaire de la Nature, que les causes tresnobles n'aiant d'ordinaire que des effets tresexcellens, nous devons esperer de voir un jour reluire en vous toute la gloire de vos Ancestres. Verisimile est meliores esse eos, qui sunt ex melioribus.

Je dis aprez Tucidide le Prince des Historiens, que le Fils d'un grand Capitaine & d'un grand Duc n'aiant pas coutume de degenerer, nous verrons un jour sur vos Trophées l'Image des victoires de Monseigneur votre Pere, qui à l'age de 3o ans, passe pour un des premiers Capitaines de la terre.

Insignis Ducis filius non facile degenerat.

Je dis enfin aprez la Verité meme, qu'un fils étant le portrait de son Pere, nous avons dejà lieu de vous admirer comme la copie d'un original tresparfait.

In filius suis agnoscitur vir.

S'il est vrai ce que S.Chrysologue prescha autrefois le jour S.Estienne, que les noms sont souvent les augures des merites: Nomina saepe merita indicant; j'ai grand sujet de mettre en vos petites mains l'image d'un Heros, à qui je puis donner l'eloge que S.Cirille donna à S.Jean Batiste, qui est celui d'Archiduc de la Nouvelle Alliance: Archidux Novi Testamenti. Le nom de Joseph que vous avez reçu de votre Oncle Maternel l'Auguste Roi des Romains, pronostique votre Sagesse: puisque l'anagramme de Joseph rend parfaitement Sophie. Celui de Ferdinand qui vous vient de votre Aieul Maternel, celui de Leopold qui vous est donné en vue de votre Grand Pere Maternel l'Empereur regnant, ne nous predisent rien que d'auguste. S.Antoine le Solitaire, S.Caietan, & S.François sont les plus grands exemples que la Providence du Nouricier de l'Univers ait choisis; vous portez leurs noms parceque vous aurez leur caractere, Nomina, merita indicant. S.Simon surnommé le zelé, nous fait l'embleme de votre ardeur pour la sainte Foi; S.Thadée qui guerit le roi Abagar en lui aportant le portrait du Sauveur du monde, place cette image miraculeuse sur votre cOEur. S.Jean le Favori du Fils de Dieu, fait que je vous felicite par avance cette faveur divine. S.Servais qui a vecu plus d'un siecle, nous fait esperer que vous vivrez lontems; S.Ignace peint dejà le nom de Jesus sur vos Etendards. S.Joachim vous augure une glorieuse posterité. S.Gabriel enfin qui est l'Ambassadeur des bonnes nouvelles, vous annonce un regne tres-heureux.

Votre Serenissime Mere pouvoit-elle jamais choisir un jour plus fortuné pour votre naissance, que le 21 Octobre ? S.Hilarion apporte la joie, & les onze mille Vierges vous chantent dejà victoire. S.Ursule s'est fait voir avec sa Troupe autour de Cologne & de Nanci pour en defendre les murailles, & à la mort de S.Elisabet de Schonauge; cette S.Tutelaire environne votre berceau, & elle le parseme de lis & de roses, en attendant qu'elle vous communique ses palmes & ses lauriers: car enfin j'en reviens à Tucidide qui semble faire tout exprez votre horoscope, en disant que le fils d'un grand Capitaine n'a pas coutume de degenerer de la bravoure de son Pere. Insignis Ducis filius non facile degenerat. Si l'on doit vous mesurer sur ce pié, les frontieres de Constantinople, toute la Hongrie & singulierement Bude & Belgrade, l'Empire, la Savoie, & la Belgique, commencent à vous chanter victoire, & la Renomée repond dejà par avance à tous ceux qui lui demandent des nouvelles des Batailles gagnées, des sieges levez, & des villes prises d'assaut; allez à Joseph. Ite ad Joseph: c'est l'image de son Pere, & toutes mes trompettes ne suffisent pas pour preconiser la gloire de ce Pere invaincu & invincible.

Quand j'offrois à Monseigneur votre Pere l'Histoire de son Oncle Maternel Emmanuel Philibert Duc de Savoie Gouverneur General de la Belgique, pour lui chanter la bienvenue en ces Terres, je pouvois etre animé de quelque esperance, mais ici que je consacre à un Enfant de trois mois un des plus memorables Princes de la maison d'Autriche, l'envie meme doit convenir que je suis dans le desinteressement. Si je vous glorifie, c'est pour vous feliciter à votre Pere Serenissime, c'est pour faire honneur aux manes glorieuses de votre Mere Imperiale et Electorale, que Dieu a bientot appellée au ciel parceque la terre n'avoit pas assez de couronnes pour ses merites. Elle vous a mis au monde, & puis comme si elle se fut acquittée du grand dessein que le Tout-puissant avoit sur elle, elle a quitté la terre au meme tems que le Roi des Rois i est descendu.

Auguste Princesse, au nom de l'Univers, je vous rends graces des vertus heroïques dont vous avez bien voulu benir la terre, je vous remercie du tres-cher & tres-aimable Depost que vous nous avez laissé, & je vous felicite par avance sur les inconcevables sujets de joie qui vont vous dilater le cOEur à la vue de ses actions Chretiennes & guerrieres.

Et vous Prince charmant, qui nous sousriez du fond de votre berceau, souffrez qu'aprez vous avoir presenté un objet serieux qui est mon Albert, je me presente moi-meme à vos piez. Les enfans se plaisent aux moindres choses, & c'est dans cette prevention que j'espere que Votre Altesse Serenissime & Electorale voudra bien me soufrir pour son

Tres-humble, tres-obeissant, tres-fidele & tres devoué serviteur


PREFACE




La mémoire de l'Archiduc Albert est encore si recente, & si douce dans la Belgique, qu'il ne faut que prononcer ce nom pour attendrir les cOEurs. Sur ce pié, j'ai deliberé si je continuerois ce que j'ai commencé dans l'histoire du Duc de Savoie, savoir, si à la tete de cet ouvrage; je devois vous donner une idée de tout le corps ; mais enfin, pour satisfaire les esprits prompts qui ne veulent pas se donner la patience de parcourir un ouvrage, & qui à l'ouverture d'un livre, courrent à la liste des chapitres, pour i voir le sujet des matieres ; & pour ne pas ceder à l'avance des Marchands, qui exposent à leur porte les pieces principales qu'ils debitent, je vous donne un craion de mon histoire, qui au meme tems vous tiendra lieu d'avant-propos & de table des matieres.

Je vous declare d'abord que vous avez entre les mains un Heros, qui à l'exception d'une posterité, a eu tout ce qu'un Prince peut souhaiter sur la terre. Il contoit douze Empereurs dans ses Aieulx; sa Mere etoit la Fille de Charlequint, c'est tout dire, & d'Isabelle de Portugal de cette Couronne si fertile en Heros & en Héroïnes. Il fut Fils & Frere de trois Empereurs il refusa lui-meme l'Empire jusqu'à deux fois, & il eut un Frere Roi de Pologne. Son Ainee Isabelle, fut Epouse de Philippe II Roi d'Espagne. C'est un honneur tres-rare que d'avoir tant de tetes couronnées dans une seule maison, mais il ne l'est pas moins de voir que des dix Fils d'Empereur il n'i en ait pas un seul, qui ait eu posterité, & que la Couronne Imperiale ait du passer sur la tete de Ferdinand II, qui n'etoit que Fils Cadet de Ferdinand premier, frere de Charlequint. On void ici un saint Louis dans l'innocence d'Albert, & une Blanche dans les principes que sa Mere lui inspire. Il donne la mitre de Trieste à Coret son Precepteur, & il erige Busbeque en Baronie pour honorer son Gouverneur & les merites de Charle d'Ideghem Seigneur de Wiese.

Ce Busbeque celebre par ses Ambassades importantes & par ses lettres savantes & curieuses, trouve ici son portrait. Vous verrez passer Albert à la Cour de Madrid où il parle parfaitement cinq langues, où il fait l'admiration de Philippe II le moins admirateur des Rois, où il reçoit le Chapeau Rouge du Pape Gregoire XIII, dignité qui se trouva heureusement soutenue du premier Archeveché du monde qui est celui de Tolede dont je vous donne le plan, & de la Viceroiauté de Portugal. Sur ce nouveau theatre, dont je vous donne la carte, Albert reçoit roiallement les Ambassadeurs du Japon, qui alloient rendre leurs hommages au S.Siege. Avant d'entrer dans les guerres qu'il entreprit & qu'il acheva heureusement, je remonte au malheur du Roi Sebastien, qui, par sa mort & par celle de son Oncle Henri, fit monter le Roi d'Espagne sur le throne de Portugal. Je depeins le Batard Antoine, que Louis Duc de Beia, second Fils d'Emmanuel Roi de Portugal, avoit eu d'une Iolande; vous avez aussi toute la posterité de cet Antoine. Elisabeth Reine d'Angleterre, appuie les pretensions de cet Illegitime, & elle lui donne une flotte redoutable avec son Amiral Drack, surnommé le Coureur de l'Univers, & avec Henri Norits. La France i ajoute ses forces, ou pour epauler le Batard Antoine, ou pour defendre les droits de sa Reine Caterine de Medicis, qui fondoit son action sur un titre obscur & immemorial des Comtes de Boulogne.

D'une guerre sanglante, je passe à une guerre Scolastique entre les Jacobins & les Jesuites. J'en represente les deux principaux Champions qui sont Bannez & Molina. Je decouvre par quel revers Albert d'ennemi de Molina, devint son plus grand defenseur par la lettre qu'il ecrivit au S.Siege. Mais ce qui illustra le plus la Viceroiauté d'Albert, fut le martire de six Chretiens, qui etoient des illustres Restes de la defaite du Roi Sebastien; ils signalerent leur foi & leur courage au Roiaume de Maroc; aussi bien qu'onze autre Heros, qui signerent de leur sang la Religion Catolique au Roiaume de Fez. Tant de lauriers inspirerent au Roi Philippe II la pensée d'envoier son Neveu en la Belgique, qui avoit besoin d'une forte & heureuse tete, telle qu'etoit Albert, non seulement depuis le Duc d'Alve, mais encore depuis l'administration de l'Archiduc Ernest d'Austriche Je vous deduis au long la situation & la surprise de Hui, de cette place dont les variations font encore aujourd'hui tant de bruit. Ernest allant prendre Hui fut surpris de la mort, mais le Comte de Fuentes i supplea, non seulement par recouvrer cette Capitale du Condroz, mais deplus par penetrer jusqu'au cOEur de la France, & par battre le Duc de Bouillon General des Armées Françoises devant la Ville de Dourlens qu'il prit d'assaut. Vous avez le siege & la description de Cambrai où le Comte de Bruai entra victorieusement tout le premier. La levée du siege de Grolle, la malheureuse entreprise sur Lire, qui fut l'effet de la prudence & de la valeur d'Anvers qui i accourut avec tant d'ardeur, que le Magistrat fut obligé de fermer ses portes, pour arreter ses Citoiens. Les plus distinguez furent Robyns, Dasse, Berchem, & de Meere. Ces trois derniers furent depuis créez Chevaliers. Si les Malinois ne furent pas si heureux que les Anversois, ils ne furent pas moins genereux, sous les Etendarts de leur Consul vander Laen. Ces prosperitez furent traversées de la perte de la Ville de Breda, qui fut surprise par un bateau de Tourbes. Voilà la matiere du premier Livre & l'etat de la Belgique immediatement avant que l'Archiduc Albert n'i arrivat.

Le second Livre vous decrit le voiage de ce Prince depuis Madrid jusqu'à Brusselle: j'imite l'Archiduc, qui pour ne point tomber dans l'infortune de son frere Ernest, qui perdit Groningue tandis qu'Anvers lui faisoit une reception magnifique, ne voulut point s'arreter aux arcs-de-triomphe. A son exemple, je passe legerement les païs, & je l'accompagne aux sieges de Calais, de Ham, de Guine, d'Ardre, & d'Amiens dont les pommes & les noix ne pouriront jamais. Je decris la Ville & sa Relique principale qui est la tete de S.Jean Batiste apportée de Constantinople en 1204 par le Chevalier de Sarton dont le nom reste encore dans les Sarton de Liege & dans les Rosart de Namur. Je depeins la source & la fin de ce stratageme, sans negliger l'eloge de Portocarrero, qui en fut l'inventeur; ni celui de Caraffe qui en soutint longtems le siege; siege que notre Archiduc auroit fait lever, si l'Amiral d'Arragon son premier Conseiller, ne le lui eut pas dissuadé. Albert par sa retraite admirable, au jugement meme de Henri IV i merita la gloire de Xenofon; il se dedommagea par enlever Hulst à la barbe du Comte Maurice de Nassau; je n'i oublie pas la mort du brave de Rone, qui i fut emporté d'un boulet de canon ; & j'i dis que ce fut à l'instance de ce vieux General de la Ligue, que Calais fut assiegé & pris, ensuite de quelques discours trop libres de la Valiere & de la Noue Gentilshommes François. Maurice s'en revancha par battre le Comte de Varax a Turnhaut; l'Archiduc en fit de meme par confondre les Entrepreneurs de Venlo.

Philippe II qui aimoit tendrement sa Fille Isabelle Claire Eugenie, sentant que la mort l'alloit arracher de cette Minerve, dont il avoit admiré la sagesse l'espace de 35 ans songea à la mettre en de bonnes mains, & n'en trouvant pas de plus dignes que l'Archiduc Albert, il la lui donna pour Epouse avec la Belgique & la Bourgogne. Le Pape ensuite permet à ce Prince de quitter le Chapeau Rouge pour prendre le casque, Albert ne veut recevoir l'épée que des mains de la Reine du Ciel, à Halle en Hainau. Vous voiez à Ferrare un Pape qui assiste au mariage de l'Archiduc & de l'Infante, & a celui de Marguerite fille de l'Archiduc Charle d'Autriche avec Philippe III Roi d'Espagne. Ce ne sont sur la route que des receptions glorieuses. Mais comme les joies les plus epurées du monde sont d'ordinaire detrempées de quelque tristesse, la fete fut troublée de la mort du Roi Philippe II, qui voulant laisser à sa fille une dote tranquille, & desirant de sortir du monde en Prince pacifique, accorda à la France la paix de Vervins, qui consistoit à rendre quelques places enlevées sur la France, & à laisser à l'Archiduc & à l'Archiduchesse toute la Belgique & toute la Bourgogne. Je vous donne l'eloge de ce grand Archimede politique. J'adoucis l'amertume de sa mort par le duel de Briauté, que je vous donne à la fin plus au long: acause que je n'ai pas voulu trop interrompre le fil de l'Histoire, outre qu'il m'est venu, depuis quelques memoires de ce combat celebre. Je fais paroitre l'Archiduchesse Isabelle comme une Agripinne qui accompagne à cheval son cher Germanic. J'expose avec un esprit indifferent la bataille de Nieuport; Albert vainqueur ou vaincu, eut ce qu'il pretendoit par cette bataille; car il fit lever le siege de Neuport, & il alla prendre la ville d'Ostende. C'est cette nouvelle Troye qui fait le sujet du troisieme Livre.

Au quatrieme Livre je distribue les prix aux Valeureux qui se sont distinguez dans ce siege nonpareil. Si quelques-uns i sont oubliez, on leur fera justice à la seconde Edition. Pour ne point deferer à la modestie d'Albert qui refusa le triomphe, & pour reconnoitre les grandes obligations que j'ai à la bonne ville d'Anvers j'erige à l'Archiduc le trophée que ce Marquisat Imperial lui dressa la premiere fois qu'il lui ouvrit ses portes.

Le cinquieme Livre contient la vie pacifique, qu'Albert mena durant les douze ans de Treves qu'il fit avec la Hollande; je depeins sa mort tres-sainte & ses obseques tres-pompeuses.




L'HISTOIRE DE L'ARCHIDUC ALBERT SOUVERAIN DE LA BELGIQUE.




LIVRE PREMIER

La splendeur de mon sujet m'eblouit tellement, que j'aprehende de m'embarquer plus avant, & qu'il s'en faut fort peu que je ne m'arrete au port pour m'i abandonner uniquement à l'admiracion. L'on ne s'etonnera pas de mon desespoir, si l'on fait reflexion que jamais on ne vid tant de Majestez ramassées en un seul sujet. L'Archiduc Albert est precedé & suivi de 20 Heros de la Maison d'Autriche, qui sont tous éclatans de la Couronne Imperiale. Il est fils d'Empereur, frere de deux Empereurs, & il refuse lui meme deux fois l'Empire. L'une de ses sOEurs est Reine d'Espagne, & l'autre est Reine de France.

Il n'i a qu'une chose qui contribue à me faire soutenir tant d'eclats, savoir la maison de Neubourg, qui m'aprivoise avec la splendeur des nombreuses Majestez, en offrant toute à la fois à mes yeux, un Grand-maitre de l'Ordre Teutonique Coadjuteur de Maience, un Eveque de Breslau, un Prince Palatin, un Duc de Radziville, un Roi de Hongrie, une Imperatrice, une Reine d'Espagne, une Reine de Portugal, une Duchesse de Parme, & peutetre une Reine de Pologne.

Je ne commence pas sitot à m'accoutumer à ce soleil entoure de tant de raions, qu'un nouvel obstacle arrete ma plume. Elle me tombe meme des mains, parceque je contemple devant moi une infinité de choses separées à reunir dans un meme corps. Je dois accompagner mon Heros en Alemagne, je dois passer avec lui à la Cour de Madrit où il aprend l'art de regner sous le plus grand maitre qui fut jamais, & qui eut les Reines de la plus grande Monarchie de l'Univers. Je dois le suivre en Portugal en qualité de Viceroi, je dois passer & repasser à Madrit, passer par l'Alemagne, & par l'Italie, & courir en France, enfin je dois le voir Gouverneur & Souverain de la Belgique. Si la diversité & la multitude des voiages m'effraie, le nombre & la varieté des evenemens doit bien le faire davantage. En Portugal, l'Archiduc doit faire tete à un Batard ambicieux qui i vient fondre avec toutes les forces de l'Angleterre & de la France, qui ont à leur tete François Drak cet Amiral admirable qui aiant fait le tour du monde en fort peu de tems, devore d'idée le Portugal, qui n'en est qu'une bien petite partie. En la Belgique, l'Archiduc a sur les bras toute la Hollande nouvellement erigée en Republique, et par suite pleine de courage; & toute la France qui pensant alors faire du depit à l'Espagne, void presentement qu'elle s'est fabriquée des verges bien incommodes, en pretant la main aux Hollandois.

Je dois prendre avec mon Heros, Amiens, Calais & Ostende, où je dois voir combattre l'Espagne, l'Alemagne, l'Angleterre, la France, l'Italie & la Belgique, les six nacions les plus belliqueuses de la terre, avec plus d'animosité que s'il s'agissoit d'un Empire entier, puisqu'on n'i epargne pas cent mille ames que ce petit Port de mer vid sacrifiées. La longueur & les perils de ma navigacion m'épouvantent d'un coté, mais je me sens rassuré de l'autre. Je contemple au bout de ma carriere un Heros fortuné, qui aiant obligé tous ses ennemis à une paix honteuse, jouit de ses lauriers saintement & tranquilement jusqu'à la fin de ses jours. Je sai qu'en reproduisant l'Archiduc Albert, je rengregerai les plaies de la Belgique, qui bien loin d'etre fermées, saignent incessamment; mais je me console que je la réjouirai en faisant resusciter son cher Prince et que si elle jette quelques soupirs regretans en sa contemplacion, elle formera ensuite des vOEux pour demander au Ciel la continuation & la posterité du Souverain regnant qui lui ressemble parfaitement.

Charlequint donna l'Empire à son frere Ferdinand I. Ferdinand a l'age de 18 ans epousa Anne Jagellon fille de Vladislas Roi de Hongrie; Louis fils de Vladislas etant demeuré à la bataille de Mohacz, Ferdinand monta sur le trone de son beaufrere, & par droit de succession, & parceque Vladislas en etoit ainsi convenu. C'est par cette porte legitime que le Roiaume de Hongrie est hereditaire à la maison d'Autriche, & que Joseph premier le possede aujourd'hui. Ferdinand, de la Reine Anne eut quatre fils & onze filles. Maximilien II fut l'ainé & par ce droit il succeda à toutes les Couronnes de son Pere. Le premier jour d'Aout est fatal & tout ensemble fortuné aux Austriens. Ferdinand premier aprez avoir vécu 61 ans, 4 mois & 15 jours; & aprez en avoir regné 6, mourut à Vienne le premier jour d'Aout l'an 1564. Maximilien Il etoit né à Vienne le meme jour en l'an 1527. Il fit ses premieres armes sous son oncle Charlequint, il comanda glorieusement deux mille chevaux en la guerre de Smalcalde, qui affermit l'Empire & la Religion A l'âge de 21 ans il fut creé Roi de Boheme. Il passa à Madrit pour i aprendre l'art de regner sous Filipe II.

Ce Beaupere etant appellé à des guerres plus pressantes, lui laissa toute l'administracion de ses roiaumes d'Espagne. Aprez un gouvernement de trois ans, il repassa en Alemagne où il eut le bonheur de porter trois Courones en un an, Savoir celle de Boheme, celle des Romains, & celle de Hongrie. Il succeda dans l'Empire à son Pere Ferdinand. Par la valeur de Lazare Schuendi, il prit Tokai, Vesprin, Tara & quantité d'autres places sur Sigismond Prince de Transilvanie.

Soliman lui arracha Ziget, mais ce barbare ne jouit que trois jours de sa conquete, & il alla se méler parmi les 20000 Turcs que le brave Nicolas Zerin fit perir sous les ruines. Avant sa mort il eut la gloire de posseder une cinquieme Courone savoir celle de Pologne qui lui fut portée ensuite de l'abdicacion volontaire de Henri III Roi de France. De son Epouse Marie d'Autriche il eut neuf fils & six filles. Deux de ses fils Rodolfe & Matias, furent Empereurs, deux de ses filles Anne & Isabelle, furent Reines d'Espagne & de France. Sa Cour etoit le rendezvous des Savans. Il etoit luiméme du nombre; sa conoissance des langues l'a fait surnommer le Mitridate de son siecle. Il parloit pertinemment, Alemand, Latin, Espagnol, Italien, Hongrois, Bohemien, Belge, Bourguignon & François. Il eut dix fils; Ferdinand, Rodolfe, Ernest, Matias, un Anonime venu avant son terme, Maximilien, Albert, Venceslas, Frederic, & Charle; il eut six filles; Anne, Reine d'Espagne, Isabelle, Reine de France, deux Maries, Marguerite & Eleonor.

Ferdinand naquit à Zigalia en Castille 28 Mars 1551 & il mourut à Vienne en Autriche le 16 juin 1552.

Rodolfe II naquit à Vienne le 2 de Juillet 1552. Il ceda les roiaumes de Hongrie & de Boheme à son frere Matias, & il mourut le 23 Janvier 1612.

Ernest naquit à Vienne le 15 Juillet 1553. Il mourut à Brusselle le 21 Mars 1595, Gouverneur de la Belgique.

Matias naquit à Vienne le 24 Fevrier 1557, veille de S.Matias jour favorable à Charlequint & aux Austriens. Il fut elu Empereur le 13 Juin 1612. Se voiant sans enfans il adopta son Cousin Ferdinand Archiduc de Grats, qui fut depuis Empereur sous le nom de Ferdinand II. Il mourut age de 62 ans le 20 Mars 1619.

L'Anonime vint avant son tems, le 20 Octobre 1557.

Maximilien Roi de Pologne naquit à Neustad le 12 Octobre 1558, fete de S.Maximilien; Sigismond lui enleva la Courone en 1587; il se l'affermit en defaisant les troupes de Maximilien, & en le faisant luimeme prisonier. Le 26 Octobre 1596 Maximilien gagna la bataille de Kerest contre Mahomet III. Il mourut en 1618.

Notre Albert naquit à Neustad en Autriche le 13 Novembre 1559 à neuf heures & trois quarts du matin. C'etoit un Lundi, fete de S.Bonhomme & de S.Eugene, & la veille de S.Albert le Grand. Il fut batizé par Magalan Aumonier du Roi de Boheme, & il fut tenu sur les saints Fons par Vladislas Baron de Bernstein Chevalier de la Toison d'or; par sa femme Marie Manriquez de Lara, & par Polixene de Lasse Gouvernante des Enfans Imperiaux.

Venceslas naquit à Neustad le 9 Mars 1561, & il mourut en Espagne.

Frederic naquit à Lintz en Autriche le 12 Juin 1562. Il mourut à Inspruc le 16 Janvier 1563.

Charle naquit le 26 Fevrier 1565, & l'on peut dire que ce fut le premier & l'unique fils Imperial, puisqu'alors sa mere etoit Imperatrice, & que ce Charle fut le dernier des fils qu'elle mit au monde.

Anne la premiere des enfans de l'Empereur Maximilien II, naquit à Zigalia en Castille le 2 de Novembre 1549. Elle epousa Filipe II Roi d'Espagne le 14 Novembre 1570. Elle mourut en Espagne.

Isabelle Reine de France née à Vienne le 15 Juin 1554, epousa Charle IX, le 26 Novembre 1570, c'estadire 12 jours aprez que sa sOEur Anne epousa le Roi d'Espagne. N'aiant eu qu'un enfant, elle retourna à Vienne, où elle mourut le 22 Janvier 1592. Cette belle & Sainte Reine, batit l'Eglise de tous les Saints à Prague, & elle fonda les Clarisses de Vienne prez desquelles elle vecut saintement.

Marie naquit le 27 Juillet 1555. Elle mourut à Lintz le 25 ou le 28 Juin 1556.

La seconde Marie naquit a Neustad le 19 Fevrier 1564. Elle mourut à Vienne le 26 Mars 1564.

Marguerite naquit à Vienne le jour de la Conversion S.Paul, je dis le 25 Janvier 1567.

Eleonor naquit le 4 Novembre 1568.

Voilà la famille de Maximilien II. Tout le monde s'etonne que pas un de ses dix fils n'ait eu posterité, & que la Couronne Imperiale, ait du passer à Ferdinand II fils de l'Archiduc Charle qui etoit fils de l'Archiduc Ferdinand Cadet de l'Empereur Ferdinand I. Quelquesuns ont voulu dire que c'etoit une punition de la faveur que Maximilien donna aux Protestans. S'il les favoriza, il ne donna jamais dans leur sens, & il ne leur fit pas d'autre bien que de trouver à dire qu'on les forçat à embrasser la Vraie foi, bien loin de meriter du chatiment, il ne merita que de la louange, puisqu'il est glorieux à un Prince de ne forcer persone en matiere de Religion, mais d'emploier pour celà les armes de JESUSCRIST et de l'Eglise meme, qui sont la doctrine, la douceur, la priere, & la prudence. Disons que Dieu avoit regardé Ferdinand I du meme OEil qu'il regarda David quand il le prefera à tous ses freres ; & qu'il permit qu'une si nombreuse famille n'eut point d'heritier, pour faire la leçon à tous les Princes, & pour leur dire qu'ils ne doivent pas trop conter sur trois petits fils, puisque dix ont quitté la terre sans i avoir laissé d'heritier.

Marie d'Autriche cette digne fille de Charlequint et d'Isabelle de Portugal, cette digne sOEur du prudent Filipe II, ne perdit rien de ses soins maternels pour nombreuse que fut sa famille, & elle eleva chaque enfant, comme si elle n'en avoit eu qu'un seul. Mais il faut donner cette gloire à Polixene de Lasse qui fut leur Gouvernante, qu'elle aporta une exactitude admirable à l'educacion de ces enfans Imperiaux, et qu'ils ne lui furent guere moins obligez qu'à leur propre Mere.

Marguerite d'Autriche, sOEur de notre Albert qui fut Clarisse Deschaussée de Madrit, avoit coutume de dire, que leur Bonne Mere, faisoit incessamment à ses enfans, la leçon que Blanche faisait à S.Louis & à S.Isabelle touchant l'horreur du péché mortel. Albert la retint toute sa vie. Cet enfant de benedixion ne sortit d'entre les mains des vertueuses, qu'à l'age de neuf ans, où l'on le trouva capable d'une educacion plus solide. Les Dame avoient semé dans ce jeune cOEur une grande & une filiale crainte de Dieu, un respect pour la Religion, & surtout, cette tendre piété, pour tout ce qu'il i a de sacré, dont on vid eclater tant de beaux temoignages dans le cours de sa vie.

On lui choisit d'habiles maitres qui cultiverent les principes de ses vertus, & qui l'ornerent des connoissances dignes d'un Prince de son caractere. Ces maitres furent Nicolas Coret, Mathieu Othen Louvaniste, & Augier Guilain Busbeque. Coret fut Evêque de Trieste en Styrie, Othen etoit originaire de Danemarc d'une famille tres illustre. Ce fut lui qui enseigna le latin à notre Albert. Afin qu'on ait quelque idée du diciple en contemplant l'image du maitre principal, disons deux mots du seigneur de Busbeque.

Augier Guilain Busbeque etoit fils de Gille-Guilain Busbeque Gentilhome Flamand. Il naquit à Commines petite ville de Flandre, assez prez de Lessine sur la riviere du Lis. Busbeque est un petit village sur la meme riviere. Son Pere qui etoit un homme de qualité & et de crédit, & dont l'Empereur Charlequint estimoit le merite, fit elever le petit Auger avec beaucoup de soin. Il le fit briller à Louvain, à Paris, à Venise, à Boulogne, & à Padoue. Dans ces temples de la sagesse, il eut le bonheur d'avoir pour maitres les plus excellens hommes de leur siecle. L'Empereur Ferdinand II le mit avec son Ambassadeur en Angleterre, & il le donna pour Precepteur à ses enfans. Auger fit deux voiages en Turquie en qualité d'Ambassadeur. Rien de plus charmant que les relacions qu'il fait de ses voiages. Maximilien II le donna pour Gouverneur à mon Heros, qui, sous un maitre si consommé, devint l'admiracion des Princes & des peuples. Auger conduisit en France la Princesse Isabelle Epouse de Charles IX. En retournant dans la Belgique en 1592, il fut maltraité de quelques coureurs François vers Rouen, d'où aiant pris la fievre, il mourut dans la maison de Madame Mailloc à S.Germain prez de Rouen, 22 jours aprez sa maladie en la meme année 1592, agé de soixante dix ans. Il pria le Gouverneur de Rouen de ne prendre pas raison de ceux qui l'avoient insulté. Le grand Juste Lipse lui fit son epitafe. Les belles lettres lui ont des obligacions immortelles, parce qu'il les cultivoit luimeme exactement, parcequ'il etoit le Mecene des Savans, & parcequ'il a enrichi la Biblioteque Imperiale d'une infinité de rares & d'excellens manuscrits.

Il fut le maitre de notre jeune Prince. Le peu que nous en donnons est capable de nous faire revenir de l'admiracion, où nous nous trouverons peut etre dans le cours de cette histoire, en voiant tant de dons dans notre Archiduc, qui etant Souverain de la Belgique, reconnut la memoire de son Precepteur, en erigeant Busbeque en Baronie. Albert eut deux ans entiers pour aprendre les leçons de ses maitres. A l'age d'onze ans il fut trouvé capable de sortir de son academie domestique, & de voir le grand jour de la Cour. La plus pompeuse & la plus spirituelle cour de ce temslà, brigua de l'avoir, & elle l'obtint. Filipe II demanda ce cher Neveu, & l'on fut ravi de faire entrer dans cette ecole admirable un jeune Prince qui etoit si heureusement inicié.

Ce fut à la Cour de Madrit qu'Albert deploia les grandes qualitez qu'il avoit juque lors comme resserrées, & qu'il donna lieu à Filipe II de former le riche plan des resolucions qu'il rendit ensuite efficaces. Ce fut dez lors que ce sage Roi charmé de la prudence, de la pieté, de la penetracion, de la sience, de la gravité, & sur tout de la pieté, de son Neveu, le designa son Viceroi de Portugal, son Gouverneur de la Belgique, & enfin l'epoux de sa tres chere fille Isabelle Claire Eugenie, les delices de son cOEur, & le chefd'euvre des graces. Ce fut l'an 1570 qu'Albert passa en Espagne avec son frere Venceslas, vers sa chere sOEur la Reine Anne accompagné de ses trois Precepteurs. Il i trouva ses ainez Rodolfe & Ernest, que Don Jean d'Autriche mort à Namur, reconduisit à Vienne par l'Italie, en allant à Lepante.

Albert, vivoit à la cour en Prince qui dut i faire sa fortune. Celà fut cause qu'il ne s'eleva, & qu'il ne se ralentit jamais en vue de la proximité du sang Roial. La qualité de Neveu du Roi, & fils de l'Empereur ne changea en aucune façon la riche situacion de son cOEur, & de son esprit. Il mit alors en OEuvre tout ce qu'il avoit apris de ses Precepteurs, pour aprendre l'art de regner sous son Oncle Filipe II, qui en fut le plus grandmaitre, puisqu'il passe dans l'esprit de tous les conoisseurs pour un Archimede, qui, sans sortir de son cabinet, remuoit, & regloit le globe civil de ce vaste Univers. Albert profita si bien sous cette discipline, qu'il passa luimeme ensuite pour un Prince consommé dans l'art de gouverner. Il prenoit de grans secours de l'histoire, à l'imitacion de Charlemagne, qui se faisoit lire tous les jours quelques points d'histoire, & à l'exemple de Charlequint son Aieul maternel, qui avoit tous jours entre les mains son Tucidide de la traduxion de Claude Eveque de Marseille. Albert pour rendre ses connoissances plus universelles, prit une sience & une pratique parfaite des langues les plus fameuses. C'etoit un charme que d'entendre un Prince de 15 à 16 ans parler poliment Latin, Aleman, Espagnol, Italien, François, & de lui voir donner satisfaxion à tous les Ambassadeurs des Princes qui parloient l'une de ces langues. Le bruit de ces belles qualitez passa à Rome, & le Pape Gregoire XIII ce juste connoisseur & estimateur du merite, bien persuadé qu'Albert butoit visiblement à l'Eglise, lui envoia le chapeau rouge. Ce sage Pontife ne se rebuta point de son bas age, il ne crut pas pouvoir manquer en conferant la Pourpre à un jeune Prince de 18 ans, que la maturité, la sagesse, l'erudicion, la pieté, la chasteté & les autres vertus Ecclesiastiques, faisoient aller du pair avec des Prelats consommez. Ce fut le 4 de Mars de l'an 1577, que le Pape lui envoia le Chapeau rouge, avec le titre de Cardinal de S.Croix de Jerusalem.

Filipe II, pour faire dignement soutenir à son Neveu, ce nouveau caractere, le revetit de la dignité d'Archeveque de Tolede, qui raporte pour le moins trois cens mille ducats de revenus, avec la charge d'Inquisiteur general, qui est l'un des plus importante, de cette grande & Catolique Monarchie. Tolede le premier Archeveché du monde, est la capitale de Castille la Neuve & elle est batie sur la riviere de Tage. Sa situacion est sur un rocher separé des hautes montagnes par le Tage, qui la lave. La cime est une maniere de Platteforme, où sont la place, l'Eglise, & le Chateau. Le reste est tout couvert de maisons. Le Palais de l'Archeveque & celui de Charlequint sont deux chefd'euvres. Cette Ville a eté autrefois le siege des Rois; Alfonse VI surnommé le Vaillant, la reconquit sur les Maures en l'an 1085. Filipe II reconut tant d'aptitude au gouvernement, dans ce jeune Cardinal, qu'il crut de faire injure à ses Etats que de laisser oisive cette belle main qui sembloit etre faite pour manier les resnes d'un grand Empire. L'occasion se presenta bientot de lui donner de l'emploi. Dieu fit tomber legitimement le Roiaume de Portugal dans le patrimoine du Roi, & ce fut cette nouvelle heredite, qui servit de premiere cariere à notre jeune Viceroi. Il signala son arrivée par l'accueil Roial qu'il fit en 1584, à Mancius & à Michel Ambassadeurs Japonois. Aprez que cette nouvelle Eglise eut reconnu & reveré les Papes Gregoire XIII & Sixte VI, ils repasserent par le Portugal où notre Viceroi leur fit ressentir de nouveaux effets de sa magnificence Imperiale. Avant de conduire notre Cardinal aux resnes de Portugal, donnons une idée de ce Roiaume, & developons comment il tomba sous la dominacion Espagnole.

Le Portugal n'a que cent dix lieues Françoises de longueur, & cinquante de largeur. Il a la Galice au Nort, d'où il est separé par le fleuve Minho; il a l'Ocean au couchant & au midi, au levant il a la Castille, le Leon, l'Estramadure, & l'Andalousie. Ses cinq Provinces sont entre le Doure & Minho. Le petit Roïaume des Algarves est la qualité que porte l'ainé du Roi. Le Portugal est arosé de 4 rivieres principales, qui sont le Douro, le Minho, le Tage, & la Guadiana. Elles se dechargent toutes dans l'Ocean.

Depuis Henri de Bourgogne, qui alla en Espagne en 1089, juqu'à Sebastien qui mourut en la journée d'Alcacer le 4 Aout 1578 en la 25 année de son age, & en la 22 de son Regne, il i eut 15 Rois de Portugal. La mort de Sebastien est trop tragique, & les suites de sa mort sont trop fameuses pour n'en faire pas un point d'histoire.

Sebastien I commença à regner en Portugal en 1557 agé seulement de quatre ans. Et quoiqu'il eut eté elevé d'une maniere qui sembloit ne lui devoir inspirer que l'amour de la paix & du repos, il porta neanmoins toutes ses inclinations aux armes & à la guerre, aussitot qu'il fut en etat d'agir par luimeme. C'est pourquoi en 1574 etant agé d'environ vint ans, il resolut contre l'avis des plus sages de son Conseil d'aller en Afrique, & il i passa en effet avec quatre Galeres, quelques vaisseaux, & peu de soldats. Il ne put faire autre chose que de reconnoitre le païs, aiant bien vu qu'il etoit trop foible.

Mais il temoigna dez lors son grand cOEur, qui alloit juqu'à la temerité, voulant se trouver en personne dans les moindres escarmouches qui se faisoient contre les Maures, & aiant bien de la peine à se tenir dans les bornes d'une magnanimité temperée de sagesse & vraiment Roiale. Il retourna aussitot à Lisbone, & il pensoit sans cesse aux moiens d'avoir plus de troupes, pour retourner bientot en Afrique avec une puissante armée.

Comme il s'occupoit continuellement de ce dessein, il se presenta une occasion qui l'i confirma beaucoup, & qu'il crut tres favorable pour l'executer.

Muley Mahameth de la race des Cherifs, aiant succedé à son Pere Abdala, & regné quelque tems au Roiaume de Maroc, Muley Moluc, son Oncle paternel, pretendoit que la Couronne lui appartenoit, en vertu d'une loi des Cherifs, Chefs de la race Roiale, par laquelle ils avoient ordonné que les freres succederoient aux freres, avant qu'aucun des Neveux entrat en la succession. Car selon cette loi les freres devant succeder aux freres & non les enfans aux Peres, il soutenoit qu'etant frere du Roi mort; c'etoit à lui & non pas au fils de ce Prince à lui succeder.

C'est pourquoi encore qu'il se trouvat sans aucun appui, comme il avoit neanmoins beaucoup de cOEur, il resolut de perdre la vie ou de conquerir son Roiaume. Et aprés avoir demandé longtems en vain du secours à Philipe II Roi d'Espagne, il entra dans l'Afrique avec trois mille hommes seulement que le Turc lui avoit donnez. Il attira ensuite à son parti quelques troupes du païs, & etant allé attaquer le Roi son Neveu, il gagna trois batailles contre lui, dans la derniere desquelles il defit une armée de soixante mille chevaux & de dix mille hommes de pied.

Muley Malameth perdit ainsi le Roiaume de Maroc, & Moluc son Oncle en demeura maitre paisible, s'etant aquis une reputation extraordinaire parmi les Chretiens & parmi les Barbares. Ce Prince dépouillé de ses Etats vint en Portugal, & il representa à Sebastien que les Maures etant divisez, & une partie etant encore pour lui, s'il vouloit decendre en Afrique avec une armée, il se rendroit aisément le Roi de ses peuples.

Ce jeune Prince qui avoit l'esprit tout plein de guerre & de conquetes, crut aisément ce qu'il s'etoit persuadé par luimeme. Et etant comme enivré par ces nouvelles esperances, qu'on ajoutoit à celles qu'il avoit dejà conçues, il ne pensa plus qu'à trouver les moiens d'executer une entreprise, qui lui paroissoit si facile & si glorieuse. Il proposa cette affaire à son Conseil. Les plus sages s'i opposerent, & ils lui representerent le danger qu'il i auroit en cette guerre, pour sa personne, & pour tout le Roiaume. Mais leur resistance fut inutile. Il resolut cette entreprise, & il ne pensa plus qu'à l'executer.

Il avoit ordonné auparavant qu'on levast des compagnies des Bourgeois de Lisbone, auxquels il faisoit faire l'exercice. Il s'accoutumoit luimeme aux travaux de la guerre, & autant à ceux des simples soldats que des Officiers. Lorsqu'il alloit à la chasse, il se plairoit à se battre seul contre les betes les plus farouches, & quand il faisoit quelque voiage sur mer, il affretoit de s'embarquer toujours pendant la tempete, comme si c'eut eté manquer de cOEur que d'attendre un tems plus calme.

Il desira de voir Philipe II pour lui demander secours dans cette guerre. Les deux Rois se virent, & Philipe qui etoit son Oncle lui parla avec grande civilite, & avec de grans temoignages d'affection. Il s'efforça de le dissuader, sinon de la guerre, au moins d'i aller en personne. Il lui representa l'impuissance où il etoit de l'assister. Mais voiant qu'il etoit impossible de lui faire changer de dessein, il lui dit pour lui complaire que le Duc d'Albe l'avoit assuré que cette guerre ne pouvoit s'entreprendre surement, a moins d'avoir quinze mille hommes, non Portugais, mais etrangers, Espagnols, Italiens, & Allemans: Qu'il lui promettoit d'en lever cinq mille, au cas que ses affaires d'Italie le lui permissent. Sebastien lui demanda ensuite la Princesse sa fille en mariage, que Philipe lui promit.

Sebastien se retira tres content de cette entrevue & il ne pensa qu'à hater son voiage en Afrique. Il fut obligé pour pouvoir soutenir les frais de la guerre de mettre des impots extraordinaires sur le peuple & sur le Clergé, qui exciterent beaucoup de plaintes & de murmures. Il se passa du tems pour les apprets de la guerre.

Philipe II aprez diverses negotiations lui fit dire que la Flandre etant en peril, il ne pouvoit pas lui envoier secours.

Et voiant que Sebastien ne changeoit pas pour celà de resolution, il en fut fort en peine, craignant le peril où il s'exposoit. C'est pourquoi il renouvela ses instances, le conjurant ou de differer le voiage, ou de n'i aller point en personne. Il lui ecrivit sur ce sujet diverses lettres de sa main, pleines de temoignages d'affection, & il lui en fit ecrire par le Duc d'Albe, qui etoit le plus grand Capitaine qui fut alors en Espagne. Il lui envoia enfin le Duc de Medina COEli, pour faire le dernier effort à le dissuader de cette entreprise. Mais il fut impossible de rien gagner sur son esprit.

L'Archeveque & tous les gens de bien avec lui etoient extraordinairement touchez, de voir le malheur auquel s'exposoit ce jeune Prince. Ils deploroient les maux presens, & ils en apprehendoient de bien plus grans pour l'avenir. Il ne leur restoit que de lever les mains au Ciel, & de demander à Dieu qu'il eclairast & qu'il conseillast luimeme celui qu'ils voioient se precipiter dans un peril evident, sans que personne l'en pust detourner.

Car la resolution et la fierté de son esprit, jointe à la chaleur de son age, & à la qualité de Roi, lui avoit inspiré une confiance, qui le rendoit sourd à tous les avis des autres, & inebranlable dans le sien. Il s'imaginoit qu'avec les Portugais seuls, quelques Allemans & quelques Italiens qu'il faisoit lever, il pourroit conquerir toute l'Afrique.

Aiant donc mis son armée en etat de partir, il s'en vint un matin accompagné de ses gardes & des plus grans Seigneurs de Portugal à l'Eglise Cathedrale de Lisbone, où aiant fait benir avec grande pompe l'etendart qu'il vouloit faire porter en Afrique, il le donna à son grand Ecuier. Et comme on croioit qu'il dust s'en retourner à son Palais, il s'en alla sur le port & il monta dans sa Galere, disant qu'il vouloit partir sur le champ. Il i demeura huit jours, attendant le reste de l'equipage & de l'embarquement de ses troupes.

Comme ce Prince avoit du zele pour la Religion, & que cette guerre s'entreprenoit contre les Infideles, il voulut qu'elle fut considerée comme une guerre sainte, & il mena avec lui beaucoup de personnes de pieté. Arias de Silva Eveque de Porto, & Emmanuel de Meneses Eveque de Conimbre l'i accompagnerent avec beaucoup d'Ecclesiastiques & de Religieux.

Enfin le dix sept de Juin 1578 toute l'armée fit voile, aiant le vent favorable. C'est ainsi que commença ce voiage qui lui devoit etre si funeste. Il partit neanmoins plein de joie & d'esperance, ne se figurant en Afrique que des victoires, & laissant son Roiaume epuisé d'argent & de forces, & exposé à tous les malheurs qui ont eté la suite deplorable d'une entreprise si malconcertée.

Lorsque ses vaisseaux furent arrivez à la cote d'Afrique, il commanda à ses troupes de debarquer à Arzille, qui etoit l'une des villes qu'il y possedoit, & il i logea son armée presque sur le bord de la mer. Elle etoit composée de huit mille Portugais, trois mille Allemans, deux mille Castillans, & six cens Italiens, & il i avoit en tout environ treize mille hommes de pié & quinze cens Chevaux.

Muley Moluc Roi de Maroc, dont nous venons de parler, aiant su son arrivée, pensa d'abord à traiter de paix. Car aiant autant de sagesse & d'experience que de cOEur, quoiqu'il se vit beaucoup plus fort, il ne voulut neanmoins rien hazarder. Il offrit à Sebastien de lui donner les champs d'alentour les forteresses qu'il avoit en Afrique pour les cultiver. Mais Sebastien qui ne mettoit point de bornes à ses esperances, lui repondit qu'aiant dejà fait les plus grans frais de la guerre, il ne pouvoit pas traiter de paix à moins qu'il ne lui donnat trois places en Afrique, dont Larache etoit l'une. Le Barbare lui fit repondre, que lorsque les Portugais auroient mis le siege devant Maroc, il penseroit à cette proposition: qu'il avoit conquis son Roiaume en gagnant trois batailles, & qu'il le defendroit de meme.

Il ne s'appliqua dez lors qu'à se preparer à la guerre. Il etoit malade d'une maladie mortelle, dont il mourut en effet peu de jours aprés, & neanmoins il donnoit ordre à tout. Aiant peur qu'il n'i eut dans son armée des gens affectionnez à Muley Mahameth son Neveu qui avoit regné avant lui, il fit dire tout haut dans son camp que quiconque ne venoit pas bien volontairement avec lui, n'i vint point, & que ceux qui etoient plus amis de Mahameth que les siens, l'allassent trouver.

Et afin que ceux qu'il avoit pour suspects pussent se retirer plus aisément de ses troupes, il en fit un escadron de trois mille chevaux pour reconnoitre l'armée Chretienne; pour observer sa marche & sa contenance; & pour la tenir en haleine par des allarmes & par des escarmouches continuelles. Il leur voulut donner cette liberté, afin de separer de bonne heure les traitres d'avec les autres depeur qu'ils ne se tournassent contrelui dans le combat; & pour leur temoigner en meme tems qu'il ne craignoit point l'armée Portugaise, & qu'il sauroit bien s'en defendre sans leur recours. Ces Maures voiant la generosité de leur Roi, & prenant cet ordre qu'il leur avoit donné, pour une marque de la confiance qu'il avoit en eux, l'executerent avec beaucoup de cOEur, et lui furent tres fideles.

Les Portugais à la premiere attaque firent voir leur peu de courage & d'experience. Car six cens chevaux Maures etant venus pour les reconnoitre plutot que pour les charger, & s'etant retirez aprez une legere escarmouche, ils en furent si effraiez, comme n'aiant jamais vu l'ennemi de prez, que ne se contentant pas de se retirer dans leurs logemens où ils etoient en sureté, plusieurs s'enfuirent jusques dans les vaisseaux.

Sebastien neanmoins ne s'etonna pas de cette peur qui avoit paru dans son camp. Au contraire il en meprisa d'autant plus les Maures, voiant que leur attaque avoit eté sans effet; & leur prompte retraite l'assura davantage que la fuite des siens ne l'intimida. Il ne voulut plus demeurer dans la ville, mais il prit son logement dans le camp, pour etre pret à sortir a la moindre allarme.

Le lendemain deux mille chevaux Maures aiant paru, le Roi les alla charger avec six cens chevaux; & les Maures se retirant, il s'engagea si avant dans le combat, que sans etre suivi d'aucun homme de pié, il poursuivit les ennemis plus de trois lieues avec plus de courage que de prudence. Car il faisoit plutot le soldat que le Capitaine, & il ne consideroit pas qu'en s'exposant sans sujet à un si extreme peril, il exposoit toute son armée.

Mahameth ce Prince exilé, qui avoit attiré Sebastien dans l'Afrique, avoit craint d'abord qu'il ne s'en rendit maitre, au lieu de l'aider à conquerir ses Etats. Mais aiant vu ses troupes si en desordre, sans experience, sans Chef, & sans dicipline, il desespera qu'il put vaincre le Roi de Maroc. C'est pourquoi il lui conseilla de ne s'engager point dans la terre ferme, & de s'en aller par mer avec les vaisseaux attaquer la ville de Larache qu'il emporteroit aisément. Il ajouta qu'il pourroit retourner ensuite glorieusement en Portugal, & que laissant quelques troupes en Afrique, il seroit aisé peu à peu de faire revolter les Maures qui n'etoient pas affectionnez à leur Roi.

Sebastien mit cette affaire en deliberation. Quelquesuns de ceux qui avoient plus de credit auprez de lui, lui representerent qu'il seroit tres sur d'aller par la mer, & tres dangereux de s'engager dans la terre: Que les ennemis auroient un grand avantage, par la connoissance qu'ils avoient de leur païs, & par la commodité d'avoir des vivres, au lieu que tous ces secours lui manqueroient: Qu'encore que les Chretiens fussent plus vaillans que les Barbares, ils pourroient bien neanmoins etre accablez par la grande multitude de leurs ennemis: Qu'il etoit de sa prudence de moderer son courage, & de voir s'il devoit exposer à un peril visible sa personne & tous les siens: Que le siege de Larache qu'on lui proposoit le tiroit de toutes ces difficultez, & qu'on en voioit les moiens faciles, le succez assuré, & l'avantage tresconsiderable. Mais ce Prince qui etoit resolu à donner bataille, eut de la peine à ecouter seulement un si bon conseil.

Alors tous ses serviteurs voiant qu'ils se mettoient en danger de se perdre en lui disant la verité, ne penserent plus qu'à lui complaire. Il s'en trouva meme qui s'etudierent à flater son ambition, le piquant d'honneur, & lui disant qu'il etoit bon de faire voir à la France qu'on pouvoit bien se passer de son secours, & que le Roi de Portugal etoit seul assez puissant contre tous les Maures.

Ainsi tout contribuoit à la perte de ce Prince; & ses propres Officiers aiant plus d'egard à leurs interets qu'a ceux de leur Maitre, lui parloient non selon leur pensee, mais selon son desir, esperant que si sa temerité lui reussissoit heureusement, ils passeroient dans son esprit pour avoir eté plus fermes & plus habiles que les autres, & que s'il perdoit la bataille, il seroit consideré luimeme comme le premier auteur de sa perte. Il commanda ensuite à toutes ses troupes de quitter le rivage, & il se mit en campagne, pour aller trouver ses ennemis. Le Roi de Maroc etant averti de la marche des Portugais, fut ravi de les voir s'engager ainsi dans la terreferme. Il etoit persuadé qu'aiant beaucoup plus de troupes, & mieux conduites & diciplinées que n'etoit l'armée Chretienne, il ne devoit pas craindre le succez d'une bataille. Neanmoins etant sage comme il etoit, il avoit de la peine à se commettre a l'incertitude d'un combat, & il croioit que laissant les Portugais s'engager de plus en plus dans ses terres, il n'auroit qu'à leur couper le chemin de la mer, pour les voir perir ensuite par le defaut de vivres, sans qu'il fut obligé de perdre un seul homme. Mais il se trouvoit dans l'impuissance d'executer ce dessein, parcequ'il etoit malade à l'extremité, & qu'il ne pouvoit plus esperer de vivre que trespeu de jours.

C'est pourquoi etant resolu de se preparer au combat, sachant que les ennemis etoient fort proches, il fit venir son frere, & il lui dit: qu'il le faisoit General de toute la Cavalerie, parcequ'il etoit son frere, quoiqu'il ne le crut pas avoir assez d'habileté ni de cOEur pour soutenir une si grande charge: qu'il lui commandoit de combattre; & de vaincre ou de mourir; & que s'il faisoit la moindre chose, indigne du rang où il le mettoit, il l'etrangleroit de ses propres mains. Il se fit ensuite porter dans une petite litiere, allant de rang en rang parmi ses troupes encourageant tout le monde, & donnant tous les ordres comme s'il eut eté dans une parfaite santé.
Il apprit peu aprez, que l'armée Portugaise etoit dejà proche. Il envoia aussitot son grand Ecuier avec un escadron de Cavalerie pour la reconnoitre. Il arriva en ce meme tems que les Portugais qui avoient passé un petit ruisseau, le repassoient par l'ordre du Roi; parce qu'il avoit cru qu'il valloit mieux le laisser entre les deux armées. Les Maures donc s'imaginant que les Chretiens fuioient devant eux, en rapporterent à grande hate la nouvelle au camp. Les Barbares se mirent aussitot à crier qu'il falloit les suivre, & qu'ils ne pourroient pas leur echaper. Mais ce Prince non moins sage que vaillant, repondit, qu'ils s'enfuissent à la bonne heure, mais que pour lui il ne vouloit point courir aprés.

La nuit s'étant passée sans alarmes, quoique les deux armées fussent voisines, le lendemain qui avoit eté choisi pour donner la bataille, Sebastien fit appeller les principaux de son Conseil & les premiers Officiers de son armée, & il leur demanda leur avis avec un esprit plus tranquille qu'auparavant.

Quelquesuns proposerent si on pourroit se retirer pour regagner le bord de la mer, & assieger Larache. Mais ceux meme qui n'avoient pas eté d'avis de s'engager dans la terre ferme, & dans la necessité de donner une bataille, croioient qu'il ne falloit plus alors penser qu'à combattre: parceque se retirant à la vue de l'ennemi, on lui donneroit cOEur en se l'otant à soimeme, & qu'il seroit bien plus aisé de rompre les Maures en combattant, que de les eviter en se retirant: outre que l'armée manquant de vivres elle periroit par ellememe, quand elle se pourroit defendre des ennemis.

Mahameth qui sembloit devoir le plus appuier cet avis, etant difficile qu'il put rentrer dans ses Etats que par le gain d'une bataille, conseilloit neanmoins au Roi de se retirer. Car quoiqu'il vit du peril dans la retraite, il en voioit beaucoup plus dans le combat. Il connoissoit le fort & le foible des uns & des autres, & sachant quelle etoit la valeur & l'experience de Moluc son Oncle, & que son armée etoit beaucoup plus forte & plus aguerrie que celle des Chretiens, il croioit que si on donnoit la bataille, la defaite des Portugais etoit assurée.

Sebastien neanmoins n'eut aucun egard à son avis. Quoique la vue de l'ennemi qui etoit si proche l'eut rendu un peu plus moderé, pour ecouter les conseils qu'on lui donnoit, elle n'avoit neanmoins diminué en aucune sorte la hautesse & la fermeté de son cOEur. Il voioit sans crainte l'epouvante de ses troupes & le grand nombre de ses ennemis; & s'imaginant qu'ils n'etoient pas si forts qu'on le publioit, & qu'un Chretien battroit toujours cinq ou six Maures, il sortit hardiment de son camp, & il mit toutes ses troupes en bataille.

Il pouvoit avoir alors douze mille hommes de pié, & quinze cens chevaux. Il divisa son armée en trois corps. Dans le premier etoient les Castillans, les Allemans, & les Italiens, commandez chacun par les Officiers de leur nation. Les troupes Portugaises formoient les deux autres. La Cavalerie etoit aux deux ailes. Le Duc d'Avero commandoit la droite, où etoit Mahameth avec ses Maures. La Cornette du Roi etoit à la gauche, avec le Duc de Barcellos fils ainé du Duc de Bragance.

Le Roi de Maroc mit aussi de son coté son armée en bataille. Il avoit dix mille hommes de pié, & environ quarante mille chevaux, dont vingt cinq mille etoient la plupart, ou des Chretiens qui avoient renoncé la foi, ou des Turcs; tous gens de guerre, & entretenus, qui faisoient la principale force de son armée. Il fit marcher d'abord toute son Infanterie rangée en forme de Croissant, & aux deux pointes du Croissant, il mit deux Escadrons de Cavalerie de dix mille chevaux chacun. Il mit en l'arrieregarde tout le reste de la Cavalerie en de petits escadrons, avec ordre de s'etendre toujours, & d'entourer l'armée Portugaise pour la combattre en meme tems de tous cotez.

Cependant la maladie le pressoit de telle sorte qu'il se sentoit mourir, & qu'il ne croioit pas pouvoir seulement passer la journée. Lorsque l'armée Portugaise fut en presence, elle lui parut si foible, que se tenant assuré de la victoire, il ne pensa plus qu'à prevenir la fuite des ennemis, afin qu'il ne lui en echapa que le moins qu'il se pourroit. C'est pourquoi il fit tellement etendre toute sa Cavalerie dans cette forme de Croissant qu'il lui avoit donnée, que la tenant à une portée de Canon des Portugais, il enferma toute leur armée; les deux pointes du Croissant s'etant venues joindre derriere leur arrieregarde. Puis etroississant peu à peu ce grand cercle, & les Escadrons se grossissant, toute l'armée Chretienne se trouva environnée de tous cotez de la Cavalerie des Maures.

La vue d'un peril si present etonna les Portugais, & leur epouvante augmenta encore par le bruit de l'artillerie des Maures, quoiqu'elle fit assez peu d'effet. Ils se jettoient tous par terre aussitot qu'ils en voioient paroitre le feu. Alors Sebastien craignant que ce desordre n'augmentat, fit donner le signal de la bataille. L'avantgarde Portugaise soutint vaillamment le choc des ennemis. Et quand on commença à se battre de plus prez, les Maures plierent, furent rompus & mis en fuite par trois fois, avec la perte de leurs drapeaux. Le Duc d'Avero qui commandoit l'aile droite avec les gens de Mahameth, chargea aussi la Cavalerie des Maures qui vint l'attaquer, & la poussa de telle sorte qu'il mit en fuite tout ce qui se presenta devant lui.

Les Maures s'enfuiant vinrent se rendre au lieu où etoit leur Roi, qui entrant dans une colere etrange, sans considerer qu'il etoit à demimort, se leva de sa litiere, & monta à cheval. etant resolu d'aller à la tete de ses troupes, pour arreter par son exemple la fuite des siens. Ceux qui etoient prez de sa personne, sachant l'extremité où il etoit, le conjuroient de ne se point hazarder de la sorte, & tachoient de l'arreter en tenant les renes de son cheval. Mais voiant qu'ils continuoient de lui resister, & qu'ils ils l'empechoient de courir où il vouloit, son courage lui faisant oublier sa foiblesse, il mit l'epée à la main pour les ecarter d'auprez de lui. Et ce grand effort qu'il fit, achevant de consumer le peu de forces qui lui restoit, il tomba evanoui entre les bras de ceux qui l'environnoient, & il mourut aussitot qu'ils l'eurent remis dans sa litiere.

Les Maures qui avoient eté Chretiens & ausquels il s'etoit plus fié qu'à tous les autres, eurent grand soin de tenir sa mort secrete, selon l'ordre exprez qu'il leur en avoit donné. Car son extreme défaillance lui faisant croire qu'il il ne vivroit pas assez pour voir la fin de la bataille, il avoit commandé que s'il mouroit pendant le combat, on mit dans sa litiere un de ceux qui l'accompagnoient d'ordinaire, & qui feignant de le consulter et de prendre les ordres de lui, il encouragea toujours ses Officiers, & leur commanda de sa part de bien combattre. En quoi on peut admirer la sagesse & la magnanimité de ce Roi Barbare, qui compassa tellement ses ordres & ses desseins avec les derniers momens de sa vie, qu'il empecha que la mort meme ne lui put ravir la victoire.

Ce premier avantage de l'armée Chretienne ne dura guere. Car le Duc d'Avero aiant mis en fuite les Maures qui se trouverent devant lui, fut attaqué par un gros Escadron de Cavalerie. Et comme il n'en pouvoit soutenir le choc, & que les ennemis le pressoient vivement, il fut obligé de se retirer en desordre, sans pouvoir reprendre son rang dans la Cavalerie Portugaise; & il entra en grande confusion au milieu des gens de pié, qui ne pouvant plus garder leurs rangs, furent d'autant moins en etat de soutenir toute la foule de la Cavalerie & de l'Infanterie des Maures, qui vinrent en meme tems fondre sur eux.

A l'aile gauche où etoit la Cornette du Roi, les Portugais d'abord pousserent les Maures, ils en tuerent un grand nombre, & ils les poursuivirent jusqu'à leur artillerie. Mais il leur arriva ensuite la meme chose qu'au Duc d'Avero. Car les Escadrons des Maures etant venus fondre sur eux en bien plus grand nombre, ils furent contraints de se retirer en desordre; & allant heurter contre leurs troupes, ils i porterent la confusion & l'epouvante.

Le Roi qui avoit mis son Drapeau à l'aile gauche, voulut neanmoins combattre à l'avantgarde, où ses troupes, comme nous avons dit, eurent d'abord un avantage considerable. Car etant composée d'Espagnols, d'Italiens & d'Allemans, qui avoient plus d'experience dans la guerre, & qui vouloient tous soutenir l'honneur de leur nation, ils combattirent vaillamment à la vue du Roi, qui les anima encore par sa presence & par son courage, & ils taillerent en pieces deux mille Maures. Mais comme les ennemis etoient en si grand nombre, & qu'ils envoioient des gens frais en la place de ceux qu'on avoit rompus ou epouvantez, aiant operé à l'Avantgarde un grand Escadron de Cavalerie, l'armée Chretienne qui ne pouvoit resister à toute cette multitude, se retiroit peu à peu & se resserroit en ellememe, quelque efforts que le Roi fit pour rallier les soldats, & pour leur faire garder leurs rangs.

Ainsi en peu d'heures toute l'armée Portugaise se trouva confuse. Car quoiqu'il i eut dans la Cavalerie des Gentilshommes & des Seigneurs fort braves, il i avoit aussi beaucoup de jeunes gens sans experience & sans discipline, De sorte qu'on voioit les uns se battre vaillamment, quoiqu'accablez par le grand nombre des ennemis, & les autres s'enfuir d'eux-memes, sans que personne les poursuivit.

Il s'en trouva meme plusieurs dans le second corps qui etoit tout composé de Portugais, qui jettant leurs armes & se mettant à genoux, demandoient la vie aux Maures; ne considerant pas que dans un combat on ne trouve point de sureté qu'à bien combattre, & que lorsqu'on veut sauver sa vie aux depens de son honneur, on perd l'un & l'autre. Car ces Barbares devenant plus fiers de les voir ainsi à leurs piez, leur fendoient la tete avec leurs cimeterres, les haïssant dejà comme Chretiens, & les meprisant de plus comme des laches.

François de Tavora qui commandoit l'arrieregarde, soutint longtems avec beaucoup de valeur le choc des Maures. Le Roi meme aiant quitté l'avantgarde vint en personne pour le soutenir. Mais Tavora aiant eté tué d'une mousquetade dans le combat, la fraieur & le desordre se mit dans ses gens, & ils commencerent à fuir & à se rendre aux Maures, sans que l'exemple & le respect du Roi put les retenir.

Le Duc d'Avero peu aprez aiant eté tué dans le combat, & plusieurs des principaux Chefs etant ou pris ou tuez, toute l'armée Chretienne se mit en fuite, & les Maures etant entrez dans les rangs avec leurs cimeterres, tailloient en pieces tout ce qui le presentoit à eux.

Le Roi fit dans ce combat tout ce qu'on pouvoit attendre de son grand cOEur, & plus que son age & son peu d'experience n'en pouvoit promettre. Il donna lui-meme tous les ordres; il envoia secourir ses gens; & il se trouva lui-meme en personne dans tous les endroits où le peril etoit le plus grand. Il eut trois chevaux tuez sous lui; & quoiqu'il eut eté blessé au bras droit d'une mousquetade, il ne laissa pas de s'engager souvent dans le combat, & d'exciter toujours les siens par son exemple & par son courage.

Ceux qui etoient restez de son armée, voiant la defaite de leurs troupes, ne penserent qu'à se sauver. Mais celui qui portoit la Cornette aiant eté tué, ils ne purent savoir où il etoit. Ainsi le Roi se trouvant presque seul, avec quelquesuns de ses Gentilshommes, & un Maure qui avoit eté Chretien qui tachoit de le sauver, fut tué par les Maures qui vinrent charger sa troupe, ou qui disputoient entre eux qui demeureroit maitre de sa personne.

Les Barbares envoierent chercher son corps parmi les morts, & etant trouve nud & depouillé comme les autres, on le porta sur un cheval dans leur camp, où ils le firent reconnoitre par les principaux d'entre les prisonniers Portugais, qui assurerent que c'etoit le Corps du Roi.

Telle fut la fin deplorable de ce jeune Prince. On peut dire de lui qu'il a eté grand, & dans ses vertus & dans ses defauts. Il eut beaucoup de zele pour la Religion; il aima & il protegea les personnes de vertu & de merite; il eut une liberalité vraiment Roiale; un cOEur capable des plus grandes entreprises; une inclination à la guerre, & une magnanimité egale à celle des Rois les plus illustres des siecles passez.

Tant de rares qualitez qui sembloient lui promettre une vie pleine de gloire, & assurer ses sujets de la felicité de son regne, sont devenues par un seul defaut non seulement inutiles, mais pernicieuses à lui-meme & à tout son Roiaume. Car cette fierté d'esprit qui lui etoit naturelle, l'a rendu si ferme & si inflexible dans ses pensées & dans ses desirs, qu'il est devenu incapable de se rendre jamais au conseil des autres.

Il semble que sa grande jeunesse & cette passion si ardente d'aquerir de la gloire lui avoit persuade, que la Couronne donnoit aussi bien une souveraineté de sagesse que de puissance; & que c'etoit assez d'etre né Roi, pour trouver dans soi-meme sans le secours de personne cette haute prudence, que la lumiere & la raison naturelle commence dans l'homme; que l'instruction cultive; que l'age fortifie; que le commerce des sages eclaire de plus en plus; & qui est consommée par l'experience, & par la consideration des evenemens du monde.

On peut dire neanmoins à son avantage, qu'etant mort à vingt-quatre ans, sa grande jeunesse fait que ses vertus doivent etre encore plus admirées, comme surpassant de beaucoup son age, & qu'elle rend ses defauts plus excusables. Car il y a lieu de croire que s'il eut survecu à sa defaite, il eut pu se corriger & s'instruire par son malheur, & qu'il eut appris combien il est necessaire à un Prince, de choisir des personnes vraiment sages & desinteressées, pour se servir de leur lumiere, dans sa conduite & dans ses grandes entreprises, voiant le precipice où il s'etoit jeté par le mepris du conseil des autres, & par l'indiference de son zele & de son courage.

Mahameth voiant toute l'armée Chretienne en deroute & les Maures victorieux, se retira en grand hate, aiant peur de tomber entre les mains de Moluc son Oncle qu'il croioit encore vivant, & qui auroit consideré sa prise comme un des plus grands fruits de sa victoire. Mais aiant voulu passer à gué une riviere pour se rendre en la ville d'Arzille qui etoit aux Portugais, il trouva l'eau plus profonde qu'il ne pensoit, & il se noia.

Ainsi cette bataille si sanglante, outre les longues & les malheureuses suites qu'elle a eues, fut encore bien remarquable par une rencontre qui n'est peutetre jamais arrivée en aucun combat, qui est qu'il il y mourut trois Rois, & de morts toutes differentes. Car le Roi de Maroc y mourut de maladie, donnant tous les ordres jusques à sa mort; Le Roi de Portugal y fut tué aprez avoir combattu durant six heures; & Mahameth qui avoit eté Roi des Maures fut noié en se retirant de la bataille.

Le Pape pourvoiant au bien du Roiaume de Portugal, obligea le Cardinal Henri Oncle de Sebastien, de quiter la Pourpre, & d'epouser une femme. Henri etoit le cinquieme fils d'Emmanuel le Grand, & de Marie de Castille. Il fut successivement Archeveque de Brague, de Lisbonne & d'Evora. Paul III le crea Cardinal en 1546. Depuis, en 1578, il succeda à son petit Neveu Fils de Jean Prince de Portugal, mort devant son Pere Jean III Frere de Henri dont je parle; quoiqu'il fut Pretre, le Pape jugea pour le bien commun, qu'il devoit dispenser, & en effet Henri, quoiqu'agé de 67 ans, fut mis sur le trone. Aprez avoir regne un an 5 mois & 5 jours, il mourut agé de 68 ans sur la fin de Janvier de l'an 1580.

Le 24 Juin de la meme année, Antoine Batard de Louis Duc de Beia, second fils du Roi Emmanuel le Grand & de Marie d'Arragon, prit la qualité de Roi de Portugal. Cet Antoine etoit né l'an 1531, & le Duc de Beia l'avoit eu d'une maitresse de basse condicion nommée Iolande. Antoine aprez avoir vainement essaié de monter sur le trone, par le secours du Roi de France, & d'Elisabeth Reine d'Angleterre, mourut à Paris le 26 Aout 1595. Antoine ne se rendit memorable que par son histoire qu'il ecrivit luimeme, par ses Commentaires sur les Pseaumes, & par 6 enfans Batards. Il fit nommer son premier, Emmanuel. Cet Emmanuel fut Vice-roi des Indes. Aiant epousé en premieres noces en 1597 Emilie de Nassau Fille de Guillaume Prince d'Orange, le Fondateur de la Republique de Hollande; & en secondes, Louise Osorio, il mourut à Brusselle agé de prez de soixante-dix ans le 22 Juillet 1638. D'Emilie de Nassau il eut Emmanuel qui se fit Carme en 1628, Louis, & 6 filles.

Le second fils du Batard Antoine fut Cristofe, qui fut si hardi que de prendre le titre de Roi, & qui mourut de Paralizie à Paris le 3 Juin 1638, en la 66 année de son age.

Le 3 Fils du Batard Antoine fut Denis qui se fit de l'Ordre de Citeaux. Le 4 fut Jean qui mourut sans alliance. Les deux Filles se firent Religieuses en Portugal.

Le Batard Antoine mourut à Paris le 26 Aout 1595, & il fut enterré en la Chapelle de Gondi des Cordeliers.

Aprez avoir donné l'idée du Batard Antoine, venons en particulier aux moiens qu'il mit en usage pour disputer le trone à l'Espagne, qui en etoit la maitresse legitime.

Le Duc d'Albe aiant eté la terreur de la Belgique, vint l'etre du Portugal. Le Batard Antoine soutenu de l'Angleterre & de la France, l'attendit de pié ferme à Lisbonne, qui est la Capitale du Roiaume, à la tete de 4000 combatans. Cette troupe tumultaire fit d'abord quelque resistance, mais enfin elle plia sous la valeur du Duc d'Alve. Le Batard Antoine i fut blessé à la tete, & il ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheval.

Il eut neanmoins encore le courage de ramasser une petite armée; mais comme elle n'etoit composée que de racailles, elle n'eut pas sitot vu la Cavalerie Espagnole, qui etoit conduite de Sanche d'Avila, qu'elle prit la fuite comme des enfans à la vue de quelque epouventail. Le Batard Antoine eut bien de la peine à se sauver avec un petit debris; il se tint quelque tems caché dans des coins du Roiaume ; mais ne s'i trouvant pas trop en assurance, il s'embarca pour la France.

Filippe II aiant donné la chasse à ce petit ennemi, fit son entrée triomfante à Lisbonne au jour de S.Pierre & de S.Paul. Cette expedicion lui couta 4 ans.; aprez quoi, il songea à retourner à Madrit.

Il ne put jamais faire plus eloquemment l'eloge de son Neveu le Cardinal Albert, qu'en lui confiant cette nouvelle conquete, qui exigeoit un homme de tete & de main. Ce jeune Viceroi n'avoit alors que 25 ans, puisqu'il n'entra dans son gouvernement qu'en Fevrier de l'an 1589.

Le nouveau Viceroi voulut signaler sa Regence par prendre vangeance de l'afront que les troupes du Roi avoient souffert, en l'Ile des Terceres. La faxion du Batard Antoine, i avoit tellement prevalu, que les Espagnols i aiant pris terre, les habitans de l'Ile en massacrerent plus de 400. Filipe II, pour vanger cette injure i envoya son Amiral Alvar Marquis de S.Croix tresexcellent homme de mer. Alvar ne fut pas bien avancé, quand il rencontra la flotte Françoise, qui etoit commandée par Filipe Strozzi Italien de grand courage. La partie etoit inegale; mais ce fut celà meme qui enhardit Alvar. Il esperoit qu'en battant la Flote, il mettroit une fin aux presompcions du Batard Antoine, qui montoit la Flote. Mais le Batard, pressentant le malheur qui alloit fondre sur son parti, descendit en terre ferme, deux jours avant le combat. Alvar cependant ataque la Flotte. La victoire aiant lontems balancé, s'inclina enfin du coté de l'Espagne. L'amiral Strozzi demeura dans le combat. La Capitane & les principaux Navires aiant eté pris, le reste, se mit à la voile, & prit la fuite. La premiere Noblesse de France, qui etoit venue pour se signaler en cette occasion glorieuse, i perdit la vie ou la liberté; le principal regret des Portugais regarda la perte de l'incomparable Comte de Vimiosense digne de vivre eternellement.

Alvar fit trencher la tete à quelques prisonniers François. La saison trop avancée empecha qu'Alvar ne profitat de sa victoire ; mais le Cardinal Vice-roi ne soufrit pas que ce qui etoit differé fut entierement rompu.

Dez qu'il eut les resnes dans les mains, & qu'il sentit le tems favorable à la Navigacion, il mit le genereux Alvar à la tete d'une belle armée Navale, pour achever ce qu'il avoit heureusement commencé l'année d'auparavant. Alvar aborda heureusement à l'Ile de S.Michel, & comme il etoit aussi honete que brave, il deputa de ses gens, pour donner aux Rebelles avis de son arrivée, & pour leur offrir des condicions honorables, au cas qu'ils voulussent capituler. Emmanuel de Silva, qui commandoit dans Angra, enflé de sa garnison de 3000 François, n'i voulut entendre en aucune façon.

Alvar ne voiant aucune voie dans la douceur prit le parti de la severité. Il ataqua l'Ile de toutes ses forces, & ces opiniatres furent aussi laches à resister, qu'ils avoient eté opiniatres à refuser un honete accommodement. Emmanuel de Silva & les principaux faxieux le paierent de leurs tetes. Le Vainqueur eut la bonté de laisser retourner les François, en leur païs, sans leur rien faire, & meme il leur laissa leurs epées.

Notre nouveau Viceroi n'eut pas moins de bonheur dans l'Ile de Faiala que dans Angra. Pierre de Tolede la reduisit en fort peu de tems. Il donna bon cartier aux François, qui i etoient en garnison, mais il fit pendre le Gouverneur de l'Ile, qui etoit Portugais, parce que contre le droit des Nacions, il avoit inhumainement fait mourir un Envoié qui lui etoit venu presenter des condicions honorables.

Ces malheureux succez devoient debaucher le Batard Antoine, mais comme il etoit ambicieux, & que les François ne manquoient pas de le flater de son retablissement, il vint se jetter aux piez de la Reine Elisabet d'Angleterre ; il la conjura d'avoir compassion de la justice opprimée ; il lui persuada que tout le Portugal se souleveroit à la vue de sa Flotte ; enfin il fit de si bonnes remontrances à cette Reine ennemie de la maison d'Autriche, qu'en 1589, elle mit à la voile une Flotte tres puissante, qui se flatoit d'aller à une victoire certaine, & au butin assuré, plutot qu'à une bataille.

Les forces furent partagées ; François Drak commanda par mer, le Batard Antoine, avec Henri Nores, commanda par terre. La Flotte Angloise etoit composée de 26 gros navires de guerre, & de 140 petits batimens. Elle etoit montée de 20000 combatans. Elle demara en Avril, de Pleimout, & en Mai, elle aborda à la Corrogne en Galice. Dix mille hommes firent decente, & à la faveur d'une bonne artillerie, ils attaquerent rudement cette Forteresse.

La Corongne se defendit si genereusement, que les Anglois, aiant perdu 1000 des leurs, & se trouvant chargez de blessures & de confusion furent obligez de tenter fortune vers des endroits plus proches de Lisbonne. Ils arriverent à Pinich, qui n'est qu'à 9 lieues de Lisbonne, le 26 Mai. Comme il est aisé à une armée Navale de faire une decente, quand l'ennemi a une longue traite de terreferme à garder, les Anglois la firent sans peine.

Douze mille hommes de pié avec quelque Cavalerie, firent la decente, sans que personne s'i oposat. Ils vinrent fort impunément vers Lisbonne, & meme ils vinrent se camper au Faubourg de S.Caterine.

Le Batard Antoine, qui avoit tant preconisé à la Reine Elisabet, que tout le Portugal etoit à lui, & qu'à la vue de ses pavillons ou de ses etendarts, tous les Portugais ne manqueroient pas de venir se ranger sous ses enseignes, s'aperçut combien il s'etoit meconté, & combien il s'etoit flaté, quand il vid que personne ne se hatoit de lui faire hommage.

Notre jeune Viceroi s'etoit tellement aquis tous les cOEurs, que l'espace de 9 jours, durant lesquels le Batard Antoine & Henri Norés, attendoient plutot la defexion que la resistance des Portugais, personne ne passa au camp ennemi. Tout se passa en escarmouches, où les Espagnols & les Portugais rebelles se contenterent de donner des marques de leur valeur & de leur ancienne emulacion.

L'Amiral Drac fut plus heureux par mer, que le Batard Antoine, par terre. Il s'empara de la forteresse de Calcala, quoiqu'il dut plus attribuer son bonheur à la lacheté du Gouverneur qu'à sa propre bravoure. Ce Gouverneur etoit Espagnol, & il paia ensuite de sa tete la peine due à sa lacheté.

Le General Henri Norés, aprez s'etre lontems morfondu d'esperance, voiant son armée deminuée de plus de 3000 hommes, & considerant que le reste n'etoit qu'un debris de la misere fit resolucion de regagner ses bateaux, & de repasser en Angleterre en la meme année 1589.

Quelque bien etablis que soient les esprits, il est impossible qu'à la vue d'une armée ennemie, & qui ne manque pas de pretexte, il ne se face quelque emocion dans une Capitale. Lisbonne ou fut, ou parut etre ebranlé de tant de forces; & le Viceroi pour obvier aux mechantes suites, fut obligé de faire de rigoureuses recherches sur la disposicion des Portugais. Cela, fut cause qu'on en decapita quelquesuns, & qu'on en emprisona plusieurs suspects. Le calme etant revenu, il se trouva qu'on avoit eté un peu vite en besogne à l'egard de ces executions, & que bien des gens maltraitez dans le trouble, auroient eté reconnus pour innocens durant la paix.

Alfonse Vargas, que Filipe II avoit envoié en Portugal, pour servir de bras droit au Viceroi Cardinal, avoit coutume de dire, que si quelque Flotte ennemie venoit aborder en Espagne, le Portugal seroit la Province, d'où il i auroit moins de Transfuges, qui passeroient à l'ennemi.

Le Cardinal Viceroi surmonte au meme tems l'enfer, la France & l'Angleterre. La victoire qu'il remporte sur les demons, consiste dans le martire des Heros de Maroc, qui remporterent la palme glorieuse sous la Regence de notre heureux Viceroi.

En 1585 François Acosta & frere Antoine de la Concepcion lui ecrivirent qu'entre les prisonniers faits à la deroute du malheureux Roi Sebastien, il se trouva six braves jeunes hommes, qui sans aucun autre Maitre que le S.Esprit, firent ce que bien des gens ne feroient pas au milieu du Christianisme.

Le premier de ces six etoit né d'une mere Turque, & d'un Espagnol Renegat ; on voulut le faire instruire dans l'Alcoran, mais il detesta cette ecole abominable, & il se joignit aux enfans Portugais, parmi lesquels il prit le nom de François de l'Esperance. Le Cherif & les principaux du Roiaume de Maroc soliciterent sa constance, mais il defendit la foi Cretienne si genereusement, que ce Barbare ne pouvant plus lontems soutenir sa fermeté, le fit cruellement etrangler.

Dieu pour affermir cette nouvelle Eglise, fit un miracle ; la corde destinée à cette victime de la foi, se rompit deux fois, sans aucun effet ; à la troisieme enfin, Dieu permit que cette tete fut couronnée d'un glorieux martire.

François de l'esperance fut suivi de Simon de Freitas. Ce Simon, qui etoit Portugais, servit de maitre & de feu aux genereux Confesseurs de Jesus-Christ. Le troisieme fut Antoine de Sosa. Le quatrieme fut un Maure de la petite ville de Colarés, celebre par l'abondance & par la bonté de ses pommes. Le sixieme fut Dominique du Mont Hermin, natif de Gorea. Le septieme fut Jean né à Paris, qui avoit suivi le Roi Sebastien dans son expedicion d'Afrique. Le 8 fut Ferdinand Ginez que quelques-uns tiennent avoir eté de la petite ville de Monça, située sur le rivage du Minho, & que quelques autres croient avoir eté François de nacion. Le 9 fut Dominique de la Torrés, né à Mazagan en Afrique. Tout le crime de Dominique etoit d'avoir eté convaincu d'un commerce avec un de ses amis Renegats, qu'il exhortoit à rentrer dans son devoir. Le Roi de Maroc l'en aiant convaincu par la produxion de ses lettres, ce Barbare lui fit couper les jarrets; & puis, il le fit enfouir tout vif dans son jardin; tourmens que cet Athlete endura d'un courage invaincu.

François Acosta, qui etoit Ambassadeur à Maroc de la part du Viceroi Cardinal, & qui avoit donné part à son Prince de toute cette tragedie, acheta à grand prix les Reliques sacrées de ces saints Heros; & ce Saint depost se conserve en grande veneracion dans saint Laurens de l'Escurial, Palais qui efface toutes les Cours de l'Univers.

Quelques parties de ces saintes Reliques ons eté transportées en Portugal, & elles ont donné la guerison à une infinité de malades, qui avoient invoqué les hotes magnanimes de ces cendres miraculeuses.

Le Roiaume de Fez eut aussi ses Heros. Onze jeunes hommes valeureux, ou tous ou la pluspart Portugais, qui avoient suivi les etandarts de Sebastien, dans son expedicion d'Afrique, signalerent leur foi, & leur courage, par diverses sortes de tourmens.

Aprez avoir donné une guerre sanglante, & la defaite du Batard Antoine qui alla mourir à Paris en 1595; aprez avoir donné une guerre sainte dans le Martire des Atletes de Maroc & de Fez, nous allons donner une guerre Scolastique entre des Moines, qui fut ou terminée ou prejugée par la prudence incomparable de notre Viceroi Cardinal.

Les Jesuites sont redevables à son equité des premiers triomphes qu'ils ont remportez sur les Jacobins en matiere de Grace. Avant d'en parler, donnons une ebauche grossiere des deux principaux Champions qui parurent dans cette cariere. Je dis Molina & Bannez.

Louis Molina etoit de Cuenca en la Castille Neuve. Il se fit Jesuite à l'age de 18 ans. Comme il avoit l'esprit prodigieux, la memoire vaste, le jugement penetrant, la santé robuste, & l'applicacion assidue, il fit de merveilleux progrez dans les siences, & il passa pour un des premiers Theologiens & Jurisconsultes du monde. Cet admirable fond de doctrine etoit soutenu d'une grande pieté, d'une modestie tres rare, & d'une patience invincible. Aprez avoir rempli toute la terre de sa reputacion, il mourut saintement à Madrit le 12 octobre de l'an 1600, agé de 65 ans.

Dominique Bannez etoit de Mondragon en la Guipuscoa, ou de Valladolit; il etudia à Salamanque, il se fit Jacobin à l'age de 15 ans. Il fut un des Confesseurs de S.Terese. Les Freres Prescheurs l'estiment un des leurs illustres Theologiens. Les plus moderez condamnent sa haine contre Molina. Aprez avoir rendu plusieurs combas, il rendit les armes, & l'ame à Medine du Champ le premier Novembre de l'an 1604, agé de 77 ans.

La grace fut le sujet des batailles que ces deux Antonigistes se livrerent. Bannez pretendoit que Dieu pousse nos volontez par une impression phisique, qui ne nous est pas volontaire, & qui emporte toujours infailliblement son effet ; Molina soutenoit que cette predeterminacion phisique otoit la liberté, & pour concilier la force de la grace avec le franc arbitre, il forma des Conciles & des Peres, & sur tout de S.Augustin & de S.Thomas une nouvelle explicacion de la grace, sous le nom de sience moienne, en vertu de laquelle Dieu n'agit efficacement sur nos volontez, qu'aprez avoir prevu notre consentement condicionel sous les auspices de la grace.

Voilà l'etat de la question qui a fait tant de bruit, depuis le commencement de ce siecle, & qui apparemment ne se decidera pas encore sitot.

Albert, aprez avoir gouverné le Portugal avec une prudence, qui dementoit son age, & avec un succez qu'on n'auroit osé se promettre parmi tant de guerres civiles, charma tellement Filipe II, que ce grand maitre dans l'art de regner, auroit cru offenser sa politique, s'il eut laissé plus que dix ans en Portugal, une tete qui meritoit d'etre au gouvernail de l'Univers.

Le jeune Viceroi avoit mis les choses en etat de ne rien craindre, & de tout esperer; mais la face de la Belgique n'etoit pas si favorable. Le Duc d'Alve i avoit fait du bruit, & ce Roi tres sage jugeoit que persone ne pourroit mieux les calmer que son cher Neveu.

Le Roi Filipe avoit fondé ses esperances sur l'Archiduc Ernest Frere de notre Albert, mais le ciel avoit envié ce bon Prince à la terre. Ernest dez l'an 1594 avoit eté destiné pour remettre les affaires de la Belgique. Il avoit fait son entrée triomfante a Brusselle, sur la fin de Janvier, & il avoit pris les resnes en main avec l'acclamacion de tous les Belges.

Les premiers soins d'Ernest: regarderent la Hollande. Il essaia de la remener à son devoir i mais le Prince Maurice de Nassau se trouvoit trop bien de sa nouvelle Republique, pour en quiter le gouvernement, pour quelque offre qu'on put lui faire. Bien loin d'entendre aux proposicions pacifiques de l'Archiduc Ernest, il tourna toutes ses pensées du coté de la guerre.

Il tache de surprendre Boileduc, & Vic, qui est une petite Ville visavis de Mastric à l'autre coté de la Meuse. Ces deux coups lui aiant manqué, il alla se rabattre sur les Roiaux en Frise. Il les obligea de lever le siege de Couvorden, & il mit luimeme le siege devant Groningue capitale de la Frise Occidentale. Cette Ville etoit bien resolue à se defendre, & aux premieres semonces de Maurice, elle avoit repondu qu'elle songeroit à capituler dans un an. La recepcion inconcevable qu'Anvers fit à l'Archiduc Ernest, le fit tomber dans la faute où Hannibal etoit tombé à Capoue ; pendant qu'Anvers triomfe, Groningue gemit, & faute de secours, il est obligé de se rendre aprez trois mois de siege, lui qui s'etoit promis de le soutenir un an entier. La composicion n'auroit pas eté ignomieuse, si l'un des articles n'en eut pas banni l'exercice de la Religion Catolique. Cette prise fut suivie d'une autre, qui n'etant pas de la Belgique, lui aportoit un dommage inexprimable par la rupture du commerce.

Maurice donna l'entreprise de la Ville de Hui capitale du Condroz, à Charle Herauguiere Gouverneur de Breda, qui avoit le genie fait à de pareilles expedicions. Hui est une Ville fort ancienne. On tient que S.Materne envoié de S.Pierre, aiant porté la foi Chrétienne à Namur, l'alla porter à Hui. Son païsage est un paradis terrestre, & des peintres qui avoient visité toute l'Europe, ont avoué de n'en avoir pas vu de plus agreable. En effet, l'OEil d'un seul aspect, tombe sur une ville, sur une citadelle, sur un pont, sur une riviere, sur des forets, sur des montagnes, sur des vallées, sur des vignobles, sur des metairies, sur des chateaux, sur des Eglises, sur des iles, sur des campagnes, sur des moulins, sur des bateaux, sur des forges. Et l'on aura, bien de la peine à rencontrer ailleurs tous ces avantages en un clin d'OEil. La Meuse partage Hui. Il est à mi chemin de Namur & de Liege. Il a eu autrefois ses Comtes particuliers ; mais presentement il est au Prince de Liege. Son nom lui vient d'une petite riviere nommée Hoioux, qui s'i rend dans la Meuse. Le Cardinal de la Mark Prince & Eveque de Liege i batit un tres agreable chateau, de l'argent que Charlequint lui donnoit pour reconnoitre la couronne Imperiale qu'il lui avoit procurée. La France l'a demoli aussi bien que son pont; de maniere que cette pauvre Ville n'a reservé que sa fontaine qui est le troisieme de ses joiaux. Les raisins i sont admirables, mais le vin i est bien petit, & il n'est presque propre que pour acoutrer des carpes. Le General des Croisiers i tient son siege. On i void une tresbelle Collegiale avec de riches Canonicats, une infinité de Couvens parmi lesquels les Urselines brillent & les Jesuites qui i enseignoient la jeunesse avec beaucoup de succez, avant les malheurs des guerres; les Ermites de S.Augustin le font presentement en leur place, jusqu'à ce que les choses soient sur un meilleur pié: les moulins au papier sont excellens & nombreux.

Cette Ville avoit trop de charmes pour ne pas attirer la convoitise du Prince Maurice. Herauguiere donc le dernier jour de Janvier de l'an 1595 commence son entreprise par i conduire 7 compagnies d'Infanterie, & 14 de Cavalerie. Il marchoit la nuit, & il faisoit alte de jour. Aiant caché ses gens au voisinage, il envoia 30 de ses plus determinez pour decouvrir la place de plus prez. Ces Entrepreneurs, au sombre minuit, s'acrocherent par un rocher escarpé qui fait face sur la Meuse, presque au meme endroit par où Frere Thomas devoit s'en rendre Maitre, il i a quelques années. Par le moien de leurs crochets, ils gagnerent la cime du rocher, où la citadelle est assise.

Il appliquerent des echelles de cordes à la plus grande sale, & ils i entrerent par les fenetres, sans etre aperçus. Le lendemain qui etoit un Dimanche, le Gouverneur de la citadelle alloit fort tranquillement pour entendre la Messe tambour battant avec quelque peu de sa garnison, lorsque les Entrepreneurs sortirent de leur cachette, qu'ils assasinerent les gardes, & qu'ils se saisirent des portes.

Au meme tems le signal fut donné, & Herauguiere sortit aussitot de son embuscade, il fondit sur la Ville, il s'en rendit maitre, & il alla au meme moment prendre possession de la citadelle, où il mit une bonne garnison.

Cette surprise alarma beaucoup les Provinces voisines, mais elle ne toucha personne plus vivement qu'Ernest de Baviere Electeur de Cologne, qui en qualité de Prince de Liege se voioit traitreusement enlever la seconde Ville de son Diocese. Il accourut d'Alemagne, & il pria l'Archiduc Ernest de vouloir joindre ses forces pour reprendre Hui avant que les Holandois ne s'i fortifiassent, & n'i fussent soutenus par la jonction des François, qui infestant le Luxembourg, passeroient aisément au Condroz.

Ernest prit feu, & il songeoit efficacement à aracher cette proie des mains de ses ennemis, quand la mort rompit le cours de son dessein & de sa vie. Il mourut de la gravelle le 21 Mars 1595. La Belgique le regreta autant plus qu'elle ne faisoit que de gouter la douceur de son Gouvernement, & qu'elle se vid frustrée de l'esperance d'une paix que ce Prince avoit à cOEur, & pour l'heureuse conclusion de laquelle il avoit toutes les qualitez necessaires. Il aimoit la paix, il etoit d'un naturel doux & moderé. Les prodigues le blament de n'avoir pas tenu ni de table, ni de train conforme à son auguste naissance; on fit la dissection de son corps. On lui trouva une pierre dans les reins & un ver assez long qui le rongeoit tout vif. On l'embauma, & on l'enterra à S.Gudule de Brusselle, où l'on void son portrait dans le ChOEur du coté du midi.

Le Cardinal Albert avoit eté pourvu de l'Archeveché de Tolede vacant par la mort du Cardinal Gaspar Quiroga, arrivée le 22 Novembre 1594, & il se disposoit à la residence, quand la mort de son Frere Ernest changea la face des choses, & porta Filipe II à envoier l'Archiduc Albert en sa place. Le Comte Fontaine gouverna par interim. Ce brave Pierre Henriquez Comte de Fontaine debuta par la reduction de la ville de Hui. Sur la fin du mois de Fevrier de l'an 1596 il i vint mettre le siege. Le Prince de Liege plaça ses troupes auxiliaires à l'autre coté de la Meuse qui regarde Namur. L'ataque fut si vigoureuse que dez le 13 Mars les Holandois furent chassez des Fauxbourgs. Les Assiegeans planterent aussitot 4 pieces de batterie du coté des Trinitois ou de Notre Dame sur le Sart. La breche faite, ils foncerent dans la Ville, & ils tuerent 80 hommes de la garnison. Le reste jugeant qu'il i faisoit trop chaud, gagna la citadelle. Valentin de la Motte de Pardieu, Fondateur à Douai d'un College que l'avarice a detruit, & dont le tombeau magnifique est à Graveline, comme General de l'artillerie roiale, fit dresser deux batteries de 14 pieces de canon. Les Assiegez etonnez de cette foudre, composerent le 7 jour du siege. Cette prontitude fut cause qu'on leur accorda des condicions tres honetes. Ils sortirent avec armes & bagages.

Le Comte de Fontaine i mit aussitot un Gouverneur & une garnison Espagnole, en attendant les ordres d'Espagne. Filipe II le plus genereux des Princes, donna la place & la citadelle au Prince de Liege. Ce reconnoissant etablit que desormais le Gouverneur n'i seroit qu'avec l'agrement du Roi son liberateur. Cette louable gratitude a eté observée jusqu'au Comte de Merode, qui fut le dernier qui tint ce poste avant les cruautez extremes des François.

Ceux de Hui ont toujours temoigné de la reconoissance pour leur bienfacteur. Ils ont eté bons Austriens, mais ils n'ont jamais offensé la France; au contraire, ils l'ont obligée partout où ils ont pu. Et neanmoins, l'on peut dire qu'il n'est pas de ville en Europe, qui en ait reçu de plus sanglans traitements. Leur beau Pont aiant eté furieusement demoli, & retabli de nouveau, alloit courir le malheur du premier, si le sage Prince d'Elderen n'i avoit obvié, par se declarer en faveur de l'Auguste maison d'Austriche, selon ses convenances, & selon ses obligacions.

Hui etant rendu à son legitime Possesseur, le Comte de Fontaine, s'applica à la reformacion de la Justice, de la Milice & des Finances. Il cassa les exactions des soldats qui avoient eté si onereuses aux Provinciaux, & il defendit sous peine de la vie, que personne n'eut ni à exiger ni à contribuer sans sa permission formelle & positive. Il regla ce que les hotes devoient donner aux soldats; il envoia son reglement aux Magistrats, & il les obligea de lui rendre conte de l'execucion.

Il fit garder une rigoureuse discipline aux camps, & personne ne violoit ses ordres impunément. Cette rigueur apporta le bon ordre par tout. Pour satisfaire l'Artois, qui se plaignoit des courses des François, il laissa le Brabant en garde à Cristofe Mondragon Gouverneur de la citadelle d'Anvers, & il alla prendre en Juin le Catelet, place forte entre Cambrai & S.Quentin. Mais tandis qu'il faisoit cette conquete, il eut la mortificacion de perdre Han ville de Picardie.

La guerre ne fut pas si favorable à Henri IV aux confins de Picardie, qu'en Bourgogne, & en la Franche-Comté: car le vaillant Comte de Mansfeld relança les deux Generaux François, le Duc de Bouillon à Sedan, & le Comte de Nassau en Hollande. L'Archiduc Ernest Fils de l'Empereur Maximilien II mort en Mars de l'an 1595 avoit paru dans la Belgique comme un astre dont la prompte eclipse desole autant que l'apparition radieuse avoit consolé.
Cette Principauté auroit eu sujet de craindre si le gouvernement de la Belgique ne fut pas echu au Comte de Fuente l'un des plus braves Espagnols qui aient brillé parmi les Belges. Dez que cet entreprennant Gouverneur fut au timon, il signala son avenement par retablir la dicipline militaire dans la fleur où elle avoit paru sous Alexandre Duc de Parme & de Plaisance. Il fut extremement servi dans ce retablissement par ses Lieutenans Generaux qui alloient du pair avec les premiers Capitaines du monde, ces restaurateurs etoient le Prince d'Avellin, Valentin de Pardieu Seigneur de la Motte, Jean Jaque Comte de Bellejoieuse, Cretien de Savigni Seigneur de Rone Lorain de Nation, & la Berlot dont l'anagramme de guerrier ( Bellator ) exprime si heureusement le caractere martial.

La dicipline militaire etant retablie, le Comte de Fuente chercha un digne sujet de son entreprise, & Cambrai lui parut l'etre. Lagni convaincu que le Catelet lui etoit necessaire pour assieger Cambrai, batit cette Ville de la façon de Henri II Roi de France, & il la prit sur Miramont qui en etoit Gouverneur. Cleri & Brai suivirent l'exemple du Catelet. Le Comte de Fuente s'etant fraié ce beau chemin, fit trencher la tete à Gomeron à la barbe de la ville de Ham où Gomeron avoit eté Gouverneur, qui merita ce chatiment acause de son inconstance. Aiant puni la legereté de Gomeron, il assiege Dourlens qui separe la Picardie d'avec le Cambresis, parce que cette conquete lui rendroit infaillible celle de Cambrai.

Tandis que le Comte de Fuente ataqua Dourlens, le Duc de Bouillon General des François vint pour l'obliger à lever le siege. Le Comte sortit de ses lignes, où il laissa Hernand Tellez Portocarero & Gaspar Zoppogna, & il alla rencontrer l'armée Françoise le 24 Juillet 1595, jour favorable à l'Espagne, parceque c'est la veille de S.Jaque. En effet elle remporta une tresbelle victoire où de la part de la France demeurerent, Arginvilliers Gouverneur d'Abeville, Haqueville Gouverneur de Ponteau-de-Mer, Perdriel, l'Amiral de Villars, Sesseval, S.Denis, Montigni, 200 Gentilshommes Normans, & 600 autres Gentilshommes & fameux Capitaines. Le Comte vainqueur fit mourir deux de ses soldats pour avoir tué l'Amiral de Villars quoiqu'il offrit 80000 ecus de rançon, & pour lui avoir coupé le doigt qui portoit un diamant tresprecieux. Cette belle victoire de Dourlens ne couta à l'Espagne que peu de soldats sans nom; & parmi les blessez, il n'i eut de considerable que Sanche de Luna.

Le Comte de Fuente aprez avoir battu les François retourna au siege de Dourlens en Picardie. Portocarero eut le courage de monter sur les ramparts du chateau, où il tua le Comte de Dinana. La Ville & le chateau furent saccagez pour vanger le mauvais traitement que les François avoient fait aux Espagnols de Ham. Reonsoi Gouverneur du chateau, Francourt & Prouille commandans de la ville, 400 Gentilshommes & 700 soldats i perdirent la vie; Harancourt & Gribonval eurent bien de la peine d'obtenir la condition des prisonniers de guerre. La Ville fut au pillage jusqu'au soir, & puis elle eut le brave Portocarero pour Gouverneur. Le Comte Vainqueur pour ouvrir le siege de Cambrai, alla prendre logement prez de Perone. Il investit la ville le 14 Aoust 1595, & il la prit bientot aprez. Gaston Spinola fut le premier qui entra dans la Ville. Ce Gaston est l'Aieul du Comte de Bruai d'aujourd'hui Lieutenant General des armées du Roi & fils du Gouverneur de Lille Chevalier de la Toison d'or.

Le Comte de Fuente prit la Citadelle le 7 Octobre. Il donna une capitulation honete acause du jeune age de Charle Duc de Retelois fils de Balagni, & de la reputation du Sieur de Vic qui commandoit en l'absence de Balagni. L'avarice de Madame de Balagni fut cause que les magasins n'etant pas bien pourvus, la Citadelle fut obligée de se rendre plutot qu'elle n'auroit fait, s'ils eussent eté bien fournis. Cette Dame en eut tant de deplaisir qu'elle en creva de faim & de rage, avant que la garnison en sortit pour aller à Perone, qui fut le 9 Octobre 1595. Le Comte de Fuente laissa le gouvernement de la Ville à l'Archeveque Barlemont, & celui de la Citadelle à Augustin Messie.

Tandis que les troupes du Roi se couronnoient de lauriers en Picardie, les Holandois essaierent de leur donner quelque diversion, & de profiter de leur absence. Mais ils sentirent que si le Comte de Fontaine n'etoit pas en Brabant, son courage i etoit dans l'âme de ces Lieutenans.

Grolle leur parut un digne commencement de leur entreprise. Cette Ville est du Comté du Zutfen, & du Diocese de Munster. Elle est forte de nature & d'art. La petite riviere de Sling, qui remplit ses fossez, la rend de difficile accez. Elle est à 4 lieues de Zutfen, & à deux de Bredevoerde. Le Marquis Spinola la prit sur les Holandois en 1605. Les Holandois la reprirent en 1617. L'Eveque de Munster la prit en 1672, & elle retourna aux Holandois, quand la France s'accommoda avec eux pour une grosse somme d'argent. Maurice, pour couvrir son dessein, erra sur la mer avec une flotte de 200 navires. Enfin, aprez avoir assez lontems tenu les esprits en suspens, il fit voile vers la Frise, & il alla mettre le siege devant Grolle.

Il la fit battre d'abord si cruellement de 18 pieces de canon, qu'en fort peu de tems, il rasa une bonne partie des fortificacions. Mais le courage des Assiegez ne tomba point avec leurs murailles. Ils firent de genereuses, & de nombreuses sorties, qui harcelerent extremement le Prince Maurice.

Mondragon, Gouverneur d'Anvers, ne voulant pas laisser perir ces braves defenseurs, vint incessamment à leur secours, à la tete de 5000 hommes de pié, & d'environ 1000 chevaux. Il passa le Rhin & aussitot il envoia le Comte Herman de Bergh prendre les devans, avec mille Fantassins choisis. Ce Comte fonça valeureusement, il força l'ennemi, & il ravitailla la Ville. Le Prince Maurice ne trouva point à propos d'atendre le reste des troupes du Roi, il leva le piquet, & il se posta prez de Santenai.

Mondragon se campa à deux lieues de Maurice, aiant la riviere de Luppe devant soi. Maurice detacha Filippe de Nassau avec 500 Chevaux, & il lui fit passer la Riviere, dans le dessein de couper les fourageurs de Mondragon. Ce vigilant Capitaine, en etant averti par ses espions, envoia contre Filippe de Nassau deux escadrons, sous la conduite de Don Jean de Cordoue. Ce Chef vint aux mains avec les Holandois. La victoire balança, jusqu'à ce que Mondragon envoia du renfort à Cordoue. Les Espagnols rafrechis, enfoncerent les Holandois; & ils precipiterent dans la riviere, tous ceux qui ne passerent pas au fil de leurs epées. Il demeura deux Colonels du coté des Holandois: on fit prisonniers Filippe Sanche, qui mourut bientot aprez, de ses blessures ; son Frere le Comte Ernest & un Cousin du Comte de Solms. Outre ceux-là, on prit 150 Cavaliers & 300 chevaux.

Ce fut là le dernier exploit du brave Mondragon, qui agé de 80 ans, courona ses cheveux gris de cette derniere branche de laurier, qui acheva la couronne qu'il s'etoit formée depuis 30 ans par mille actions glorieuses; cinq mois aprez sa victoire, il alla recevoir la recompense de ses travaux, par une mort Catolique, dans sa citadelle d'Anvers.

Herauguiere Gouverneur de Breda, pour reparer cet echec, & celui qu'il avoit essuié à Hui, forma une entreprise sur Lire petite Ville de Brabant, située sur la riviere de Nethe, à mi chemin de Malines & d'Anvers. Herauguiere etoit l'un des Capitaines soldoiez des Anglais, que les Holandois avoient eté obligez d'apeller à leur secours du tems d'Alexandre Farnese, Duc de Parme.

La Reine Elisabeth avoit envoié aux Holandois Robert Comte de Licestre, pour prendre possession des Villes que cette Republique donnoit pour caucion à leur Alliée. Le Comte etant maitre de Flessingue & de la Brile, conçut le dessein d'etendre plus loin sa juridiction.

Il pratica la garnison de Leyden, & peu s'en fallut qu'il ne la reduisit sous sa puissance. Le premier Entrepreneur etoit Nicolas de Maude Gentilhomme prez de Tournai, dont la terre est presentement erigée en Vicomté en faveur de Monsieur le General Fariau grand Bailli de Hainau, & actuellement Gouverneur d'Ath qui s'est tant de fois distingué dans les armes, & sur tout au siege de Mastric, où son nom sera immortel nonobstant la calomnie de l'infame Ecrivain de la vie de Mr. de Turenne. De Maude, qui avoit sa compagnie en garnison à Leyden, devoit se saisir de l'Hotel de Ville, & d'une des portes pour i introduire les complices

L'entreprise aiant eté decouvert, l'on se saisit de Come Pesarangis Piemontois, & de Jaque Volmar Flamand. De Maude se sauva, mais il fut pris par le Seigneur de Poelgeest prez de Woerden. On leur fit leur proces, & on leur trencha la tete. Celle de Pesarangis & celle de Volmar furent fichées sur des piques, mais on ne fit pas cette ignominie à de Maude. Il fut enterré honnorablement, & universellement regretté, acause de sa Noblesse, de sa bravoure, de sa jeunesse, de sa bonne mine, & sur tout, pour avoir fait des miracles au siege de l'Ecluse en faveur du Prince d'Orange.

Le Comte de Licestre desavoua le fait, & la Reine Elisabet repondit, que s'il i avoit trempé, il avoit excedé sa commission.

Herauguiere Gentilhomme de Cambrai Capitaine d'Infanterie au service des Holandois etoit du complot, & il auroit bien mal passé son tems, si le Comte de Licestre n'eut pas favorisé son evasion. Cet evadé, pour laver la tache, dont il venoit de se souiller, fit une nouvelle entreprise sur Breda.

Un Dimanche 25 Fevrier 1590, le Capitaine Jean Logier prit 16 braves de la Compagnie Colonelle du Comte Filipe de Nassau. Le Capitaine Jean de Fernel en prit 16 de la garnison de Heusden, dont le Seigneur de Famas etoit Gouverneur. Le Capitaine Matieu Helt Lieutenant du Seigneur de Liere, Gouverneur de l'Ile de Clundert, en prit 12. Herauguiere, conducteur principal, donna 24 de ses soldats au Sieur Desprez Ecuier.

Un Batelier nommé Adrien vanden Berghen, qui avoit ordre de conduire des Tourbes au Chateau de Breda, se chargea d'i conduire les Entrepreneurs; & en effet, il les i conduisit, mais avec bien de la peine: car ils furent sur l'eau depuis le Lundi jusqu'au Jeudi endurant mille incommoditez, qui les obligerent de retourner au Fort de Noortdam, pour s'i rafrechir. A onze heures du soir, ils se remirent sur leur barque, au lieu nommé la Garenne à un quart de lieue de Breda.

Ils demeurerent cachez sous les Tourbes, depuis le Vendredi à 10 heures du matin, jusqu'à trois heures aprez midi, auquel tems, le bateau entra dans la derniere bariere de l'Ecluse, qui fut incessamment fermée, aprez cette introduction. Un Caporal vint visiter la retraite du Batelier que les Flamans nomment Roef, & n'i aiant vu personne, il i mit le guichet, sans rien examiner davantage.

Herauguiere eut bien de la peine à appaiser les complices, qui murmuroient qu'on alloit les conduire à la boucherie ; mais, s'ils eussent osé, il eussent eclaté bien davantage lorsqu'en atendant le retour de la marée, le bateau s'assabla, & qu'il puisa tellement l'eau que les Entreprenneurs en avoient jusqu'à mie jambe. Le Samedi à trois heures aprez midi, l'Ecluse fut ouverte, & quelques soldats de la garnison, ne songeant pas d'etre les instrumens de leur malheur, tirerent le bateau dans la place.

Ce bateau nommé l'Esperance, etant attiré au milieu du Chateau, le Major commanda au Batelier de fournir de ses Tourbes à chaque corps de garde. On en leva une telle quantité qu'il s'en fallut bien peu que les Entreprenneurs ne fussent decouverts, par l'entredeux des planches qui soutenoient les Tourbes, & sous lesquelles ils etoient cachez.

Le Matelot, qui etoit adroit, s'etant apperçu du danger, donna une piece pour boire au Crocheteur, qui dechargeoit les Tourbes, & il lui dit que c'etoit assez travailler pour un Samedi soir, & qu'il dechargeroit le reste le Lundi.

Le Major voiant qu'on differoit la besogne, ordonna qu'il n'i eut qu'un Batelier qui resta au bateau, &, que tous les autres allassent reposer à la Ville.

Les Entreprenneurs demeurerent entre l'esperance & la crainte, jusqu'à onze heures de nuit. Pour rompre le bruit, qu'ils faisoient en toussant, & pour rompre celui qu'ils feroient en sortant du bateau, le matelot pompoit incessamment. Cette pomperie parut si affectée, que les soldats lui demanderent, pourquoi on faisoit là tant de bruit ? Le Matelot s'etant excusé sur la caducité du bateau qui l'obligeoit à pomper, les soldats en furent appaisez, & ils ne lui en demanderent plus raison quoique cette pomperie durast bien lontems.

Herauguiere sortit le premier, & il donna à chacun les armes à mesure qu'ils sortoient de leur cachette . Tous etant armez, les Capitaines Lambert & Fernel menerent leur trouppe vers le Corps-de-Garde à coté du Havre de la ville au Sud-est. Herauguiere marcha vers le long de la grange des municions, sous une fausseporte, tirant vers un autre Corps-de-garde, à la porte vers la Ville. Il rencontra un soldat Italien. On lui demanda qui va là ? aiant repondu, amigo, on s'en saisit, & on l'obligea à se taire. On lui demanda ensuite combien il i avoit de soldats de garde ? il repondit qu'il i en avoit 300, Herauguiere le fit arreter; il fit entendre à ses gens, qu'il n'i en avoit que 50, de peut de les debaucher, & puis, il marcha à son execucion.

Comme il s'approcha du Corps-de-garde, la sentinelle, aiant demandé qui va là ? Herauguiere, lui repondit par un coup de pique, dont il le perça d'outre en outre. Alors l'alarme se donna de toutes parts, le combat fut furieusement attaché. Un Enseigne sortit l'epée à la main & il blessa Herauguiere au bras; ce Chef, quoique blessé, mit bas son ennemi, qui fut ensuite achevé. On tira sur les autres qui se defendoient de leur Corps-de-garde, & quoi qu'ils demandassent cartier, on ne le donna à personne.

Paul Antoine Lancavecha fils du Gouverneur, qui commandoit en l'absence de son Pere, se cantonna dans le Donjon, d'où il fit une vaillante sortie, à la tete de 36 soldats. Lancavecha i fut blessé, & Fernel i reçut une arquebusade. Lancavecha etant relancé dans son Donjon, Herauguiere defit 15 ou 16 soldats, qui etoient en garde sur la platteforme.

Deux heures aprez, le Prince Maurice entra dans le Chateau avec beaucoup de Noblesse, & de bonnes troupes, par le meme endroit par où le bateau etoit entré. Comme ils etoient sur le point de sortir dans la Ville, les Bourgmaitres & Lancavecha parlamenterent.

Lancavecha sortit avec ses gens, la vie sauve seulement. La Ville fut taxée à paier deux mois de gage aux Vainqueurs.

Le Seigneur vander Noot Capitaine des Gardes du Prince Maurice, se saisit de l'hotel de Ville avec sa compagnie. Le Prince de Parme, qui commandoit alors en la Belgique, fit trancher la tete à Brusselle aux Capitaines Italiens qui avoient pris la fuite dans cette surprise, au lieu de se defendre avec Lancavecha, & au Corporal qui avoit si negligemment visité le bateau de Tourbes.

Ces laches furent Cesar Guittra, Jule Gratiano, & Tarlatino Lieutenant du Marquis del Guast.

Il perit 40 hommes de la garnison, & les entreprenneurs n'en perdirent qu'un seul qui se noia dans l'obscurité.

Herauguiere fut recompensé du Gouvernement de Breda, d'un grand Vaisseau d'argent doré, & de quantité de presens tresriches. Le Capitaine Lambert Charle, qui passoit pour le deuxieme Entreprenneur, fut fait Sergeant Major, avec une compagnie d'Infanterie. On donna des medailles de fin or à chaque Officier; & à chaque soldat, de grosses sommes d'argent, & la promesse de quelque avancement, qu'on ne manca pas de leur garder. Ceux qu'on reconnut avoir trempé l'année precedente dans la trahison du mont S.Gertrude, furent tous pendus. L'on ne fit aucun outrage aux Eglises. Quoique ce coup de maitre dut mettre à l'epreuve la fidelité d'Herauguiere, à l'egard de la Holande, neamoins, comme l'on se defie toujours d'un traitre, lors meme qu'il nous est avantageux, il essaia de mettre le comble à sa fidelité, par l'entreprise sur Lire en Brabant.

Soit qu'en effet, en qualité de Cambresien, il voulut se reconcilier avec son Prince legitime, & reparer le tort qu'il lui avoit fait, ou qu'en effet, il voulut etre double traitre, & empaumer Mondragon, qui etoit vieux & un peu credule; il est seur, qu'il avoit entretenu communicacion avec ce Gouverneur d'Anvers, & qu'il en avoit attrapé plus de 5000 ecus, & quantité de joiaux pour sa nouvelle Epouse.

Les Holandois avoient eu le vent de son intelligence, & il avoit en partie levé le soupçon par son entreprise sur Hui, mais comme il ne doutoit pas qu'il ne leur demeurat toujours une espece de levain de defiance, amoins qu'il ne s'assurat leurs esprits, par quelque nouvel exploit, il entreprit la surprise de la ville de Lire.

Il eut pour instructeur un Transfuge de la garnison. Sous ce guide, le 14 Octobre 1595, il ramassa 800 hommes de pié, & 120 chevaux; il les cacha au voisinnage, & au premier crepuscule, il attaqua la porte de Malines.

Quelques-uns descendirent le long du pont dans le fossé, qui etoit guaiable, & ils accablerent la sentinelle, qu'ils obligerent au silence. Le passage etant ouvert aux autres, ils accablerent les Bourgeois, qui gardoient leur porte; ils en tuerent quelquesuns, & ils mirent le reste en fuite.

La garnison & les Bourgeois firent des merveilles l'espace de 4 heures dans la grande place ; mais enfin ils furent obligez de ceder à la multitude.

Alfonse de Luna qui etoit Gouverneur de la Ville, aprez avoir donné beaucoup de marques de sa prudence & de sa valeur, gagna la porte de Lisper. Il s'i fortifia, dans le dessein d'i atendre les extremitez. Au meme tems il donna avis à Anvers & à Malines de l'etat où il se trouvoit. Il arbora l'etandart Espagnol au faiste de la Porte, pour servir de signal aux troupes auxiliaires.

Les gens & l'imprudence d'Herauguiere donnerent bon loisir au secours. Les Entreprenneurs etant tirez de divers corps, ne lui obeïrent pas comme ils auroient fait à leur legitime Capitaine, d'ailleurs les troupes du Roi etant occupées en France, sur le Rhin & en Picardie, le tenoient dans une grande securité. Mais sa faute capitale fut d'avoir differé l'attaque de la porte de Lisper jusqu'au soir.

Il avoit envoié un Trompette au Gouverneur de Luna avec l'offre des condicions, & Luna lui avoit repondu fierement qu'il quitteroit plutot la vie que son poste. Herauguiere aiant examiné la situacion du lieu, jugea qu'il seroit encore tems de le reduire sur le soir; & cependant il donna la Ville au pillage à ses soldats.

C'etoit justement, le 11 Octobre, jour auquel on commence l'octave de S.Gomer, dont on fait la fete depuis 1000 ans. Le saint Corps de cet Apotre des Liriens etoit exposé au milieu de l'Eglise, les Holandois en souillerent leurs mains sacrileges. Mais Dieu vangea la contumelie faite à son serviteur.

Anvers qui considere Lire, comme les Grecs consideroit leurs Termopiles, prit feu, & se determina au secours. De bonheur, Gaspar de Mondragon qui commandoit à la place de Cristofe de Mondragon son Cousin, s'offrit au Magistrat d'Anvers, pour l'expedicion. Au meme tems les Anversois s'i porterent avec tant d'ardeur, qu'en moins de rien, on vid une petite armée assemblée à la Porte de l'Empereur.

Mondragon marcha à la tete de 200 soldats, & Josse Robyns Capitaine de la Bourgeoisie Anversoise, & le Drossard de la juridiction d'Anvers, prirent la meme route.

L'ardeur fut si grande, qu'on n'eut pas le tems de leur donner des ordres au depart, & qu'on fut obligé de les leur envoier en chemin.

La Ville envoia Jaque Dasse, Antoine Berchem, & Gille de Meere, qui depuis furent creez Chevaliers, avec quantité de piquiers, pour arreter la Cavalerie Holandoise, & pour ne laisser pas accabler la multitude, qui avoit plus de zele que d'experience.

Le sage Magistrat, pour ne pas degarnir la Ville, & pour n'exposer pas ses Citoiens à la boucherie, fit hausser le Pont-levis, & par là, il empecha que le reste n'i courut.

Le secours etant arrivé à la vue de la Ville, le Drossard d'Anvers marcha à la tete de 200 des siens, & d'environ 30 soldats. Mondragon le suivit avec ses gens, & avec quelques troupes ramassées. Alfonse de Luna leur alla audevant, & aiant luimeme rompu la palissade, qui le separoit de la Ville, il alla de toutes ses forces contre l'ennemi.

Les Malinois qui ne cedoient en rien au zele des Anversois ne manquerent pas de donner l'assaut à l'autre Porte de la Ville. Nicolas & Jean vander Laen l'un Consul & l'autre Consulaire, les conduisoient. Ils entrerent par la Porte d'Anvers, à la faveur de l'ouverture que ceux d'Anvers meme, qui i etoient entrez les premiers, leur donnerent.

Ils trouverent les Holandois occupez à la bonne chere & au butin, & parsuite ils en eurent bon marché; ils n'i eut que ceux qui surent nager qui echaperent. Herauguiere fut du nombre de ces fortunez plongeons. Quatre François, qui servoient dans les troupes de Holande, avoient tué cinq Anversois & cinq Espagnols au premier effort du matin, mais toute la nacion le paia. On tua 400 François, l'on en blessa beaucoup, & l'on en fit plusieurs prisonniers.

Les 2000 Anversois, qui etoient venus l'aprez midi, ne perdirent pas un seul homme, non plus que les Malinois qui etoient venus au nombre de cinq cens.

Les deux Villes retournerent chez elles le meme jour chargées de depouilles & de lauriers. Le Roi remercia ces Villes zelées par la bouche du Marquis d'Havré, au premier renouvellement du Magistrat qui se fit, & il temoigna d'avoir conçu plus de joie de ce recouvrement, qu'il n'en avoit eue de la conquete de Cambrai.

Voilà l'etat où se trouvoit la Belgique immediatement avant que l'Archiduc Albert i vint, en qualité de Gouverneur general. Nous l'i accompagnerons autant plus volontiers que tout son voiage n'est qu'une fete continuelle.




L'HISTOIRE DE L'ARCHIDUC ALBERT
SOUVERAIN DE LA BELGIQUE.

LIVRE SECOND


Le Roi fut ravi de mettre entre les mains de son Neveu la Belgique, que le Comte de Fontaine laissoit en si bon etat. Aprez lui avoir donné les preceptes de cet art, où il etoit consommé, aprez lui avoir donné des instructions propres au genie des Belges, aprez lui avoir donné des marques de sa tendresse presque paternelle, il lui donna l'adieu à Madrit le 28 Aout 1595.

Afin qu'il portat en la Belgique un illustre temoignage de sa clemence, il lui donna pour compagnon de voiage le Prince Filipe d'Orange que le Duc d'Alve avoit conduit en Espagne. Jamais retraite ne fut plus avantageuse que celle de ce Seigneur. Il i fut confirmé dans la vraie foi, il reçut la Toison d'or & tous les honneurs des Grans, il evita mille ecueils, où il auroit peutetre brisé s'il n'en eut pas eté eloigné.

Albert sortit de Madrit à trois heures du matin, & il arriva à Coïmbre avant le midi; mais comme le Prince Filipe partit plus tard, il ne l'atteignit qu'à notre Dame de Montserrat. Albert arreta trois jours à Barcelone, où il s'embarca sur l'Amirale de la Republique de Gennes, qui etoit escortée de 17 autres Navires, & de 8 galeres Espagnoles. Il partit de Villefranche à Nisse, à cheval ; trois compagnies d'Infanterie lui vinrent audevant. Le Magistrat lui presenta ses clefs. Le Prince André Doria vint le rencontrer, & il le conduisit à Savone. Le Prince Filipe l'i avoit precedé, & il avoit eté baiser les piez du Pape.

Albert, en descendant de sa Galere, entra dans un arc de triomfe qui lui avoit eté dressé tout exprez. Il arreta 18 jours à Savone, & durant tout ce tems, la Republique de Gennes le defraia magnifiquement avec toute sa suite.

Le Duc de Savoie lui envoia audevant son frere le Prince Amedée. Il lui fit lui-meme cet honneur un peu plus bas, & il le conduisit en triomfe à Turin, où il le regala 9 jours entiers. Ce fut là que le Prince Filipe d'Orange etant arrivé de Rome, remporta le prix de la course des chevaux. Quatre Eveques, venus exprez, lui montrerent le saint Suaire du Sauveur du Monde. Les Savoiards l'escorterent jusqu'à la Bourgogne.

Aprez avoir arreté trois jours à Besançon, il passa en Loraine où le Prince de Vaudémont troisieme fils du Duc de Loraine, le conduisit. C'etoit en Janvier, & la saison se trouva si violente, que quelques Espagnols i moururent de froid. Le Cardinal de Loraine, & le Marquis du Pont, qui etoient deux des Fils du Duc, lui donnerent divers rafrechissemens.

Filipe Comte de Solre-Croï, & Jaque & Etienne Ibarra, vinrent le rencontrer au Duché de Bar avec quelques Regimens de Cavaliere. Neuf autres Regimens vinrent le recevoir à sa sortie de la Loraine, à l'autre coté de la Moselle.

Pierre Ernest Comte de Mansfeldt Gouverneur du Luxembourg, rangea en ordonnance de bataille le long du rivage, cinq compagnies de Cuirassiers à cheval, & mille lances ou bandes d'ordonnances.

Il arreta quatre jours à Luxembourg, d'où il sortit, enseignes deploiées, comme etant sur les terres de son Gouvernement.

Le Comte Fontaine alla avec toute la Noblesse Belgique & Espagnole, dans une petite Ville du Liege nommée Siné ou Chinei païs du Pere d'Astroi illustre Cordelier, entre Hui & Dinant, pour recevoir son Successeur. Il alla le rencontrer à une demie lieue de la Ville avec sa noble escorte, à la tete de deux Regimens de Cavalerie.

Trois jeunes Demoiselles, qui representoient la Foi, I'Esperance & la Charité le reçurent à Nivelle. Les feux de joie i furent si extraordinaires, qu'il sembloit que cette Capitale du Valon Brabant alloit etre toute en flammes.

Etant arrivé à Halle, il voulut rendre ses hommages devant la Statue miraculeuse, avant que de se rendre à son hotel.

Quoique la saison fut extremement froide & pluvieuse, on ne put jamais l'induire à se servir de carrose ou de litiere; il voulut donner la satisfaction à sa chere Belgique, de le voir tout à l'aise à cheval, durant tout le chemin qui regne entre Halle & Brusselle.

Enfin il arriva dans cette Ville Roiale, le onzieme Fevrier 1596. Ce jour lui fut de bon augure, puisque ce fut le meme jour qu'il se rendit ensuite le maitre de Calais & de quantité d'autres places importantes.

La Bourgeoisie Brusselloise lui alla audevant, sur la plaine du chemin de Louvain. Il reçut les premiers complimens à la porte, par Antoine de Goignies Gouverneur de Brusselle, par Jean vander Ee, qui en etoit le Preteur ou l'Aman, & par Henri Donghelberg qui en etoit le Consul ou le Bourgmaitre. Le Pensionaire le harangua au nom de la Ville & du Magistrat qui lui presenta les clefs. Les curieux trouveront de quoi se repaitre dans Jean Boch Secretaire de la ville d'Anvers, qui a poliment couché en latin les recepcions qu'on fit par tout à cet illustre Voiageur.

Albert se ressouvenant que les ennemis avoient profité de la recepcion Roiale qu'Anvers avoit faite à son Frere Ernest, aiant temoigné le bon cOEur, avec lequel il recevoit la magnificence des Belges, songea serieusement aux affaires de son Etat. Il avoit deux ennemis sur les bras, la France & la Holande. Comme la Hollande ne se soutenoit presque que des secours de la France, il voulut faire tarir la source, pour mettre au sec les ruisseaux; & en effet, il ebranla la France dez son arrivée par secourir la Fere, à la barbe de Henri IV Roi de France, par lui enlever Ardres, Guines, Calais & Amiens, & par obliger ce Roi à une paix honteuse.

Pour faciliter l'intelligence de toutes ces choses, nous reprendrons les affaires d'un peu plus haut, & nous irons les retrouver où le Comte de Fontaine les a laissées aprez la reduxion de la ville de Cambrai, où l'Espagne etoit entrée le 9 Octobre 1595, c'estadire trois mois avant que notre Cardinal Archiduc ne vint prendre possession du Gouvernement de la Belgique.

Cambrai pris, ebranla toute la France, parceque les Espagnols etoient par là tous les jours aux portes de Paris. Henri IV leva une puissante Armée afin d'eloigner l'ennemi de ses frontieres. Biron & S.Luc lui conseillerent d'assieger la Fere Ville placée dans un marais, & qui n'est accessible que de deux cotez, ce qu'il fit le 8 Novembre 1595. Le Vicesenechal de Montelimar, sur la vigilance duquel le Duc de Maienne chef de la Ligue, se reposoit, l'avoit rendue à l'Espagne, s'en reservant seulement le revenu avec le titre de Comte de la Fere. Le vaillant Alvar Osorio en etoit Gouverneur.

Notre Albert qui succeda au Comte de Fuente, arriva en la Belgique au tems que la Fere etoit assiegé. Sans s'arreter aux felicitations des Belges, il songea efficacement à son secours. Il trouva deux puissans obstacles à sa resolution, savoir le soulevement de son Armée qui se mutinoit faute de paiement, & la rigueur de l'hiver. En attendant que les pluies permissent d'i faire driver un secours plus considerable, il commanda à Nicolas Basti General Albanois d'i faire entrer des munitions de bouche, à la tete de ses chevaux legers. Basti le 6 Mars 1596, à la faveur d'un nuage, traversa le cartier de Henri IV & du Duc de Bouillon. Il exposa au bord du marais ses munitions, qu'Osorio chargea sur de petites barques, & il se retira impunément du coté de Cambrai. Ce secours donna beaucoup de gloire à Basti, mais peu de soulagement à la Fere. Notre Archiduc voiant qu'il ne lui etoit pas possible d'en faire lever le siege à main armée, suivit le conseil de De Rone, qui lui inspiroit de faire une puissante diversion, & il alla assieger Calais: parceque Bidossan n'i avoit que 600 hommes de garnison, & parceque la Noue & la Valiere Officiers François, s'etoient echapés de dire, que Calais ne seroit qu'un ouvrage de 12 jours.

Calais situé sur la mer Oceane aux extremitez d'un promontoire, éloigné de l'ile d'Angleterre par un petit trajet, est une des plus fortes places maritimes. Et ce fut celà qui causa la trop grande securité des François. De Rone qui avoit la direction du siege, attaqua & prit sans resistance le pont de Nieulai & du Risban, où l'on mit de l'artillerie qui eloigna la flote Holandoise qui venoit au secours, & qui pour tout ravitaillement fit descendre 60 soldats au Faubourg. Notre Archiduc vint en personne au camp le Jeudi Saint onzieme Avril, & il campa dans l'Eglise de S.Pierre une demie lieue de Calais. Il eut ce qu'il avoit pretendu: car Henri IV aiant su le danger de Calais, quita la Fere & il i laissa le Connetable. Mais aprez avoir essaié de secourir la place par mer & par terre, il trouva ses mesures trop courtes. Il fut plus heureux en emploiant Mattelet Gouverneur de Foix: car cet intrepide traversa le cartier du Marquis de Trevie qui etoit negligemment gardé, & il conduisit un bon secours dans la place. L'Archiduc redoubla ses efforts, & le 27 Mars il donna un rude assaut au boulevard de la Citadelle où Bidossan fut tué avec 400 des siens. Tout i passa par le fil de l'epée, hormis Campagnole ou Campagno ou Bertrand de Patras & fort peu d'autres, qui trouverent leur azile dans une Eglise. Calais couta 200 morts à l'Archiduc dont le plus remarquable etoit le Comte Guidobalde Pacciote Ingenieur fort renomé. Don Jean de Rivas i fut laissé pour Gouverneur. Cette conquete est trop belle pour ne la pas dépeindre toute au long.

Calais donc est une Ville maritime de Picardie que Baudoin IV surnomé de belle Barbe, Comte de Flandre erigea en Port, & Philipe Comte de Boulogne en Ville. Edouard III Roi d'Angleterre l'emporta l'an 1347 sur les François aprez un siege de dix mois. Jean de Vienne la rendit sous le Roi Philipe de Valois. Les Anglois eurent pendues à leur ceinture, comme ils disoient, ces clefs de la France 210 ans, c'est à dire jusqu'à l'an 1558 auquel le Duc de Guise les reprit en dix jours. Outre sa Citadelle elle a neuf Bastions Roiaux, & un double fossé où passe la riviere de Hames, qui coule le long des murailles avec divers ruisseaux qui arrosent les marais d'alentour. On ne peut entrer dans la Ville que par le pont de Nieulai. Une partie de la riviere coule dans la Ville. De l'autre coté il i a un canal. Calais donne son nom au detroit de 7 lieues qui est depuis la France jusqu'à Douvre en Angleterre; & c'est ce que nous appellons le pas de Calais. Notre Archiduc prit cette Ville en 1596. Elle fut rendue à la France deux ans aprez, par la paix de Vervins.

La chute de Calais ebranla Ham & Guine qui se rendirent à l'Archiduc à la seule sommation d'un trompette. Ham est dans le Vermandois sur la Somme entre Noion & Perone. Le Conestable de S. Paul i batit une citadelle en 1470. L'Espagne la prit en 1557 durant la Ligue ; le Duc d'Aumale en donna le Gouvernement à Moui-Gomeron qui mourut en 1595. Dorvilliers frere uterin des trois fils de Gomeron la livra traitreusement aux François. Le Comte de Fuente Gouverneur de la Belgique fit trancher la tete à l'ainé des Gomeron qui proprement en etoit Gouverneur parcequ'il s'entendoit avec Dorvilliers. Guine est une Ville de Picardie avec titre de Comté, à deux lieues de la mer, dans des marais où l'on trouve des iles flotantes. Isabelle de Hainaut etoit Comtesse de Guine, & elle l'aporta pour dote à Philipe Auguste Roi de France en 1180. Jean Roi de France la ceda à l'Angleterre par le Traité de Bretigni en 1360.

Notre Archiduc pour assurer ses conquetes prit Ardre en Picardie sur un coteau à l'extremité du haut Boulonois. François I & Henri VIII Roi d'Angleterre en 1520 i eurent l'entrevue surnomée le champ de drap d'or acause de sa pompe. Il ne faut pas la confondre avec Ardre Ville & Roiaume dans la Guinée en Afrique.

Le Marquis de Belin, Lieutenant de Picardie, Annebourg Gouverneur d'Ardre & Montluc grand Capitaine, se trouvoient dans la place avec plus de 3000 combatans, & avec toutes les choses necessaires pour soutenir un long siege. Notre Albert se trouva devant Ardre le 7 Mai 1596, & en deux fois vingt quatre heures toute son Année fut commodément campée. Montluc etant dechiré d'une volée de canon qu'Albert lui tira, rabatit de l'ardeur des François. En échange la Berlot & Messie furent grievement blessez. Enfin Albert fit chanter les Assiegez; le Marquis de Belin capitula nonobstant les oppositions d'Annebourg & de Mainserme, & il en sortit avec sa garnison le 23 Mai 1596.

Tandis que l'Archiduc prennoit quatre bonnes places, Henri IV se morfondoit devant la Fere. Les braves defenseurs aprez avoir epuisé toutes leurs provisions, sans jamais rien perdre de leur courage, se rendirent le 22 Mai a des conditions si honorables, qu'on doute s'il ne leur a point eté glorieux d'etre obligez de se rendre. Montlimar & Osorio en sortirent avec leurs armes, avec leur bagage, enseignes deploiées, tambour battant, balle en bouche & meche allumée, avec un canon aux armes d'Espagne, & avec de la poudre pour tirer dix coups. Montlimar Comte de la Fere eut en particulier des conditions avantageuses.

Henri IV ne voulut pas voir le Marquis de Belin, il fut relegué pour toute sa vie sur ses terres, & sans l'intercession de la belle Gabriele maitresse de Henri IV, il auroit eté mis à mort. Si Henri IV eut du deplaisir, que Belin lui eut laissé perdre Ardre, il en eut bien davantage que Portocarero lui enlevat Amiens. Cette ville sur la Somme, est Capitale de Picardie, Eveché suffragant de Rims, Generalité, Presidial & Baillage.

Walon de Sarton Gentilhomme Picard, se trouva à la prise de Constantinople en 1204, où il trouva le Chef de S.Jean qu'il donna à la Catedrale d'Amiens, où il avoit un frere Chanoine. La maison d'Alli-Pequigni a eu les Vidames d'Amiens. Leur succession est passée dans la maison d'Albert Luines. Isabelle de Baviere Reine de France, i etablit un Parlement. Cette Ville conte cinq Eveques saints, savoir S.Firmin son premier Prelat, un autre S.Firmin, S.Honoré, S.Salvius & S.Godefroi; & 8 Cardinaux, savoir, la Grange, Roland, Boissi, le Jeune, Hemard, Longui, Pellevé & Crequi. C'est la patrie de Pierre l'Hermite qui est la tige des Seigneurs l'Hermite, qui ont annobli le Conseil de Maline; & qui repose dans les Chanoines Reguliers de Neumoustier aux portes de Hui. Le petit païs d'Amienois renferme Corbie, Dourlens, Pequigni, Comti & Poix. Or voici comment notre Archiduc se rendit maitre d'Amiens.

Portocarrero nom si glorieux à Madrit & à Rome, etoit Gouverneur de Dourlens. C'etoit une grande ame dans un petit corps. Comme il faisoit sa cour à une riche Veuve, qui demeuroit à la campagne, sa maitresse lui avoit fait entendre qu'il n'avoit rien à esperer, amoins que Dourlens ne fut à la France, ou qu'Amiens ne fut à l'Espagne. Dourlens à la France choquoit la fidelité de Portocarrero, mais Amiens à l'Espagne, lui donna du courage. Il se representa au meme tems la grandeur du service qu'il rendroit au Roi par cette conquete, & l'avantage de l'alliance qui lui en reviendroit.

Le bannissement est un supplice cruel pour ceux qui aiment leur Patrie, mais je doute si les juges ne se font pas plus de mal qu'ils n'en font aux coupables, puisqu'ils arment autant de vindicatifs qu'ils chassent de gens. Temoin la France qui void revenir les Huguenots l'epée à la main. Temoin un nommé du Moulin qui fut un instrument funeste à Amiens, d'où il avoit eté banni. Soit que Portocarrero ou que du Moulin fit les avances, un Transfuge decouvrit au Gouverneur, qui muguetoit Amiens pour posseder sa maitresse, que la Ville avoit refusé garnison; que les Bourgeois faisoient bonne garde la nuit, mais qu'ils la negligeoient de jour. Ces decouvertes firent esperer Portocarrero, mais il pensa desesperer à la vue de 15000 Bourgeois resolus qu'il i avoit dans la place. Il rabatit encore plus de ses esperances, quand il apprit que les 3000 Suisses envoiez de Henri IV pour conduire à Amiens une grande quantité d'artillerie, & de munitions, s'etoient logez aux Villages d'alentour. Il revint neanmoins à son premier dessein, lorsqu'il sut que pour satisfaire aux instances opiniatres des Amienois, le Comte de S.Paul avoit fait retirer plus loin les Suisses qui menoient ce Convoi.

Portocarrero envoia le Sergeant François de l'Arc dans la Ville; cet adroit rapporta que les portes en etoient fort negligemment gardées. Le Sergeant alla decouvrir l'entreprise à notre Archiduc . qui i donna les mains sans balancer; & conformément à cette resolution, il donna ordre aux garnisons de Cambrai, de Calais, de Bapaume & du Catelet, de se tenir pretes pour obeïr au commandement du Gouverneur de Dourlens. Elles le firent, & ensuite des ordres de Portocarrero; les Entreprenneurs se trouverent le 10 Mars sur le soir à Orville village à une lieue de Dourlens. Ils etoient conduits par Jerome Caraffa Marquis de Montenegro. Ils consistoient en 600 Chevaux & en 2000 Fantassins Valons, Espagnols & Italiens. Portocarrero qui ne leur avoit dit autre chose sinon, qu'ils n'avoient qu'à se rendre vers Amiens, marcha toute la nuit avec ses troupes, conduites par le Cadet de Panure brave Vallon, & par Ignace d'Ollana Capitaine Espagnol, qui etoient du secret.

Portocarrero arriva prez d'Amiens avant qu'il fut jour. Il se mit à couvert de quelques haïes, & il fut incontinent suivi du Capitaine Fernand Dezza qui conduisoit 100 Espagnols, & du Capitaine Bastoc qui conduisoit des Irlandois. Tandis que Le Cadet veille à l'ouverture des portes d'Amiens, Portocarrero se tient en grand silence avec ses gens dans l'Abaie de S.Madelene qui en est eloignée d'un quart de lieue. Le Cadet etoit monté sur un arbre, d'où il pouvoit aisément decouvrir tout ce qui se passoit à la porte d'Amiens: en effet, il la vid ouvrir, il en vid sortir & il i vid entrer la premiere foule des Ouvriers qui venoient de la campagne pour travailler dans la Ville, & qui sortoient de la Ville pour travailler aux champs. Dez que ces allées & ces venues furent faites, le Cadet, du sommet de son arbre, donna à Portocarrero le signal dont ils etoient convenus. Aussitot que ce Gouverneur l'eut vu, il envoia le Capitaine Jean Batiste Dugnano Milanois, & le meme Sergeant de l'Arc pour executer le dessein. Ces deux Chefs de l'entreprise & leurs complices etoient deguisez en païsans Picards. Les uns etoient couverts de longues saies de drap, & les autres de toile, sous lesquelles ils tenoient cachez deux pistolets & un poignard. Ils menoient un chariot à trois chevaux, qui de la façon qu'ils tenoient au limon, se separoient dez qu'on avoit levé un certain fer, & qui se detachoient du chariot. Ce chariot chargé de gros pieux couverts de paile, etoit envoié devant pour s'arreter sous la herse, & pour empecher qu'elle ne descendit jusqu'à terre. Derriere ces premiers marchoient quatre autres pareillement deguisez en paisans Picards, qui portoient sur leurs epaules des sacs pleins de pommes & de noix, six de leurs camarades les suivoient à la file. Le Sergeant Dugnano Frere du Capitaine de ce nom, etoit le dernier, & il portoit un grand pieu. C'etoit le Careme, & le devot peuple d'Amiens etoit au Sermon. Cette devotion etoit cause qu'on avoit laissé peu de gens à la garde des Portes.

Les premiers Entreprenneurs profitant de cette negligence, conduisirent impunément leur chariot. Aiant passé la premiere barriere, ils s'arreterent tout droit sous la porte. Alors un des autres, qui suivoit, fit semblant de tomber. Cette chute volontaire lui secoua le sac de pommes & de noix dont il s'etoit chargé. Il avoit eu soin de ne pas lier son sac, & comme il etoit fort plein, les fruits en sortirent avec impetuosité. Le peu de gardes qui etoient à la Porte, prennant celà pour un present de la fortune, se jetterent à corps perdus sur les fruits. Le païsan travesti fit le mauvais garçon de ce qu'on lui ramassoit ses pommes & ses noix; mais il n'en reçut qu'une huée. Tandis que les soldats croquent les noix, & qu'ils se moquent du Païsan, qui dans son cOEur se moquoit encore bien plus d'eux, le chariot avancé passoit outre, & il etoit dejà arrivé sous la herse. Les chevaux en furent aussitot detachez, de peur qu'épouvantez du bruit, ils n'entrainassent le chariot plus avant, & qu'ainsi la herse ne tombat toutafait. Tandis que le chariot demeure immobile & qu'il attend de recevoir la herse sur ses pieux, ceux qui suivoient les derniers, arriverent à la premiere Porte, où d'abord ils tuerent les sentinelles. Alors les autres aiant mis la main aux armes qu'ils tenoient cachées sous leurs souquenilles, s'en servirent contre les soldats qui ramassoient les pommes & les noix. Ils le firent avec tant de resolution, qu'ils mirent à mort les uns, & qu'ils relancerent les autres dans le corps-de-garde où l'on se chaufoit. Ainsi ils donnerent lieu aux premieres files de l'Infanterie d'arriver jusqu'à la Porte.

Cependant celui que les Amienois avoient mis en sentinelle sur le Donjon, aiant oui le bruit d'enbas, coupa promptement les cordes de la herse, qui pour n'etre pas toute d'une piece, eut divers effets: car il n'i eut que deux de ses dens qui tomberent, & qui enfoncerent le chariot de dessous, & les autres demeurerent suspendues. Cet intervale des dens suspendues laissoit autant de place qu'il en falloit pour passer deux soldats de front. Aussi futce par ce vide que les 200 soldats armez s'avancerent.

La chose s'executa si promptement que ceux d'Amiens n'eurent pas le tems de venir au secours avant que les Entreprenneurs se postassent avantageusement. On i accourut enfin avec furie. La premiere victime fut Dugnano qui reçut un grand coup à la tete. Ses compagnons alloient succomber, lorsque le Cadet de Panure & le Capitaine Bastoc vinrent les soutenir avec leurs Valons, & avec leurs Irlandois. Le Cadet & Bastoc rompirent les trois dents de la herse qui faisoient obstacle, & aiant fait passer leurs gens, ils mirent en fuite la multitude qui etoit accourue à la Porte sans conduite. La mort de 80 Bourgeois qui furent couchez sur le carreau, donna l'epouvante au reste.

Le Comte de S.Paul se voiant sans garnison, au lieu de passer son tems à reprocher leur temerité aux Bourgeois qui n'en avoient pas voulu recevoir, songea à relancer les ennemis. Dans ce dessein, il sortit par la porte de Bauvais pour aller prendre les 3000 Suisses qui etoient campez aux environs, & pour revenir dans la place à main armée.

Fernand Dezza se jetta dans la Ville incontinent aprez les premiers venus, & Portocarrero i vint en persone avec le gros de ses gens. La premiere chose qu'il fit, fut d'empecher le pillage. Cette prudence fit echouer l'esperance que le Comte de S.Paul avoit conçue d'accabler les Espagnols acharnez au pillage de cette grande & riche Ville. Il est vrai que la Cavalerie Françoise s'avança jusques prez des murailles, mais aiant trouvé Carafe en posture de la bien recevoir, elle etoit retournée dans son logement, sans oser rien entreprendre. Les Amienois mirent bas les armes, & ils preterent serment à notre Archiduc. Henri IV fut si affligé de cette perte, que negligeant les remedes où il s'etoit mis, il vint en Picardie pour empecher les progrez des Vainqueurs.

Les François honteux de cette surprise ont bouché la Porte par où les fruit funestes entrerent. Un bel esprit a peint la ville d'Amiens en Eve, il lui mis la pomme entre les dens avec cette divise. J'en ai taté; & c'est mon malheur. Gustavi & ecce morior. La servante d'une Auberge où j'etois logé à Amiens, nous apportant au dessert un plat de noix, dit à la compagnie agreablement, en posant son plat sur la table, tenez Messieurs, voilà les clefs de la Ville. Il n'i a pas bien longtems que j'allois me divertir à la campagne au païs d'Artois. Nous etions belle compagnie. Un Amienois nomé Canai, un de ces foux François qui tuent les honetes François de l'importunité de leurs gasconades, nous avoit lassez des siennes. Je songeois à me vanger plaisamment de ce fanfaron, quand il m'en donna une belle occasion. Nous passions par les Landes nommées les Rieux-de-Lo entre Lens & Betune où s'est donné la bataille de Lens. Le grand carnage s'est fait dans un fond, & c'etoit là que les laboureurs trouvent quantité de tetes de morts, qu'ils rangent le long du grand chemin pour inspirer aux Passans quelque tendresse pour ces morts valeureux. Canai les vid, & il prit de là occasion de nous insulter, en disant que quoi les François eussent gagné la bataille de Lens, on etoit obligé d'avouer qu'il i etoit demeuré bien de braves François, & parsuite qu'il ne s'etoneroit pas qu'il i eut quelquesunes de leurs tetes parmi celles qui bordoient le chemin roial; qu'au reste on seroit bien sage si l'on pouvoit discerner celles des François de celles des Espagnols. Moi qui minutois ma vangeance innocente, je sentis que ce doute m'en fournissoit une belle carriere. J'entrepris de lui faire voir ce discernement. Canai paria une collation que quelques Demoiselles Artesienes qui avoient encore le cOEur Espagnol, se chargerent de paier. Pour dompter Canai, je lui soutins que les tetes des Espagnols avoient encore toutes leurs dens, au lieu que celles des François n'en avoient plus. Canai s'indigna & il joua ma reponse ; je continuai à lui soutenir qu'il n'etoit rien de plus incontestable. Cet Amienois insolent me pressa d'en dire la raison; je la lui dis, voiez, lui fis-je, il ne faut pas s'etonner que les François n'aient plus de dens; c'est qu'ils se les sont cassées en croquant des noix. Mon Amienois m'entendit incontinent; & ce fut cette boutade qui l'abima dans un si profond silence qu'il ne fut pas possible, de tout le chemin, de lui arracher la moindre parole agreable.

Quoique Henri IV fut venu jusqu'à Corbie pour empecher le degast de ce nouveau torrent, il ne put empecher qu'on n'attribuast cette perte à ses amours qui lui faisoient oublier Mars pour Venus; en effet ce bon Prince affolé de la belle Gabriele, venoit de faire batiser avec une pompe roiale & à la face de l'Assemblée de Rouen, une fille qu'il avoit eue de cette maitresse avec laquelle il s'etoit retiré, à S.Germain, à S.Maur & dans quelques autres maisons de plaisance. Ce grand cOEur fut si piqué de ce reproche, qu'il fit resolution d'assieger Amiens, quoiqu'il n'eut que 4000 Fantassins, & que 1000 Chevaux. Il partit de Corbie, il passa la Somme, & il vint camper entre Dourlens & Amiens. Il donna à Biron la charge du siege, & il alla a Paris pour recueillir des forces capables de le soutenir. Amiens a d'un coté le Chateau de Pequigni, & Corbie de l'autre. Elle est beaucoup mieux fortifiée & batie delà que deçà la Riviere de Somme qui la baigne. C'etoit par là que Biron l'assiegeoit pour empecher le comerce de Dourlens, & pour oter à notre Archiduc le moien de la secourir.

Portocarrero n'emploia pas moins d'industrie pour conserver sa conquete qu'il en avoit aportée pour la faire. Il envoia le brave Sergeant de l'Arc à Brusselle pour solliciter son secours, & lui cependant s'aquita de toutes les fonctions d'un parfait Gouverneur. Pour eloigner Biron qui s'etoit venu loger dans l'Abaïe de S.Madelene, le matin du 30 Mars 1597, il i envoia Carafe avec 50 gens-d'armes Valons, & avec 200 chevaux. Carafe i donna d'une si grande furie qu'aiant renversé le Corps de garde, & aiant fait quelques prisonniers, il s'enfonça jusqu'au cartier des François, qui etant sortis au nombre de 400 chevaux, donnerent naissance à une rude & longue escarmouche. Enfin Carafe fit semblant de fuir afin de faire tomber les François dans une embuscade de 200 Fantassins Espagnols conduits par le Capitaine Ignace d'Ollona. Montigni qui conduisoit les François, s'en doutant bien, tint bride en main quand il arriva aux brossailles, où l'embuscade etoit cachée, & il se retira dans son camp. Le lendemain Carafe sortit avec 300 chevaux legers, mais les François n'oserent s'avancer; Portocarrero voiant que les sorties ne pouvoient pas debusquer Biron de son Abaïe, la rendit inhabitable à coups de coulevrines, & il obligea les François à aller se loger dans un Village un peu plus eloigné. Cet eloignement soulagea beaucoup les Assiegez.

Cependant notre Archiduc songea à leur secours avant que l'Armée Françoise fut grossie. Il envoia Jean Gusman avec quatre compagnies d'Arquebusiers, qu'on avoit tous montez, & avec 300 chevaux-legers. Cet Espagnol determiné eut le bonheur de passer à la faveur d'un brouillard. Mais comme il eut la vanité de faire sonner les trompettes avant que d'entrer en la Ville, il s'attira les François qui lui auroient taillé en piece tout son secours si le vaillant Fernand Dezza n'eut sacrifié sa vie pour le degager, & si Carafe meme ne fut sorti, & s'il n'eut poursuivi l'ennemi jusqu'à la Madelene. Robert Tacon fut blessé. Gusman ne vid diminué son secours que de 40 soldats. Cette perte fut compensée de Frideric Paccioti excellent Ingenieur qui fut de grande utilité durant le siege, & sur tout par l'argent qui entra avec ce convoi. Biron essaia de se dedomager du peu de profit qu'il faisoit devant Amiens, par surprendre Dourlens; mais ses echeles s'etant trouvées trop courtes, l'escalade s'en alla en fumée. Cet echec & un mot piquant de Henri IV qui avoit dit que les choses ne reussissoient pas quand sa persone Roiale ne s'i trouvoit pas, & quatre mille Anglois qu'Elisabeth Reine d'Angleterre lui envoia, l'animerent à faire voir devant Amiens, qu'il pouvoit vaincre sans le Roi. Portocarrero tenoit incessamment les travaux des Assiegeans en suspens par les sorties qu'il faisoit le jour & la nuit. La plus rude escarmouche se donna le 24 Mai. Carafe, Durando, d'Arc, & Falma Irlandois i reçurent beaucoup de gloire du coté des Assiegez ; & le Commandeur de Chartre du coté des Assiegeans.

Henri IV arriva au camp le 7 Juin. Biron en fut indigné, & marquant la belle Gabriele qui accompagnoit ce Prince, il dit d'un accent goguenard; voilà le bonheur que le Roi apporte avec lui. Son armée se trouva de 18000 combatans. Portocarrero devoit au meme tems combatre 15000 Bourgeois qui tout desarmez qu'ils etoient, ne laissoient pas d'etre redoutables, la maladie contagieuse qui ruinoit sa garnison, & la presence d'un Roi, si brave qu'une volée de canon aiant donne vers une galerie au dessous de laquelle il etoit logé, le couvrit de poudre; si la muraille n'eut pas eté epaisse ç'eut eté fait de lui & de toute sa Cour qui etoit auprez de sa Majesté. La force avançant fort peu; les Assiegeans recoururent à la ruse; un Capitaine Bourguignon-François entra à Amiens traveti en Augustin, & il corrompit quantité de Religieux & de soldats, qui n'echapperent pas à la vigilance de Portocarrero qui les traita plus doucement qu'ils ne meritoient.

Biron retourna à la force. Le 28 Juin jour fort obscur, il fit decendre dans le fossé deux Capitaines, suivis de quelques Fantassins, qui jetterent dans les canonieres & dans les casemates quantité de saucissons où ils mirent le feu. Amiens en prit une alarme, qui se termina par la mort de trois sentinelles. Les Assiegez retirerent quantité de ces saucissons ou longs sacs de cuire qui n'avoient pas pris feu; & ils s'en servirent contre leurs propres inventeurs. La contrescarpe fut fortifiée aprez ce danger, & le Colonel du Regiment de Navare i etant revenu avec ces nouvelles mines portatives, passa fort mal son tems. Biron le passa encore plus mal le 29 Juin lorsque Carafe sorti à la tete de 400 chevaux, soutenus de 200 Italiens, chargea furieusement l'hermitage où Biron se fortifioit, & où sans le secours du Comte d'Auvergne, il seroit demeuré. Les Assiegeans i perdirent 200 hommes, & les Assiegez n'en perdirent que dix. La nuit suivante Biron fit tomber Carafe dans une embuscade parmi les masures de l'Eglise de S.Jean au Faubourg. Sans Portocarrero, qui sortit avec sa Cavalerie, Carafe i seroit peri. On combatit lontems en desesperez jusqu'à ce qu'enfin les Anglois venus au secours des François, relancerent les Assiegez dans leur contrescarpe. Jean Gusman i laissa la vie avec 70 des Assiegez, qui ne discontinuerent pas leurs sorties avec avantage, jusqu'au 5 Juillet auquel la compagnie de Benavides tomba dans une embuscade. Et ce fut cet echec qui ralentit l'ardeur des Assiegez, & qui donna lieu à Biron de dresser à l'hermitage une baterie d'onze pieces de canon. Cette baterie raluma le courage de Portocarrero, qui le 18 Juillet à l'heure du midi disposa Durando, & François de l'Arc qui etoit fait Capitaine, Sangre, Tacon, la Font & Latro, à l'ataque de la baterie. Le canon aiant donné le signal, Durando & de l'Arc entrerent dans la trenchée. Ils tuerent les Capitaines Flessan, la Viete, & Fouquerolle, & ils menerent battant tout le Regiment de Picardie jusqu'aux redoutes de l'hermitage. Les Espagnols ataquans & les François fuiars mirent en désordre le Regiment de Champagne. Durant ce trouble il se fit un horrible carnage dans les trenchées. Biron & Benzi presenterent la pique aux Espagnols; mais ils seroient infailliblement peris, si le Prince de Joinville ne fut accouru à leur secours. Joinville auroit pareillement succombé si Henri IV meme accompagné des Comtes de S.Paul & d'Auvergne, ne fut decendu de cheval & ne fut venu la pique à la main pour defendre la baterie. Le Roi Henri avec sa Noblesse auroit eté perdu, si le Duc de Maienne & encore plus la chaleur excessive, n'eussent obligez les Assiegez à songer à la retraite. Cette attaque couta presque mille combatans à la France, & les Assiegez en furent quitte pour 80. Le Prince de Joinville aprez avoir eté quelque tems perdu, parut tout chargé de blessures. Henri Davila historien incomparable, i eut le genou percé d'un coup de pertuisane, & plusieurs autres Gentilshommes qui servoient sous Henri IV, furent grievement blessez dans cette occasion qui fut l'une des plus chaudes.

Le premier d'Aout la trenchée etant sur le point d'etre ouverte, les Assiegez i planterent deux petards, & ils mirent le feu à une mine qui en fit sauter une centaine. Mais celà n'empecha point que les François n'ouvrissent hardiment la trenchée. Il i eut bien du sang repandu avant qu'ils avançassent leurs galeries jusques sous la muraille. Le Sieur de S.Luc dressa une baterie de huit canons contre le Ravelin qui defendoit le pont & la Porte. Il fut emporte au 24 Juillet. Mais le lendemain à la pointe du jour, il fut repris par les Capitaines Durando & d'Ollona; le Regiment de Cambrai le regagna, & s'i logea le meme soir.

Portocarrero, pour defendre sa muraille, fit faire sur le bord du terreplein, par le Capitaine Galliego, une petite demielune. Le 28 Aout les Assaillans firent jouer une mine entre le Bastion & la Porte, qui separa le Bastion d'avec la Ville. Ollona neanmoins i tint ferme lontems avec un Alfier. Les Irlandois deboucherent le Bastion & ils releverent les defenseurs extremement fatiguez, mais il fut pris au bout de quatre jours. Tandis qu'on monte jusqu'au terreplein de Galliego, Henri IV aiant apris que le Comissaire Contrera etoit parti de Douai pour reconnoitre l'Armée Françoise, laissa la charge du camp au Duc de Maienne, & il partit lui-meme le soir du 29 Aout. Le dernier jour du mois il decouvrit les Coureurs de l'Archiduc. Aiant au meme tems baissé la visiere, il prit le petit galop pour les aller combatre. Ces Coureurs croiant d'avoir toute l'Armée Françoise sur les bras, se retirerent à Bapaume.

Ce n'etoit qu'un jeu de l'Archiduc qui par là donna le tems à Bellejoieuse & à Vega de reconnoitre tout le camp des François, qui le 4 Septembre essaierent inutilement de se rendre maitres des demies-lunes de Galliego & de Paccioti. Mais ils firent plus: parcequ'ils tuerent Portocarrero en lui tirant une arquebusade au coté gauche du defaut de la cuirace. Quatre jours aprez le meme arriva au brave S.Luc. Le 12 Septembre les defenses furent ataquées depuis le lever du Soleil jusqu'à deux heures aprez midi sans effet. Le Marquis de Montenegro succeda à Portocarrero au Gouvernement d'Amiens.

L'Archiduc aiant ramassé 4000 chevaux, & 20000 hommes de pié, avec des difficultez insurmontables à un tout autre courage que le sien, se trouva à la tete de ses gens à Douai sur la fin d'Aout. Puis il se rendit à Arras. Le 12 Septembre il marcha vers Dourlens. Le 14 il marcha vers l'ennemi. Le meme soir il prit logement dans l'Abaïe de Betricourt d'où il fit decharger toute son artillerie, pour donner à Carafe avis de son arrivée. Le 15 en plein jour l'Archiduc passa le guai de la Somme à deux lieues d'Amiens, & il prit à gauche la route de Longpré. Les François en furent si epouvantez que la pluspart d'eux prit à pleine course la route de la riviere vers Abeville. L'Archiduc auroit ataqué les trenchées, si le Duc d'Arschot & l'Amiral d'Aragon qui etoient ses principaux Conseillers, ne le lui eussent dissuadé. Il aima mieux n'etre pas victorieux en suivant le conseil des autres, que de l'etre en suivant son propre panchant. Il essaia de recouvrer l'occasion perdue, & Carafe s'etoit deja avancé pour lui preter la main, mais son Conseil l'en detourna en lui remontrant l'impossibilité de forcer un camp fortifié d'une maniere qui ne s'etoit pas pratiquée jusques lors. Ce grand cOEur neanmoins pour ne pas retourner sans rien faire, le 17 Septembre, commanda au Comte de Bucquoi de tenter le passage de la Riviere avec des barques chargées sur des chariots; mais le Duc de Maiene resista invinciblement un jour entier à la furie des Valons. L'Archiduc s'epargne si peu dans l'escarmouche, qu'il donna pour faciliter le passage de Bucquoi, que les coulevrines des François donnerent diverses fois bien prez des mulets qui etoient attelez à sa litiere. Nonobstant les grans eclaircissemens que cette foudroiante artillerie faisoit au travers de ses gens, il se tint constamment à cheval.

Henri IV rendit les efforts des lances Belges, inutiles en laissant du vide dans ses escadrons. Ce fut cette prevoiance qui affermit le camp des François, & qui arreta la furie Belgique & Bourguignonne. La retraite de l'Archiduc vers Dourlens parut si redoutable au Roi Henri IV, qu'il n'osa sortir de son camp pour le poursuivre. L'envi prit à Montigni de se hasarder, mais les Espagnols aiant fait volte face, le relancerent jusqu'aux escadrons du Roi Henri IV. Ce fut alors que Coquinvilier reçut une mousquetade au bras droit, & que 40 chevaux-legers François perdirent la vie. Le prodigieux fut le passage de la riviere que cette armée invaincue fit impunément à la barbe d'un grand Roi qui ne put s'empecher d'exclamer; je ne crois pas qu'il i ait au monde des soldats pareils à ceux de l'Archiduc; & avec eux je ne douterois pas d'entreprendre la conquete de l'Univers.

Voici comme notre Archiduc conduisit cette retraite, qui aiant eu l'admiration d'un des plus grans Capitaines de ce siecle, peut disputer de la primatie avec celle de Xenefon. Les provisions de bouche començant à manquer à l'Archiduc, le seizieme Septembre de bon matin il fit assez remarquer aux François le dessein de sa retraite par faire prendre les devans au bagage, aux Goujats & aux autres gens de service sur le chemin de Dourlens. L'Armée Archiducale fut bientot aprez en marche. Henri IV fit tenir prets des escadrons de Cavalerie soutenus par deux autres de Carabins, pour charger l'Armée ennemie en queue. Mais il i remarqua un si bon ordre, qu'il changea de dessein & qu'il fit retirer ses gens. En effet l'Archiduc n'avoit rien moins que l'image d'une retraite, son Armée etant partagée en trois corps comme si elle eut eté rangée en ordonnance de bataille & qu'elle eut eu l'ennemi en front. Alphonse de Mendoce Amiral d'Arragon menoit l'avantgarde; les Piquiers & les Mousquetaires divisez en deux grandes ailes en forme de croissant faisoient la bataille. L'escadron volant formoit l'arrieregarde. Landriano & Melzi avoient en flanc les Carabins de la bataille. Les piquiers marchoient au petit pas la pique sur l'epaule gauche; & ils tournoient face au moindre coup de tambour. Ils se retirerent avec tant de securité qu'en deux grosses heures, ils ne firent presque pas un quart de lieue. Henri IV se presenta avec toute sa Cavalerie pour charger cette admirable Armée au passage de l'eau. Aussitot l'escadron volant de l'Archiduc fit volte face, ils se rangea au beau milieu du chemin pret à se bien batre si l'envi prennoit à Henri IV de le venir charger. Tandis que cet escadron tenoit Henri IV sur cu, l'Armée Archiducale passa la riviere impunément; aprés quoi l'escadron victorieux à la barbe de ce grand Monarque, passa la riviere à son tour, & quoiqu'il eut de l'eau jusqu'au genoux, il parut si formidable à Henri IV quil n'osa l'incommoder en son passage. Voiez aprez celà si l'admiration de ce Roi fut mal fondée.

Ceux qui blament mon Prince d'avoir negligé l'occasion d'une belle victoire, doivent reflechir qu'il etoit encore Cardinal, qu'il avoit ordre du Roi de deferer à l'opinion de ses premiers Ministres, qu'il n'etoit pas encore Souverain de la Belgique, que les vivres lui manquoient, que l'Armée Holandoise exigeoit promptement sa presence en Brabant & que l'Armée Françoise etoit retranchée audessus de la tete.

L'Archiduc content du brave Carafe lui envoia dire par un Goujat, qu'il pouvoit faire ce qu'il trouveroit bon. Nonobstant celà Carafe eut le courage de ne pas repondre d'abord à la sommation du Roi Henri IV; aprez avoir consulté ses Capitaines, il depecha à l'Archiduc, Frederic Paccioti, qui lui rapporta le pouvoir de traitter avec Henri IV qui lui avoit donné un saufconduit. Carafe forma la plus glorieuse des capitulations, qu'un Sergeant Major porta à l'Archiduc & que ce Prince ratifia. Ensuite dequoi le 25 Septembre il sortit d'Amiens avec 2200 combatans. Carafe marchoit à leur tete couvert de ses riches Armes, & monté sur un beau cheval. Ces genereux defenseurs qui avoient combatu tant de divers ennemis durant un si long siege, etant arrivez devant le Roi Henri IV qui l'atendoit rangé en bataille, Carafe posa son baton de General, il mit pié à terre & il baisa le genou à sa Majesté, & il lui dit tout haut, je rens Amiens à un Roi soldat, puisque le Roi mon Maitre n'a pas trouvé bon de le faire secourir par des Capitaines soldats. Henri IV lui repondit, qu'il devoit lui suffire de l'avoir defendu en soldat. Il lui ajouta quantité d'autres choses obligeantes, & il le fit escorter jusqu'à Dourlens.

Tandis que, suivant la Capitulation, l'on batit un superbe monument au brave Portocarrero, j'en dois dresser un à la memoire du Marquis de Montenegro qui n'en est pas indigne. Jerome Carafe etoit de cette illustre maison de Naple originaire des Rois de Pologne qui se divise en branches d'Ariano, de Montorio, de Ruvo, de Montebello, d'Anza, de Montenegro& de plusieurs autres. Elle a eu le Pape Paul IV, neuf Cardinaux & un General des Jesuites. Un Chevalier Napolitain de la maison de Carracioli sauva la vie à l'Empereur Oton au dixieme siecle, au depens de la sienne. Oton vint le retrouver parmi les morts, il mit pié à terre, & s'etant approché de son corps, il lui mit la main à l'endroit du cOEur en prononçant ces paroles; O Cara fé! c'est à dire, ô chere fidelité. Les Caraccioli trouverent ce nom trop beau pour ne pas s'en orner. Oton voiant la cuirace de son Sauveur toute couverte de sang, passa trois doigts par dessus en lui disant, Cara fé m'è la vostra; ces trois doigts aiant lavé le sang, laisserent trois fasces blanches, qui sont maintenant l'Armoirie des Carafes, comme leur nom vient de Carafe. De cette maison roiale de Pologne notre Jerome Carafe naquit à Naple en 1564. Il etoit fils de Renaud Carafe & Neveu du Cardinal Antoine, petit Neveu de Paul IV, & creature de Pie V, en 1566. Ce Prelat fit elever Jerome à Rome dans les belles lettres & dans l'intelligence des langues qu'il parloit avec facilité. Il servit le grand Alexandre de Parme en la Belgique dez l'année 1587, avec beaucoup de reputation. Il se trouva à l'ataque de Lagni en 1590; & au secours de Rouen en 1592. Aprez avoir vaillamment defendu Amiens, il servit fidellement sous notre Archiduc. Il se fit admirer en Boheme en 1620; dans le Milanez & en Sicile en qualité de General de Cavalerie, en 1621. L'Empereur le demanda au Roi Filipe IV, & il l'obtint au grand malheur des Rebelles & des Turcs dont il fut la terreur, en Boheme, en Alsace, en Silesie & en Hongrie. Etant revenu en Espagne tout chargé de Lauriers, le Roi le recompensa de la Viceroiauté d'Arragon en 1628. Le Prince Cardinal Gouverneur de la Belgique souhaitoit ardemment de l'avoir auprez de lui; mais ce Heros mourut à Gene au mois d'Avril 1633 agé de 69 ans, si ce nom immortel peut mourir; la Turquie sait tresbien qu'il revit dans la personne du General Carafe que le Croissant regarde comme l'une des plus grandes causes de son eclipse.

Tel fut la fin de la grande entreprise d'Amiens qui eut l'amour pour origine, & pour fin. Le chaste amour qu'eut Portocarrero pour la Dame Veuve lui inspira la pensée de faire Amiens Espagnol afin que son Epouse fut sujete de cette Monarchie. L'amour irregulier que Henri IV portoit à la belle Gabriele, & les murmures qu'on faisoit à ce sujet, inspirerent à ce Prince le courage de reprendre Amiens. Un bel esprit representa ces effets divers de l'amour en mettant un cupidon à la porte d'une Ville, avec un clef sous cette devise, je l'ouvre & je la ferme. Pour marquer que l'amour de Portocarrero pour la Veuve Amienoise, & l'amour de Henri IV pour sa belle Gabriele avoient ouvert & fermé aux Espagnols les portes d'Amiens.

Enfin la paix laissa les François en repos; par la bonté de l'Archiduc, elle se conclut à Vervin le 2 Mai 1598.

La Belgique & l'Espagne se plaignirent de cette paix quoiqu'elle fut avantageuse, parcequ'ils croioient les choses dans une situacion à obliger le Roi de France, à la faire plus honteuse; & tout le monde se païa par dire, que le grand desir que Filipe II avoit de laisser des Etats paisibles à sa tres chere Fille Isabelle, l'avoit emu à tant relacher dans une conjoncture qui ne paroissoit pas l'i obliger.

Nous avons laissé l'Archiduc Cardinal en la Belgique, pour n'interrompre pas les affaires de France, allons-le retrouver, & voions-le le Vainqueur des Holandois aprez l'avoir vu le Vainqueur des François.

Comme Albert entendoit fort bien le stratageme il fit mine d'en vouloir à Bergopzom ou à Breda. Dans ce dessein, il fit passer par Anvers De Rone, qui etoit son Lieutenant general, aprez avoir eté celui du Duc de Maienne durant la ligue, avec 5000 combatans. Albert avoit eu l'adresse de faire paroitre quelques troupes vers Hulst en la Flandre Orientale, & le Prince Maurice croiant qu'on en vouloit à cette place, i etoit marché avec des forces. Mais dez qu'il aprit que c'etoit a Bergopzom, il i tourna à toutes brides.

De Rone marchoit cependant, & quand le Prince Maurice fut entierement affermi dans Bergopzom, Albert envoia un Gentilhomme à De Rone avec une lettre, où il lui ordonnoit, qu'à la vue de cette lettre il eut à tourner bride. Cet ordre fut intimé à De Rone prez d'Hoogstraten, Ville qui apartient au Ringrave comme heritier de la maison de Lalain, de la part de sa Mere, qui est la Fille unique du dernier Comte d'Hoogstraten.

De Rone obeït ponctuellement; il rebroussa chemin, il passa par Anvers, & il prit la route du Païs de Waes pour s'aprocher de Hulst.

Cependant le Colonel la Berlot, qui accomplissoit parfaitement sa parfaite anagramme de Bellator, fit passer à ses troupes, le Canal entre le Fort de la Fleur, bati par les Espagnols, & entre celui de la Rape, bati par les Holandois. Ces derniers commirent la premiere faute par laisser passer impunément la Berlot, quoique le Prince Maurice leur eut bien recommandé de veiller à ce passage.

Maurice vid trop tard qu'il avoit à faire avec un plus fin que lui. Neanmoins, comme il etoit resolu dans les occasions le moins prevues, il partit aussitot de Bergopzom, pour soutenir la Ville de Hulst. La seconde faute fut commise par les Hulstois, qui pouvant rompre la Berlot dez l'abord, s'ils avoient voulu faire quelque sortie, le laisserent camper à son aise.

Maurice ne negligea rien. Il recomanda la place à son Cousin George Errard Comte de Solms, & il vint se poster à Santberg, dans le dessein de faire driver de tems en tems du secours aux Assiegez. La Ville fit des sorties, mais trop tard; la Berlot s'etoit deja mis en si bonne posture, qu'il relança ceux qui eurent la hardiesse de se faire voir, & qu'il en defit une bonne partie, parmi lesquels etoient les Capitaines Neivelt & Pottei.

Avant que le canon fut en batterie, il se passa quelques escarmouches. Du coté des Holandois, demeurerent principalement Brovisan, Haeve & Berchem, tous Officiers. Du coté des Espagnols, Steelandt, Diego & Doion.

Le 18 Juillet, les Capitaines Roix, Du Bois & Donck conduisirent de Bergopzom dans le territoire de Hulst, quatre compagnies, qui surprirent 300 Espagnols Fourageurs, & qui brulerent trois moulins.

Les Espagnols, le lendemain, gagnerent le terrein, qui regnoit entre le Fort de Mourvart & la Ville, & puis ils se rendirent les maitres du Fort meme, dont les defenseurs, pour la pluspart Frisons, ne firent pas leur devoir. Ils sortirent avec armes & bagage le 19 Juillet. Beuvri, qui en etoit le Commandant, les conduisit à Spitsenburg pour de là les faire embarquer.

Le Comte de Solms, aiant eté mis hors de combat d'une arquebusade, le Colonel Piron lui fut substitué, & il commanda les quatre autres Colonels, qui etoient Egmond, Tack, Bettine, & l'Amiral de Ziriczée.

Mais il fut dez le dernier de Juillet hors de combat d'une mousquetade qui lui fut tirée à la joue.

Le 2 Aout fut fatal aux Espagnols, à l'ataque du Ravelin surnomé, le trou-du-diable. La principale perte fut celle du General de Rone, qui i fut emporté d'un coup de canon.

Le siege dura avec beaucoup de bravoure & de sang repandu, de part & d'autre, jusqu'au 16 jour du mois d'Aout 1596 auquel les Assiegez parlamenterent. Les articles furent signez le 18. Ils portoient que la garnison sortiroit, avec toutes les marques d'honneur; comme en effet elle les avoit bien meritées. Le Marquis de Tervico, & le Comte de Solre furent donnez en otages au Comte de Solms. Cette petite Ville resista un mois entier: parcequ'elle etoit bien fortifiée, parceque son Gouverneur etoit brave, parcequ'elle avoit une garnison resolue & nombreuse, puisqu'elle se montoit à 3000 combatans.

Le reste de l'année se passa en escarmouches, qui se donnerent en Artois. Le 1 Septembre, le Marechal de Biron s'empara du fort Chateau d'Imbercourt. Le Marquis de Varanbon, Gouverneur d'Artois, voulant le secourir, fut pris prisonnier. Ainsi ce commandement fut donné au Duc d'Arschot; qui, quelques semaines aprez, reprit Imbercourt

Mais le Cardinal Albert ne voulut pas finir l'année sans faire voir ses forces au Prince Maurice. En Decembre, il mit en pié une tresbelle armée, qu'il fit camper à Tournhout bourg du Brabant, sous la conduite du Comte de Varax Baron de Balanson, Frere de Varanbon Gouverneur d'Artois. Le Prince Maurice se piqua d'honneur; & croiant de faire plus surement son coup sans eclat, il fit passer 6000 combatans sur 150 batteaux au mont S.Gertrude, le plus secretement qu'il put, le 21 Janvier 1597, dans le dessein d'aller combatre le Comte de Varax. Le Comte de Hohenloo qui etoit sur son depart, pour l'Allemagne, sentant une occasion de se signaler, differa son voiage, & il voulut se trouver à la journée de Tournhout.

Le Prince Maurice arriva de nuit au village de Ravels, une lieue de Tournhout, où il fit reposer ses gens. Varax au lieu de charger l'ennemi tout recru de sa marche, se retira vers Herentals à quatre lieues de Tournhout. Mais Maurice ne lui en donna pas le tems, & il l'atteignit à une lieue de Tournhout dans une plaine. Varax marchoit regiment pour regiment à cent pas l'un de l'autre. Les Alemans etoient au premier, Hachicourt au deuxieme, la Berlot au troisieme, les Napolitains au quatrieme. Le bagage avoit pris les devans. La Cavalerie marchoit à la droite. Elle etoit en trois escadrons, & elle avoit une forest à la gauche.

Le Comte de Hohenloo & le Comte de Solms, qui commandoient la moitié de la Cavalerie Holandoise, chargerent l'Espagnol en flanc; le Chevalier François Veer, Colonel Anglois, & le Chevalier Robert Cidnei, Gouverneur de Flessingue, le chargerent en queue. Le Prince Maurice demeura ferme pour soutenir ses gens, au cas qu'ils fussent poussez.

Mais il n'en eut pas l'occasion ; l'Armée Espagnole fut rompue d'abord, 2000 demeurerent sur la place, & parmi eux le General Varax meme; celui qui le tua, le voiant simplement habillé, l'avoit pris pour un simple soldat Italien. Un jeune Comte de Mansfeldt fut entre les 500 prisonniers qu'on i fit. On prit 37 drapeaux & une Cornette. Les Holandois disent qu'ils n'i perdirent que 9 hommes, & qu'entre ces neuf, il n'i eut personne de remarquable que le Capitaine Dounk, & Cabillau Gentilhomme Flamand. Varax est le Pere de Claude de Rie Baron de Balanson, mort en odeur de sainteté en son Gouvernement de Namur.

L'Espagne se dedommagea par la prise d'Amiens, qui arriva le 9 Mars ensuivant, & sept jours aprez par la tentative qu'elle fit sur la Ville de Steenvvic, au païs d'Overissel, mais qui lui reussit tresmal. Le Prince Maurice ne fut pas plus heureux sur celle qu'il fit sur Venlo en Gueldre, pour donner le change à l'Espagne. Il l'entreprit en Mai de la meme année, & la honte lui fut autant plus grande, qu'il i echoua en propre persone. L'exploit se devoit faire à la faveur de deux bateaux à l'ouverture de la porte de la Ville, qui donne sur la Meuse.

Les Chefs de l'entreprise etoient au petit bateau. Le Capitaine Matieu Helt, & son Lieutenant, avec 50 soldats firent fort bien leur devoir. Ils se saisirent heureusement du Kai & de la porte de la Meuse; mais le grand bateau ne put s'avancer, parce qu'il ne pouvoit pas etre si bien gouverné, acause de la roideur de l'eau, acause du grand monde qui le chargeoit, acause enfin du grand embarras des autres bateaux qui etoient à l'ancre.

Ainsi tandis que le grand bateau luttoit avec les flots, ceux de Venlo eurent bon loisir de se ramasser & de charger le Capitaine Helt. Il fut fort maltraité par devant de ceux de Venlo, & par derriere des bateliers Liegeois, qui sortis de leurs batteaux canardoient ces miserables Holandois à coups surs. Helt i perdit la vie aussi bien qu'un autre Capitaine nommé Scalck. Le Lieutenant de Helt fut blessé, & raporté sur des piques par quelques soldats Anglois.

L'année 1598 est remarquable par la paix de Verdun qui rendit la tranquillité à la France & à la Belgique le 2 Mai, par la prise du Fort de Pacience en Flandre, qui fut faite sur les Hollandois, par la trahison de quelques François qui i etoient de garnison, & par une Baleine de 70 piez de longueur, il avoit 15 piez depuis les yeux jusqu'au bout du mufle. Elle avoit un aileron dur, quatre piez audessous des yeux. La machoire d'enbas etoit assez etroite selon la grandeur du monstre, cependant elle etoit de 7 piez, & elle etoit bordée de 42 dens blanches comme de l'ivoire, qui se rendoient au palais en 42 trous bien durs. Le bout de la queue etoit de 14 piez. Son sexe masculin avoit 6 piez. On ne put mesurer la grosseur de cette Baleine, parce qu'elle etoit trop enfoncée dans le sable, où les paisans l'avoient trainée à force de cables. On fit grand profit de l'huile qu'on en tira. Jean François le petit Greffier de Betune & Secretaire de Guillaume Prince d'Orange au second tome de son histoire page 703, assure d'avoir vu cette Baleine, & d'avoir eté en danger de crever de la puanteur qu'elle exhaloit.

Ce fut au mois de Mars de la meme année que l'Archiduc Maximilien frere de notre Cardinal Albert, prit Raab en Hongrie par la conduite du Comte de Suartsenbourg autrefois Gouverneur de Bonne, & alors General de l'Empereur, par le petard du Baron de Vaubecour Lorrain ou Champenois & par les halebardes des Valons, qui avoient empoisonné les chiens qui etoient en garde. La Ville avoit une garnison de 13000 hommes. Les Turcs n'i perdirent que 1600 hommes, & les Chretiens ne s'en rendirent les maitres qu'aprez la perte de 4000 des leurs.

Mais ce que ce rendit cette année 1598 plus celebre fut la cession que le Roi d'Espagne fit de sa Belgique & de sa Bourgogne en faveur de sa chere Fille Isabelle Claire Eugenie, à qui il donnoit ces beaux Etats pour dote, en conformité de son mariage avec notre Cardinal Albert.

Cette transaction se fit le 6 jour de Mai 1598, jour heureux à la maison d'Austriche: puisque ce fut le 6 Mai 1622 que le General Tilli remporta la fameuse victoire de Vintem, où l'on se battit depuis la pointe du jour jusqu'à 8 heures du soir. Cette cession qui avoit eté passée à Madrit, en la presence de Filipe III Prince Roial, & de son Grand-maitre le Marquis de Vellada, du Comte Castelrodrigo, Commandeur d'Alcantara, de Don Idiacques Commandeur de Leon, de Nicolas Damant President & Chancelier de Brabant, & de Laloo Secretaire de la Belgique. Le Prince Filipe III, alors agé de 20 ans, ratifia cette transaction par un acte du 30 Mai de la meme année 1598. La cession & sa ratificacion arriverent à Brusselle au mois de Juillet de la meme année.

Tous les Etats de la Belgique s'etant assemblez le 16 du mois d'Aout, il i fut lontems disputé, sur tout par ceux du Brabant, qui faisoient quelques difficultez d'admettre pour Souverain quelque autre que la propre persone du Roi; enfin le tout fut accommodé sous 17 condicions.

Ensuite dequoi l'Archiduc Albert suffisamment muni des dispenses, à l'egard de son mariage, & de ses Benefices Ecclesiastiques, se transporta à Notre Dame de Halle, trois lieues de Brusselle; pour prendre le baudrier, sous les auspices de celle que l'Eglise regarde comme une Armée rangée en ordonnance de bataille. Il mit sa pourpre sur le grand Autel, d'où il prit pareillement l'epée. Il resigna son Archeveché de Tolede en faveur de Garcie de Louisa Precepteur de Filipe III connu par les notes savantes qu'il a faites sur les anciens Conciles qui se sont tenus en Espagne, & il ne retint que 50000 ecus de pension de ce Benefice qui en raporte plus de trois cent mille.

Albert ne fit ce depouillement qu'à regret, & qu'aprez avoir exposé ses peines à Clement VIII, qui etoit le Pape qui l'obligeoit à mettre bas la Pourpre, pour le bien public. Voici la copie de sa lettre.



TRES-SAINT PERE

J'expose aux piez de votre Sainteté ce qui me travaille dans l'abdicacion du Cardinalat. Il i a plus de 20 ans que je mene une vie Ecclesiastique, le saint Siege meme a bien voulu m'orner de la Pourpre. J'i ai toujours vecu bien content, & parceque cet etat revient à mon genie, & parceque j'etois pourvu d'un Benefice qui pouvoit me faire soutenir honorablement ce genre de vie. Cependant voilà qu'on m'en arrache, & qu'on m'engage dans une vie, d'où j'avois détourné mon esprit. J'exposerai brevement à votre Sainteté les raisons qu'on a de ce changement. Elles ne regardent pas seulement la maison d'Austriche, mais encore le bien & la tranquillité publique.

Le Roi d'Espagne Catolique de nom & d'effet, mon Frere, mon Cousin, & mon Seigneur, a fait resolucion de me faire epouser son ainée la Serenissime Infante. Je sai que cette alliance m'est honnorable, & qu'elle est avantageuse à toute notre maison; cependant je proteste à votre Sainteté, que je ne m'i laisse entrainer que par la consideracion du bien public, qui peut en revenir, ainsi que la prudence de votre Sainteté peut le considerer. Cette alliance ne contribuera pas seulement à l'etablissement des choses, & à la pacificacion des differens, mais de plus, elle sera profitable à l'Eglise; sur tout si par la liberalité du ciel, & par la benediction de votre Sainteté; il en nait quelque posterité. Votre Sainteté sait & sent que la maison d'Autriche est toute consacrée au saint Siege, qu'elle lui a toujours eté obeïssante, & qu'elle n'a rien epargné pour en soutenir & pour en augmenter la Majesté, mais je prens la liberté de lui dire en particulier, que si Dieu benit mon mariage, le saint Siege n'en aura jamais eu de plus attachez à ses interets que moi & les miens. La Religion que je professe, & les faveurs dont j'ai eté comblé du S.Siege, m'obligent à cette reconnoissance. Je lui suis redevable de tout ce que j'ai. Pourrois-je jamais m'oublier de cette pourpre, dont elle m'a honnoré, & de tant d'autres graces dont il a prevenu mes desirs & mes souhaits ? je vous suis obligé, Tres saint Pere, & dans quelque genre de vie que je sois, je vous serai eternellement attaché. Je prie votre Sainteté de vouloir bien recevoir la pourpre que je lui remets entre les mains, à regret, & contre ma volonté. L'Empereur mon Frere, & plusieurs grans Rois mes Cousins, & le bien public m'obligeant à le faire; je me sens contraint de deferer aux conseils de ceux qui me devancent en age, en prudence, & en dignité, & de me rendre au nombre & à la force des raisons qu'ils en alleguent.

Je prie donc votre Sainteté de consentir à ma demande, & de vouloir donner son audiance à Ferdinand de Rie Archeveque de Besançon, que je lui ai envoié pour ce sujet. En quitant la pourpre je ne quiterai pas le desir sincere que j'ai de servir constamment le saint Siege, & de lui obeïr à jamais, en reconnoissance de l'honneur qu'il m'a fait en me donnant & en voulant bien recevoir ma pourpre. Dans cette promesse, je baise tres-humblement les piez de votre Sainteté, & je prie Dieu qu'il la conserve lontems pour le bien de son Eglise.

Albert ecrivit de meme stile, au College des Cardinaux. L'Archeveque de Besançon porta toutes ces lettres à Rome. Clement VIII ne reçut pas seulement le Chapeau rouge, que le Cardinal Albert lui remettoit respectueusement entre les mains, mais de plus, il voulut assister à son mariage, & en faire la ceremonie dans la Ville de Ferare. Grace qu'on ne sache pas avoir eté accordée à aucun Prince.

Celà fait Albert songea à son voiage d'Espagne, pour en ramener son Epouse. Avant tout il donna le Gouvernement de la Belgique, en son absence, à son Cousin Germain le Cardinal André d'Austriche, Fils de l'Archiduc Ferdinand, qui fut Frere de l'Empereur Maximilien II, & il lui joignit le Conseil d'Etat. Il fit Generaux de ses Armées François Mendoçe Amiral d'Aragon, & le Comte Herman de Bergh.

Toute la Noblesse se fit un honneur extraordinaire d'accompagner son Altesse dans ce voiage. Les personnes les plus distinguées furent Filipe de Nassau Prince d'Orange. La Comtesse de Hohenloo sa sOEur lui fournit une grande somme, pour lui faire faire magnifiquement ce voiage. Il fut aussi escorté du Comte de Barlemont, & du Comte de Solre. La Comtesse Douariere de Mansfeldt Heninhoostraten voulut etre du voiage. Albert fit prendre les devans à son escorte, & il ne voulut pas quitter la Belgique, qu'aprez avoir salué la sainte Vierge en la ville de Halle. La Belgique ordonna au Comte de Solre de remercier le Roi de lui avoir donné un Prince si achevé, & de prier l'Infante de ne pas retarder lontems les vOEux de ses Sujets.

L'Archiduc partit de Brusselle le 14 Septembre, il prit son chemin par Nivelle, par Luxembourg, par Treves, & par le Palatinat où il fut regalé du Prince, qui defraia toute sa suite, qui consistoit en 2000 hommes, & en mille chevaux. Les Ducs de Baviere & de Virtemberg lui firent le meme honneur par toute leur juridiction. Il alla à Inspruc visiter le tombeau de l'Empereur Maximilien premier, qui par son mariage avec Marie de Bourgogne, avoit conduit la Belgique, la Bourgogne, & une infinité d'autres Etats dans la maison d'Austriche. A quelques mille pas de là, il rencontra l'Epouse de Filipe III Roi d'Espagne, bien prez d'un monument de pierre, où l'on void la memoire de la rencontre & des embrassades de Charlequint & de son Frere Ferdinand premier.

Cette Epouse roiale etoit Marguerite d'Austriche Fille de l'Archiduc Charle. On etoit convenu qu'Albert conduiroit Marguerite-Gregoire- Maximiliene à Filipe III, & qu'il rameneroit en la Belgique son Epouse Isabelle.

La Reine Marguerite escortée de 1000 chevaux se fit de ce voiage. Ils entrerent à Trente le 19 Octobre, d'où ils entrerent dans les terres de la Republique de Venise. Sa Serenité avoit envoié deux Senateurs pour faire accueil aux personnes augustes. Ils s'aquiterent glorieusement de leur commission, tant par les arcs de triomfe, & par les obelisques qu'ils erigerent que par les salves roiales qu'ils firent faire, mais sur tout par la belle depense qu'ils firent en entretenant magnifiquement l'espace de dix jours trois mille cinq cens personnes, & plus de deux mille chevaux.

Le Duc de Mantoue Vincent de Gonzague ne fut pas moins magnifique dans la recepcion qu'il fit aux Personnes roiales, en les recevant dans ses terres. Il vint luimeme les recevoir à Ostie, à la tete de sa Noblesse, & de 4 Regimens de Cavalerie, il les conduisit dans le Vaisseau, où le diner & la musique, le tout à la roiale, reçurent ces hotes augustes sur la riviere du Po.

Le plus beau de tous les spectacles fut celui qui se donna à Ferrare. Le Pape Clement VIII i etoit l'occasion de l'investiture qu'il prennoit de ce Marquisat, qui etoit devolu à l'Eglise, par la mort du Duc Alfonse. Sachant que les Persones roiales i arrivoient de Rovere, il leur envoia les Cardinaux Aldobrandin & de S.Clement, avec un grand nombre de Prelats & de Noblesse, qui complimenterent leurs Altesses à 300 pas de la Ville, & qui leur presenterent un carrosse tout doré, attelé de 6 chevaux blancs & conduit de deux cochers. A la porte, le Duc de Sesse comme Ambassadeur d'Espagne, presenta à la Reine, au nom du Roi son Epoux, une litiere extraordinairement riche & curieuse portée de deux mules blanches, & un carrosse attelé de six chevaux pies, & conduit de deux cochers, le tout chargé d'or.

La Reine etant arrivée à la porte des Anges, fut conduite sous le daiz roial qui lui avoit eté dressé dans un palais d'improviste, par les Cardinaux Sforsa & Montalto. Ce fut là que Sa Majesté reçut les complimens de 18 Cardinaux, qui i vinrent en habit de parade. La Reine & sa Mere qui etoit Bavaroise, & qui tenoit compagnie à sa Fille, monterent sur des haquenées couvertes de drap d'or dont le Pape leur faisoit present. La porte des Anges etoit richement & ingenieusement embellie en faveur de ces nouveaux hotes, & sur tout de la Reine d'Espagne.

Voici l'ordre qui fut gardé dans l'entrée en la Ville. Une infinité de carrosses prenoient les devans. Puis il paroissoit deux Regimens de Cavalerie habillez de deuil acause de la mort du Roi Filipe II. La Cour etoit partagée en deux troupes à cheval. On voioit ensuite les Domestiques des Cardinaux, & puis leurs Massiers montez sur des mules richement couvertes. Le College des Cardinaux etoit en violet, qui est le deuil de ces Eminences. Voici leur marche & leur ordre. Ils marchoient deux deux, les premiers etoient les Cardinaux, de Florence & d'Ascolsi, puis Montelpar & Borromée, Camerin & Justinien, Bandin & de S.Clement, Baronius & Avila, Blanchette & Guevarra, Arragon & Farneze; le Sacré College etoit terminé des Cardinaux des Quatresaints, d'Aldobrandin & de Cesius. Il etoit epaulé de la garde Suisse du Pape. La Reine marchoit entre les Cardinaux Sforsa & Montalte. Elle etoit entourée de sa Garde Alemande. Sa Mere & l'Archiduc Albert la suivoient. Ils etoient suivis de la garde à cheval & d'une infinité de carrosses.

Ce fut en cet ordre qu'on marcha à l'hotel de l'Ambassadeur de l'Empereur, où sa Sainteté attendoit les persones Augustes. Elles vinrent baiser les piez du Pape, qui leur donna sa benediction Apostolique. Le lendemain, sa Sainteté les traita somptueusement.

Le Dimanche 15 Novembre, toute la Cour mit bas le deuil, & elle prit les ornemens de joie. L'eclat en fut si admirable, que Ferrare protesta de n'avoit jamais rien vu de pareil; & qu'il desesperoit de voir jamais une magnificence pareille, dans son enceinte. On ne sache pas que cette Ville tressage se soit trompée.

Le Pape vint en persone à la grande Eglise, pour chanter la Messe solennelle. Les personnes roiales i furent conduites par deux Cardinaux. Lorsque chacune fut sous son daiz, le Pape commença la Messe. Aprez le Credo chanté, elles furent presentées au saint Pere. Alors le Pape celebra le mariage de la Reine Marguerite avec le Roi Filipe III. L'Archiduc Albert tint la place du Roi dans ce mariage de procuracion, & le Duc de Sesse tint la place de l'Infante Isabelle.

Aprez la Messe, le Pape donna à la Reine la Rose-d'or benite. Le Comte de Barlemont Chevalier de la Toison d'or, la reçut des mains de la Reine, & il la porta devant elle jusqu'au Palais. La Ville fit des rejouissances inouies, pour solenniser ces deux mariages, dont il s'en trouvera peu de pareils, soit qu'on considere les personnes qui le contractent, soit qu'on regarde le Pape, qui en fait la ceremonie ou enfin qu'on pese l'apparat avec lequel ils se font.

Le lendemain, la Reine alla reverer les goutes du Sang adorable qu'on garde dans l'Eglise du guai. Le jour d'aprez, trente femmes masquées de Come, lui donnerent le divertissement du combat naval sur la riviere. Elles etoient partagées en six barques, l'adresse des rameuses, & les concerts qui felicitoient les victorieuses faisoient le plus charmant de la fete. Le soir, la Reine alla prendre le divertissement de la comedie, chez les Jesuites, qui representerent Judith sur leur teatre.

Je serois trop long si je pretendois de raconter simplement l'accueil que le reste des Villes d'ltalie fit à nos augustes. Je dis seulement que Mantoue, Cremone, & sur tout Milan, ne cederent en rien a Ferrare, s'ils ne le surpasserent pas. Pavie, & Gennes, se distinguerent glorieusement. Aprez avoir reçu sur la terre les avantgouts du ciel. Ils arriverent dans le Roiaume de Valence. La Reine mit pié à terre au Port de Binaros, d'où le fils du Prince Doria alla donner part au Roi de l'arrivée de son Epouse, & de sa compagnie roiale.

Le 29 jour de Fevrier on se rendit par terre à la Ville de S.Matieu, où le Marquis de Denia, vint complimenter la Reine de la part du Roi. La Reine prit le chemin de Morredre où sont les decombres de l'ancienne & redoutable Ville de Sagonce. L'Archiduc courut en caleche audevant du Roi, il l'embrassa, & au meme tems il eut la consolacion de saluer pour la premiere fois l'Infante Isabelle sa chere Epouse. Aprez les premieres marques de tendresse, il alla incessamment rendre ses respects à Notre Dame d'Atocha à Madrit. Il satisfit à la pieté l'espace de quatre jours, aprez quoi il se rendit à Valence. Le Roi prit l'habit d'un simple Seigneur, & il alla complimenter la Reine au nom de sa Majesté. Quelques Dames le reconnurent, & elles en donnerent delicatement part à la Reine ; & ce fut à cette agreable agnicion qu'il se fit des cris de joie inexprimables.

Nos Augustes firent leur entrée trionfante à Valence, le 28 Mai 1599. La multitude qui composa le cortege fut si nombreuse, qu'elle put passer pour une armée; la magnificence i fut si admirable, que les plus grans admirateurs de l'antiquité reconnurent que Valence effaçoit la Ville de Rome trionfante.

Cinq troupes de cavalerie marchoient à la tete. 30 timbaliers & tous les trompetes du Roi, marchoient ensuite. Ils etoient suivis d'une infinité de Noblesse à cheval, quelquesuns d'eux avoient plus de 24 laquais, & nul n'en avoit pas moins que six. 500 portoient les couleurs de la Reine, qui etoient un melange de jaune, de rouge & de blanc. Aprez suivoient les Officiers de la maison de la Reine, & 16 Grans d'Espagne.

La Reine etoit montée sur une haquenée blanche. Son daiz etoit soutenu de 20 Gentilshommes Valençois; 20 autres lui tenoient la bride. La Mere de la Reine& l'Archiduc Albert la suivoient immediatement ; & puis on voioit les Dames & les Demoiselles de la Reine. Un grand nombre de carrosses, qui conduisoient des Dames de toutes sortes de qualité, fermoient la pompe.

Vous estimerez la grandeur de cette fete, si je vous declare que sa depense monta à la valeur de trois cens mille pistoles.

La Reine fut conduite à l'Eglise; etant montée sur un teatre de neuf piez, qui occupoit la nef, elle baisa la croix, que l'Archeveque de Valence lui presenta. Le Roi & l'Infante Isabelle, i etant decendus par un escalier derobé, le Nonce Apostolique harangua ainsi sa Majesté; Roi Catolique & trespuissant, Votre Majesté sacrée, approuve-t-elle & ratifie-t'elle le mariage que l'Archiduc Albert a contracté en son nom avec Marguerite Reine Catolique & trespuissante, qui est ici presente, mariage que notre saint Pere le Pape Clement a celebré solennellement ? le Roi aiant repondu, je l'aprouve & je le ratifie; le Nonce Apostolique, fit la meme demande à la Reine, & elle lui aiant repondu qu'oui, le Nonce, ajouta, & moi au nom de l'Eglise tressainte, Romaine & Apostolique, je reçois cette approbacion & cette ratification du mariage, qui a eté contracté & celebré entre vos Majestez ici presentes, par notre saint Pere le Pape Clement. Le Nonce fit les memes demandes à l'Archiduc Albert & à l'Infante Isabelle; ils se mirent tous à genoux devant l'Autel, & parmi les prieres & les chans, on leur donna la benediction nupciale.

On retourna ensuite à la Cour. La fete dura huit jours de suite avec la derniere des magnificences. On i dressa un amfiteatre capable de recevoir 60000 personnes, pour voir les combats de taureaux, & les autres spectacles d'Espagne. Le huitieme jour, le Roi donna le collier de la Toison d'or à l'Archiduc Albert, & à deux autres Princes. Quatre jours aprez, c'estadire le 14 Mai, la Cour passa à Barcelonne.

L'entrée trionfante s'i etant passée avec beaucoup d'eclat, l'on songea à la separacion. Elle se fit avec des demonstracions indicibles d'amitié de part & d'autre le 7 jour de Juin, auquel les Souverains de la Belgique s'embarquerent pour satisfaire leurs Sujets, qui bruloient d'impacience de leur sacrifier leurs cOEurs.

Suivons l'Archiduc & son Epouse qui vont prendre possession de leurs domaines. Albert prit terre au port de Gennes, & il logea au Palais du Prince Doria. Cette genereuse Republique n'omit rien de ce que put lui inspirer l'attachement immemorial & cordial qu'elle a pour l'auguste maison d'Austriche; affection qui lui couta si cher depuis quelques années, quand la France fit venir infamement son Doge Imperiale à Paris, aprez avoir presque reduit toute cette belle Ville en cendres. Ce fut le jour de S.Jean Batiste qu'Albert & Isabelle i firent leur entrée triomfante, & qu'ils entendirent la Messe dans l'Eglise de S.Laurens. Tout le chemin etoit richement paré, mais la statue de ces deux augustes personnes faisoit le plus bel objet de toute la celebrité.

Au sortir du territoire de Gennes, ils furent accueillis du Viceroi de Milan, à la tete de sept troupes de cavalerie bien equipées, qui les conduisirent à la capitale de cet Etat.

Pavie leur fit une recepcion, où il donna des convictions de son esprit, de son affection, & de sa magnificence. Ce fut là que Rainuce Duc de Parme, vint faire la reverence à leurs Altesses Impériales & Roiales. Le 5 Juillet ils entrerent à Milan. Le Connestable de Castille les i reçut sous un arc de triomfe, qui representoit la fete nupciale de Valence. Le Cardinal Dieterstein Legat du Pape, aprez la Messe, presenta au nom de sa Sainteté, la Rose benite à l'Infante, & l'epée à l'Archiduc, comme au Defenseur de la foi. La veille de leur depart, ils eurent le divertissement d'une agreable comedie.

Ils partirent de Milan le jour de S.Madelene d'où ils passerent à Serone pour saluer la S.Vierge qui i est eclatante en miracles.

Les Suisses ne cederent à personne dans l'accueil qu'ils firent à leurs Altesses, & ils s'etudierent sur tout, qu'elles fussent pourvues de tout dans leur dangereux passage des Alpes. Ils monterent le mont S.Godart le dernier jour de Juillet. Ceux de la Vallée de Lucerne se distinguerent par presenter à ces illustres Voiageurs, selon la façon du païs, le beuf gras couvert de drap, & conduit par quatre Silvains. Ils passerent trois jours dans ces Vallées ; aprez quoi ils decendirent à Bale, où ils furent saluez de toute l'artillerie, & où à la façon de cette Republique, ils furent regalez de deux beufs gras, & de l'avoine qu'on donna à tous leurs chevaux.

Ils avoient resolu de prendre leur route par la Bourgogne, mais l'aimable impacience des Belges fit qu'ils changerent de resolucion, & qu'ils prirent leur chemin par la Lorraine. Le Duc retournoit justement des eaux de Spa. Il alla rencontrer leurs Altesses avec le Cardinal de Lorraine son fils ; vers Pontamousson, & il les regala d'un festin somptueux. Le Gouverneur de Mets leur presenta l'entrée de La Ville, mais ils l'en remercierent, & ils se contenterent d'accepter son escorte jusqu'aux frontieres du Luxembourg. Ce fut là qu'Albert reçut mille chevaux de ses bandes d'ordonnance.

Tionville fut la premiere Ville de la Belgique, qui eut l'honneur de recevoir leurs Souverains. Le Comte de Mansfeldt Gouverneur du Duché de Luxembourg, accompagné de toute la Noblesse conduisit leurs Altesses dans sa Capitale, le 21 d'Aout. On chanta le Te Deum aux Cordeliers. Le lendemain, on fut au beau Parc de Mansfeldt. Ce Duché, quoiqu'epuisé de guerres, ne laissa pas de faire à leur Souveraine un present de plusieurs mille pistoles.

Ils entrerent à Namur, qui etoit la seconde Province de leur juridiction, & la seconde des trois qui ont demeuré fidelles au Roi, durant les troubles de la Belgique, le 28 Aout.

Le Comte Florent de Barlemont, qui en etoit Gouverneur, leur fut audevant avec toute la Noblesse en tresbel equipage, & il leur donna trois spectacles agreables; le premier fut la Bourgeoisie & la jeunesse sous les armes qui charmoient par leurs habits aussi recreatifs que bisars & variez, mais qui charmoient bien plus par leur adresse à manier & à decharger le mousquet. De tout tems immorial Namur a passé pour une Province où naissent les soldats, & ceux qui les ont vus dans cet exercice, donnent dans ce sentiment universellement applaudi. Le deuxieme spectacle fut celui de deux compagnies montées sur des echasses d'une hauteur enorme. On m'en a tant dit de ce jeu d'echasses que la curiosité m'a pris d'en etre le temoin oculaire. La renomée m'en a moins raconté que je n'en ai vu.

Ces Echasseurs sont partagez en deux compagnies, celle du dehors de l'ancienne Ville se nomme Havresse, celle du dedans se nomme Melan. Il regne une animosité hereditaire entre ces deux partis, & c'est sur tout au Carnaval & aux entrées des Princes que leurs combats, entre ciel & terre se renouvellent. Il est sur, qu'il est infiniment plus plaisant d'i assister qu'à des batailles rangées; puisqu'il i a du danger aux batailles rangées du coté du spectacle & des spectateurs, au lieu qu'il n'i en a point, ou qu'il i en a fort peu aux combats des eschasses, & que toute la plainte se termine, tout au plus, à un bras cassé ou deboité. Encore s'en donne-t'il une infinité qui n'ont rien de ces accidens. Les Namurois i sont instruits dez leur enfance. Celà fait qu'ils i sont bientot consommez. Ce furent ces compagnies, qui ne sont ni à cheval, ni à batteau, ni à pié, ni à chariot, & meme qui ne volent pas, qui vinrent accueillir & qui charmerent l'Archiduc. On vient de me dire qu'un Gentilhomme Namurois vient de decrire ce jeu d'echasses en quelques chans qui ont fait honte aux Satires de Boileau & à l'art de precher & d'aimer de De Viliers.

Le troisieme spectacle des Namurois fut un combat Naval qui se donna sur la Sambre dans un lieu qui regne entre la prodigieuse citadelle de Namur, & entre l'Abbaïe Bernardine de Salsine. On avoit construit une loge qui tenoit d'un petit Palais sur le rampart qui regne entre le Joghi & la Tour sur Sambre, & qui est derriere la maison du Gouverneur de la Province. La necessité où la France a jetté toutes les Villes de la Belgique de se fortifier, a fait demolir cette maison roiale, qui meritoit plus d'etre conservée que la chaumiere de Romule.

Ce fut de là que leurs Altesses & toute la Noblesse contemplerent le combat naval des Jouteurs aquatiques qu'il est impossible de bien decrire, & qui doit etre vu pour etre bien raconté. Je l'ai vu, & je vous avoue que je n'ai rien vu de plus charmant en toute ma vie.

Laissons tomber en l'eau les Jouteurs, souffrons que les acclamacions des Vainqueurs facent retentir le rivage de la Sambre, & qu'elles facent parler toutes les Eco du rocher admirable où est située la premiere citadelle du monde, qui a gemi en 1692, & suivons leurs Altesses qui vont entrer dans la troisieme Province de leur Domaine, qui est le Brabant.

Le Brabant a deux capitales, l'une est la capitale du Brabant Flamand, & c'est Louvain, l'autre est la capitale du Brabant Valon, & c'est Nivelle. Le Brabant fit resolucion de rencontrer son Prince à Nivelle. Ensuite de cette resolucion, on s'assembla au Palais du Duc d'Arschot à Brusselle le 30 Aout; & voici l'ordre qu'on garda. Les trompettes, les pages & la maison du Duc marchoient à la tete. Suivoient Richard de Pulle Consul de Louvain, & Guillaume Guillelmi Pensionaire de la meme Ville. Puis Henri Donghelberg Consul de Brusselle, & Gille Martini Pensionaire de cette Ville roiale. De là, Blaise de Bejar Chevalier, Consul d'Anvers, & Henri Schotti Pensionaire de la meme Ville; ce rang etoit fermé de Guillaume Reys Pensionaire de Boileduc, de Filipe Maes Secretaire d'Etat, & de Theodoric vander Beken Receveur general.

L'Eglise avoit le rang suivant. On i voioit Matias Hovius Archeveque de Malines, & Guillaume de Bergh Eveque d'Anvers. Le Duc d'Arschot marchoit au milieu. On trouva bon de lui donner ce rang en vue des frais immenses qu'il faisoit dans cette solemnité. Ils etoient suivis de Robert Henrion Abbé de Villers, & de Filipe de Roubergen Abbé de Grimberghe.

Suivoient Gerard de Hornes Baron de Bassignies, Jaque de Berghe Baron de Grimberghe, Lancelot Schetz Grobendonc Baron de Vesemale.

Tout etoit fermé de 80 Cavaliers. Le Comte de Solre aiant donné avis aux Brabançons de l'arrivée de leurs Altesses, ils traverserent la Ville de Nivelle, & ils leur furent à la rencontre à la porte de Namur. Le Secretaire Maes prit la parole au nom de tout le Brabant.

Les persones Roiales passerent à Halle, où le Cardinal André remit entre les mains de l'Archiduc, les resnes qu'il lui avoit commises provisionellement. Le Duc de Mantoue s'i rendit aussi. La Cour arreta deux jours à Halle; & puis elle alla loger à la Cambre, belle Abbaïe de Bernardines à deux pas des Fauxbourgs de Brusselle.

Le cinquieme Septembre, un Dimanche à une heure aprez midi, le Magistrat de Brusselle parut à cheval, dans la belle plaine qui s'etend à la porte de Louvain. Il etoit en habit de ceremonie. 2000 Bourgeois etoient sous les armes dans la meme campagne, tous en habits de fete ; on i voioit aussi les cinq compagnies de Serment avec les couleurs de l'Infante, qui etoit un melange de roux & de blanc.

Vers les trois heures leurs Altesses parurent en carrosse. Ceux qui etoient en armes firent trois salves roiales; aprez quoi le Pensionaire Gille Martini harangua les Souverains, au nom de tout le Brabant.

Le President Richardot prit la parole, & il remercia le Brabant au nom de leurs Altesses. Laman offrit sa baguette rouge à l'Infante, & le Consul lui presenta les clefs de la Ville.

Il faudroit un gros volume pour raconter simplement l'aparat que cette Ville roiale fit à ses Souverains. Le sixieme Septembre les cinq compagnies de Serment monterent en parade à la Cour. Quelques jours suivans se passerent en audiences qu'on donna aux felicitateurs qui etoient venus de tous les cotez pour faire la bienvenue à leurs Altesses. On donna quantité de spectacles ausquels le Duc de Mantoue donna beaucoup de chaleur.

Le 29 Octobre le Comte de Solre, qui avoit accompagné l'Archiduc dans son voiage d'Espagne, & qui avoit diverses commissions des Etats, leur en rendit raison, & les remercia de l'honeur qu'ils lui avoient fait.

Le 24 Novembre leurs Altesses firent leur entrée triomfante dans Louvain qui ne ceda en rien à Brusselle, & qui selon quelquesuns, le surpasse. Le Docteur Jaque de Bai neveu de Michel de Bai fameux par la condemnation du Baianisme, les harangua fort eloquemment à la fin de l'Evangile de la Messe qui se chantoit à S.Pierre, par l'Abbé du Parc comme Chapelain hereditaire des Ducs de Brabant. Aprez la Messe leurs Altesses allerent preter leur serment dans la maison de ville. Aprez quoi Filippe Maes Secretaire d'Etat, harangua leurs Altesses. Le lendemain le Docteur de Frene, qui etoit Recteur magnifique, vint les complimenter au nom de toute l'Université. Elles se donnerent la pacience d'entendre la Tragedie d'Andromede que la jeunesse du College du Faucon representa. L'aprés midi elles assisterent à la Dispute du fils du President Richardot, qui prenoit le degré de Bachelier en Theologie, & elles eurent la bonté de recevoir les Gans qu'on a coutume de distribuer dans de pareilles actions publiques. Et pour montrer leur affexion envers les belles lettres, elles firent l'honeur au savant Juste Lipse de venir entendre sa Leçon historique. Il expliquoit le troisieme Chapitre du premier Livre de Seneque, & à la vue de leurs Altesses il fit une belle oraison d'improviste qui se void dans Bochius page 159. Ils visiterent la belle maison d'Heverle, où le Duc d'Arscot les regala magnifiquement. Le 28 Novembre la Cour retourna à Brusselle, & leurs Altesses confirmerent les privileges de l'Eglise de S.Gudule, dans le chOEur de la meme Eglise.

Ils firent leur entrée solennelle le 3 Decembre à Malines qui temoigna son cOEur & sa magnificence; & le 8 à Anvers qui sembla effacer tout ce qu'on avoit fait jusques alors. Sa pompe dura jusqu'au 27 Janvier de l'an 1600, auquel jour leurs Altesses entrerent à Termonde, & le 28 à Gand qui leur fit un accueil roial, que Maximilien de Vrient a tresbien descrit. Elles entrerent à Courtrai le 3 Fevrier, le 5 à Lille, le 8 a Tournai, le 10 à Douai, le 13 à Arras, le 15 à Cambrai, le 19 à Valenciennes. Henri d'Outreman en a decrit la Pompe; le 25 ils furent à Mons, & le 26 à Binche; je ne marque pas les solennitez des autres villes de la Belgique, & de la Bourgogne, parceque les memoires me manquent; je sai en general que leurs Altesses furent reçues par tout, comme des divinitez descendues du ciel. Il auroit eté bien agreable à de certaines villes que je fisse la description de leurs magnificences, mais il ne seroit point agreable aux lecteurs curieux que je differasse plus lontems l'histoire de l'Archiduc, outre qu'on fait qu'une trop longue table quelque exquise qu'elle fut, n'est pas moins ennuiante qu'une autre qui n'est pas bien garnie.

Tandis que l'Archiduc va & vient pour aller querir, & pour amener son Epouse, voions ce qui se passe en la Belgique, où il a laissé le Cardinal André son Cousin germain & l'Amiral d'Arragon François de Mendoçe Marquis de Guadaleste Capitaine General de ses armées, & le Comte Herman de Bergh pour son Lieutenant General.

Sur la fin d'Aout 1598 Mendoza prit devant Venloo un vaisseau Holandois monté par Jean de Raert; six furent faits prisoniers, & le reste se sauva à la nage. Au comencement de Septembre, il passa la Meuse prez de Ruremonde à la tete de 30000 hommes. La Berlot passa le Rhin à Kerkraet entre Cologne & Bonne. L'Armée ne fut pas lontems sans l'i suivre. Ils investirent la ville d'Orsoi. Orsoi est au Duché de Cleves, petite, mais importante place. Elle n'est pas minable: à cause que ses rampars sont pratiquez de troncs d'arbres & de terre si bien melez, qu'on n'i sauroit faire ouverture. La Hollande la prit en 1634, & la France en 1672. Le Duc Guillaume avoit commencé à la fermer de ravelins, à la façon de là Citadelle d'Anvers, mais il ne put achever l'ouvrage, à cause de sa depense.

L'Amiral Mendoçe demanda d'en avoir l'entrée pour passer le Rhin. Mais Horst Marechal & Secretaire du Duché de Cleves, la lui refusant, il se mit à se disposer à l'escalade, à la faveur des eschelons des grands chariots de Brabant. La ville intimidée, lui ouvrit ses portes. Il somma le chateau, qui voiant trois Capucins, & un boureau le licou à la main, se rendit sans coup ferir. Mendoçe s'i fortifia incessamment, avant le 8 Septembre & par suite avant que l'Archiduc ne partit de Brusselle; puis il se rendit maitre d'Alpen.

Comme il ne se fera rien d'eclatant de part ni d'autre jusqu'au 16 Septembre passons en Espagne, & contemplons la mort de Filipe II qui i rend l'esprit le 13 de ce mois.

L'an 1598 Henri IV Roi de France aprez une infinité de guerres & de fatigues desiroit ardemment de jouir du repos. Il apprehendoit que dans la continuation de la guerre avec l'Espagne, la fortune ne lui fit un coup pareil à celui d'Amiens pris par des noix, & qu'il n'eclatat quelque nouvelle faction des Grands de France, ou des Huguenots, ou de sa maison meme parcequ'il n'avoit point d'enfans, il emploia Villeroi pour venir à bout de cette negociation qui lui tenoit si fort au cOEur. Ce Ministre traita heureusement avec Richardot ; Richardot inclina le Roi à accorder la paix à la France desolée. Mais ce Monarque ne fut pas peu poussé à cet accord par le desir qu'il avoit de laisser à sa chere fille Isabelle Claire Eugenie, une dotte paisible. Richardot & Villeroi s'aboucheront sur les frontieres de Picardie & d'Artois, & ils convinrent que les deux Rois enverroient leurs Deputez à Vervins où le Legat du Pape devoit se trouver en qualité de Mediateur. Henri IV ravi de cette resolucion, nomma pour cet effet Pompone de Believre, Conseiller d'Etat & Nicolas Brulard de Silleri President au Parlement. L'Archiduc Albert autorisé d'Espagne, i envoia le President Jean Richardot, le Seigneur de la Tour-Tassis Chevalier de S.Jaque ancetre du Prince de ce nom, & Louis Verreiken Audiencier, premier Secretaire & Tresorier du Conseil d'Etat.

Comme la France aspiroit aprés la Paix, elle hasta ses Deputez qui arriverent à Vervins dez le 7 Fevrier. Ceux de l'Archiduc, à qui cette Paix etoit indifferente, i arriverent plus tard. Les François allerent les premiers visiter les Deputez de l'Archiduc. Le Legat prit le bout, il mit son Nonce à sa droite; les Deputez de l'Archiduc se mirent au plus honorable qui etoit au dessous du Nonce, & les François se mirent vis-à-vis.

Les Deputez convinrent d'abord d'une cessation d'armes à quatre lieues aux environs de Vervins, & des saufconduits pour leurs Couriers qui iroient à Brusselle & à Paris. Les Deputez de l'Archiduc qui trenchoient du maitre exclurent les Hollandois du traité, parcequ'ils pretendoient qu'ils restoient encore sujets du Roi, & ils ne voulurent pas comprendre les Anglois, amoins que la Religion Catholique ne fut retablie par toute l'Angleterre.

Les Anglois presserent tant Henri IV pour pouvoir entrer dans cette paix, qu'il fut obligé de leur accorder 40 jours. Quoique la Reine Elizabet demandat encore une mois au-delà des 40 jours accordez, Henri IV n'i voulut pas entendre, & dez le 12 Juin qui etoit le terme des 40 jours, il pressa les Deputez de l'Archiduc avec tant d'instance, que la Paix fut publiée à Vervins dez le meme jour. Charle de Croï Duc d'Arschot, François Mendoçe Amiral d'Arragon, Charle de Ligne Comte d'Aremberg Chevalier de la Toison d'or, & Louis de Velasco Grandmaitre de l'Artillerie servant d'Ambassadeurs avec Richardot & Verreiken, apporterent la ratification à Henri IV; & ils vinrent lui jurer le Traité de Vervins dans Notre-Dame de Paris, le 21 Juin. Le Marechal de Biron, Believre, & Silleri, vinrent le jurer à Brusselle le vingt-sixieme du meme mois. Le Roi, qui avoit permis cette Paix en faveur du mariage de sa chere fille Isabelle, n'eut pas le plaisir de le voir comme etant mort deux mois aprez la Paix, savoir le 13 de Septembre fatal à la maison d'Autriche, tandis que notre Albert destiné pour epoux à cette incomparable Princesse etoit encore en chemin.

Le Roi avoit fait son Testament deux ans avant sa mort; par où il laissoit à sa fille la Belgique & la Franchecomté; à condition que ces Provinces retourneroient à la Couronne d'Espagne au defaut d'hoirs males ou femelles. Que si elles tomboient en fille, elle ne pouroit pas se marier sans le consentement du Roi, que toutes les fois qu'il i auroit mutation, le nouveau Successeur preteroit nouveau serment de conserver la Religion Catolique, Apostolique & Romaine, & que s'il s'en departoit, il seroit dechu de tout droit sur ces Provinces; qu'elle n'auroit point commerce aux Indes Orientales; que le Roi se reservoit d'etre le Chef de l'Ordre de la Toison-d'or, & de mettre des Gouverneurs & des garnisons à sa solde dans les Citadelles d'Anvers; de Gand & de Cambrai, qui auroient preté serment à lui & aux Princes de la Belgique.

Il i avoit plus de quinze mois qu'une fievre hectique consumoit ce grand Roi, quand les goutes le prirent fort cruellement la veille de la S.Jean. Ces humeurs acres engendrerent des abscez qui creverent au genou & en diverses parties du corps d'où il sortoit des fourmillieres de vermines qu'on ne pouvoit tarir. Il se joignit à celà une satiriasme perpetuel qui faisoit ecouler ses forces & son sang avec un pus effroiable. La puanteur insuportable qui sortoit de ses ulceres, & ces vilains insectes qui le mangeoint jusqu'aux os, faisoient faillir le cOEur à ceux qui l'approchoient, mais il ne lui manqua jamais. Il soutint tous ses maux avec une pacience si merveilleuse, & il maintint son esprit dans une assiete si ferme jusqu'au dernier soupir, que sa Cour ne savoit si elle voioit en la persone du Roi un plus grand exemple ou de la misere humaine, ou d'une constance heroïque. Un Mardi dernier jour de Juin de l'an 1595 il passa de Madrit à l'Escurial contre l'avis de ses Medecins. I etant arrivé il tomba dans une fievre tierce qui lui dura sept jours. Aprés quoi il alla un peu mieux; mais le Mecredi 26 Juillet vers le minuit il tomba dans une double tierce. On attribua cette fievre à un exercice trop violent qu'il prit tant dehors que dans le Monastere de S.Laurens trois jours avant de tenir le lit. Ce fut au septieme jour de sa fievre qu'il lui vint un abscez mortel au genou. Le trentieme jour, à l'occasion d'une medecine assez legere il eut une disenterie de plus de quarante decharges en un jour. L'hidropisie lui fit enfler tout le corps, & la goute l'extenua jusqu'aux os. Durant les 53 jours de sa maladie, il fut impossible de le remuer. Supplice insupportable à ce cOEur qui aimoit la netteté & la propreté en tout, jusqu'à la superstition. Ce vrai portrait de Job, ne donna jamais aucun signe d'impatience. Deux heures avant mourir il demanda à Dieu de pouvoir etre quitte de ses douleurs afin de pouvoir se disposer pour aller au devant de l'Epoux celeste. Il tomba ensuite dans un ravissement que persone ne prit pour une defaillance, & il en revint avec l'accomplissement de sa requete. Ce fut ensuite qu'il fit mille caresses au Crucifix de son Pere Charlequint, & à l'image de Montserrat qui etoit dans le cierge beni. Le jour de S.Dominique il se fit apporter avec pompe le bras de S.Vincent, le genou de S.Sebastien, & les Reliques de S.Aubain patron de Namur que le Pape Clement VIII lui avoit envoiées avec Indulgence Pleniere, il se les fit appliquer & il s'adressa tendrement aux Saints qui les avoient animées durant leur vie. Jamais il ne couchoit sans prendre de l'eau benite; dans sa maladie il redoubla l'usage de cette pratique salutaire. Sa chere fille Isabelle venoit lui lire de tems en tems les OEuvres spirituelles de Louis de Blois Abbé de Liessies en Hainaut. Son Confesseur Jaque Yepez & Loaysa Archeveque de Tolede le consoloient par la lecture de l'Evangile où il est fait mention du bon larron, de Madeleine, du Paralitique, & des autres chefd'euvres de la grace. Sa priere familiere etoit celle qui est couchée dans le Cimelarchium de Blosius & qui commence. Heu bone Jesu, omni tempore vitae mea & etc. à l'Archeveque de Tolede seul il donna à distribuer en OEuvres pies 20000 Ducats, à son Confesseur autant avec mille autres de rente pour la decoration de Notre-Dame de Guadaloupe. Il fonda un Couvent d'Augustins à Huesca en Arragon. Par les mains du Comte de Cinchon, il en envoia 10000 à Montserrat. Il en donna 6000 aux Jacobins de Valence, & 3000 aux Benedictins de Vailladolid. Il en assigna 6000 pour la canonization de S.Raimond. Je passe une infinité de saintes largesses qu'il fit durant sa maladie.

Avant mourir il fit la solennelle profession de foi qui se lit dans le chap. 2. livre 2. de l'Enchiridion de Blosius. Il fit une confession generale de toute sa vie le premier d'Aout, & il enjoignit à son Confesseur, par modestie, de n'en rien dire. Il ne l'acheva qu'au bout de trois jours. Il communia quatre fois durant les 53 jours de sa derniere maladie, deux fois aprés avoir reçu l'Extreme-Onction, & le jour de la Naissance de la Vierge. Le douzieme Septembre veille de sa mort son Confesseur dit la Messe en sa Chambre. Il se plaignit amoureusement de ce qu'il ne lui avoit pas donné la Communion, & il demanda au moins qu'il lui montrat le Saint Ciboire. Le 12 Aout 1598 le Roi avoit fait venir en sa Chambre Camille Cajetan Patriarche d'Alexandrie & Nonce du Pape, qui etoit venu en Espagne pour le Sacre de Garcie Loaysa Archeveque de Tolede, & il lui demanda humblement la benediction & les Indulgences Papales. Il faut remarquer que le Nonce en avoit ecrit au Pape, & que la reponse de Sa Sainteté vint avant la mort du Roi. Il reçut l'Extreme-Onction 20 jours avant mourir. Il se fit lire de son Confesseur toute la ceremonie de ce dernier Sacrement. Il se fit rogner les ongles & il lava les mains quoique celà dut rengreger les plaies que la goute lui avoit causées. S'etant confessé, il reçut ce Sacrement des mains de l'Archeveque de Tolede le premier jour de Septembre à neuf heures du soir, & il voulut que son fils Philippe III i assistat, à qui il voulut parler tout seul. J'ai voulu, mon fils, que vous assistassiez à cette Ceremonie, afin que vous vissiez où aboutissent toutes les grandeurs de la terre; je vous recommende la Religion Catholique & la justice. Et vivez si bien que vous n'aiez pas de scrupule quand vous vous trouvérez où je suis. Il lui donna ensuite par ecrit de sa propre main quantité de beaux principes pour regner chretiennement. Il donna de plus à son confesseur les derniers avis que S.Louis donna à son fils, & il lui ordonna de les lire à Philippe III dez qu'il auroit fermé les yeux. Deux jours avant sa mort il avoit dit à son fils qu'il devroit s'adresser à son Confesseur pour avoir la lecture de ce papier. Philippe III n'i manqua point le propre jour des obseques de son Pere. Je trouve bon de mettre tout au long cette derniere volonté pour faire honneur au S.Fils de la Reine Blanche & au Roi Catolique, rien n'empechant qu'un meme ruisseau ne vienne de deux sources.

A l'imitation de S.Louis Filipe II recommanda à son Fils d'aimer Dieu de toutes les forces de son ame, parceque sans celà nul homme ne doit pretendre au ciel; de craindre plus que tous les maux imaginables de lui deplaire ; d'en recevoir les adversitez comme les aiant bien meritées, & comme des instrumens de son salut; & de sentir dans la prosperité une humble & profonde reconnoissance, au lieu de s'en elever & d'emploier les dons de Dieu à lui faire la guerre. Qu'il assistat aux offices de l'Eglise, & particulierement aux Sacrifice du corps de Jesus-Christ avec le respect qu'il merite, & dans une entiere application de cOEur & d'esprit: Qu'il exposat souvent l'etat de sa consience, mais à des Confesseurs choisis, qui sussent lui montrer en toutes choses, & ce qu'il devoit faire & ce qu'il devoit eviter: & qu'enfin il fut fait de telle sorte, que non seulement ses Confesseurs, mais encore ses amis, ne hesitassent point à l'avertir, & de ce qu'il feroit mal, & de ce qu'il pourroit faire mieux. Aprez il regloit le choix de ses amis, dont il vouloit que la vertu & le desinteressement fissent le caractere; il en excluoit tout homme capable de corrompre les autres par son exemple ou par ses discours; il bannissoit de ses conversations tout ce qui pouvoit blesser le respect dû à Dieu, ou l'honneur du prochain; en un mot il le conjuroit d'aimer tout bien, & de haïr tout mal en quoi que ce fut. Il lui conseilloit d'avoir le cOEur tendre & sensible pour tous ceux qui souffriroient, & de les soulager en toutes les manieres qu'il le pourroit. Mais quand il s'agiroit de faire justice, il vouloit qu'il i fut inflexible sans varier en rien ni pour le riche ni pour le pauvre; qu'il appuiat pourtant le plus foible tant que les choses ne seroient point eclaircies; & que dans ses affaires propres il se declarat contre lui-meme jusqu'à ce que la verité parut. Car il pretend que cette verité soit l'unique regle de Filipe; qu'il n'oublie rien pour la decouvrir en tout; qu'il la fasse par là aimer à ses officiers; & que quand elle le condamnera, il ne demeure pas un moment sans i satisfaire. Qu'il eut grand soin de procurer le repos aux Ecclesiastiques, & de leur conserver ce qu'ils tenoient de ses peres, sans oublier jamais le mot de Filipe son Bisaieul, qui pressé de reprimer leurs entreprises, repondit, qu'il recevoit assez de bienfaits de Dieu, pour souffrir quelque chose de ses Ministres. Qu'il honorat sur tout parmi les gens de l'Eglise ceux par qui Dieu seroit le plus honoré & la foi plus exaltée; qu'il ne donnat les benefices que par le conseil de gens capables, & qu'à ceux qui pourroient les remplir dignement, & qui n'en auroient point encore. Qu'au reste il veillat sans cesse, à la tranquillité de ses sujets, à les faire vivre en freres, à ne les charger de subsides que dans l'extreme besoin, & pour la defense de l'Etat ; qu'il conservat inviolablement leurs franchises, & leurs privileges, s'assurant ainsi de leur cOEur, & comptant que ce seroit la richesse & la puissance de ses sujets, & sur tout des bonnes villes, qui le mettroient à couvert des entreprises etrangeres ou domestiques. Mais pour oter de grands pretextes à violer ces derniers conseils, il lui recommandoit de retrancher tout excés dans la depense de sa maison, & de n'entreprendre jamais de guerre en païs Chretien, qu'avec une serieuse deliberation & aprez avoir tout tenté pour l'eviter; auquel cas il veut qu'on s'applique à garentir les Eglises, & ceux qui n'auront de part à la guerre que par leur malheur. Enfin, il l'avertissoit de veiller sur les juges, de bannir de l'Etat toute sorte de scandale, de rendre incessamment graces à Dieu de ses bienfaits pour en meriter de nouveaux. Puis le conjurant de ne lui pas refuser le secours dont les morts ont besoin, il lui donnoit toute la benediction qu'un fils peut attendre d'un père; il lui souhaitoit la grace de ne faire jamais que ce qui seroit agreable à Dieu; & il demandoit qu'ils pussent se retrouver un jour ensemble pour le louer, & pour le benir à jamais. Voilà le Testament de Louis IX & de Filipe II.

Le Roi aiant reçu l'extreme Onction, protesta de n'avoir jamais de sa vie eté plus consolé. Vendredi onzieme Septembre Filipe III & Isabelle Claire Eugenie vinrent recevoir la benediction de leur Pere. Nous avons dit ce qu'il recommanda à son Fils. Il dit à sa chere Isabelle, ma fille, puisque Dieu ne veut pas me donner la consolation de vous voir mariée, je vous recommande de toujours vous comporter comme vous avez fait jusqu'ici, & d'avoir soin de la foi Catolique en la Belgique, puisque c'est pour celà que je vous la donne en dote. Recommandez le meme en mon nom à votre Epoux l'Archiduc Albert, du moment que vous le verrez.

Un mois avant sa mort, il envoia deux moines de l'Escurial au tombeau de son Pere, pour en prendre les mesures, & pour examiner dans quelle situation il etoit; ensuite il recommanda à Christophe de Moura Castelrodrigo, d'avoir soin de sa sepulture, tout seul sans que personne l'assistat. Je ne veux pas, dit-il, qu'on m'ouvre ou qu'on me decouvre, vous me mettrez une nouvelle camisole, pendez-moi un crucifix au cou, & puis vous me couvrirez d'un Suaire. Mettez-moi dans un cercueil de plomb bien bouché afin que je n'infecte personne. Quatre jours avant sa mort il dit au Duc d'Alve où il trouveroit son crucifix hereditaire & des cierges de Notre Dame de Montserrat, & il lui ordonna de les lui presenter en son tems. Il i avoit six ans qu'il avoit preparé ces cierges benis pour les tenir en mourant. Il recommanda à son Fils de se servir de ce meme crucifix qui venoit de Charlequint. Le Duc d'Alve lui presenta un des cierges benis le jour de sa mort à minuit. Il n'est pas encore tems, dit le Roi. Il l'accepta à trois, en levant les yeux au ciel & en disant; il est presentement tems. A la derniere heure, il protesta qu'il vouloit mourir en fidelle enfant de l'Eglise Catolique & en Fils respectueux du S.Siege Apostolique & Romain. Il se fit lire la Passion de Notre Seigneur ecrite par S.Jean. Jean Gomez de Sanabria le pria de reposer. Le Roi repondit qu'il n'en etoit pas tems. Voici ses dernieres paroles: je meurs dans la foi Catolique, & dans l'obeissance de l'Eglise. Romaine. Aprez un soupir où deux, il expira comme un enfant, le Dimanche 13 Septembre 1598 à cinc heures du matin à la pointe du jour, agé de 72 ans dont il en avoit regné 42 & neuf mois depuis l'abdication de son Pere Charlequint, Filipe III n'etant agé que de 20 ans. Il avoit ordonné une infinité de Messes de la S.Croix & de Notre Dame. Il eut le bonheur de mourir la veille de l'exaltation de la S.Croix, & dans l'octave de la naissance de la Vierge. Clement VIII dit en plein Consistoire que l'Eglise ne pouvoit faire de plus grande perte qu'à la mort de ce Prince. Il mourut à la meme heure que les enfans du Seminaire de l'Escurial chantoient la Messe de l'aurore qu'il avoit fondée pour obtenir une bonne mort, & bientot le Paradis, aprez sa mort. Le lendemain 14 Septembre, on fit ses obseques, ainsi qu'il l'avoit ordonné. Aprez la Messe, Filipe III & la Cour conduisirent le corps au tombeau qui etoit auprez de celui de la Reine Anne sa derniere Epouse au pié de l'Autel. L'Archeveque de Tolede officia, mais avec larmes. Le Pere Antoine de Leon Predicateur de S.Laurens de l'Escurial, fit l'Oraison funebre. Le Docteur Terronés Predicateur du Roi, fit celle des obseques magnifiques, que le Roi fit faire à Madrit le Mecredi 26 Septembre.

Je me felicite d'avoir recouvré les circonstances inouies, pour la pluspart, de la mort de ce grand Roi, d'un ecrit autentique que l'Archeveque de Tolede donna ordre de dresser immediatement aprez, savoir le 20 Septembre, au Licentié Cervera de la Tour, Chapelain du Roi, de l'Ordre de Calatrave, qui a eté le temoin auriculaire & oculaire de ce qu'il raconte & de ce que j'ai copié de son Espagnol.

L'Archiduc Albert n'etoit qu'à Nurembergh, quand un Courier lui apporta la triste nouvelle de la mort de ce Beaupere qu'il aimoit aussi tendrement que son propre Pere.

Tandis qu'il essuie ses larmes, & qu'il continue son voiage, retournons en la Belgique pour voir ce que les Hollandois i font. Le 16 Septembre, c'est à dire deux jours aprez la mort du Roi, les Hollandois essaierent de rompre un grand convoi qui venoit de Gueldre à l'armée Espagnole, & dans ce dessein, ils avoient deja passé la riviere de Walhal, pour l'attaquer entre Venlo & Orsoi, mais l'adresse des Espagnols, leur fit manquer cette occasion. Les Espagnols pour donner le change à leur ennemi, lui enleverent un navire le 20 Septembre, par le stratageme de quelques matelots de Bommel & de Tiel, qui s'etoient venus rendre à eux.

Ces matelots gagnez, laisserent couler leur barque à Val-eau, & ils ne laisserent qu'un homme au gouvernail. Les Holandois prennant celà pour une nonchalance veritable, ne s'en donnerent pas de garde. La barque Espagnole heurta contre la proue de la galere Holandoise, qui faisoit la priere avant le dejeuné. Les Espagnols, qui i etoient cachez, se jetterent sur leurs ennemis, qui ne s'attendoient à rien moins. Les Hollandois furent tous tuez ou blessez à la reserve du Capitaine Simon Janson d'Eedam qui se sauva lui onzieme à la faveur de sa chaloupe. Ainsi l'Espagnol demeura le maitre de cette galere sur le Rhin visavis de la ville de Rées; en aiant dechargé l'equipage, ils la brulerent.

C'est par là que Mendoçe s'inicioit à une conquete plus importante. Il vint mettre le siege devant la forte Ville de Rhinberg, & il i avoit grande apparence qu'elle alloit lui couter beaucoup de sang, si le feu qui se prit au magasin, ne lui en eut epargné la peine; Alfonse Davalos s'en rendit maitre le 15 Octobre, & il fit beaucoup de courtoisie à la garnison Holandoise, pour reconnoitre celle qu'il avoit reçue du Prince Maurice en la Betuve. L'amiral conquit quantité d'autres places, mais la Hollande se dedommagea par la prise du Fort S.André. Le Cardinal André d'Autriche lui avoit donné son nom: parcequ'il l'avoit construit durant son administration, & tandis que notre Archiduc etoit dans ses voiages. Il etoit assis dans un lieu avantageux de l'ile de Bommel au village de Rossem. Ce fort fut surnommé la Clef & la Lunette de la Hollande, parcequ'en effet, par là on entroit dans le cOEur des Provinces Unies, & parceque les Belges fidelles i etoient, comme sur un observatoire, pour decouvrir tout ce qui se passoit parmi leurs voisins. Le Prince Maurice qui n'aimoit pas qu'aucun autre que lui eut entre les mains les clefs de la Hollande, & qui regardoit cette lunette d'approche comme une espionne incommode, trouva des traitres marchands qui lui vendirent le Fort de S.André au prix de cent & vingt cinc mille francs. Il prit possession de son emplette le onzieme jour de Mai de l'an 1600. La pluspart des Vendeurs se retirerent dans Ostende qui tenoit alors pour les Hollandois, & qui etoit un azile assuré pour des gens craintifs à qui un rampart ordinaire ne suffit pas.

Les Hollandois & les François temoignerent une joie excessive de cette lache conquete achetée à beaux deniers contans, mais cette joie fut rabatue par une avanture qui merite d'etre à la tete du siecle seizieme surnommé avec justice le siecle prodigieux. Ce fut un duel pareil à celui des trois Horace Romains contre trois Curiace Albanois qui rendit memorable le regne de Tullus Hostilius.

Il se donna le cinquieme Fevrier mil six cent entre la ville du Mont-S.Gertrude, & celle de Boisleduc. Gertruydenbergh d'où sortirent les champions François-Hollandois, est sur la rive gauche de la riviere de Merwe, à trois lieues de Dort & de Breda. Elle est batie en forme de Croissant, & elle est fortifiée regulierement vers les frontieres du Brabant. Elle tire son nom de Gertrude Fille de Pepin Maire du Palais de France, ou de S.Gertrude qui vivoit à Delft au siecle quatorzieme. Ce domaine du Prince d'Orange Roi d'Angleterre est renommé par la pesche des Saumons, des Esturgeons & des Aloses. Les Hollandois la surprirent en 1573. Boisleduc, d'où sortirent les champions Belges-Archiducaux, est une ville de Brabant avec Eveché suffragant de Malines, sur le Domele, qui y reçoit l'Aade, & la Diese, & qui à deux lieues de là, se jette dans la Meuse, dans l'endroit où elle forme l'ile de Bommel. Godefroi Duc de Brabant, d'un bois où il se plaisoit à la chasse, en fit une Ville l'an 1184 comme cette Cronique le marque: Godefridus Dux è silva fecit oppidum. La Catedrale avec sa belle horloge est dediée à S.Jean. Le Comte de Hohenlo pensant surprendre Boisleduc en 1585, i fut lui-meme honteusement surpris. Frideric Henri Prince d'Orange la prit en 1629. Pierre Borri decrit ce siege. Le Pape Paul IV i fonda un Eveché l'an 1559. François Sonnius en fut le premier Prelat. Les Hollandois en aiant banni la Religion Catolique, les Eveques se tinrent à Goldorp. Le Pape i cree des Vicaires Generaux qui administrent cette Eglise. C'est de ce Vicariat que Monseigneur Basseri Brusselois est monté dignement sur le trone Episcopal de Bruge; Monsieur Steyart Docteur de Louvain lui a succedé, & les fideles aux Papes souhaitent qu'il n'en demeure pas là.

Le champ de bataille qui fut choisi du commun consentement des champions est une plaine qui regne entre Boisleduc & le Mont-S.Gertrude. Le sujet de la querelle furent les gasconades & les insultes insolentes que les Hollandois-François faisoient aux Belges fideles que le malheur de la guerre retenoit prisoniers au Mont-S.Gertrude. Le plus insolent de tous etoit un Capitaine Normand nommé Briauté qui servoit la Hollande, & qui etoit de garnison au Mont-S.Gertrude en qualité de Capitaine de Cavalerie. Bien loin de consoler & d'honnorer ses prisonniers comme font les honnetes Vainqueurs, il leur reprochoit incessamment qu'ils n'etoient que des laches & que des coquins. La contumelie regardoit sur tout le Comte de Grobendonc qui etoit Gouverneur de Boisleduc Ancestre du digne Eveque de Namur & de Gand & du Comte de Grobendonc d'aujourd'hui, qui fait beaucoup d'honneur à ses Aieulx par sa pieté, par sa modestie, par sa fidelité, par sa prudence, & par sa bravoure. Cependant comme les grandes ames meprisent les fanfarons, il se mit fort peu en peine des gasconades de Briauté; son Lieutenant i fut plus sensible. C'etoit un de ces martiaux enfans de Boisleduc, qui, à ce qu'on dit, naissent tous soldats. Il se nommoit Gerard Abraham famille connue à Boisleduc, mais son nom de guerre etoit celui de Friand Morceau ou Lekerbetjen. Il s'etoit signalé en 1589 pour faire rentrer le Mont S.Gertrude sous la domination Catholique; & il avoit un frere nommé Antoine qui ne lui cedoit pas en bravoure. Gerard fit entendre à Briauté qu'il avoit grand tort de traitter les gens du Roi de laches coquins, & qu'il ne tiendroit qu'à lui de peser la pesanteur de leurs bras. Le Gentilhomme Normand qui ne manquoit pas de courage ni de hardiesse, lui fit repondre qu'il admettoit l'eclaircissement. On convint de part & d'autre du champ de bataille & du nombre des champions. Pour faire les choses dans les formes, Briauté alla prier humblement Maurice Prince d'Orange d'approuver ce combat, Maurice qui connoissoit la boutade Françoise, & la valeur des Belges fidelles, n'i voulut point entendre au commencement; mais enfin flechi par les importunitez de Briauté, qui malgré ses Chefs, couroit à son malheur, il i conniva. Je crois qu'il en arriva de meme à l'egard du Lieutenant du Comte de Grobendonc. Quoiqu'il en soit, il fut determiné qu'on se battroit dixneuf contre dixneuf. Briauté fit croire au Seigneur de Wingaerde son Gouverneur du Mont S.Gertrude qu'il avoit le consentement du Prince Maurice, & qu'au cas qu'il demeurat au champ de bataille, il lui legueoit ses armes qui etoient dignes d'un Roi. Il sortit du Mont-S.Gertrude le 5 Fevrier à la tete de dixneuf Cavaliers presque tous François qui portoient le plumet blanc au haut de leur morion, pour faire voir qu'ils alloient soutenir l'honneur de la France. Quoique le mi-chemin entre le Mont S.Gertrude & Boisleduc fut designé pour etre le champ de bataille, l'ardeur martiale neanmoins emporta plus avant Briauté, qui s'avança jusqu'à une demie lieue de Boisleduc. Ce fut là qu'il rencontra le Lieutenant de Grobendonc à la tete de dixneuf Belges, qui par leur pannache rouge marquoient qu'ils alloient defendre la gloire Espagnole. Aussitot chacun se rangea en ordonnance de bataille. Dez que les trompettes eurent donné le signal du combat, Briauté courut avec furie sur le Lieutenant de Grobendonc, & il le tua d'un coup de pistolet qu'il lui tira dans la visiere. Au meme instant le frere de ce Lieutenant nommé Antoine qui s'etoit fait de la partie, & trois autres Belges tomberent roides morts. La chute de ces deux illustres Brabansons deconcerta un peu les Belges fideles, mais enfin, à la façon des Elefans que la pourpre rend plus furieux, ils se jetterent sur les François avec tant d'impétuosité qu'ils les defirent entierement à la reserve de Briauté, d'un autre Gentilhomme Normand qui lui etoit parent, & de deux François qu'ils firent prisonniers, & qu'ils conduisirent en triomphe vers Boisleduc.

Le grand cOEur de Briauté n'apprehendoit rien tant que de servir de trophée dans une Ville & devant une garnison qu'il avoit si insolemment meprisée. On lui epargna cette confusion, & on lui brula la tete avant qu'il mit le pié dans la Ville.
Ce fut ainsi que le laurier couronna la tete des Belges fidelles, & que les François aprirent à moderer leurs fanfaronades. La Ville de Boisleduc pour honorer ses vaillants citoiens fit eriger un monument à Gerard un monument à Gerard & à Antoine Abraham au jubé de l'Eglise des Dominicains de Boisleduc.

La Belgique triompha quelque tems au sujet de l'avantage de sa nation, mais le Prince Maurice detrempa ses allegresses, en se servant fort à propos de la mutinerie des soldats Belges qui se plaignoient de la paie. Maurice, pour pescher en eau trouble, fit passer devant la ville de Dort deux cens & quatre vingt voiles. Ce beau spectacle recrea les yeux de cette Ville un jour tout entier; mais ce ne fut qu'une ostentation: car ces forces navales se rendirent soudain en Zelande dans l'Ile de Valkeren audessus du chateau de Rameken, ou Zeeburch, qui leur etoit assigné pour leur Rendezvous general, & où elles devoient attendre un vent favorable. Elles firent voile le 22 Juin 1600 & elles vinrent mouiller à Biervliet. prez du Sas-de Gand qui est l'Ecluse qui mene de Gand à la mer.

Le Prince Maurice fit prendre les devans à son Cousin le Prince Ernest de Nassau, qui se rendit maitre du Fort de Filipe. Il en partit le 23, & il prit aussi aisément celui d'Asnede.

Le 24, l'armée Holandoise vint loger au bourg d'Ercloo; ils le brulerent ensuite: on dit que ce fut pour vanger la mort de quelques soldats Hollandois qu'on trouva pendus tout bottez & eperonez. Le meme jour le Prince Maurice arriva à Male, fameux par le Comte Louis de Flandre qui en prit le surnom. C'est un Village a une lieu de Bruges. Le meme jour les quarante navires, qu'on avoit laissez à Rameken, en attendant le vent, l'eurent favorable, & ils se mirent à la voile vers Ostende, qui tenoit encore pour les Holandois; mais les Espagnols etant sortis de l'Ecluse, en attraperent vingt. La bravoure du Capitaine Blankart est bien memorable. Il n'avoit que 50 hommes dans son bord, & neamoins il fit des miracles, en aiant perdu 22, & le reste etant blessé, hormis 8, jamais il ne voulut se rendre, quoique son vaisseau fut tout percé, il eut le courage de le ramener à Flessingue, où il mourut de ses blessures, quelques jours aprez.

L'Espagne fit par cette prise un tresgrand butin: car elle eut les bagages du Comte Ernest de Nassau, du Baron de Sedenischi Sergeant Major du Prince Maurice, de Robert Cidnei Gouverneur de Flessingue, du Capitaine Bernard du Bois, du Docteur Straban, Medecin du Prince, & de ses deux Chirurgiens; & elle s'enrichit d'une infinité de municions de bouche que les Vivandiers avoient chargées.

Cependant le Prince Maurice vint le 26 Juin à Jabeque, & il passa à la vue de Bruges, qui le salua de quelques volées de canon, qui ne firent aucun mal. Son armée observa bonne dicipline, mais elle souffrit beaucoup. Aiant vainement solicité la fidelité des Brugeois & des Gantois, il envoia de ses gens pour s'emparer des Forts, Albert, Isabelle & Grotendorst ; pour rendre libre le passage d'Ostende à Neuport, qu'il avoit envi d'assieger.

Le 28 Juin, Duivenvorde Amiral de Holande, etant parti de la rade de Rameken avec 10 navires de guerre, & avec 150 batteaux communs, brava ceux de l'Ecluse, qui etant venus les attaquer, furent relancez avec perte. Un de leurs batimens manqua de couler à fond. Je ne puis omettre ce qui arriva a un forçat Turc en ce demelé. Ce galerien etant à la rame, eut sa cadene emportée d'un coup de canon, de maniere qu'il ne lui resta aux jambes que ses jartieres & un bout de sa chaine. Comme le boulet ne lui avoit fait aucun mal, il se jetta dans la mer, pour gagner sa liberté à la nage. Les Holandois ne sachant pas qui il fut, lui dechargerent quelques arquebusades, mais le Galerien s'etant fait connoitre, on cessa de tirer; il fut reçu dans un navire, & on lui fit un bon traitement comme etant un objet fort extraordinaire de la divine Providence.

Le meme jour 28 Juin, le Prince Maurice passa avec le gros de son Armée audessous des Forts Isabelle & Grotendorst, il gagna un pont qui regne entre ces Forts & la ville de Neuport, & il alla camper prez des Dunes. Le premier Juillet, aiant passé le Havre de Neuport, il campa du coté de Dunkerke, tandis que le Prince Ernest de Nassau etoit campé du coté d'Ostende.

L'Archiduc ne fit pas moins de diligence de son coté, contre toute apparence, & au grand etonnement des Holandois, il calma les esprits des soldats qui se soulevoient en Flandre, & il se mit aux champs à la tete de douze mille hommes de pié, & de mille & cinc cens chevaux. Il tint sa placed'armes prez de Gand.

Ce fut un spectacle ravissant que de voir l'Infante Isabelle, comme une autre Agripine, tenir compagnie à son cher Germanic, parmi les tambours, les fifres & les fanfares. Cette Amazone montée sur une haquenée blanche, toute brillante de pierreries, encore plus de sa bonne mine, traversoit les bataillons & les escadrons; elle passoit de rang en rang, & elle leur remontroit eloquemment qu'ils alloient combatre pour la foi, & pour leur patrie. On ne peut pas exprimer l'alegresse & le desir de combatre que cette heroïne inspira aux gens de guerre. L'Archiduc content de ce qu'elle leur avoit laissé son esprit marcial, la renvoia à Gand. Il marcha lui-meme à la tete de son armée le premier jour de Juillet. Dans l'abord, il força les forteresses d'Oudenbourg & de Snaeskerke qui pouvoient lui faire obstacle, pour aborder l'ennemi.

Le Colonel Prion, qui venoit de rendre Oudenbourg, arrivant à Ostende, surprit bien le Prince Maurice quand il lui dit, que l'Archiduc etoit en personne, & qu'il lui montra la capitulacion signée, Albert. Le Prince Ernest de Nassau essaia d'arreter l'Archiduc au pont de Leffingue qui regne entre les Forts d'Isabelle & de Grotendorst, & Neuport; mais il fut fort maltraité: il laissa prez de mille morts sur le champ de bataille, & deux pieces de canon. Les plus notables qui i demeurerent furent, les Capitaines Ecossois, Artus Steuwart, Robert Barclai, André Murrai, Jean Kilparic, Jean Michel, Jean Strachen, & Hugue Niesbet; du coté des Holandois perirent, les Capitaines, Turquau, la Grappe, Valdraven, & Ghistel. Le Comte Ernest de Nassau & le Colonel Emond se sauverent au fort d'Albert. On les poursuivit l'epée aux reins jusques dans la palissade, où l'on massacra ce qui etoit resté de la deffaite du pont de Leffingue. Cette bataille donna le tems au Prince Maurice de decamper & de venir du coté de l'Archiduc, qui animé de sa victoire, marcha droit à l'ennemi, à la tete de son armée, le long de la mer.

Il avoit 8 pieces de campagne, 9 compagnies de lances, 5 cornetes d'Arquebusiers à cheval, 5 de Cuirassiers, 600 chevaux Espagnols & Italiens de ceux qui s'etoient mutinez à Diest faute de paie, 3 Regimens d'infanterie Espagnole, 2 d'Italiens, 5 de Valons, 2 de Bourguignons, 4 d'Alemans, & quelques compagnies du Regiment du Comte Frederic de Bergh. Le Prince Maurice rangea son armée en cette ordonnance. Louis Frere du Comte Ernest de Nassau eut l'avangarde. Elle renfermoit sa compagnie de Cavalerie, les Cuirassiers du Prince Maurice commandez par Gend Fils du Seigneur d'Oien, la compagnie du Comte Henri Frederic de Nassau frere du Prince Maurice, conduite par le Capitaine Bernard, & celle de Godart de Bertenborch, au premier escadron de l'aile droite. A l'aile gauche, le second escadron etoit conduit par les deux Freres Bacx, par la Sale, par Pierre Panier. A la tete du premier bataillon etoit la compagnie des Gardes du Prince Maurice commandée par Vander Aa, & celle du Comte de Hoohenlo commandée par Spitdorst & le Regiment Anglois du Chevalier Veer; au second bataillon etoit le Colonel Horace Veer frere du Chevalier François Veer avec son Regiment, & avec les compagnies de Soutton, de Knoullis, de Pirton, de Cicil, de Morgan, de Meerkerke, de Schor, de Vavasseur, d'Harteviscon, & de Dexberi. Au 3 bataillon commandoit Hottinga, avec les compagnies de Sidenischi, d'Hage, de Gronstein, d'Ofstiera, de Vries, de Zageman, de Blauw, de Groenestein, de Kief, de Hrening, de Hostein, d'Assuite, de Schau le Jeune, d'Arnsma, & de Riperda. Ces 3 bataillons d'Infanterie se montoient à 4 compagnies. Ils etoient epaulez des deux escadrons de Cavalerie, & ils composoient l'avangarde. Le Comte George Everard de Solms menoit la bataille avec sa compagnie, & celles de Frederic de Solms, de Veric Clout, & de Bacx, qui formoient l'aile droite; l'aile gauche etoit composée des compagnies de van Balen, du Lieutenant de Veer, de Marquette, de Du Tout, de Sanci, de Marli, de Marechal, de Lalou, de Nemmeri, de Durant, de Nouvelle, qui etoit transfuge du Fort S.André. Au 2 bataillon furent les Suisses de Balichon, d'Undevalden, de Meyer, de Du Puis; & les François, de la Noue, de Domerville, des 2 du Sault, de la Roque, de Marescoti, de Hamelet, de Brusse, de le Fort, de Formentiere de Verneuil, & de Pontaubert. Ces 4 bataillons portoient 25 compagnies d'Infanterie, & 2 escadrons de Cavallerie. Au milieu de cette bataille se trouvoit le Prince Maurice avec son frere Henri Frederic agé de 17 ans. L'arieregarde fut commandée par Timpel-Corbeke, où se trouvoient les Capitaines Du Bois, Hamilton, & Conteler; il y avoit pareillement 3 bataillons d'Infanterie. Le Comte de Hoohenloo etoit demeuré en Gueldre avec 24 companies d'Infanterie, & avec 6 de Cavalerie, pour empecher que l'Espagne n'agit de ce coté-là, ou vers l'ile de Bommel.

Les armées etant pretes à se choquer, le Ministre Vitenbogard fit la priere à la gueuse, dans la Chambre du Conseil d'Etat des Holandois.

Le Conseil de l'Archiduc etoit qu'il ne falloit pas donner bataille, mais qu'il falloit affamer les Holandois entre Neuport & le Fort Albert. Mais Albert etoit trop leurré de son premier avantage au pont de Leffingue, pour ecouter ce bon avis de ses Conseillers, & il auroit cru faire tort à sa reputacion que de ne pas poursuivre sa victoire.

Les Capitaines Du Mortier & de Frenel raporterent au Prince Maurice que l'Armée Archiducale etoit sous la portée des 6 pieces de campagne qu'ils avoient avancées. Maurice representa à ses soldats ou qu'il falloit qu'ils bussent toute l'eau de la mer, qu'ils avoient devant les yeux, ou qu'ils remportassent la victoire. Cette remontrance desesperée fit un grand effet. Aprez celà Maurice fit sa priere à la Huguenotte, & sur les deux heures aprez midi, il marcha vers l'ennemi avec la derniere des resolucions.

L'Artillerie Archiducale fit un grand eclaircissement dans l'escadron des Anglois ; mais l'artillerie Holandoise n'en fit pas un moindre dans la Cavalerie Archiducale. Cette artillerie & celle du Viceamiral de Holande, qui voltigeoit à la rade, incomoderent fort l'Archiduc, & elles l'obligerent à gagner les Dunes. On s'i batit lontems douteusement, & à peu prez comme l'on fit depuis à la bataille de Senef; la hauteur des Dunes derobant la gloire aux braves qui ne pouvoient avoir ni la vue ni la communicacion les uns des autres.

Cependant la marée reprit ses accroissemens. Quelques Frizons voiant plier la Cavalerie Holandoise, prirent la fuite, & ils se noierent; mais le combat fut retabli par les Chevaliers de Veer, à la tete des Anglois & par le Seigneur de Domerville à la tete des François; & sur tout deux pieces de demis canons etant adroitement pointées sur les plus hautes des Dunes, mirent en desordre l'Infanterie Archiducale. Les mutins de Diest voulant reparer leur faute, firent des miracles en cette journée. Tant il est qu'une faute passée donne souvent aux grands cOEurs une occasion de faire ce qu'ils n'auroient pas fait, s'ils ne fussent pas tombez.

Albert i perdit 3000 hommes & 700 prisonniers, Le principal fut l'Amiral d'Aragon, qui fut conduit à Ostende. Les Holandois en perdirent tout autant, si l'on conte la defaite du Comte Ernest de Nassau. Les principaux des Holandois furent trois Capitaines de Cavalerie, & 20 d'Infanterie. Les morts du coté de l'Archiduc furent, Saume, Montelimar, de la Fere, Pimereul, Ottigni, Sapena, Torrés, Loiaza, Spinola, Pardo, Toledo, Capata, Carcano, Faccardo, Velasco, Doteloa, Verdugo, Boutteville, Casanova, Almés. Les prisonniers furent Mendoçe, Villeneuve, Ricquel, Spinosa, Montenegro, de la Tour-Tassis, Velasco, Lensina, Rezi, Gusman, Mortier, & Montemajor. Les Holandois prirent 106 drapeaux, & 5 cornettes. Maurice coucha sur le champ de bataille.

J'ai decris la bataille, aprez les Gueux, pour eviter toute ombre de parcialité. Si j'avois voulu la decrire aprez les Catoliques, elle auroit eu une toute autre face. Tout ce qu'on peut dire, est que Maurice fut vainqueur sans le savoir, & qu'il fut lui-meme en danger de perir. Ce qui fut assez marqué par l'anagramme que lui firent les Holandois, quand ils aprirent qu'il n'etoit pas demeuré dans les Dunes, Mauritius. Mars vivit. La foiblesse de sa victoire parut en ce qu'il ne la poursuivit pas, & que bien loin de prendre Neuport, il en leva honteusement le siege, quoiqu'il fut revenu dans ses lignes cinc jours aprez la bataille.

Si l'Archiduc perdit l'honneur du champ de bataille, il gagna celui de ses desseins, qui etoit de faire lever le siege à son ennemi. On doit la gloire au Colonel la Berlot d'avoir infiniment contribué à rompre les vains efforts des Holandois, en renforsant les defences de la ville de Neuport; on n'en doit pas moins aux braves defenseurs de la Ville, qui le 12 & le 13 du mois de Juillet, firent deux sorties qui decontenancerent les Assiegeans.

Ceux qui ne sont pas flateurs, doutent, si la journée de Neuport fut plus glorieuse à Maurice qu'à Albert: & il est sur qu'Albert i remplit tous les devoirs d'un grand soldat, & d'un invincible Capitaine. A la façon de Germanique, il i combatit à visage decouvert sans habiller le casque. Il se mela tellement parmi les ennemis, qu'il i reçut un coup de pique, qui lui effleuroit le visage & l'oreille. S'il se retira à Bruge avec le reste de ses troupes, ce ne fut que pour aquiescer aux instances de ses gens, qui l'en conjurerent unanimement.

Maurice contribua beaucoup du cOEur & de la main à sa victoire; mais il dut ses plus beaux lauriers au vent & au soleil, qu'il eut soin d'avoir à dos, & de tourner aux yeux de son ennemi. Enfin la bataille de Neuport ressembla à celle de Cadmée, où les vainqueurs & les victorieux eurent à se plaindre.

La principale perte que l'Archiduc fit, fut celle du Colonel Claude de la Berlot, qui aiant conduit mille hommes de secours dans Neuport, & en defendant valeureusement le Fort Isabelle, mourut au lieu d'honneur, & eut la consolacion d'empecher que les Holandois ne profitassent du prix de leur victoire.

Tandis que Maurice plioit bagage devant le Fort Isabelle, la Berlot fut tué d'une mousquetade à la tete pour etre sorti de ses retranchemens. La Berlot qui avoit apporté la bravoure en naissant, la Berlot Bellator, devoit sa fortune à sa valeur & à son bonheur qui l'accompagnerent par tout ; sa mort glorieuse arriva le 25 jour du mois de Juillet de l'an 1600.

Le Viceadmiral de l'Archiduc sacrifia aux manes de ses gens, qui avoient glorieusement peris à Neuport, 16 navires Holandois, qu'il coula à fond avec tout l'equipage, à la hauteur de Dunkerke. Mais la vangeance capitale fut la prise d'Ostende, de cette nouvelle Troie, dont nous donnerons une simple idée pour les esprits, qui vont vite, pour en donner une plus ample à ceux qui ne se contentent pas d'une superficie.

Ostende est un fameux Port de Mer en Flandre, eloigné 4 lieues de Bruges, & 3 de Neuport. Ce n'etoit au commencement qu'une retraite de pescheurs. Les Holandois en firent une Ville imprenable; c'est ainsi que Venise, avant Attila n'etoit qu'une Ile bien etroite. Ostende est environnée de deux canaux profons dans lesquels les plus gros vaisseaux entrent par le moien du flux & du reflux de la mer. Il i a 8 Boulvarts, un large fossé, & divers Bastions. La mer la lave d'un coté, & la marée de l'autre.

Le 5 Juillet de l'an 1601, le Comte Frederic de Bergh, & Augustin de Mexia Gouverneur d'Anvers s'aprocherent du coté des Dunes à l'Occident, avec 10 compagnies d'Infanterie. Le canon les fit bientot reculer. Charle vander Noot i commandoit avec une garnison de 21 compagnies. Le 15 du meme mois le Chevalier François de Veer i conduisit 4000 de sa nacion Angloise, ce qui faisoit une garnison de 7000 combatans. Les Assiegeans se signalerent par forcer un ouvrage avancé, & par i massacrer 50 hommes, & le Capitaine qui les commandoit. L'Archiduc pour fermer le Port, i fit flotter une espece de Saucisses, qui avoient 20 piez de longueur; le vieux Port etant fermé, les Assiegeans donnerent du coté de la mer. Mais le 15 d'Aout cette machine fut rendue inutile.

Le General Catriz tourna l'ataque au couchant, mais il i fut bientot tué d'une mousquetade, & il i laissa un bon nombre de ses gens. Quatre mois se passerent en prises & reprises, & en escarmouches, où la fortune favorisoit tantot l'un, tantot l'autre des partis. Ni l'autonne ni l'hiver ne debaucherent l'Archiduc, & aprez avoir fait lever le siege de Boileduc au Prince Maurice, il revint au siege d'Ostende avec plus d'ardeur que jamais. Les fatigues, & les maladies avoient emportez plus de 5000 de la garnison. Albert fit attaquer la vieille Ville. Le Chevalier de Veer se defiant de la foiblesse des siens demande une treve comme pour capituler. Il propose des conditions insolentes, & tandis qu'il gagne du tems par ses chicaneries, cinc Vaisseaux Zelandois chargez d'hommes & d'argent, entrent secretement dans le port d'Ostende. De Veer aiant vu ce renfort dit froidement aux otages de l'Archiduc, que la necessité l'avoit obligé à parlamenter, mais que se voiant hors de danger, ils n'avoient qu'à s'en retourner à leur camp.

L'Archiduc indigné de cette fourberie fit breche à la vieille Ville avec 18 pieces de batterie, & le 9 Janvier 1602, il fit donner l'assaut, sur le crepuscule du soir au tems de la marée. Les Assiegez tirerent à cartouches, & ils firent de grans eclaircissements parmi les Assaillants, qui sans se soucier de la mort de leurs compagnons, se firent une echelle de leurs propres corps, gagnerent la breche, & s'i logerent intrepidemment. Le combat i fut fort echauffé l'espace de deux heures. Enfin les eaux le refroidirent : car les Assiegeans aiant laché deux de leurs excluses, firent perir ou retirer les Assaillans, qui dans cette chaude & froide occasion perdirent 800 des leurs. Le plus grand des malheurs fut un nouveau secours de Zelande qui entra encore impunément au port d'Ostende.

Tout le monde conseilloit de lever le siege, il n'i eut que la fermeté de l'Archiduc qui s'opposa à ce torrent. Il fit batir deux moles, de l'un il empechoit que les secours n'entrassent au port, de l'autre du coté, de la marée, il batoit la Ville qui en etoit extremement decouverte & infestée. Mais tout celà n'empecha point qu'il ne vint de tems en tems de nouveaux secours aux Assiegez.

L'Archiduc n'eut pas seulement à combatre contre un ennemi interieur, mais encore contre un ennemi exterieur. Le Prince Maurice assiegea Grave & Vactendonc, Hoogstraten, & Boileduc; ses soldats se mutinerent, & ils se jetterent sur le païs de Liege, lieu commun des mecontens. Rien de tout celà n'ebranla l'esprit d'Albert, il continua le siege d'Ostende avec une nouvelle ardeur.

Comme ce n'etoit qu'une allée & qu'une venue des flotes Angloises & Holandoises, qui entroient impunément au Port d'Ostende, & qui rafrechissoient les defenseurs en toutes sortes de manieres, Albert voulut efficacement remedier à cet inconvenient, bien persuadé que sa peine seroit inutile, aussi lontems que ce passage ne seroit pas fermé aux Assiegez. Dans ce dessein il mit à la voile la flotte, sur la fin de Mai. Elle consistoit en mille & cinq cens hommes choisis montez sur huit galeres; & elle etoit commandée par Frederic Spinola insigne Amiral. Spinola etant sorti de l'Ecluse, à la pointe du jour rencontra cinc Vaisseaux Holandois, qu'il ataqua avec beaucoup de furie. Le combat fut attaché, & acharné lontems avec une extreme effusion de sang de part & d'autre.

L'Amiral Spinola qui etoit des plus ardans au combat, demeura dans la melée, d'un coup d'epée qui lui fut porté aux flancs, & d'un boulet de canon qui lui emporta le bras droit. Les Italiens qui etoient la pluspart de ces braves, voiant leur Amiral mort, & craignant raisonnablement que les Holandois ne reçussent du renfort de la Zelande, se retirerent au port de l'Ecluse, aprez avoir perdu 300 des leurs.

Dieu envoia à l'Archiduc, un second bras droit dans la personne d'Ambroise Spinola, Marquis de Vanafre. Ce General bien penetré que le point de toute l'affaire consistoit à empecher les secours etrangers, fit monter & affermir jusqu'à 20 coudées le Mole qui avoit eté commencé pour empecher l'abord des navires. Cette machine n'avoit pu empecher qu'il n'entrat de tems en tems du secours dans la Ville, non seulement de nuit, mais encore en plein jour. Cependant cette lunette etoit extremement incommode aux Assiegez, c'est pourquoi ils firent resolucion de s'en defaire à quelque prix que ce fut. Ils l'ataquerent avec beaucoup de courage, & dans la premiere ardeur ils en taillerent en pieces 400; le reste aiant pris la fuite, les Holandois se logerent dans la hauteur. Mais le Marquis Spinola ne les i laissa guere; il ataqua furieusement les Holandois, qui de leur coté combatirent fort genereusement. La victoire aiant lontems balancé, s'inclina enfin du coté de l'Archiduc; & ceux qui s'etoient emparez du Mole, & ceux qu'on avoit de tems en tems envoiez à leur secours, i demeurerent tous. Le nombre des morts i fut si effroiable, que sans exageracion, il s'en fit un mole nouveau, & que la mer inondée d'un petit deluge de sang porta bien avant cette couleur sanglante. Ce fut ce coup de massue qui ralentit la vigueur des Holandois, & qui leur fit perdre tout l'envi de retourner au Mole. Le Marquis Spinola fit dresser un nouveau Mole de la largeur de 60 piez, & haut à proporcion. De là, il decouvroit les habitans jusqu'aux piez; de maniere que persone ne paroissoit impunément en public. Les Assiegez obstinez à se defendre, se defendirent en taupes, & ils se creuserent des antres pour se mettre à couvert de la foudre, qui partoit incessamment de cette nouvelle batterie. De plus, ils pratiquerent une galerie à la faveur de laquelle, ils se creuserent trois doubles de fossez, que l'ennemi devoit franchir, avant que de venir à eux. Ils brulerent le Mole à force de bombes; mais la diligence des Assiegeans le retablit bientot.

Le Prince Maurice crut de ralentir le feu des Assiegeans par une diversion sur Casanda, sur Isendique, & meme sur l'Ecluse, mais il vid qu'il ne faisoit par là que l'attiser. Ce n'etoit pas assez que de detruire les Assiegeans qui paroissoient, il falloit enfin s'approcher des rampars pour les forcer dans leurs cachots, & ces approches etoient impossibles aussi lontems qu'on ne trouvéroit pas le moien de se mettre à l'abri de la marée. Le Marquis Spinola, qui avoit la tete aussi bonne que la main, trouva ce moien par un pont qu'il fit construire. Les Assiegez virent aussitot que cette machine leur alloit etre fatale; c'est pourquoi, ils n'omirent rien pour incommoder les travailleurs. Nonobstant leur mousqueterie continuelle, l'ouvrage fut achevé, & les Assiegeans, par ce pont, s'approcherent impunément des rampars, au tems meme de la marée. On creusa des mines, on les fit jouer, l'on fit sauter de grans pans de muraille, & l'on monta la breche avec une impetuosite & avec une intrepidité incroiables. Les Assiegez s'i defendirent lontems; mais enfin, ils durent ceder à la force, & chercher leur salut dans leurs retranchemens. Cependant le Marquis Spinola fit planter 40 pieces de canon sur la breche; & ce furent ces bouches de feu qui firent enfin chanter les braves defenseurs d'Ostende.

Spinola se souvenant de la fourberie du Chevalier de Veer, fit entendre aux Assiegez, qu'il n'i avoit rien à parlamenter, amoins qu'avant tout, ils ne lui livrassent le vieux port pour caucion. Le 20 de Septembre 1604, mois fameux par mille evenemens prosperes & favorables à la maison d'Autriche, on reçut des otages de part & d'autre. Les Colonels Guelder, & Actonen passerent au camp de l'Archiduc; le Metredecamp de Touricourt, & le Sergeant Major Otannez passerent à la ville. Leur capitulacion renferme neuf articles. Le premier donne la liberté aux Ecclesiastiques. Le second permet que les gens de guerre sortent avec toutes les marques d'honneur & qu'ils soient transportez à Flessingue. Le troisieme leur accorde quatre pieces de canon. Le quatrieme donne la liberté aux Commissaires. Le cinquieme donne l'elargissement aux Capitaines Holandois Lanscroon & Ghistelle & aux autres prisonniers. Le sixieme donne la liberté aux Bourgeois d'Ostende. Le septieme livre au Marquis Spinola toute la vieille Ville, la platteforme ou table de Moïse, & deux otages. Le huitieme donne la liberté de prendre la route par terre au cas de vent contraire. Le neuvieme enfin conclut que les defenseurs sortiront d'Ostende le 22 Septembre 1604.

Le Gouverneur de Marquette sortit en trois troupes à la vue de l'armée Archiducale, qui etoit en grand front. Ces defenseurs faisoient le nombre de 4000, & de 500 hommes de pié, sous 107 drapeaux. Le Marquis Spinola les traita magnifiquement, & joieusement sous ses tentes. Puis il les fit conduire à l'Ecluse sur des voitures. On trouva dans la place 30 pieces d'artillerie, 22000 livres de poudre, 9000 de plomb, une prodigieuse quantité de toutes sortes de municions de guerre & de bouche, & 37000 boulets de canon.

Le 23 Septembre on chanta le Te Deum dans la grande Eglise; & le culte Catolique i fut entierement retabli. Le 24 l'Archiduc se rendit dans la place, & le 3 Octobre il i conduisit à cheval l'Infante Isabelle. Le Marquis Spinola i traita roialement leurs Altesses.

Voilà une ebauche du siege d'Ostende, donnons-en la description totale.




L'HISTOIRE DE L'ARCHIDUC ALBERT SOUVERAIN DE LA BELGIQUE.

LIVRE TROISIEME


Je ne sai si Troie n'est pas une fable, mais je sai qu'Ostende est une verité. Le siecle seizieme est surnommé le prodigieux, les revolucions prodigieuses qui se sont passées l'espace de 93 ans qu'il a durez, lui maintiendroient ce surnom, quand bien il ne devroit rien se faire de considerable durant les sept ans qu'il a encore à couler.

Il etoit bien raisonnable qu'un siecle prodigieux, commençat par un prodige, & ce prodige est le siege d'Ostende qui a presque commencé avec le siecle, & qui n'a fini que le 20 Septembre de la quatrieme année du meme siecle seizieme. Avant d'entrer dans ce teatre où l'on massacre plus de cent & cinquante mille ames en trois ans, trois mois, trois semaines, trois jours & trois heures, considerons ce teatre meme, & voions ce qu'a eté & ce qu'est cette nouvelle Troie admirable & veritable.

Ostende est presentement une ville de Flandre, & un celebre port de Mer situé entre Bruges qui en est eloigné de quatre lieues, entre Nieuport qui l'est de trois, & entre Dunkerke qui l'est de quatre. Sa situacion Orientale lui a donné son nom. Gobert de Steenlande fils de Gobert & d'Ertrude, prennant l'habit de S.Benoit dans l'Abbaïe de S.Omer consacrée à S.Bertin en l'an de Notre Seigneur 814, apporta à ce fameux Monastere pour dote, Ostende qui n'etoit alors qu'un petit Village, avec 38 autres dont les principaux sont Groenenberg, Steenlande, Lampernesse, Squerde & Sempie. Ostende devint Bourgade en 1072, auquel tems Robert de Frise i fit batir une Eglise au Chef des Apotres saint Pierre. Comme il n'etoit considerable que par son Port & par sa peche, on ne nommoit pas autrement les Pescheurs & les Mariniers de cette cote, que les gens d'Ostende. Et c'est de ce terme que se sert la Princesse Marguerite en leur donnant sa protection, & en leur prescrivant certaines loix qui regardent la peche des Herans.

Du tems de Filipe d'Alsace on i prit un poisson prodigieux de la longueur de 40 piez, aiant une espece de bec aquilin, & une crete en forme d'epée, triste presage & avancoureur des inondacions qui absorberent le village de Terstrepen prez d'Ostende, l'an 1334, & qui causerent de grans maux à toute la coste Flandre. Ce petit deluge avoit envelopé l'Eglise de notre-Dame qui fut retablie par la pieté de Louis Comte de Flandre, en 1330. Ostende jouissoit des memes privileges que la ville de Dam. Le Comte de Flandre i envoioit tous les ans ses Commissaires pour i renouveller le Magistrat. Le Comte Robert lui Þt l'honneur & l'utilité de la Foire. Les Brugeois un peu aprez l'inondacion, la formerent en Republique. En 1372 les Mariniers & les Pescheurs l'entourerent d'un simple rampart. Les Bourgeois i fonderent un Hopital à qui le Pape donna des Indulgences en 1402. Ce fut l'année d'aprez qu'on i fit la merveilleuse pesche de huit baleines. Elles etoient longues de 70 piez. On i montoit par des echeles, & on en coupoit à grans coups de haches. Elles etoient si grasses qu'on tira de chacune plus de 200 pots de graisses.

Quinze ans aprez, c'estadire l'an 1418, on prit à Ostende un Porc de Mer long de cinc aunes. Il fut porté tout vif & vendu dans la ville de Tournai. Filipe le Bon environna Ostende d'une nouvelle muraille, il lui fit construire trois portes & il fit elargir & embellir son Port.

Charle le Hardi fut le premier qui preta le serment aux Bourgeois en 1470. La Ville lui fit present d'un Esturgeon d'une grandeur admirable; cette cote est fertile en cette sorte de peche. Le Curé est aussi blamable que ce Prince est louable, le Curé d'avoir presenté au Prince le Saint Sacrement à baiser, le Prince de l'avoir refusé par modestie, & de s'etre contenté de baiser les Reliques de S.Blaise Il faut avouer que la lache complaisance des Ecclesiastiques est souvent scandaleuse. Ostende souffrit un peu durant les troubles qui s'exciterent sous Maximilien I, mais il fut retabli dans la suite, & il gagna infiniment au change. ostenDe nobIs paCeM, est la Cronique de 1601 auquel le siege commença; ostenDaM InItIa paCIs, est la Cronique de 1604, au quel la Ville fut prise. Lideric Foretier de Flandre a donné son nom à Leffingue, qui est un Village prez d'Ostende, & le principal de ceux dont l'Ambact ou le territoire de Leffingue est composé. Une sainte & noble Demoiselle, nommée Gela, a fondé vers là une Abbaïe de l'Ordre de Citeaux, qu'Innocent III a confirmée le 4 Aout, & à qui il a donné le nom de Terreneuve. Mais acause de l'intemperie de l'air cette Abbaïe a eté transferée au lieu nommé de Sicele, On i void aussi la Commanderie de Slip, qui a passé des Templiers aux Chevaliers de Malte. Le Commandeur Templier qui regnoit en 1182, se nommoit Amien de Ans.

Dez le commencement de l'entreprise du Prince Guillaume de Nassau, les Holandois sentirent l'importance de ce poste, ils s'en rendirent les maitres, & ils le mirent en etat de soutenir un siege de trois ans. Le Duc de Parme l'observa lontems, mais comme il etoit fort prudent il ne voulut jamais se hazarder d'attaquer une place qu'il jugeoit imprenable, aprez l'avoir luimeme reconnue de bien prez. La France qui s'est raillée de la fermeté de l'Archiduc, l'approuva, & elle se condamna ellememe, quand elle fit jouer tant de ressors pour la surprendre. La plus fameuse machine, & qui merite une histoire singuliere, fut celle qu'elle practica sous le Cardinal Mazarin, qui fut 1e jouet de toute l'Europe, par les personages que Spintelet & Ognati jouerent sur ce teatre maritime.

Ostende est presentement une des plus fortes, & des plus regulieres Fortifications de l'Europe. Fuensaldagne avoit coutume de dire, que pourvu qu'il put i fixer le pié, il pourroit toujours regagner la Belgique toute perdue. Ce fin Espagnol avoit raison : car l'Espagne pourroit toujours se servir de ce Port pour faire entrer des armées Navales, capables de faire cette conquete. La premiere Eglise est occupée des Pretres de l'Oratoire fondée du Cardinal de Berulle, Devot de S.Filipe de Neri. Les Capucins i ont un Couvent ; les Carmelites de S.Terese, & les religieuses de S.Augustin i ont un Cloitre. Venons au fameux siege qui fait toute la reputacion & toute la gloire d'Ostende.

Tandis que la Flandre pressoit l'Archiduc d'assieger Ostende en Autonne de l'an 1601, un Caporal François nommé la Planche, qui avoit tué son Lieutenant, se sauva au Fort d'Albert; & parcequ'il etoit Catolique, il fut reçu en la compagnie du Baron de Balanson. Le meme jour, deux Anglois, & quatre Ecossois, etant sortis de la Ville d'Ostende, affirmerent que la mer avoit fort ebreché le boulvart Santhil. Joret, qui etoit l'un de ces Ecossois, affirmoit que la Ville ne pourroit pas durer six mois. Un nommé Havier, natif de Guines, vint à Ipre; il avoit eté neuf mois en garnison à Ostende; & un Gentilhomme de Courtrai, nommé Hoeule, l'aiant oui discourir des intelligences qu'il avoit dans la Ville, le mena à Bruge à Don Jean de Ribas, que l'Archiduc avoit commis pour prendre les mesures du siege; & qui avoit le commandement des troupes Archiducales en Flandre.

Havier aiant conferé avec Ribas, alla querir le plan d'Ostende, & il le porta à l'Archiduc. Ribas, sous couleur de changement de garnison, fit couler en Flandre mille cinq cens hommes, qui, avec ce qu'il i avoit dejà de troupes, firent environ 6000 hommes. Catriz, Colonel Valon, se montroit fort ardant pour une camisade, mais le Comte de Frezin Commandant des Forts de S.Claire, de S.Elisabet, de S.Albert, de S.Michel & de Bredené, trouvoit de grans obstacles à la surprise.

Les Holandois aiant eu le vent de ce qui se tramoit, publierent quantité de peintures ignominieuses, pour se moquer du dessein de l'Archiduc; & ils inventerent mille pratiques, pour debaucher les garnisons des Forts, qui environnoient Ostende; ce qui leur reussit: car le 10 Juin, un Dimanche, la garnison du Fort S.Elisabet se mutina; elle tua le Lieutenant Colonel vander Lane, & plusieurs braves Gentilshommes, qui avoient voulu soutenir l'honneur de leur Officier; un vilain, que vander Lane avoit autrefois puni, lui passa l'epée au travers du corps, un quart d'heure aprez sa mort. Ils se rendirent les maitres du Fort; ils pointerent leur canon contre les autres Forts, & ils le menacerent de les ruiner, amoins qu'ils ne suivissent leur exemple. Ces rebelles choisirent pour leur Chef militaire del Sas, Fourier de la compagnie de Batelle du Comté de Namur, qui neamoins n'a pas coutume de produire de pareils monstres. Vilemar, & la Mouche, qui furent depuis pendus, soldats Valons, furent les auteurs de cette emocion militaire, qui se surnomma l'Escadron.

Le Prince Maurice, profitant de cette rebellion, alla mettre le siege devant Rhinberg. L'Archiduc se trouva obligé de capituler avec les mutins, pour eviter un plus grand mal; il leur donna Berg-S.Vinoc pour lieu de sureté; & pour caution, il leur nomma les Barons de Barbanson, de Pallant & d'Achicourt; & puis il mit le siege devant Ostende, un Lundi 3 Juillet 1601. Le soir, la garnison fit trois salves, ou par ostentacion, ou pour celebrer l'anniversaire d'une victoire. On pendit quelques espions François. Une Liegeoise debauchée que ces espions entretenoient les decouvrit. Le principal se nommoit Vecerolle. C'etoit un mercier Provençal.

Avant qu'on ne face les approches d'Ostende, j'en donnerai le plan en petit. Ostende est sur le bord de la mer Oceane, pas bien loin du grand canal qui regne entre l'Angleterre & la Flandre. Sur une meme ligne avec la Zelande. La mer lave en toute saison les remparts de la Ville du coté du Septentrion. Elle a Bruges à l'Orient, l'Ecluse entre l'Orient & le Septentrion, & Neuport à l'Occident. Elle est presque d'egale distance de ces trois Villes. Elle a Leffingue au midi, & elle en est eloigné de deux lieues. Des forets, des inondacions, des prairies, des Chateaux, des deserts sont entre Ostende, Dixmude & Nortdam. Le fort d'Albert est à la portée du canon, sur une forte Dune à l'Occident à la garde d'une excluse, qui se vide dans la mer au pié de son rampart. Le fort Isabelle est en la prairie, un peu approchant de la Ville du coté du midi. Le fort Claire est dans une pareille distance, non pas sur une meme ligne, entre le midi & l'Orient. Ceux de S.Michel & de Bredené sont à l'Orient. Celui de Snaskerke est au midi. Celui d'Oudenbourg à l'Orient ; celui de Blankenbergh, est au Septentrion. Tous d'une egale distance.

Le circuit d'Ostende est d'une demie heure. On i conta autrefois, 3800 pescheurs; qui depuis ont diminué à 600. Elle ne fut regulierement fortifiée qu'en 1572; auparavant, elle n'avoit qu'une simple palissade & que des portes de bois. Elle est de figure oblongue tirant au paralellograme ; hormis la ligne droite du coté Meridional. Elle prend sa principale longueur de l'Orient au Septentrion. Elle est divisée en vieille & en nouvelle Ville. Ses principales Fortificacions sont en la nouvelle Ville, & elles sont composées de 8 Boulvarts qu'on nomme, de Nortoost, de la Porte d'Ost ou Pekel, d'Espagne, de Nassau, de l'Eglise, de Sud, ou de Midi, de West ou d'Occident, de Helmond ou de Gueule d'Enfer. Son fossé est large & profond, & le canal le renouvelle & le remplit incessamment. Le fond est d'une terre glutineuse qui ne boit pas, qui ne produit aucune herbe, qui n'exhale aucun mauvais air, & qui conserve toujours son eau. Sa contrescarpe est epaisse, & flanquée de bons ravelins à l'epreuve des flots. La vieille Ville est la partie qui s'etend en front de la neuve, de l'Orient au Septentrion du coté de la mer; elle est unie à l'autre, & elle a une porte à l'Orient. Une grande eau forme une espece de Lac, qui fait le Port commun des deux Villes ; elle a six boulvarts, qui regardent la mer; savoir, Santhil ou Talon de Sable à l'Occident, le Menteur, Engelbourg, Vlamenbourg, Table de Moïse, & la petite Plateforme. A l'endroit où la vieille Ville s'unit à la neuve à l'Occident, se pousse un ravelin ou un esperon surnommé Porc-espic. Delà commence une digue contre les marées.

Quand l'Archiduc i vint mettre le siege, le Colonel Charle vander Noot i commandoit pour les Holandois, la garnison n'etoit que de 21 compagnies. La premiere chose qu'il fit, fut d'embarquer pour Deventer & pour Zutfen les mutins Valons surnommez les nouveaux Gueux, qui avoient vendu & rendu les Forts de S.André & de CrevecOEur ; de peur d'avoir un ennemi interieur dans Ostende, tandis qu'il en auroit un exterieur ; ensuite, vander Noot fit toutes les preparations qui contribuerent infiniment au siege Triennal. Le 4 Juin un Anglois de 20 ans, aiant suivi le bagage Espagnol, sous un habit de fille, passa en caleçons dans Ostende, & il specifia à vander Noot toutes les forces des Assiegeans, qu'il avoit observées l'espace de 10 jours, qu'il s'etoit tenu au camp, sous le titre d'une debauchée. L'Anglois travesti aprez avoir donné ses instructions repassa le marais, il alla requerir ses habits de fille, qu'il avoit laissez parmi les roseaux; assez prez du fort S.Michel, & il continua ses perfides pratiques.

Le meme jour 4 Juin, vander Noot, qui signoit aussi Gerrit Coorne, envoia Tillet ; & il ecrivit luimeme à la garnison du Fort Isabelle, pour la seduire, mais il eut le deplaisir d'aprendre que sa lettre avoit eté publiquement brulée. La Ville fut investie le 5 Juillet. Vander Noot fit saluer les Assiegeans de 17 volées de canon, qui firent un fort petit effet: acause du peu d'adresse des Canoniers. Les balles etoient de 35 livres ; mais les trois grosses pieces qui jouerent le lendemain, cinc heures de suite, au cartier du Fort S.Albert, en tuerent ou en blesserent une centaine. Quelques espions, qui passerent au camp, & qui reconnurent la portée du canon de la Ville. firent grand mal aux Assiegeans: acause des instructions qu'ils donnerent aux canoniers d'Ostende. L'on en attrapa, & l'on en pendit trois. L'artillerie Holandoise pointée du coté de Bredené, faisoit beaucoup de dommage aux Assiegeans; quoique les boulets ne vinssent que par bonds dans leur camp, qui etoit derriere les Dunes. Le Comte Frederic de Berg ne leur en causa pas moins de son cartier de Bredené.

Le 13 Juillet les Assiegez firent une sortie. Monroi i eut la tete emportée d'un boulet de canon Simon Antunez fut créé General d'artillerie à sa place, & il acheva le retranchement que Monroi avoit commencé du coté de S.Albert, qui fut surnommé de Valdés.

Le 15 Juillet le Prince Maurice envoia de son camp de Rhinberg, François de Veer Chevalier Anglois, avec 4000 hommes, pour commander à Ostende. Le lendemain de Veer voulut se signaler par une sortie, mais il fut relancé aprez une perte considerable. Le 5 Juillet 1601, l'Archiduc prit son cartier du coté du Fort Albert accompagné de peu de gens, il s'avança à pié, par les Dunes, à la portée du fauconneau, pour voir si le plan etoit conforme à celui qu'on venoit de lui en donner. Quelques arquebusieurs Espagnols, qui etoient pour la sureté de sa personne, s'avancerent jusqu'à l'ouverture, qui est entre la Ville, & la derniere Dune, pour decouvrir si ces vallons sablonneux ne cachoient pas d'embuscade. Cela fait, l'armée se campa en cet ordre. Trois Regimens Espagnols, qui faisoient l'avangarde, occuperent les Dunes; les Regimens Bourguignons, & Valons, qui faisoient la bataille, les suivirent. Enfin l'arrieregarde, composée du Regiment du Comte de Barlemont, & des compagnies libres, tant Valones qu'Alemandes, continuerent sur une meme file. L'artillerie, avec ses dependances, joignit la queue du dernier rang de l'Infanterie. Prez de là etoit la Chapelle des Jesuites. L'equipage de la Marine se rangea sur l'Ecluse, qui regnoit entre l'artillerie & le Fort Albert, où l'Archiduc se logea, quoiqu'il fut incommode, pour avoir eté brulé l'année d'auparavant. Le cartier de la Cavalerie fut le village de Neer, entre Neuport & le Fort Albert, à demie lieue de l'Infanterie. Les Assiegez debuterent par tirer sur le cartier du Marquis de Varanbon, où ils ne firent pas de grands effets. Leurs balles etoient de 35 livres. Le lendemain matin leur artillerie joua avec plus de succez sur les Vivandiers du cartier du Fort Albert.

Un coup de canon porté sur les Dunes, tua un Sergeant, sept soldats, & il en blessa trois du Regiment de Louis del Villar. La seule matinée, le canon en fit perir plus de 100, au cartier du Fort Albert. Cela fut cause qu'on quita la Dune, & qu'on fit descendre plus avant dans la prairie les Regimens de Barlemont, de Fresin, & quelques compagnies particulieres. Avant de se mettre à couvert dans ce nouveau logement, ils essuierent la furie de quatre pieces, qui de la courtine Occidentale leur fit beaucoup de dommage, l'espace de trois heures.

En dix heures les Archiducaux eleverent un epaulement de 18 piez de hauteur, & de 15 d'epaisseur, qui les mit à l'abri du canon. Celà fut cause que le reste du camp en fit de meme, & qu'en effet, le lendemain chaque Regiment eut un epaulement qui le defendit des 30 pieces, qui jouoient incessamment de la Ville. Le Comte de Bergh, qui etoit du coté de Bredené, eleva une batterie sur les Dunes, pour ruiner celle qui infestoit fort son cartier ; mais avant que cet ouvrage fut achevé, il essuia trois mille cent & quarante trois coups de canon. Une coulevrine portant 500 pas au delà du Fort Albert, i tua un cavalier, une lavandiere, un valet, deux enfans, & elle en blessa plusieurs. Le cartier d'Albert fut renforcé de 800 hommes, de deux Cornettes & d'une compagnie de Carabins ; & celui de Bredené d'environ 1000 hommes, qui venoient du Hainau, & de l'Artois. Mais d'ailleurs il entra dans Ostende, par la Gueule-d'Enfer, un renfort de navires Zelandois escortez de sept vaisseaux de guerre . Il consistoit en mille trois cens hommes ; en neuf pieces de canon, & en beaucoup de municions. Tout ce que l'Amiral Frideric Spinola put faire, fut de prendre quatre de ces batteaux à leur retour, & deux autres qui faisoient voile à Ostende. Il mit les passagers à la cadene. L'Archiduc avoit un dessein du coté du Fort Claire; mais il avorta par l'adresse de vander Noot, qui le pressentant, fit relever sa contrescarpe de ce coté. Cependant le Marquis de Varanbon remplaça les places vacantes, de maniere que l'armée Archiducale, se montoit encore à 23000 hommes de pié.

L'Archiduc commandant en personne, le 10 Juillet, fit ouvrir la tranchée au Mestre-de-camp Don Jerome de Monroi, à la premiere brune, à 300 pas de la contrescarpe à l'Occident, tirant vers la Dune de la prairie. Tandis que le Baron de Balanson epauloit les travailleurs, Monroi, Mota, Idiaquez, Hernandez, Merci & d'Esclaibes, avancerent avec beaucoup d'ardeur. D'ailleurs le Colonel Catriz, avec ses 300 Valons, alla decouvrir le boulvart Zantil. A dix heures du matin du 11 Juillet, l'ouvrage parut capable de couvrir un homme à genou. 500 Alemans de Barlemont vinrent soutenir cet ouvrage avancé ; & mille autres furent rangez derriere eux, à l'abri d'une montagne de sable. Un gros de Cavalerie Archiducale se cacha dans une profondeur qui approchoit la Ville. Au cartier, on commanda 2000 hommes prets à marcher au premier bruit. La Ville tira 2000 coups de canon, en quatre jours sur cette trenchée qui s'avançoit incessamment.

Tandis que Monroi etoit infatigable de son coté, Catriz ne l'etoit pas moins du sien, & il donnoit droit au Porc-epic. La bonne biere & le vin de Gascogne donnoient beaucoup de courage aux soldats, & ils leur faisoit mepriser les 40 pieces de canon, & la mousqueterie d'Ostende, qui jouoient le jour & la nuit. Les six premiers jours de trenchée, couterent à l'Archiduc 700 morts & plus de blessez. Sans conter quelques etrangers qui paierent la peine de leur curiosité; les plus distingués de ces infortunez curieux furent, un Seigneur Italien de la maison des Ursins, le Baron de Crieux, & le Sieur de Loval Gentilshommes Picards. Les plus distinguez du camp, furent Aminval Gentilhomme Valon, qui fut emporté d'un coup de canon, Bolfel Gentilhomme Alemand, qui en descendant de cheval eut la tete ecarbouillée, Diego Mendez Capitaine Espagnol, qui perit du seul vent d'une balle, Adolf Boren Gentilhomme Clevois, qui en mangeant fut assommé d'un eclat de bois, & cinc Enseignes Espagnols, dont l'un se nommoit Cristofe Ortena, qui furent tuez de la mousqueterie.

Cependant le Comte de Bergh avoit achevé sa batterie, & il avoit eu le bonheur de demonter deux pieces ennemies, & de tuer quelques canoniers. Comme cette batterie etoit fort elevée, elle decouvroit ceux d'Ostende jusqu'aux piez, & elle causoit beaucoup de degat. Albert reconnut par un espion qu'il avoit envoié en Zelande par Calais, qu'Ostende manquoit de balles; & en effet on donnoit un teston à qui en apportoit au magazin d'Ostende, une de celles qu'on tiroit du camp Archiducal; 25 batteaux parurent en mer pour ravitailler la ville. Frideric Spinola les chargea avec ses galeres; mais le vent ne lui permit que de se saisir de cinc, le reste entra dans Ostende par la Gueule-d'Enfer. On sentit bientot au camp que l'ennemi avoit reçu des boulets de canon. On eut pourtant cet avantage, durant quatre jours, que le manque de balles ralentit l'ardeur des Assiegez; qu'on reduisit en platteforme l'ouvrage avancé sur la Dune, qui decouvroit la ville jusqu'au fond, & qui ne permettoit à qui que ce fut de paroitre impunément. Nid-d'Agace fut le premier nom qu'on donna à cette plateforme, mais celui de Monthullin fut celui qu'elle conserva jusqu'à la fin du siege. Le Mestre-de-Camp Don Louis de Velasco, essaia de demonter les pieces qui jouoient du coté d'Orient & d'Occident; mais il ne fit qu'un effet mediocre acause de la diligence des Assiegez.

Vander Noot, dans la resolucion de continuer sa defence, se dechargea des bouches inutiles, & de 300 blessez ; & par la meme voie, il demanda de l'eau à brasser de la biere; celle qui est propre a cet effet, en la vallée des Dunes Occidentales, etant occupée des Archiducaux. Monroi, en deux jours & en deux nuits, eleva une batterie surnommée les douze Apotres, qui causoit tant de perte aux Assiegez, qu'un seul boulet en tua quatorze, & en blessa un grand nombre. Catriz avançoit egallement & à la faveur de deux pieces de canon adroitement pointées, il nettoioit le boulvart Zantil, & le Porc-epic. Le camp souffroit egallement. On conta un seul soir, neuf chariots de morts, qu'on conduisoit au cimetiere des Decombres de l'Eglise de S.Marie. Monroi & Catriz ces deux braves, firent bien du mal à l'ennemi par une nouvelle batterie qu'ils dresserent sur la digue verte: parcequ'elle donnoit dans le port d'Ostende. Vander Noot, pour s'oter cette incommodité, fait une sortie de 112 hommes, en plein jour. Les Capitaines Grenu, Trelon, la Contiere & Hautain en eurent la conduite, mais Monroi, Pedraza, Losada, la Roche, les reçurent vaillamment, & ils en firent tomber un grand nombre. Alonse Ladron de Guerrera Enseigne de Monroi, heurta rudement le Capitaine Bruxaut, qui alla voir du coté de Catriz s'il trouveroit moins de resistance. Il i alla plus resolument en le voiant renforcé de l'Enseigne du Frene & de quelques Gentilshommes François qui servoient la Hollande. Mais le Capitaine Rouville, & les Enseignes Nardin & Arande, l'obligerent à la retraite. Bruxaut i laissa du Frene, & 50 autres des siens. Comme leur retraite fut confuse, celà fit naitre l'envi à Manfroi, à des Ardilles, à du Tour, & à de la Maillorque Gentilshommes François qui etoient au service de l'Archiduc, de pousser leurs compatriotes. Ils en tuerent 20, & ils en blesserent plusieurs, sans qu'il en coutat qu'une coup de pique à Maillorque.

Grenu, Trelon & la Contiere avoient plus de succez du coté de Monroi. Ce cartier alloit etre forcé, si Monroi meme ni fut venu en persone, s'il n'eut relancé l'ennemi qui etoit dejà bien avancé. La pluspart de ces braves Agresseurs etoient François. Il i demeura deux Gentilshommes, Du Perier, & la Barde, qui i expirerent entre les mains d'un Pretre Espagnol ; cinc de la meme nacion moururent de leurs blessures. Celui qui, aprez Monroi, contribua le plus à la victoire fut Patigno, Lieutenant des Gardes-lances de l'Archiduc; il fit des miracles avec six Gentilshommes François, dont je n'ai su aprendre les noms. Les conducteurs de la sortie d'Ostende voiant qu'il i faisoit trop chaud, songerent à se retirer sous leur affut. Ils i perdirent 150 hommes, sans conter le Lieutenant Blocman, Peel & Protema Gentilshommes Frizons, & la Feuille enseigne François. Les blessez furent les Capitaines Grenu, Trelon, & la Contiere; les Enseignes, Bartel, & Pekers ; deux Sergeans ; Nogeran, Vesole, Brignac & Nolan Gentilshommes François. Pic, Koc, Hel, Danderzil & Groot, Holandois, & 60 soldats.

Les Archiducaux perdirent Pin Enseigne de Balanson, Gama, del Losa, & Viertas Enseignes Espagnols Reformez ; Velez Sergeant Espagnol, la Boulée Sergeant Valon, de Pontau, de Mirol, & de Locere Gentilshommes François, Montirot Gentilhomme Bourguignon, Dumain & Collart Gentilshommes Valons, & 80 soldats. Les blessez furent Pedraça Capitaine, Morillas & la Penna Enseignes Espagnols Reformez; Tevenot Sergeant Bourguignon; de Montagnes, & de Chemont Gentilshommes François; Haraucourt Gentilhomme Lorain, & Halvil Gentilhomme Alemand. Il est sur qu'on doit la premiere gloire de cette journée à la bravoure de Monroi. Le ciel ne differa pas sa recompense. Il se reposoit dans sa tente, aprez midi au bout Meridional de sa trenchée, lorsque la Gueule-d'Enfer, envoia un boulet de canon, qui aiant frappé le pié de cette trenchée, vint rebondir sur ce brave ; il lui ecarbouilla la tete, & il faillit d'assommer Don Guillaume de Verdugo, qui etoit assis dans la meme tente. L'Archiduc le regreta beaucoup. Son nom a revecu dans Don Jean de Monroi qui revit dans son Epouse de Rantre & dans ses enfans, tous dignes de leur Ancetre. Son Terce fut donné à Don Simon Antunez Portugais, de service, de valeur, & de merite, qui accordoit son grand age avec une humeur gaie, & une vie laborieuse.

Elisabet Reine d'Angleterre, enviant Ostende à l'Archiduc, & craignant que cette forteresse ne lui fut une bride, songea à i envoier un habile Gouverneur, & un renfort, capables d'amuser les Assiegeans, & meme de les debaucher. Dans cette vue, elle i envoia le Chevalier François de Veer, qui avoit toutes les qualitez requises à un si vaste dessein. De Veer entra dans Ostende avec 12 Enseignes de sa nacion, & il fut bientot suivi de sept autres. Dez lors vander Noot, qui assurément avoit du merite, ne fut considere que comme Lieutenant; & de Veer fut reconnu pour Gouverneur. De Veer ne manca pas d'en exercer les fonctions, & pour signaler son avenement au ministere, il fit une entreprise sur le cartier de Catriz, qui lui paroissoit le plus facheux.

Rati Lieutenant Anglois, conduit ses Arquebusiers le long d'un fossé, pour donner lieu à l'artillerie d'Ostende de donner sur les Archiducaux, qui oseroient paroitre. Cependant George Picton Baron Anglois, habillé comme dans un jour de Fete, s'avance avec les Capitaines Nerri & Freier & avec 40 Gentilshommes, à la tete de 300 mousquetaires. Le jeune de Veer & Foster Capitaines, conduisent une troupe de piqueurs. Il viennent de concert fondre, par la cote de la mer, sur les aproches de Catriz, où les Capitaines de Fontaine & de Gesan etoient en garde.

Grudlei cependant, Capitaine Anglois, avec 150 hommes, tient en haleine la baterie des 12 Apotres. On s'entresalue de part & d'autre avec perte egale. Picton essaie de franchir le retranchement; mais il est renversé sur le sable, sans blessures. Secondé de 12 Gentilshommes Anglois, il fit une tentative sur un autre endroit du retranchement; mais les Valons l'i reçurent pour le moins aussi bien; ce qui le debaucha & qui lui fit faire une troisieme tentative, à l'endroit qui regardoit le Porc-epic. Catriz i vint en persone avec quelques Gentilshommes François. Ils se presenterent sur la hauteur, & quoique decouverts à demi-corps, ils presenterent la pique aux Anglois, avec un peu de gasconade. Ce fut cette bravade meme qui anima les Anglois. Picton & Foster les affronterent, & ils ne lacherent le pié qu'en voiant tomber six de leurs compagnons, & qu'en se sentant blessez au visage & au cou. Comme Grudlei entretenoit l'escarmouche de son coté, les Anglois s'i transporterent ; mais il n'i reçurent pas de meilleur accueil. Les Capitaines Valdez Espagnol, d'Esclaibes Bourguignon, & Baur Alemand, s'opposerent à ces intrepides avec la derniere des bravoures.

Un malheur arrivé parmi les Archiducaux rehaussa le courage des Anglois. Un mousquet crevant entre les mains d'un soldat Bourguignon, en tua sept ou huit; celà causa du desordre, & ce desordre donna lieu aux Anglois de r'animer l'attaque. Foster occupe le vide, avec 40 des siens, & le poste alloit leur demeurer, si d'Esclaibes n'i fut arrivé fort à propos, avec l'Enseigne S.Maurice, & 25 piques. Ces braves relancerent les Anglois, & les obligerent a descendre avec plus de precipitacion qu'ils n'etoient montez.

Un second accident ralentit autant le courage des defenseurs qu'il raluma celui des agresseurs. Le feu se prit à la poudre qui etoit au milieu de la trenchée, & elle deconcerta les Archiducaux. Les Agresseurs s'en aperçurent, & à la faveur de cette perturbacion, ils firent avancer les 500 hommes de reserve, qui reposoient en la contrescarpe. Le combat i fut des plus opiniatrez: mais enfin les Gardes de l'Archiduc etant survenus avec le Comte de Bel-Joieuse, & Don Ferdinand de Guevarra, donnerent la chasse aux Agresseurs, qui ne firent leur retraite qu'aprez une grande perte. Il i avoit dans Ostende douze Gentilshommes François fort braves que les Archiducaux surnommoient les douze Pairs de France. Ces Pairs se signalerent beaucoup en cette journée. Les plus remarquables furent le Baron de la Clange, Bois-d'Ile, qui eut un cheval tué sous lui, & qui courut grand risque, Prealard blessé d'une mousquetade, Maistrail, Vaugrain, de Hames, & deux autres qui furent blessez. Le combat dura une demie heure, durant laquelle les Assiegez tirerent plus de 300 coups de canon sur la Cavalerie, qui en fut incommodée. Un coup de canon tiré de la tranchée en abatit quatre occupez à rapporter dans la Ville un illustre Anglois sur des piques couplées. Ils en perdirent plus de 400 tant de blessez que de tuez. L'honneur de la retraite fut due à Foster, qui quoique blessé au travers du corps, n'omit jamais le devoir de soldat & de Capitaine tresvaillant.

Corbisser Capitaine Anglois, qui avoit amené les 500 hommes de la contrescarpe, i demeura. Il i perit aussi Contlei, & Berri Lieutenans; Baquin Enseigne, Erquam, Mund & Floesman Gentilshommes & Tidel Sergeant. Les blessez furent Picton, Grudlei, & Foster Capitaine, Dublez Lieutenant, Gantai, Organs, Mor, Vallis & Parmezan Gentilshommes. Les plus distinguez des Archiducaux qui i demeurerent furent, Morton Enseigne Espagnol, & des Planques Enseigne Valon ; Haltzbandt Lieutenant Alemand, la Valée Sergeant, Coquigni & des Landes Gentilshommes François, & la Rochementon Gentilhomme Savoiard. Les blessez furent le Capitaine d'Esclaibes, Aubri Enseigne Valon, qui mourut trois heures aprez; Arlen de Pinai, du Terrail depuis decapité à Geneve, Mon-Juste, & du Mar Gentilshommes François; Mombre & Vauville Gentilshommes Bourguignons; d'Arcenoi Gentilhomme Valon; Marbourg Gentilhomme Alemand; trois Enseignes Espagnols, dont l'un se nommoit Francas, furent percez d'une seule mousquetade; le Capitaine Bonours i reçut un coup de pique à la jambe droite.

Cette sortie fut cause que les Assiegeans rehausserent leurs trenchées, & que Velasco fit dresser trois bateries pour empecher qu'aucun secours n'entrat dans le Port. Plus de 500 furent les victimes de ces foudres nouvelles. Tandis que les Assiegez se couvrent, trois caques de poudre, venant à prendre feu, jettent une grande alarme; mais 1000 hommes tirez des Prisons d'Angleterre, qui vinrent au meme tems les renforcer, leur oterent leur crainte, & leur r'assurerent le courage. De Veer enhardi de ce secours, contre l'avis de ses Lieutenans, se rendit maitre de la maison Rouge qui n'etoit plus qu'une masure ; & il s'i fortifia: parceque delà, il pouvoit decouvrir les embuscades que l'Archiduc cachoit derriere les Dunes. Ceux du Fort Isabelle rompirent d'abord son dessein; mais etant venu en plus grand nombre, il l'executa; Balanson ne lui en laissa guere la jouissance . On admira ici l'adresse & l'intrepidité d'un Espagnol, qui tua l'Ingenieur George Henri, & qui alla le desarmer & le depouiller à la vue des Assiegez. On trouva sur cet Ingenieur le projet de la maison Rouge. George Henri avoit autrefois servi l'Espagne, & il fut bien regreté des Holandois. Les batteries de Velasco, avoient cependant tout l'effet qu'on en attendoit. Elles coulerent à fond beaucoup de batteaux dans le Port. Un seul coup porté du Monthullin, tua 15 persones, parmi lesquelles etoit Boglei Enseigne du Jeune Veer. On conta jusqu'à 21 Officiers peris par ces canonades. Le 23 Juillet Don Augustin Messia etant allé visiter le cartier de Bredené, le Comte de Bergh fit avancer vers le Canal de la Ville quelques Arquebusiers, l'escarmouche i fut rude. Les Assiegez perdirent environ 30 hommes, les Assiegeans en perdirent plus; mais il n'i eut persone de consideré que Scorto Sergeant Italien.

Messia fit dresser une nouvelle batterie surnommée le Faubourg; mais l'adresse des ingénieurs & des canoniers Holandois ne la laisserent pas de long usage. Celle des 12 Apotres souffrit aussi beaucoup, nonobstant l'applicacion & l'industrie du Commissaire nommé Canon. Les Assiegez furent bien surpris le 24 matin, de voir la maison Rouge convertie en Fort. L'Archiduc, aprez avoir solemnisé militairement la fete de S.Jaque, vint au Fort Albert, & il fit attaquer la maison Rouge. Quenoi, Gentilhomme de l'Artillerie, fit dresser une baterie devant S.Caterine, au milieu de la prairie pour incommoder les travailleurs de la maison Rouge. Le 26 se passa en canonades, que ces deux nouvelles batteries s'entredonnerent.

L'Archiduc avoit fait cacher 1000 hommes pour donner à la maison Rouge, au premier signal. L'ennemi ne s'en fut pas plutot aperçu qu'il quitta son poste & qu'il gagna la Ville à toutes jambes; mais ils ne firent pas telle diligence que plusieurs ne fussent coupez. Les Espagnols les taillerent en pieces sans vouloir donner aucun cartier non pas meme aux goujats. Le peu qui se sauva, dut son salut au canon de la Ville, qui favorisa sa retraite. Un coup fut fatal au Baron de Balanson qui paroissoit à la tete de ses 400 Bourguignons pour soutenir les Espagnols, au cas qu'ils fussent poussez. Un Boulet lui fracassa la jambe gauche, & il blessa le Capitaine le Grand, & le Sieur Gatel, qui etoit venu servir en qualité de Volontaire. Bonours fut accablé de la terre, que cette canonade remua. Balanson en fut quitte pour porter une jambe de bois, qui lui fut encore emportée dans une autre occasion. Comme on lui remontroit qu'il se hazardoit trop, il repondit froidement qu'il avoit encore une jambe de bois de reserve, & d'attente dans son carrosse.

Ce Claude de Rie a eté General d'Artillerie, & il est mort Gouverneur de Namur avec la reputacion d'un Saint. J'ai eu le bonheur de le voir passant par cette Ville etant encore enfant. Il laissa une fille qui fut la favorite de l'Infante Isabelle, & qui mourut a Brusselle fort agée il i a quelque douze ans. 200 Anglois furent sacrifiez à la perte de cette jambe precieuse. Comme ce poste fut gagné, le jour S.Anne, il en prit le nom, & il laissa depuis celui de maison Rouge. Villaverde Espagnol autrefois Gouverneur de Dourlens, en fut fait Commandant. On trouva parmi les morts une espece de Geant. On le fit porter & panser au camp. Quoique son corps ne fut qu'une plaie, & qu'il dut plutot songer à prier qu'à maudire, il se dechainoit incessamment contre sa nacion Angloise, & sur tout contre le Sieur de Veer de l'avoir abandonné; il n'epargnoit pas meme les Espagnols, & il les menaçoit s'il venoit à survivre. On ne laissa pas de lui faire bon traitement. A la façon des gens d'Outre-mer, qui savent bien qu'on n'ira pas s'enquerir de leur extraction, il se disoit grand Seigneur, & que son nom etoit Leyers. L'Infante Isabelle, qui faisoit l'office d'hospitaliere à Bruges, fit tant par ses soins qu'il guerit entierement. Elle lui donna une bonne somme d'argent, & des lettres de recommandacion à son Resident à Rome. Mais le grand vilain au lieu de prendre sa route vers Rome, r'entra dans Ostende, & bien loin de reconnoitre sa bienfactrice, il n'en fit que des railleries. Mais Dieu punit son ingratitude par lui faire sauter la cervelle d'un boulet de canon qui fut tiré de la baterie du Comte de Bergh, dez le 2 jour de son arrivée. Une ame si ingrate ne meritoit pas de vivre plus longtems.

Le canon d'Ostende incommoda bien le Fort S.Anne. Un seul coup tua onze personnes, du nombre desquels furent les deux freres de Clevanges. Ce fut aussi dans ce Fort que perirent du canon, d'Arsonai Gentilhomme Lorain, & de Loiset Gentilhomme Bourguignon. Don Jean de Bracamonte vint fort à propos au camp avec un bon renfort qu'il amenoit d'Italie. Une partie passa au secours de Rhinberg. Bracamonte avec son Regiment Espagnol, resta au camp, où l'Archiduc lui donna celui de Ribas, qui avoit quelque autre commandement. Les Assiegez tiroient avec tant de furie, que l'espace qui regne entre le Fort Isabelle & la Ville, ressembloit à une terre fraichement labourée les balles faisant office de coutre. Elles i etoient si nombreuses, qu'on en rencontroit à chaque pas, & que la plaine etoit presque inpraticable dans les tenebres. Ceux d'Ostende qui au commencement donnoient un teston pour chaque balle, ne prennoient pas la peine de les recevoir de ceux qui les leur aportoient: tant la Zelande leur en fournissoit.

Catriz avançoit plus que personne, jusqu'à donner de la jalousie aux Espagnols, & bien de la crainte à vander Noot, qui commandoit à l'endroit que Catriz attaquoit. Un Valon, peutetre pour se vanger, de ce que la jalousie traversoit les bons desseins de son Colonel, sur la fin de Juillet de bon matin, à la faveur de la marée basse, s'avança jusqu'à la Gueule-d'enfer, & il arracha une lourde lanterne, qui etoit attachée au bout d'un pilotis. Les Assiegez lui tirerent cent canonades & une infinité de mousquetades ; la lanterne etoit fort elevée, & elle etoit d'une extreme pesanteur. Il s'en moqua. Il chargea cette machine sur ses epaules, & il l'apporta en triomfe à la tranché de Catriz. Il crut s'etre suffisamment vangé de la jalousie qu'on avoit contre son Colonel, puisque pour un tel exploit, il ne demanda d'autre recompense sinon qu'on le fit bien boire. Aprez celà, qu'on nie que les Valons soient braves, qu'on nie qu'ils soient bons buveurs! Antunez, encherissant sur son Predecesseur de Monroi, fit construire une redoute surnommée de Valdez, acause que Valdez Capitaine de son Regiment, fut le premier qui i commanda, & qu'il i tailla bien de la besogne au Sieur de Veer. Par tout où la trenchée etoit discontinuée, l'on avoit dressé des toiles, à la faveur desquelles les Assiegeans passoient d'un cartier à l'autre, sans etre aperçus de la Ville ; mais ces toiles furent bientot converties en cribres par la multitude des coups que les Assiegeans i tirerent. Pour obvier à cet inconvenient, on fit une espece de haie soutenue de fourches entrelassées de branches, au travers desquelles les balles passoient sans que les feuilles en fussent beaucoup interessées. On surnomma cette haie, blinde parcequ'elle deroboit les Assiegeans à la vue des Assiegez. Valdez cependant se fortifioit de plus en plus dans sa redoute. De Veer, considerant que ce Fort le reduisoit à l'etroit, & à une espece de prison, mit 600 Anglois sous la conduite de son Frere Horace Veer, & il lui donna ordre de s'en emparer par derriere. Les Capitaines Holcraft & Borgan, à la tete de 300 Anglois, attaquent le Fort à la gauche, au meme tems que luimeme, secondé des Capitaines Vilfort, Gorrei & Staneton, l'attaqua à la droite.

Valdez les reçut avec beaucoup de resolucion Pendant la chaleur du combat, de Faves Capitaine François, avec 300 de sa nacion, attaque brusquement une foible trenchée du coté d'Antunez. Ce Colonel avoit donné ordre de l'abandonner, au cas qu'on vint l'attaquer un peu brusquement, mais ses gens ne surent faire la retraite si à propos qu'il n'i demeurat 30. De Faves enflé de ce succez, donna furieusement jusqu'à la grande trenchée. Antunez s'i trouva en personne. Quelquesuns furent sacrifiez à la premiere boutade Françoise, & le reste alloit prendre la fuite, si Antunez ne les eut arretez l'epée menaçante à la main. Les Archiducaux reprirent du cOEur, & ils repousserent vaillamment l'ennemi.

Valdez cependant fait des miracles dans son retranchement; & ses soldats à son exemple, se defendent en desesperez. Onelton, Lieutenant Anglois, pensa les forcer par la violence de ses grenades; mais Valdez se mit à couvert de ses feux, par les cuirs de beufs cruds & trempez, dont il s'etoit precautioné. Faves ne trouvant pas son conte vers Antunez, & se voiant renforcé de 100 hommes qu'un Lieutenant lui avoit amenez, attaque une trenchée qui lui paroissoit negligée, où Sailli Enseigne Valon commandoit 40 hommes. Faves pretendoit, aprez avoir forcé cette trenchée, d'attaquer Valdez à dos, & d'aller donner la main aux Anglois qui le pressoient chaudement; mais son dessein fut rompu par les Capitaines Don Rodrigue, Florés, & la Peire, qui sortant de leur embuscade, firent bientot tourner tete à Faves.

Quoique les Anglois & les François disputassent autant pour la gloire de leur nacion que pour la conquete du Fort de Valdez, les defenseurs les soutinrent si vigoureusement, qu'ils furent enfin obligez de se retirer. Mais leur retraite n'eut rien de honteux. Ils la firent regulierement, en combattant, & & meme en morgant les Espagnols à qui ils montroient les casaques de leurs camarades qu'ils emportoient à Ostende. Cette attaque couta aux Assiegez 160 hommes tuez sur la place. Les plus notables furent, Du Har Lieutenant François, Vari Enseigne Anglois, la Loudiziere Sergeant François, de Cordes, la Glandare, & Morillac Gentilhommes avanturiers François. Nuicton, Samesfort, Jomés & Gavard notables Anglois. Entre les blessez furent les Capitaines de Faves & du Mortier François ; Vilfort & Borgan Anglois; Onelton Lieutenant; & le jeune Baron de Dei. Valdez perdit 28 des siens. Les plus aparens etoient Ribera, Ortiz, Mireda, Idiaquez, Corteza, Ulloa, & Rovillerez. Antunez perdit Louero, & Montenegro Enseignes Reformez Espagnols, Grignies & Pontaubin Volontaires François. Loroi Gentilhomme Bourguignon, & 30 soldats. La Ville tira ensuite sur la redoute de Valdez plus de 6000 coups de canon, en 20 jours.

De Veer vid bien de là qu'il devoit plus songer à la defensive qu'à l'offensive. Dans cette Vue, il acheva ses quatre Forts, qu'il nommoit Polder, qui veut dire carré. Il i fit passer les Anglois; mais ils i reçurent un tresmechant accueil. Le feu s'etant pris au plus grand de ces carrez, 40 Anglois furent miserablement brulez tout vifs, & plusieurs en furent incommodez toute leur vie. Cette amertume fut adoucie à la nouvelle de la prise de Rhinberg par les armes du Comte Maurice de Nassau.

Antunez aiant mis la derniere main à la Redoute de Valdez, en designa une autre, qu'on surnomma de S.Augustin, en consideracion de Don Augustin de Messia, qui en etoit le principal auteur mais qui depuis fut surnommée Farias, du Capitaine qui i commanda le premier. Le Marquis de Varanbon & le Comte de Fresin en construisirent une dans la prairie. A la mi-Aout il vint à Ostende un renfort de 1000 Anglois débarquez à Sandvic. Rien de plus insolent que les Anglois dans cette Ville. Vander Noot envoia le Capitaine de Leur pour se plaindre aux Etats du peu de discipline que de Veer observoit, & des outrages que les Bourgeois souffroient tous les jours de sa nacion. Un boulet de canon sembla vouloir lui en epargner la peine. De Veer considerant les approches de Catriz, fut blessé à la tete d'un coup de canon. Mais son courage supplia à sa foiblesse, & sa blessure n'empecha point qu'il ne s'aquita des fonctions d'un grand Gouverneur. Aprez avoir donné les ordres par tout, il se fit transporter à Flessingue pour s'i faire panser plus commodément.

Vander Noot, pour signaler son Gouvernement devenu absolu par la retraite de de Veer, medita une entreprise qui lui reussit en partie. Du Sart Lieutenant François conduit 100 hommes à la faveur des tenebres, & il les fait mettre sur le ventre devant la Redoute de Valdez. Ils font semblant d'attaquer subitement le Fort, mais dans la verité, ils donnent vers la Redoute de Farias, où les autres Entrepreneurs s'etoient rendus. On trouve ce Fort negligemment gardé. On passe par le fil de l'epée les premieres resistances; ceux qui se sauvent, tombent entre les mains de Mortondel, qui les attend avec ses Anglois, & qui ne leur fait pas de meilleur traittement qu'aux autres.

Farias s'etoit retiré au cartier, acause de la fievre ; ses ennemis en apportent une autre cause. Il se leve en sursaut, il ramasse ce qu'il i a d'Espagnols echapez. Il entre dans sa redoute l'epée à la main; il combat en Lion; il fait sauter le parapet aux uns; il tue le reste ; enfin, aprez en avoir massacré 30, il se rend le maitre de son poste. Brusquin, Enseigne du Comte Frezin, n'eut ni sa bravoure ni son bonheur: dez qu'il vid Mortondel entrer dans sa Redoute avec 25 François, il l'abandonna honteusement. Denis Aubrisset Sergeant Bourguignon, tint ferme avec 18 de sa nacion, & il fut cause que l'ennemi regagna la Ville avec le jour.

Ce brave Aubrisset eut la tete enfoncée. Albert lui envoia S.Jean, l'un de ses Chirurgiens, & il lui fit distribuer une bonne somme d'argent ; mais la profondeur de sa plaie, & son grand age ne lui donnerent pas lieu de jouir lontems de ces faveurs. Brusquin, nonobstant la remontrance de ses services passez, fut decapité; sort qu'il avoit vu en songe, immediatement avant que l'ennemi vint le debusquer de son poste. L'Archiduc pour reconnoitre la fidelité des Bourguignons, voulut que cette Redoute fut gardée par le Capitaine Louis de Ville, qui n'en sortit qu'etant percé d'une mousquetade. Elle fut nommée tantot la Redoute de S.Jaque, tantot la redoute des Bourguignons. Ostende reçut un nouveau secours. Celà joint a ce que 58 pieces de baterie du camp n'avoient fait aucune breche aux rampars, desola bien les Assiegeans, qui en 66 jours de siege avoient perdu 14 Capitaines, 36 Enseignes, 27 Sergeans, 45 Gentilshommes Volontaires de toute nacion; 68 engagez au service, 10 Gentilshommes d'Artillerie, & 4773 soldats. Un des plus grands malheurs fut la blessure du brave Colonel Catriz, qui allant reconnoitre de trop prez la contrescarpe, reçut une mousquetade à la tete. Il fut transferé à Furnes où le trepan pensa l'envoier à l'autre monde. Le Marquis de Varanbon le releva dans ses entreprises.

Les Assiegez ne faisoient pas de moindres pertes puisqu'on sut alors que les Anglois seuls avoient perdu 40 Officiers & 2000 soldats, sans conter 300 estropiez qu'on pretendoit d'embarquer avec le corps du Baron de Kenebrot Anglois, & avec celui du Baron de Streton Ecossois, qu'on avoit embaumez. Mais ces vides furent remplacez par le secours qui entra dans Ostende aprez la prise de Rhinberg. Chatillon General des François qui servoient la Holande, l'i conduisit au commencement de Septembre 1601. Il i fut reçu comme un petit Dieu decendu du ciel: Chatillon pour se signaler machina une entreprise qui sembloit tendre à la desolacion entiere des Assiegeans. Il s'entretenoit au Zantil sur ses conquetes prochaines quand un boulet de canon porté de Monthullin fit avorter tous ses vastes desseins. Il discouroit de l'apartement qu'il destinoit à l'Archiduc aprez l'avoir fait prisonnier, assis sur un affut, quand un coup de canon lui enleva la cervelle, & ses pensées presomtueuses. Les Colonels Octenbroc & Broghe, & de Peuplieres Gentilhomme du Languedoc qui l'environnoient, eurent part à son coup, & ils s'en ressentirent toute leur vie. Cette infortune deconcerta sur tout les François, qui se voiant sans chef notable, avoient de la peine à obéir à vander Noot, qui n'en avoit pas moins à souffrir leurs gasconades.

Une seconde infortune acheva d'alarmer la Ville. Ce fut le feu qui se prit à la maison d'un Boulanger, & qui faillit à reduire en cendre la Neuve-Ville. Les Anglois, au lieu d'i remedier, s'en servirent pour piller les boutiques. Les Assiegeans profiterent de ces desordres, & leur artillerie tua 130 persones parmi lesquelles on contoit un Lieutenant Frizon nommé Klot. Vander Noot, pour empecher les desercions, donna charge à Nauvinc Lieutenant Anglois, de visiter soigneusement tous les vaisseaux, & Nauvinc s'en aquita ponctuellement. Les Assiegeans, à la faveur de la basse marée, arreterent un vaisseau qui sortoit d'Ostende pour la Holande. Ils i trouverent 50 estropiats & 15 morts. Les Assiegez vinrent à la recousse. L'escarmouche i fut fort chaude. Enfin les Assiegez aimerent mieux de voir perir ce vaisseau que de le voir entre les mains de leurs ennemis, & à force de coups de canon, ils le detruisirent entierement, & ils acheverent les miserables estropiats qui n'eurent pas la peine de trainer plus lontems leur vie incommode; les Valons & les Bourguignons, nacions qui se distinguent par leur charité, ne douterent pas d'exposer leur vie pour la sauver à ces infortunez. Ils en retirerent 20 la pluspart François notables. Le plus considerable se nommoit la Farge. Lui & quatre de ses compagnons, guerirent par la charité des Archiducaux, & des François qui croient au service de l'Archiduc. Pour detester la cruauté des Holandois, & pour reconnoitre l'honneteté des Archiducaux, ils demeurerent au camp, & ils servirent fort courageusement jusqu'à la fin du siege.

Cependant voici revenir le General de Veer; il debuta par faire sortir quelques François qui, depuis la mort de Chatillon, se rendoient de difficile obeissance, sous couleur que la place etoit trop etroite pour une si grosse garnison. Puis il fit une sortie sur Don Alfonse d'Avalos, à dessein de bruler la gabionade qui regnoit devant la redoute de S.Alexandre. Mais comme cet ouvrage etoit trop vert pour prendre feu, les Entrepreneurs furent contraints de retourner, aprez i avoir laissez 30 des leurs. Les Defenseurs i eurent deux morts & cinc blessez, du nombre desquels etoient l'Enseigne Réformé Ramirez, & Bonafesta Gentilhomme Italien. On dut sur tout la conservacion de ce poste à un jeune soldat Murcien de 18 ans, nommé Gaspar Gilroba. Il etoit en sentinelle, quand les Assiegez vinrent l'attaquer. Il mit bas d'abord d'une mousquetade le Chef de l'entreprise, & puis il courut donner l'alarme au cartier. Il se mela parmi eux courageusement, & les balles lui manquant, il se saisit d'une pique, il alla desceindre l'epée au Chef qu'il avoit tué, & il la rapporta en triomfe. Son Mestre-de-camp Bracamonte le produisit à l'Archiduc, qui, aprez lui avoir donné mille louanges, augmenta sa solde, & lui promit de l'avancement. Mais ce jeune brave n'en jouit pas, etant mort bientot aprez des blessures que sa bravoure lui avoit attirées.

Il entra au meme tems du secours dans la Ville. Frideric Spinola n'en put attraper que trois navires avec 60 prisonniers. Cet avantage des Assiegez fut contrebalancé de la chutte de vander Noot qui, en visitant un nouvel ouvrage de la Vieille- Ville, fut abattu d'un coup de canon qui lui vint des Dunes Orientales. Il en fut si etourdi qu'on le tint pour mort l'espace d'un quart d'heure. Un autre coup tua trois Capitaines, savoir Pomerade, François; Konia, Frizon; Vorning Alemand; & le Baron Norri Volontaire, Anglois tres-riche.

Le Colonel Octenbrouc etant dans les trenchées des Anglois hors de la contrescarpe, fut tué d'un coup de mousquet. Un fenomene en forme de boule de feu passant sur la Ville au commencement d'Octobre, acheva de decontenancer les Anglois, nacion assez supersticieuse. Elle savoit que depuis le 25 Juillet, elle avoit perdu plus de 60 Officiers, & des soldats à proporcion. Celà fut cause qu'elle s'emutina, & qu'elle cria tout haut, qu'elle n'entendoit pas d'etre sacrifiée à l'ambicion d'un seul homme; par où, elle denotoit le Chevalier de Veer. Mais Horace de Veer son frere, qui acause de sa douceur etoit mieux venu des soldats, appaisa cette emocion; le secours que le Colonel Loon amena, fit plus d'effet qu'aucune autre chose. Cet Officier venant succeder à Octenbrouc, amena une bonne somme, cinc pieces de canon,& 25 mineurs Liegeois, nacion à toute main pourvu qu'elle gagne, mais qui est devenue plus sage sous le regne du sage & du prudent Prince d'Elderen.

La Ville renvoia au meme tems plusieurs batteaux chargez de malades & de blessez. Le canon du camp les aiant rendus presque inutiles, les Matelots Holandois, jetterent dans la mer ces miserables passagers, dont les corps vinrent floter vers le Fort Albert. Une femme de Tournai reconnut le corps de son frere. Elle debanda la jambe qui etoit tronçonnée, & entre les premiers linges elle trouva quelques pieces d'or & quelque apparence de sortilege. La pieté de l'Archiduc voulut qu'on peschat ces corps, & qu'on leur donnat la sepulture sur le bord de la mer.

Bracamonte commandant la trenchée, sans consulter personne, eleva un ouvrage entre les Forts S.Augustin & S.Jaque. Les 200 Espagnols & Italiens qu'il i mit, insulterent tant les François qui etoient en garde vis à vis, qu'il prit envi au Capitaine de la Roque de se vanger de ces fanfarons. Il obtint du Gouverneur la permission de conduire 200 François contre l'ennemi. A la pointe du jour il attaqua ce nouvel ouvrage qui temoigna autant de foiblesse à se defendre, qu'il avoit montré de vanité à provoquer. On fit passer par le fil de l'epée ce qui ne put pas s'en sauver. La Roque ne profita point de son avantage, parcequ'au meme tems, les Anglois attaquerent le Fort S.Jaque; & dans la croiance que cette alarme le regardoit, il songea plus à la retraite qu'à la poursuite, & il se vangea par eriger une espece de trofée composé du butin qu'il avoit remporté dans cette occasion. Cet ouvrage de Bracamonte fut jugé inutile, & il fut razé la meme nuit.

Les François eurent un second sujet de rejouissance de la nouvelle qu'il leur vint de la naissance d'un Daufin. Ils crurent ne pouvoir mieux temoigner leur alegresse que par une brusque sortie qu'ils firent sur le cartier d'Avalos. Ils i tuerent 25 hommes, & ils en emmenerent neuf prisonniers. La Cavalerie Archiducale fut à la recousse, mais la mort du Lieutenant qui la conduisoit, & qui fut tué d'un coup de pique, avec deux autres soldats, rendit la poursuite inutile. Les neuf prisonniers furent renvoiez deux jours aprez, à la faveur de deux mois de gage qu'on donna pour leur rançon; au grand deplaisir des Anglois qui enrageoient qu'on donnat cartier aux Catoliques, qu'ils traitoient de diciples de l'Antechrist.

Cet echec n'etoit rien en comparaison du bruit qui se repandit de la proximité du Roi de France. Henri IV etoit venu à Calais. L'Archiduc lui envoia le Comte de Solre pour apprendre si Sa Majesté venoit rompre la paix & ses desseins. Henri qui etoit d'humeur gaie, tourna tout en plaisanterie. Il dit qu'il venoit etre le spectateur & non pas le perturbateur des desseins de Son Alteze. Il se mit ensuite à plaisanter sur la bravoure de l'Infante Isabelle Claire Eugenie qu'il traita de Zenobie. Et pour convaincre que ses approches etoient pacifiques, il envoia au camp d'Ostende le Duc d'Aiguillon qui admira tout, & qui par la bonne correspondance ferma la bouche à une infinité de medisans, & sur tout mit de l'eau dans le vin des Holandois & des Anglois qui esperoient que les aproches de ce Roi ne tendoient qu'à une rupture avec l'Archiduc.

La declaracion favorable du Roi de France fut suivie d'une autre nouvelle agreable; Trivulce, Gambaloita, & le Comte de Buquoi conduisirent un grand renfort au camp. Buquoi passa à Bredené qui depuis lors prit le surnom de Buquoi. Ce Comte dez le troisieme jour de son arrivée entreprit de detruire un pont de barques, que les Assiegez avoient etendu sur le Canal Oriental, & un Fort qu'ils levoient contre les boulvarts d'Espagne & de Pekel. Il mit Gulsin à la tete de 400 hommes de son Regiment. Ce vaillant Ardenois força l'ouvrage, il fit passer 60 des ennemis par le fil de l'epée, il en blessa trente, & il fit fuir le reste, qui se noia pour la pluspart. Le Capitaine Gulsin ne perdit que 14 des siens tant tuez que blessez, du canon de Ville, qui fut de grand usage aux Assiegez. Le Sergeant Ouaille fut un des blessez. Gulsin se retira en bel ordre aprez avoir rendu presque inutile le pont des ennemis.

Les Assiegez, connoissant l'importance de ce poste, le rajusterent incessamment. Buquoi i envoia son Capitaine de Coin; mais il n'eut pas le succez que Gulsin venoit d'avoir; puisqu'il revint sans effet, aiant perdu Corceville Gentilhomme Flamand, du Mont Gentilhomme Valon, des Halles & Ducar Bourguignons; les principaux blessez furent, du Perier & d'Aubri Gentilshommes François, Valigneau Enseigne Reformé Valon, & des Marles, Sergeant.

Les Assiegez, qui depuis lontems n'avoient pu rien aprendre de l'etat des Assiegeans, enleverent, à la pointe du jour, deux sentinelles Valons d'auprez du Fort S.Augustin, par qui ils prirent langue. Antunez, qui commandoit la trenchée, s'en revenga par commander treize Espagnols & Bourguignons, de rendre le change à l'ennemi. Ces Avanturiers se jetterent dans un fossé qui regnoit devant un des Polders ou carrez, & là ils attendirent leur proie. Elle parut dans un Sergeant Anglois nommé Cauvelei qui alloit changer les sentinelles. L'embuscade en tua trois, & elle en emena bon nombre au camp, d'où le canon tiroit furieusement sur les Assiegez, qui dans la crainte d'une camisade s'atroupoient sur les defences. Un seul coup de Monthullin en abatit trente. Cauvelei qui etoit un des prisonniers, declara, que depuis un mois, la milice etoit diminuée du tiers, qu'il i manquoit de l'eau douce, & qu'Horace de Veer avoit reçu une mousquetade à la poitrine. La meme nuit, le feu prit au cartier de S. Claire, & il n'i eut que la diligence du Comte de Bergh qui le sauva d'un entier embrasement. Le Comte de Buquoi pour infester le Ponton qui passoit les Gardes d'Ostende à la Redoute du bord du Canal, surnommé le nid de Cigne, dressa le Fort Filipe, & un autre petit Fort surnommé la Beurrée, ou Boteram. Les Assiegez voiant que plus de 200 coups de canon portez des boulvarts d'Espagne & de Pekel contre cette Beurrée, ne profitoient de rien, subornerent un Anglois, qui muni d'une mixtion maligne, qu'il avoit aprise d'un Ingenieur Thuringien, se fit enroller parmi les canoniers du camp. Il epioit l'occasion de fourrer son ingredient dans la coulevrine fatale au Ponton des Assiegez, à dessein de la faire crever. L'aiant enfin trouvée favorable, ainsi qu'il croioit, il coula sa mixtion dans le fougon. Comme dez son abord on en eut de l'ombrage, on le veilla. Il ne sut faire son coup si adroitement qu'un Sergeant ne s'aperçut de sa fourberie. On le surprit au flagrant delict, on lui fit avouer sa trahison, & ses complices qui furent quelques canoniers Flamands qu'il avoit debauchez. Ils se tinrent tous compagnie au gibet.

Tandis qu'on deliberoit au camp sur la maniere des aproches, les Assiegez percerent la digue Verte, qui venant à recevoir l'eau, causa un grand detriment aux Assiegeans. Les trenchées qui avoient couté trois mois de travail, en furent noiées. 25 soldats Bourguignons & Valons gagnerent une petite hauteur, au milieu des eaux. La Ville les abandonnant à la faim & au naufrage ne tira pas sur eux. Les François qui etoient logez vis à vis, leur parlerent familierement sans qu'aucun Officier les fit taire, ainsi qu'ils avoient coutume de faire. La mer etant retirée, ils se sauverent tous, un de ces soldats nommé Martin le Grand etoit de la compagnie de Bonours. A la faveur de cette retraite des eaux, on retira l'artillerie, & ce qu'on put des trenchées submergées; mais il en couta la vie à 200 hommes qui furent les victimes du Porc-epic, & du Zantil, qui donnoient en droite mire sur ce deluge. Entre les tuez furent la Mine Capitaine Valon, Carignuola Enseigne Italien, Chatelet Enseigne Valon, Beurries Gentilhomme d'Artillerie, Grimoir Sergeant Bourguignon, & Louvet Sergeant Valon. Les blessez furent le Capitaine Narbon, l'Enseigne Vaugri, des Meules & Prion Gentilshommes François Volontaires, & le Prince, Sergeant.

Les Holandois se nuisirent presque autant qu'aux Assiegeans: car cette inondacion pensa renverser le Porc-epic, le Zantil, & la Gueule-d'enfer. La Vieille & la neuve Ville se ressentirent de ce deluge, en sorte, que les habitans furent obligez d'aller neuf à dix jours par les rues, en barquetes. Ce qui desola fort les Assiegez, qui apprehendoient qu'ils ne dussent avoir cette incommodité durant tout l'hiver. L'Archiduc fit incessamment travailler à la reparacion de cette digue percée, pourque les trenchées fussent à sec. La Ville tira sans relache dix grosses pieces sur l'ouvrage, mais les balles qui se meloient parmi les facines ne servoient qu'à l'affermir. Les travailleurs en furent ensuite si cruellement traitez, qu'on ne pouvoit plus trouver personne qui voulut preter la main, nonobstant le grand salaire qu'on offroit. Un Gentilhomme François nommé Pinceval servoit sous Pouilli Capitaine du Regiment de Catriz. Acause qu'il etoit grand homme de bien & fort retiré, ses camarades le surnommoient l'Hermite. Il etoit extremement pauvre & à moitié nu. Cette extremité lui fit faire un coup hardi. Il se presenta lui seizieme, de travailler huit nuits à l'ouvrage dangereux; on l'accepta & l'on convint du salaire. Le bon Pinceval conduisit ses compagnons à la chapelle des Jesuites du camp, où ils se confesserent et communierent tous. Il tint sa parole, & žl ne perdit que cinq de ses hommes. Les echappez, comme ils etoient convenus entre eux, se firent faire un bel habit, ils s'acheterent une epée dorée, & une echarpe rouge. L'Archiduc haussa la solde de Pinceval quatre ecus par mois. Celà fut cause que plusieurs s'enhardirent, & que l'ouvrage fut achevé nonobstant toute la furie du canon ennemi. On donnoit un ecu par jour, sans conter les gages ordinaires. Messia & Velasco contribuerent beaucoup à la diligence des ouvriers, par leur presence, par leurs promesses, & par leurs liberalitez. L'ouvrage fut trouvé de defence contre l'impetuosité des flots. Les Assiegez firent plusieurs tentatives pour le bruler, mais elles furent toutes inutiles. Ils i perdirent le Capitaine Freibac Alemand, & un espion Anglois qui fut pendu. Cette digue ne mit pas seulement les trenchées des Assiegeans à sec, mais de plus, elle empecha que le secours n'entrat au havre, si impunément qu'auparavant, par l'artillerie qui i etoit pointée.

Celà fut cause que l'Archiduc se consola sur ce qu'elle lui avoit couté: en effet cette digue lui etoit bien precieuse; puisqu'elle lui avoit couté quatre cens mille francs d'argent & 500 hommes, parmi lesquels il i avoit 32 Officiers. Les principaux furent le Mestre-de-Camp Bracamonte, le Gouverneur Villaverde, Scipion Garibaldi, sept Capitaines, dix Enseignes, & trois commis d'artillerie. La mesintelligence qui regnoit entre de Veer & vander Noot fut cause que le Comte Maurice rappella vander Noot, qui accompagné de quelques Capitaines ses Adherans, fit voile en Zelande. Ainsi toute la place demeura sous le commandement absolu de De Veer. Cet Anglois pour signaler sa dominacion absolue, fit sortir de nuit 600 hommes pour donner sur les trenchées d'Occident, qui au rapport des espions, n'etoient pas assez diligemment gardées. En effet ils surprirent une redoute gardée des Italiens, mais la bravoure du Capitaine Maini les fit rebrousser chemin. La Favardiere Capitaine François à la tete de quelquesuns de sa nacion, & de quelques Ecossois, forcerent une petite trenchée, où ils passerent au fil de l'epée un Enseigne Espagnol & quelque trente soldats. Mais la Cavalerie Archiducale les relança. Report Capitaine Anglois quita la Redoute des Italiens de Maini, & alla mourir de ses blessures à Ostende. La Favardiere se sauva avec bien de la peine, aiant sacrifié à sa suite trente des siens. La Cavalerie Archiducale blessa Comblans Gentilhomme François, Cauduel Lieutenant Ecossois, & quinze soldats François. La Cavalerie n'eut de blessé remarquable que Zopirello Sergeant Italien, & un Gentilhomme de la meme nacion nommé Sambuzzi. Mais la trenchée Archiducale souffrit davantage. Il i eut de blessé, le Vicomte d'Aussigni, le Baron de Briancourt, la Fertenonain, de Sauges & de Bruieres Gentilshommes François ; Texede Mestre-de- Camp Reformé, les Lieutenans-Colonels de Buquoi & de Catriz.

Tandis que l'Archiduc se rend à Neuport pour visiter l'Infante, qui i etoit venue, le feu consume le Fort Albert par la negligence de la femme d'un Hallebardier de Son Alteze. Albert neamoins ne laissoit pas de revenir au camp de deux en deux jours, & en attendant que son cartier fut retabli, il se rendoit à la cabane du Comte de Solre, le froid otant l'usage des tentes. Tandis qu'il sejournoit à Neuport, il aprit que le Comte Maurice avoit mis le siege devant Boisleduc. Nonobstant la saison tempestueuse, il se mit en chemin, & comme un Soleil il dissipa les brouillards qui menaçoient cette belle Mairie.

La marée aiant fait une breche capable de recevoir dix hommes au boulvart de Zantil, la pointille, qui regna parmi les Espagnols, au sujet de la preseance, donna du loisir à De Veer de la reparer, & d'eluder les desseins de ses ennemis. Mais l'adresse & la vigilance du Comte de Buquoi repara bientot le dommage que cette ambition avoit causé: par le moien des bateries de la digue verte, il empecha l'entrée d'un secours venu de Zelande, & aiant remarqué qu'entre le Canal& la Table-de-Moïse, il regnoit une ouverture considerable, il crut que l'ennemi etoit insultable par cet endroit; & aiant reçu les ordres de l'Archiduc, il s'i prit de cette maniere.

Mille hommes se trouverent à trois heures du matin sur la greve Septentrionale. Le Capitaine le Coin en envoia cent, & il fit marcher à leur tete un François nommé de la Planche, qui etoit le premier qui s'etoit venu rendre au commencement du siege, & qui depuis lors etoit entretenu dans la compagnie de Balanson. Le Coin ne pouvoit faire de meilleur choix: parcequ'il savoit le terrein, & parcequ'il etoit bien determiné & hazardeux. Tandis que la Planche va decouvrir avec dix hommes, le Coin & Kessel Enseigne Brabanson, passent le Canal. Comme chacun vouloit etre du nombre des dix avanturiers, il fallut que le Coin en decidat; il nomma donc Hersel, Miraumont, & Volmal, Gentilshommes Valons, Menilporrot Gentilhomme François Volontaire, Carrel Enseigne Reformé Bourguignon, le Capitaine Goi vieux Lorain, qui avoit commandé en Hongrie, la Troussiere Sergeant François, Belin & Bonours Capitaines Valons.

Ces Avanturiers passerent le Canal aiant l'eau jusqu'aux aiselles. Ils trouverent l'ouverture en question assez negligemment bouchée, & une sentinelle Holandoise, qui chantoit pour bercer ses ennuis. La Planche l'aiant percé de sa pique au travers du corps, le gros s'avança vers un Lieutenant Holandois, qui etoit en garde avec quarante hommes. Comme il fut d'abord accablé, il laissa prendre sa pertuisane, dont il fut percé deux fois au travers du corps; on fit main basse sur le reste, sans epargner meme le tambour: acause qu'il vouloit battre sa caisse pour donner l'alarme. Au meme tems le Coin & Kessel s'avancent, & en se joignant aux dix premiers, ils defont 60 Holandois accourus en confusion.

Au meme tems Don François Martinez Enseigne Espagnol, à la tete de 50 de sa nacion, sort des trenchées Occidentales, & il va mettre le feu aux fassines, qui etoient au pié du boulevard Zantil. Le Coin depecha Troublet, pour donner avis au Comte de Buquoi de leurs avances; mais on ne sait ce que ce Troublet est devenu. Le Coin tint le passage, & il ordonna à la Planche de reconnoitre, avec ses dix hommes, la Courtine tirant du Septentrion à l'Occident. Les autres poursuivirent vingt, qui paroissoient etre des Suisses; & dans l'esperance que les mille commandez viendroient les secourir, ils avancerent bien avant audelà de l'ouverture, qui neanmoins etoit le terme de leur entreprise. Une troupe d'Anglois se presenta, mais les Aggresseurs les enfoncerent à coups de piques, sans avoir que trois blessez des leurs, & encore assez legerement. Bien en prit a le Coin de garder l'ouverture: car sans celà les Avanturiers etoient perdus, puisque les Holandois s'etant aperçus de cette garde, n'oserent rien hazarder. Un timide gata tout, en criant, que la Planche etoit traitre; la Planche aiant dechargé un grand coup d'estramason sur ce calomniateur, se presenta au Capitaine. La marée revenant, on fut obligé de regagner le camp.

L'eau etoit dejà si haute, que les moindres statures en avoient jusqu'aux dens. Il s'en noia trois, & ce fut tout ce que couta cette entreprise, qui la donna bien chaude aux Assiegez. Le canon du camp, durant cette alarme, tua Malton Lieutenant Ecossois, Stolpa Enseigne Frizon, & Brucman commis d'Artillerie; mais par malheur, un coup qui venoit de Monthullin, & qui passa audessus de la Ville, donna sur les Archiducaux, qui regnoient sur la plage Orientale, & il emporta la tete à Antoine Gentilhomme Bourguignon Enseigne de la compagnie de Merci.

Le General de Veer manqua d'etre pris: car la Planche le vid de loin precedé d'une lanterne accompagné de trois hommes seulement; il ne s'en approcha pas: parcequ'il ne le reconnut pas. Tant il est vrai. Si l'ennemi savoit ce que l'ennemi sait, bientot auroit l'ennemi son ennemi defait ! cette camisade fut donnée le 21 Decembre 1601, jour S.Tomas, & le sixieme mois du siege. Les prisonniers que la Planche ramena, decouvrirent que la garnison etoit fort debauchée.

Anselme David Capitaine Bourguignon empecha les effets de l'artillerie Holandoise, par un grand chemin qu'il avoit creusé à la profondeur d'un Cavalier, depuis S.Albert jusqu'à Monthullin. Le cartier de Buquoi n'avoit pas cet avantage, mais il ne laissa pas de poursuivre vigoureusement sa pointe.

L'Archiduc choisit l'avantveille de Noel pour livrer un rude assaut à la Ville, qui n'etoit pas encore bien remise de son alarme, & qui souffroit beaucoup dedans & dehors. Son Alteze parut à cheval vers les quatre heures sur la place-d'armes, pour donner luimeme le signal. Il tint conseil de guerre dans la Hutte d'Antunez, & il distribua les ordres. Pendant cette assemblée une bombe tombant à quelques pas de là tua 15 personnes, elle fit un grand fracas parmi les loges des Vivandiers, & elle n'epargna qu'un enfant au berceau, qui fut trouvé sain entre tant de morts & d'estropiez. Le signal etoit deux volées de canon de Monthullin.

De Veer savoit ce qui se brassoit, & connoissant la foiblesse de sa place, il fit battre la chamade au Porc-epic; un Sergeant Espagnol sorti de sa trenchée, demanda ce qu'on vouloit; mais il lui fut dit de se retirer, & qu'on demandoit un Pourparler de la part de l'Archiduc. Son Alteze i envoia aussitot le Mestre-de-Camp Ribas & le Capitaine Don Diego de Moralvas. Le Capitaine la Contiere François, Sergeant Major d'Ostende s'elevant jusqu'à la ceinture, cria que si l'Archiduc envoioit un Sauf-conduit, le General Veer feroit des proposicions agreables à Son Alteze. Toute hostilité cessant de part & d'autre, Focheron Gentilhomme François qui savoit l'Espagnol, fut introduit vers Son Alteze. Il lui fit une profonde reverence, & il demanda de quelle langue on desiroit qu'il parlat? il lui fut repondu qu'il parlat sa langue naturelle, mais succintement, & qu'il lui seroit repondu en Espagnol. Il demanda courtoisement une cessacion d'armes pour quelques heures. L'Archiduc, sans repondre, le fit reconduire d'où il etoit venu. De Veer battit la deuxieme fois la chamade. Focheron revint avec un Officier Anglois, & comme il parla de composicion, l'Archiduc promit d'envoier & de recevoir des otages. De Veer envoia Forfax & Oglei Capitaines Anglois, & l'Archiduc Matieu Serrano Lieutenant d'Artillerie, & Otanez Sergeant Major d'Antunez. L'Archiduc reçut fidellement les Anglois, & il les fit loger chez Don Messia. Mais de Veer en usa en tresmal-honnete homme avec les Archiducaux. Il fit luimeme donner l'alarme vers la vieille-Ville; & puis se plaignant de l'infidelité des Assiegeans, il commanda qu'on eut à reconduire les otages. Le retour de la marée les en empechant, il leur accorda comme une faveur, qu'ils marchassent parmi la boue jusqu'au boulevard d'Espagne. Ce fut là que Houtem & Carpentier Capitaines Holandois, contre le droit des gens, qui respecte les otages, leur presenterent la pipe à fumer & un pot de biere d'Angleterre, ce qu'ils refuserent avec indignacion. Il survint un Capitaine François nommé S.Hilaire, qui excusant la betise des Holandois, conduisit les otages à la demielune d'Orient, pour etre mis sur le sable, & pour etre consignez aux sentinelles du Fort de Bredené. S.Hilaire leur offrit la collacion à la demielune, mais ils l'en remercierent honetement. Surquoi ils furent consignez au Comte de Buquoi. L'Archiduc les renvoia le lendemain; de Veer les fit introduire par la Contiere. De Veer les reçut, & il les traita, mais d'une maniere indigne d'un Chevalier & d'un Cretien. La table se passa en railleries, contre les Assiegeans & contre le Pape, de Veer fut meme si infame que de les railler au sujet du jeune qu'ils observoient à l'honneur de la naissance de leur commun Sauveur, dont ils etoient à la veille. Tout ce qu'il leur fit d'honneteté, fut de les conduire à leur hotel, & de mettre des gardes à leur porte sans parler de composicion.

L'inhumain ne pretendoit que de gagner du tems, en effet le jour de Noël, le secours de Zelande parut à la rade d'Ostende. L'Archiduc renouvella le commandement de l'assaut; mais il ne voulut jamais rien faire contre sa parole, & il traita les otages Anglois avec beaucoup d'honneur. De Veer fit faire ses excuses, & il essaia de tirer en longueur jusqu'à ce que tout son secours fut arrivé: car il n'avoit encore reçu que 150 personnes de marine. C'etoit un plaisir que de voir les Assiegez & les Assiegeans s'entrecaresser durant la cessacion d'armes. Les François s'i prirent à leur ordinaire, avec beaucoup d'honneteté; les Officiers de part & d'autre apportoient leurs plats & leurs flaccons, & ils s'entrefestinoient en bons amis. Il n'i eut que les Holandois qui manquerent à la bienseance qui n'est pas trop grande; on ne peut pas leur faire ce reproche à l'heure qu'il est. Un nommé Coenle se dechainant avec trop d'impudence contre la Religion Catolique & contre l'Archiduc, pensa s'attirer une brusquerie; le Capitaine la Rochelle Bourguignon eut la main levée pour lui couvrir la joue, & il n'i eut que le droit d'hospitalité & la presence des autres plus civils que ce brutal Coenle, qui la lui fit suspendre. L'Archiduc, quoique bien avisé du mauvais traitement qu'on avoit fait à ses otages, ne souffrit jamais qu'on fit le moindre outrage à ceux de De Veer. Il savoit trop bien que l'honneur reside dans celui qui le rend, & non pas dans celui qui le reçoit. Bien loin, il les fit traiter somptueusement, & joieusement. Il les invita au jeu. Oglei i aiant perdu quelques nobles-à-la-rose, & n'en aiant plus, on lui en presenta 200 pour continuer le jeu.

La Treve n'etant que par terre, & nullement par eau, Velasco pointa de grand matin ses bateries, pour accueillir le secours de Zelande. De Veer amusa le tapis aussi lontems qu'il sut que le secours n'etoit pas entré; mais dez qu'il aprit qu'il i etoit entré, il congedia ses otages, en leur avouant franchement que tout ce qu'il avoit fait n'avoit eté que pour gagner du tems, & qu'il croioit que ce stratageme ne lui etoit pas defendu. Serrano fut renvoié, & Otanez fut retenu pour assurance des otages Anglois, qui etoient encore au camp, & qui furent tous reconduis respectueusement. Les Holandois, à leur coutume, chargerent les Assiegeans de brocards, sans grace & sans sel. Mais Buquoi les eclaircit bientot de son canon. La premiere volée emporta le Capitaine Jostei, & onze soldats.

Le lendemain jour S.Etienne, sur les huit heures matin, les Assiegez se revangerent par tirer au beau milieu du cartier d'Antunez. Ils tuerent Don Diego Mendez de Ribera Espagnol Reformé qui disoit bien devotement son Chapelet, & une vieille qui allumoit le feu. Tout ce qu'il i a de gens d'honneur condamnerent la supercherie Machiaveliste de De Veer, & louerent le procedé de l'Archiduc, & sur tout sa moderacion au milieu d'une infinité de gens qui se dechainoient contre cette fourberie. Focheron Gentilhomme François, qui avoit eté emploié à la ruse, en fit ses excuses à l'Archiduc, il protesta de son ignorance, & il querella depuis de Veer de l'avoir ainsi sacrifié à sa malhonneteté. Les mauvais tems, & les dangers extremes avoient debandez quelques Archiducaux du coté de Lille & de Courtrai, & ils etoient sur le point de s'emparer de quelque place, pour se mettre à couvert de la justice; mais la prudence du Comte de Solre, que l'Archiduc i envoia, les remit dans leur devoir.

Buquoi connoissant bien qu'on assiegeroit vainement la Ville aussi lontems que le passage seroit ouvert au secours, batit un Fort pour en defendre l'entrée, nonobstant la jalousie de quelques Espagnols, qui crioient, à l'assaut general, & qui pretendoient, que pour vanger leur nacion, on pendit Veer au plus haut du rampart. Cet ouvrage couta la vie à 100 personnes avant d'etre mis en sa perfection. Comme c'etoit l'invencion de l'esprit du Comte Charle de Buquoi, & le fruit de ses veilles, il lui donna son nom de Charle. Le premier exploit de ce Fort furent 12 Batteaux qu'il coula à fond, ou qu'il rendit inutiles. De Veer fit entendre en Holande, que, si la mer ne demolissoit ce Fort, Ostende alloit se perdre, & il ne se trompa point dans son presage.

Nous voici en l'an 1602. Cette année eclata par des vens aussi nuisibles aux Assiegez qu'aux Assiegeans. Etant portez de l'Occident, ils remplirent la Ville d'eau, & les trenchées des Archiducaux. Le boulevard de Zantil fut le plus ebreché. Les Assiegeans en prirent beaucoup de courage, & l'Archiduc, aprez les avoir animez avec eloquence designa le septieme Janvier pour l'assaut general. De Veer, qui s'i attendoit, n'en fit pas moins de son coté. Les trente volées de canon etant finies au camp, les Archiducaux marcherent avec une extreme resolucion vers l'ennemi. Nonobstant les tenebres de la nuit, qui regnoient, & qui ont coutume d'inspirer de la fraieur, le Comte de Fresin donna l'alarme aux Quarrez ou Polders, avec Durango, Valterra, Navarro, Limon, & Villalobos qui commandoient sous ses ordres. De Veer fit allumer tant de fallots sur les rampars, que la nuit sembloit etre convertie en un plein jour; ce qui rendit l'artillerie des Assiegez fort fatale aux Aggresseurs.

Les Capitaines Pelousei & de Haions, avec leurs 300 Bourguignons & Valons trouvent l'ouverture, où ils doivent donner de force, bouchée d'une demielune, & à la defence, les Capitaines de Roulle & Otenhoven, qui abatent trente de leurs meilleurs hommes. Durango donna furieusement sur le Zantil; mais il i trouva une forte resistance du Chevalier de Veer, qui i etoit posté avec douze compagnies. Le Chevalier Gambaloita attaque la vieille-Ville, mais il trouve sous les armes le Colonel Loon avec les Capitaines Hafton & Pitan. Brusadoro tira sur la gauche, mais il n'i trouva pas moins d'obstacle. On se battit à outrance dans chaque endroit, mais le plus grand feu fut au Zantil. Ce qui troubla le plus l'entreprise, fut que les Capitaines Gesan, Coin & Prelle ne purent passer le canal acause de la profondeur des eaux.

Le plus heureux & le plus brave fut le Chevalier Gambaloita, qui avec ses Italiens, passa au travers des piques ennemies, & qui gagna le haut du Boulevard Scotembourg; il alloit entrer par là dans la Ville, quand de Roque voiant que Gesan & les autres ne pouvoient pas passer le Canal, & parsuite que sa presence n'etoit pas necessaire à la Table-de-Moïse, qui en etoit defendue, accourut avec ses François à Scotembourg; Gambaloita i fut tué de plusieurs coups. Les Capitaines Pelousei & Haions & l'Enseigne Nardin, qui escaladoient dejà la Courtine, furent renversez par ces nouveaux venus. Haions eut le bras cassé d'une mousquetade.

Pendant qu'on se battoit au Zantil, & à la vieille Ville, Buquoi, qui couroit par tout à cheval, envoia le Capitaine Gantoie pour donner sur le Nid-de-Cigne. Gantoie en cotoiant le canal, pour attaquer le Fort, perdit un Sergeant, & quelque douze de ses 150 Bourguignons & Valons. A 200 pas du Fort, un Irlandois vint se rendre ; mais comme il avoit bu, on ne put rien aprendre de positif de lui. Gantoie monta le Fort, mais il fut renversé à grands coups de piques. Parmi ces piquiers se trouvoit un François nommé l'Etang. Il etoit un de ceux que les Holandois avoient mieux aimé de faire euxmemes perir de leur canon, que de les voir entre les mains des Archiducaux. Pour reconnoitre le bon traitement que les Bourguignons & les Valons lui avoient fait, il s'ecria: par la porte, Messieurs, par la porte. Fournai & Chalai Gentilshommes François, les Capitaines Belin & Bonours, le Sergeant Martin, & cinc Valons accepterent l'offre que l'Etang leur faisoit. Il les conduisit à une petite porte joignant le canal qui coule vers Bredené ; un coup d'epaule en fit la raison. Huit soldats i accoururent; mais ils prirent aussitot la fuite. Un soldat mettant le feu à une vieille piece qui defendoit cette porte, tua trois Valons, brisa la jambe à l'Etang, & blessa mortellement le Sergeant Martin. Bonours eut sa pique tronçonnée rez du poing, & la garde de son epée toute froissée. Ce coup deconcerta le reste. Bonours & Belin trainant l'Etang, faillirent d'etre pris. Gantoie n'etant pas plus heureux de son coté: acause des acroches des pallissades & de la profondeur du fossé: fut pareillement obligé à la retraite. A peine remenat'il vingt hommes à S.Charle, où le Comte de Buquoi leur ordonna de se rendre.

Cependant le combat s'echaufoit au Zantil. La presence du General Veer contribua beaucoup à la resistance des siens. Il n'i eut que le commandement de l'Archiduc qui arracha les siens du carnage, & qui leur fit repasser le canal. Les plus remarquables d'entre les Espagnols qui demeurerent en cette attaque furent, Gamarra, Navarro. Villalobos, los Govios, André de Moralta, Frion, & Ximenez fraichement venus d'Espagne. Quinze Enseignes Reformez, Peña, Vera, Luna, Quiñones, Martinez, Moria, Losada, Ornoquez, un autre Moria, Fernandez, &c. Sous Durango, perirent ou furent blessez, du Saut, de Mar, de Pental, d'Aionville, de Maureol, de Peautac, de Fouverge, de Abrignes, de Polignon de Neuville, & de Verdales Gentilshommes François. Prouvain, Merode, BelOEil, Fontaine, Longin, Beillart de Witz, Gentilshommes Belges Volontaires i furent pareillement ou blessez ou tuez. Peinberg Baron Alemand, i fut tué. Verdatiere & Real Gentilshommes Savoiards, i furent blessez. De la Cavalerie furent blessez, Verdugo, Coradino, la Volaine, Remond, & Antoine, Capitaines qui se melerent parmi les gens de pié. Les blessez d'entre les Espagnols furent, Durango, Zavallos, Cardenez, Fonseca, Ruiz, Aguila, Velés, Salazar, Zapata, Villareal, Mendez, Urtenas, Mendoça, Albornos, Peralta, Benacasar, Diez & Alvarez. Des Italiens moururent Gambaloita, Pepoli dont l'ennemi refusa de rendre le corps, Cusano, Franconelli, Malatesta, Pulcini, Miniati, Lavagni Schala, tous Gentilshommes. Les blessez de la meme nacion furent, le Comte de S.Ange, Morelli, Salviati, Ursino, Scipion, Corali, Lavagiera, Bonorsi, Alani, Capani, Crivelli. Sangro, Simoneti, Gran, Gigara, & Vercellino. Du Regiment de Varanbon furent tuez, Nardin, S.Audrin, de Joume, & de Gerimont Gentilhomme Ardenois de Monpleinchamp prez de Neufchateau. Les blessez furent Malazan, S.Mauriz, du Four, de Lavei, du Pont, de Liambois, & Aubichet.

Des Valons furent tuez sur la place, le Capitaine Mougard. les Enseignes Petit & Mandieu, les Sergeans la Gourme & Petitval. De diverses nacions moururent, S.Martin, Genoie, Pipemont, Villers, Aubincourt, Handoie, Courieres-d'Aflize; Popelin, Marillaine, du Breu, Apelghem, Avesbain, Nonainville, Marliez, Totincourt, tous Gentilshommes. Les blessez furent, Haions, Bourville, Glaicour, Courtau, Assenai, du Har, Pierrepoix, Salmier, Hautebroie, d'Ava1, Mol, Liranci, Salemal, Goursei, & Putrainci.

Les Assiegez perdirent leur General d'artillerie, les Capitaines Kol & Hafton; les Lieutenans Hafton, & Motmans; Spelt Enseigne; Pima & Grivet Commis d'artillerie; Laval, Petitpont & Belghem Sergeans. Peraut, Hercourt, & Brueil Gentilshommes François bien estimez. Mortingam, Beldel, Grei & Barquam notables Anglois. Grita Gentilhomme Frizon. Enfin ils eurent 230 tuez, & 300 blessez selon le rapport d'un soldat qui le lendemain vint se rendre au camp. Ce rendu decouvrit aussi qu'un homme du camp, par son intelligence avoit eté cause qu'on n'avoit su passer le canal car ils avoient retenu la marée, & puis ils l'avoient lachée, au tems que les gens de Buquoi furent sur le point de passer, ce qui en moins d'un quart d'heure, avoit extremement grossi le canal, & l'avoit rendu ingaiable. L'Archiduc fit chanter un magnifique service à Neuport pour les morts, & il ordonna des remedes pour les blessez avec la derniere charité. Les Holandois firent fort valoir cet avantage; mais leurs mensonges & leurs insolences les decrediterent auprez de la posterité, qui en rabatit plus d'un tiers.

De Veer animé du passé pour l'avenir, profita de la desolacion du camp ennemi, & connoissant trop que la digue verte empechant l'entrée au secours, lui seroit enfin desastreuse, il n'omit rien pour la detruire. Il trouva un François nommé Guerin de Boisse, favorable à son dessein. Guerin convint pour une Lieutenance, s'il echapoit, & pour une recompense à la jeune femme qu'il venoit d'epouser, s'il i demeuroit. A dix heures d'une nuit obscure, il decend avec deux barquetes; l'une etoit remplie de feux d'artifice propres à bruler la digue, l'autre n'avoit que deux rames, & quelques crochets, propres à ses intencions. Il avoit une epée courte en echarpe, une dague aux reins, & deux pistolets de poche, il n'etoit accompagné que de deux bateliers adroits. A la faveur de la haute marée, & d'un bon vent, il arrive à la digue. Les sentinelles se reposant sur la hauteur de la marée, se promenoient à pas redoublez pour s'echaufer. Etant à deux piques du lieu qu'il avoit desseiné, il demeure dans une des barquetes, & il fait avancer celle où etoient les matelots, au bout des grans pilotis. Abandonnant sa barquete aux vens, il arrive selon ses souhaits. Le premier sentinelle s'amusoit à chanter. Quand ce chanteur negligeant & promenant lui eut tourné le dos, il acrocha sa barquette artificielle à la digue. Le sentinelle sentit le bruit, il s'abaissa pour en voir la cause, & au meme tems de Boisse lui brula la tete d'un de ses pistolets de poche.

Tandis que l'alarme se donne aux cartiers, de Boisse met le feu à son bateau artificiel; & malgré cent mousquetades, il regagne à la nage la barquete des bateliers qui l'attendoit; il passe à Ostende, & il contemple à loisir le feu qu'il vient d'exciter, mais il n'eut pas toute la joie qu'il en esperoit. Le Mestre-de-Camp Suarez qui commandoit la trenchée, acourut au danger, il essaia de detacher la barquete incendiaire, de la digue; mais il en perit tant dans cet effort, que personne n'osoit s'i hazarder. Neanmoins un Jean vanden Bergh entreprit de faire ce detachement difficile & dangereux. Il se depouilla, il se jetta dans l'eau, & en se moquant de cent canonades, & de mille mousquetades, il arracha l'ancre assez legere, qui affermissoit la barquete, & qui la tenoit attachée à la digue. Des gens apostez, à force de chaines, trainerent la barquete sur la greve. On retrancha à coups de haches ce qui etoit dejà embrasé, & par ce moien, l'on empecha les progrez de l'embrasement. La barque etant au bord, joua, mais inutilement. Cependant comme il en sortoit un petit enfer, on conclud le bonheur qu'on avoit de l'avoir arrachée de la digue, qui infailliblement auroit eté reduite en cendres par la multitude, & par la malignité de ces feux infernaux. Nous avons vu l'image de cet enfer flotant dans la machine que la France emploia pour bruler le pont de Filisbourg assiegée de Charle Duc de Loraine, cinquieme du nom, & qu'elle eut le deplaisir de voir inutilement s'evaporer au bord du Rhin. Felicitons cependant ceux qui ont l'honneur de porter le nom de vanden Bergh à Brusselle.

Le feu avoit dejà tellement gagné, qu'on fut trois jours sans pouvoir l'eteindre; cette action couta aux Archiducaux 80 morts, & 136 blessez, dont les plus notables furent, les Espagnols Serron, Olivera, Urqueras & Valdemar, Pusterla & Papi Gentilshommes Italiens, manquerent d'etre suffoquez de la fumée.

Si cette entreprise ne donna pas tout le plaisir esperé aux Assiegez, ils eurent dequoi se consoler du secours que le Colonel de Marquette leur conduisit. On crut que de Marquette etoit envoié pour contrebalancer l'arrogance de Veer. Ce Marquette au reste est fameux: parceque c'est lui qui a rendu la ville d'Ostende à l'Archiduc. Il ne perdit que trente hommes en entrant, parmi lesquels on contoit le Lieutenant Bertol, & l'Enseigne le Roi, à qui un coup de canon arracha le drapeau des mains. De Veer enflé de ce renfort, fit passer sa garnison en revue; & elle se trouva forte de 5825 soldats effectifs. Il fit sortir trois bateaux de bouches inutiles, qui etant tombez dans la puissance du Comte de Buquoi, en experimenterent la courtoisie. Ce fut ce qui acheva de lui gagner tous les cOEurs.

A la mi-Fevrier deux François sortis d'Ostende, se rendirent au Capitaine de Mortagne; & pour se vanger d'un Lieutenant Anglois, qui les avoit maltraitez, ils s'offrirent de l'accabler. Mortagne, aprez avoir pris ses assurances, de l'aveu de Don Messia, leur donna 50 Bourguignons sous l'Enseigne la Pierre. Vertier, l'un de ces Transfuges, avec cinc Bourguignons, entre au quatrieme carré ou Polder; le reste le suit. On fait main basse sur tout, à la reserve d'un Sergeant, qu'on garda pour en prendre des instructions; mais il mourut de ses blessures en chemin; & les Archiducaux revinrent de leur expedicion, sans avoir perdu un seul homme.

De Veer conspirant avec les tempetes, pensa detruire le Fort S.Charle, qui lui etoit le plus incommode de tous. Tandis que Buquoi racomode ce Fort, le Colonel Emond conduit un puissant secours à Ostende; & il fut bientot aprez suivi du Colonel Dorp, qui i entra sur la fin du mois de Fevrier.

Le Comte de Buquoi, pour aprendre à fond l'etat des Assiegez, suborna son Trompette. Ce Normand, sous couleur de prendre les ecos le long du canal, attiroit de ses compatriotes; il en vint le lendemain jusqu'à 60. Buquoi, pour oter aux Assiegez toute sorte d'ombrage, fit passer le canal à quelque Cavalerie, qui tua & qui dissipa ces bons amis. Cependant le Trompette observa la profondeur & le bord du canal, pour favoriser le dessein de son maitre; ce dessein etoit suggeré d'un galerien Turc. Il consistoit à imiter ceux de Malte, & à attacher à l'ancre de gros cables, enfilez de tonneaux vides, qui venant à floter avec la marée, empecheroient le passage des batteaux. Mais les vens & les flots de cette mer, bien differens de ceux de la Mediterranée, emporterent cette machine, qui servit de risée & de triomphe aux Assiegez.

Ils n'avoient pas cependant tout le sujet du monde de s'en glorifier: puisque si ces tonneaux n'empecherent pas entierement l'entrée du secours, au moins en rendirent-ils l'accez fort difficile; & jamais secours ne fut plus mal-mené que celui qui se hazarda le premier. De quinze batteaux, il n'en entra que trois. Le reste fut ou coulé à fond, ou pris, ou rendu inutile. Ce malheur leur arriva au commencement de Mars; & comme les maux sont enchainez, il fut suivi d'un second: car un Transfuge aiant donné avis à Buquoi, que de Veer faisoit travailler auprez du Flamenbourg, il i fit pointer son canon, qui tua le Lieutenant Korb, l'Ingenieur Colin, & deux Charpentiers, que Veer auroit voulu racheter pour 2000 ecus. Tant ils lui etoient necessaires; ces disgraces furent adoucies d'un puissant secours que les Assiegeans ne purent arreter. Il vint au meme tems un ordre à de Veer, de la part du Comte Maurice, qu'il eut à partir incessamment. Le Gouvernement fut donné au Colonel Dorp, qui fut rejoui de deux bons secours qui lui firent la bienvenue, avant que le mois de Mars ne fut ecoulé. Le Comte Maurice fit relever Colin par l'Ingenieur Vautier Brulé Gentilhomme treshabile. Snuit, Jarniz & quelques autres Anglois, faisant les doubles traitres, manquerent de faire donner les Assiegeans dans le panneau, mais la prudence de l'Archiduc eluda leurs impostures, & le bonheur voulut qu'une lettre interceptée de Calais, decouvrit & dissapat toutes leurs perfidies.

Albert sachant que le Comte Maurice tenoit la campagne, laissa la conduite du siege d'Ostende au Mestre-de-Camp Ribas, & il se tint à Gand, pour veiller aux operacions. La Garnison d'Ostende se montoit à 7086 hommes. Albert bien loin de fortifier son camp, fut obligé d'en faire un detachement, & d'en faire un camp-volant dans le Brabant sous la conduite de Mendoçe Amiral d'Arragon, qui aiant eté pris à la bataille de Neuport, ne venoit que d'etre elargi. Ribas n'eut qu'onze mille hommes pour continuer le siege. Trois cens hommes de Recrues, qui vinrent aux Valons, & un Regiment de Liegeois, que le brave Comte de Tilli i conduisit, releva le cOEur des Assiegeans.

Les deserteurs Archiducaux alloient desoler la Flandre, mais la prudence du Comte d'lsenghien Majordome de l'Archiduc, les remit tans le devoir: cet Isenghien est l'Ancetre du Prince de Mamine & de Gand d'aujourd'hui. Un Ingenieur nommé Prevost, qui jusques alors ne s'etoit pas aquis bien de la reputacion au camp, se rendit fameux par l'invencion de certains rouleaux, qui servirent à couvrir les travailleurs, & à former des ouvrages. Il fit charpenter comme des jantes de roue de moulin, qui par le moien des mortaises, faisoient un cercle de 15 piez de diametre. Trois de ces cercles separez, six piez l'un de l'autre, etoient remplis de saucisses longues de 23 piez; ces saucisses etoient coignées de bons plançons de jeunes chenes ; de maniere que tout n'etoit qu'une masse. Les ouvriers rouloient ces machines, qui tenoient du tonneau, sans peine, & ils travailloient derriere, en toute securité, sans que le canon leur nuisit.

Renaudville, Ingenieur François animé du succez de Prevost, offrit l'invencion de certaines balles qui etant dans des ramparts de terre, feroient de prodigieux effets. On en fit l'epreuve; mais on vid que ces balles, pour la pluspart, crevoient avant que d'arriver au terme. Celà n'empecha point que l'Archiduc, qui se trouvoit indisposé à Gand, ne fit conter 300 ecus à l'lnventeur.

Le 25 Juin il entra dans Ostende un puissant secours. Cette mechante nouvelle pour les Assiegeans. fut suivie d'une autre, qui n'etoit guere moins facheuse, savoir celle du siege de Grave. Le Gouverneur Dorp se servit de deux grans fripons pour surprendre les ouvrages les plus avancez des Assiegeans; l'un se nommoit Jean Landouille, né à Lille, & l'autre etoit un Irlandois nommé Cublin. Ribas se servit de leurs doubles trahisons pour jetter les Assiegez dans le piege. La precaucion que les Assiegez eurent d'envoier reconnoitre & de sacrifier le Lieutenant le Quene, avec 30 hommes, empecha un grand massacre. Outre une infinité d'instrumens de surprise,les Assiegez i perdirent 200 hommes, sans conter un grand nombre de blessez. L'expedicion manquée & finie, Ribas fit pendre à une grande & double potence les deux fripons, le Lillois & l'Irlandois. Dorp, qui s'etoit dejà vanté aux Etats de Holande, de son entreprise, comme d'une chose faite, en fut si indigné, qu'il demeura deux jours sans manger. Et pour s'en revancher, il fit pendre trois innocens soldats du Regiment du Comte de Fresin, que ses sauteurs avoient pris depuis peu. Il passa le reste de son chagrin par un secours de 40 vaisseaux qui lui vinrent le 26 Aout. Le Colonel Brienen Conducteur de ce secours, eut le malheur d'avoir la tete emportée d'un coup de canon, qui lui fut tiré du Fort S.Charle.

Le Colonel Catriz, gueri de sa blessure, revint au camp, & il commença d'abord à faire sentir sa presence par suborner un de ses soldats, Lorain de nacion, nommé Fourbier. Cet adroit trouva moien d'examiner le Fort & le foible de la Ville d'Ostende, & il eut le bonheur de faire son rapport à Catriz. Il seroit sans doute venu à bout des carrez, ou des Polders, qui etoient negligemment gardez, & dont Fourbier avoit examiné les avenues, si quelques Espagnols jaloux, qui traitoient Catriz de second La Berlot, n'eussent traversé son entreprise. Si les particuliers sont blamables, le Chef merite une gloire eternelle. Ribas pourvut si bien au camp, que nonobstant la peste portée d'Ostende, nonobstant l'hiver, & toutes les fatigues d'un siege aussi rude que celui-là, il avoit plutot la forme d'une Foire de Francfort ou de S.Germain que d'un camp.

La digue Orientale de Buquoi n'aiant pu s'achever, avant le mois de Novembre, facilita le passage à de nouveaux secours, qui aborderent à Ostende. Quelques soldats ennuiez du siege, & aprehendant l'aspreté de l'hiver, se mutinerent, & firent des courses entre Aix & Duren. La prudence de Ribas mit obstacle aux desertions, & aux mutineries. Ce fut en ce meme tems qu'on pendit au camp trois francs espions, qui avoient fort contribué au soulevemen des soldats rebelles, l'un fut Martin Faland Artezien, le second fut Fremin le Moine de Mons-en-Hainaut, & le troisieme fut Eloi de Montfort d'un Vilage prez de Douai. On decouvrit d'autres trahisons plus importantes, qui ne tendoient à rien moins qu'à la ruine totale du camp ; ces decouvertes convainquirent qu'un OEil extraordinaire veilloit & favorisoit les entreprises de l'Archiduc.

Les Assiegez, nonobstant leurs secours, etoient extremement reduits par la peste. En trois mois, elle emporta 160 Officiers, entre lesquels on contoit 27 Capitaines. Dorp ne cessa pas de se servir de la ruse; à cet effet, il emploia un Anglois nommé Fevans, qui manqua de perdre Ribas, & ce fut alors qu'on reconnut combien les defiances de Catriz etoient bien fondées. L'intention de ce double Traitre etoit d'attirer une bonne partie du camp vers les carrez, & de l'i faire perir; & il n'i eut que le Sergeant de Catriz, qui s'avança sans en avoir aucun ordre, & meme contre la volonté de Ribas, qui eventa tout, & qui empécha que mille hommes ne fussent egorgez. On reconnut dez le lendemain que ce Fevans etoit un Chartreux Apostat, Faux-monoieur, & hapelourde, s'il en fut jamais, qui avoit dupé plus de 20 persones au camp, à qui il faisoit passer des morceaux de verre pour des pierreries. Qui croiroit qu'on put aprendre toutes ces filouteries dans une sainte Chartreuse. Ribas, qui avoit lieu de se defier de tout, aprez tant de perfidies, hazarda sur un Ardenois nommé Gerard Hubert, qui s'etant enrolé dans la ville, pratiqua la desercion de quantité de Soldats. Ce Gerard lui tint parole jusqu'à la mort, mais un Espion alla decouvrir son projet, au Gouverneur d'Ostende; & il fut cause que l'entreprise tresbien concertée ne sortit pas son effet. Les heritiers de Gerard furent liberalement recompensez.

Dorp, pour avoir des nouvelles du camp, suborna trois grands fripons, un Lillois, un Flamand, & un Anglois. Ils avertissoient la ville de tout ce qui se passoit au camp, mais un vieux Sergeant Valon nommé le Hurleux, les surprit, & Ribas les fit pendre avec leur receleur, qui etoit un Vivandier Tournizien. Gilson eut le meme malheur. Il avoit eté de ces mutins qui avoient rendu le Fort S.André. Il exerçoit l'office de Sergeant Major General dans Ostende. Comme il essaia de passer en Zelande pour se marier, il epousa la corde: car un Soldat, qui avoit eté autrefois son Sergeant, & qui en avoit eté maltraité; le reconnut, il le decouvrit, & il le fit pendre. Sa charge fut donnée à Selidos François de nation.

On laissa passer l'hiver sans rien faire de bien considerable de part & d'autre; mais le Dimanche aprez Paque, 13 Avril 1603, Ribas fit resolucion de donner un assaut general. Comme l'on regardoit cette guerre ainsi qu'une guerre de Religion, le Pape avoit envoié au camp des Indulgences, qui furent reverées & embrassées des Archiducaux, autant qu'elles furent jouées dans Ostende, sur tout par un Ministre nommé Daler, qui etant venu de Pomeranie avec deux jeunes Barons, y trenchoit bien du Patriarche: voici l'ordre de l'ataque.

Le Baron de Balanson etant à S.André, fit avancer le Capitaine Erard Gendron & son Enseigne Colonel de Motonne, au-delà de la gabionade, pour avoir l'honeur de voir les premiers l'ennemi. La Malaise Lieutenant Colonel du Comte de Tilli donna le meme ordre au Capitaine de Brand avec ses Liegeois. Ces troupes marcherent separées l'une de l'autre, environ 200 pas. Gendron etoit precedé de Gibome, de Clevanges, & de Du Val, Gentilshommes Lorains; de Morand, de Tallai, de Duchatau, de Horel, & de Bretonier Gentilshommes François; de Belin, & de Bonours Gentilshommes Bourguignons. Ces dix avanturiers armez de piques, avoient ordre de surprendre les sentinelles du Fort surnomé le Fer-à-Cheval, qu'on alloit ataquer. Mais une lueur, qui sortit du Porc-epic decouvrant les aggresseurs, les sentinelles prirent la fuite, & donnerent l'alarme. Trois sentinelles se jetterent au Canal. Morand, Belin & Benours les poursuivirent à coups de piques, mais ils ne purent empecher leur passage: une palissade basse & ferée acrochant leurs habits. Morand i reçut une mousquetade à l'épaule. Gendron resolut d'ataquer le Fer-à-Cheval, qui etoit defendu par des Suisses, par des Anglois & par des François. Tandis que Gendron range ses mousquetaires le long de la contrescarpe, pour faire feu sur ce qui paroissoit au-dessus du parapet, l'Enseigne Motonne, avec ses piquiers, cherche passage au pié du rampart. Les dix avancoureurs se coulerent le long d'une palissade plantée sur une petite digue, qui conservoit l'eau du fossé. Les François essaierent de la rompre ou de l'aracher ; les Bourguignons passerent au-dessus avec l'assistance de quelques Soldats. Cependant le Capitaine Brand donnoit avec ses Liegeois courageusement sur la droite. Une pluie le favorisoit: parcequ'elle empéchoit que les mousquets ennemis ne prissent feu, & il n'avoit que des piques à essuier. Gendron & Motonne, avec le gros des mousquetaires & des piquiers, essaierent de joindre les braves qui avoient franchi la palissade ; quelques-uns d'eux se noierent, en voulant passer le fossé; Gendron tacha de franchir la palissade, mais il ne le put: à cause de ses armes fortes, & que deux de ses Soldats, qui le soulevoient, furent tuez à ses cotez. De bonheur, Tibau Boulet, son Sergeant, trouva une porte derobée, qui leur donna l'entrée. La banquete etant large de dix piez, Gendron avec ses gens, se mit en devoir de monter dans le Fort, où il lui deplaisoit que les Liegeois l'eussent precedé.

Brand & Vatelet surnomé, Nette-bouche, gagnerent une petite levée de terre attachée au rampart, & là, secourus de quelques braves Gentilshommes, ils tinrent ferme contre toute la fureur des Suisses, les Gentilshommes à qui l'on dut la conservacion de ce poste, & la conquete du Fort, etoient pour la pluspart des Belges, savoir, Glime, Berlo, Farison, Cupis, autrement Camargo, Hautem, Salmir, Bonnes, Villart, Bologne, Harties, Nouville, Pileghem & Roudes. Il s'i trouva trois François volontaires nouvellement arrivez au siege, nommez Franqueret, Clairmont, & Mortignac; & trois vieux soldats Valons fort braves, de Fabert, Valentiz & Morogne. Ils avoient en tete trois Sergeans, Timotée Sail Suisse, Isaac Leri Anglois, La Landre François. Les autres Officiers faisoient bonne chere à Ostende. Gendron s'impatientoit de son coté: parceque le lieu etoit inaccessible. Enfin deux eschelles lui aiant eté passées au travers du fossé, il en prit une, & Bonours prit l'autre. La Landre vint avec 12 de ses François, pour empécher l'escalade, & Leri avec quelques Anglois. La Landre distingué d'un pourpoint blanc, s'attira bien des coups pendant la nuit, sans abandonner le haut. Le bonheur des Assaillans, fut que les armes à feu des défenseurs ne leur firent presque pas de mal, acause qu'etant obligez de tirer en bas, & ne prenant ou n'aiant pas le tems de bourrer, les balles descendoient du canon. Par une raison toute contraire, les Attaquans qui montoient, tiroient à coups surs. Timotée avec ses Suisses tenoit tete valeureusement de son coté; & Brand commençoit à souhaiter le secours des Bourguignons, quand un plaisant Liegeois dit un mot qui deconcerta autant les Aggressez, qu'il encouragea les Agresseurs. Gendron n'etoit pas encore en terme de passer, neamoins le Liegeois, comme s'il 1'eut vu, se prit à crier, courage Messieurs, les Bourguignons ont forcé l'autre coté, & ils viennent à nous. A ce mot, Brand fait de nouveaux efforts, & la crainte du renfort amollit les Suisses. Un Bourguignon fit à peu prez le meme effet du coté de Gendron: car ce Bourguignon aiant dit à Gendron que les Liegeois alloient etre vainqueurs, Gendron s'elança sur le parapet, & il s'i tint à genoux. Au meme tems deux coups de piques le renverserent de haut en bas. Motonne prit sa place, & il donna le tems aux braves de gagner la hauteur. Bonours montoit sur la 2 echelle quoique blessé au bras, au cou, à la joue, & à la tete d'un coup de marteau ; mais son echelle fut renversée. La bravoure de La Landre fut admirable; ses gens etoient presque tous tuez, & neamoins il persistoit à se defendre en lion; & il n'i eut que le mousquet de Gradion Bourguignon, qui mit fin à sa valeur, en lui brizant la cervelle de deux balles. Sa mort decouragea le reste. Cependant, Boulet Sergeant de Gendron, à la tete de 12 braves, attaqua Leri Sergeant Anglois, qui combatoit à la droite, & il le renversa de trois coups. Cette chutte fit tomber le courage aux autres Anglois. Celà fait, Motonne, Bonours & 15 autres allerent donner la main aux Liegeois, qui avoient toute la force des Suisses sur les bras. Mais comme on ne se reconoissoit pas, celà fut cause qu'on se donna quelques coups de part & d'autre. Il n'i eut que le mot du combat qui etoit, Filippe, & l'accent Liegeois & Bourguignon, que les discernerent, & qui firent cesser les coups aveugles. On ne prit aucun drapeau parceque les plus habiles aiant passé le pont du canal, s'etoient sauvez dans la contrescarpe d'Ostende. Les trois braves Sergeans i laisserent la vie avec deux Gentilshommes Anglois, nommez Goband & Trei, & avec cent Soldats. les Archiducaux perdirent Lessan Gentilhomme Bourguignon, Monchier Sergeant, & I'Apointé Avisé. Les blessez furent, Du Chateau, deux Belletombe Gentilshommes Savoiards, Morel, Glun & Oreillard, qui servoient dans Balanson. Les Liegeois perdirent, Harties, Bologne, & Velbart. Il i perit Roart Gentilhomme Flamand, & la Foret Lorain volontaire. Les blessez Liegeois furent, de Brand, & Vatelet. Les blessez Belges furent, de Glime, Villart, Fanson, Hautem, Villette, Camargo, Le Queux, Bellegarde, & trois François volontaires.

Ce Fort en tout, ne couta à l'Archiduc que 30 hommes noiez ou tuez. Pendant que les Bourguignons & les Liegeois de Tilli se rendoient les maitres du Fer-à-cheval, le Capitaine de Ville, avec ses Bourguignons, le Capitaine Rouville & le Baron de Lietre beaufrere du Colonel Catriz, avec leurs Valons, alloient attaquer le Polder carré. Aprez avoir erré quelque tems, ils virent enfin venir à eux le Plessiz entrepreneur François, qui l'epée blanche à la main, les conduisit le long d'une petite digue entre les fossez à la porte du coté de la Ville. La compagnie de Pascal le Duc, surnommé les nouveaux Gueux, i etoit en garde. Pascal faisoit bonne chere en la Ville, & il i avoit laissé Prichet son Lieutenant. Ce Prichet fut tué avec dix soldats, dez qu'on entra dans le Fort. L'Enseigne sauta de haut en bas avec son drapeau; mais Renaud Hollet Gascon, qui servoit dans le Baron de Lietre le poursuivit, le perça d'une estocade, & rapporta son drapeau. On en tua, à la chaude, 60, & l'on en blessa 18, qui furent faits prisonniers. L'Archiduc i perdit Beaujeu & Montaubri Gentilshommes François, Volontaires; Blaigneau, Coras & Louville, Gentilshommes Valons & 20 soldats. Les blessez furent le Sergeant la Mine, du Roc & la Poterie Gentilshommes François; Bonain, & Mortai-Blaincourt.

Tandis que les Valons & les Bourguignons se rendent les maitres du Polder carré, ceux du Regiment de Frezin ataquent le grand carré, gardé par Cobbé, & par Borgh, Capitaines Anglois. Les Capitaines Neron & Batelle, & Tarsiz Enseigne de Catriz, en taillerent en pieces environ 200, dans l'abord. De ce nombre etoit le Capitaine Borgh & Jorel Lieutenant de Cobbé, Froiman & Stalberi Enseignes; Preton, Més & Jounai Sergeants; Gribel & Teiton Gentilshommes. Dorp fut extremement surpris d'aprendre la perte de ces trois carrez importans; & la Ville en fut si alarmée, que 2000 soldats bien conduits & bien resolus l'auroient emportée d'assaut. En effet un Sergeant Liegeois nommé Poncelet Leron, l'un de ceux qui avoient pris le Fer-à-cheval, en etant sorti lui onzieme, à la poursuite de ceux qui se sauvoient avec les drapeaux, entra bien avant dans la contrescarpe de la Ville, sans i trouver de la resistance ; & il i entra si avant qu'il se trouva bien embarrassé de son retour.

Dorp un peu revenu de sa surprise, envoie le Capitaine Rosdorf avec 200 hommes, pour regagner le Fer-à-cheval; mais Rosdorf n'i revint pas, & ses gens ne retournerent qu'en confusion. Cette attaque couta la vie au Sergeant Bonte, & à sept soldats; vingt furent blessez. Aprez Rosdorf, deux troupes Françoises du Regiment de Betune vinrent renouveller Patraque. Il i avoit si peu qu'on s'etoit rendu les maitres de ce Fort, que les deux echelles, par où l'on i etoit entré, etoient encore dressées. Le Capitaine du Bois, qui conduisit la premiere troupe Françoise s'en servit, & le Lieutenant Locheres, qui conduisoit l'autre, i entra par l'ouverture des palissades. Vatelet, quoique blessé, fit tete à Locheres; & Bonours, avec trente autres, resista à du Bois. Ce fut alors qu'ils se servirent bien à propos des marteaux à longs manches, qu'ils i trouverent, & dont les Hollandois s'etoient servis à la premiere ataque. Le Capitaine de Maisau du Regiment de Balanson, & le Capitaine de Ville de celui de Tilli, vinrent au secours bien à-tems: car Locheres renforcé de vingt hommes, que le Sergeant Louffin lui avoit conduits, etoit dejà dans le Fort; mais la vue des deux Capitaines l'en delogea. Au meme tems, le Sergeant Nicaise; qui avoit servi d'espion, vint à toutes jambes de la Ville, & il se sauva dans le Fer-à-cheval. Les principaux blessez dans cette seconde attaque, furent, S.Bar Volontaire François ; la Mer apointé François ; & la Maille Flouin, Lorain.

Le Colonel John, pour reparer sa faute, demanda l'ataque du Fer-à-cheval, que Dorp lui accorda comme une grace. Gouvarnet Baron François, & quelques Anglois demanderent de le joindre, pour vanger l'honneur de Delandre & de Leri que John avoit blamez, quoiqu'ils se fussent comportez fort valeureusement, & qu'ils i eussent sacrifié leur vie. Dorp esperant quelque chose de bon de cette emulacion, le leur accorda. Le coup de canon, qui etoit le signal de l'attaque, aiant eté tiré, les Entreprenneurs sortirent de la contrescarpe en plein midi; & au meme tems les Assiegeans de la Platteforme, qui decouvroient tout, donnerent l'alarme, afin que chacun fut sur ses gardes.

Le Capitaine de Roque à la tete de 100 François qui servoient dans Ostende, passe le canal, il se rend au pié du fort de Fer-à-cheval sur la droite, & il occupe toute la banquete. Les Suisses du Capitaine Eliab Hornstain en font de meme, à la gauche. Le Colonel John fut bien surpris, quand il trouva le pont rompu; & plus encore, quand il se sentit salué d'une grele de mousquetades, qui abatit bien de ses gens. Gouvarnet passa à la nage avec ses François; John, honteux de s'en voir surpassé, en fait de meme. Les François & les Anglois s'entretuerent pour avoir la preseance du passage. De Roque à la tete de trente hommes attaqua le Capitaine Pocobel, & il etoit en passe de le forcer, si le Capitaine de Ville n'i fut venu avec 40 piquiers Liegeois qui pousserent de Roque du haut en bas du rampart. Cette chute pensa le faire crever acause qu'il portoit ses armes fortes.

John & Gouvarnet attaquerent le Capitaine Masiau dans son bas retranchement; mais Masiau secondé du Capitaine de Ville, & des Bourguignons melez parmi les Liegeois, leur fit tete genereusement. Gouvarnet fut renversé de haut en bas ; le poid de ses armes, & six hommes qui tomberent sur lui, l'accablerent. John en blasfemant, se jetta en desesperé au milieu du peril. Liberet soldat Savoiard, le blessa à la gorge d'un coup de pique; John reçut au meme tems deux mousquetades, qui le firent tomber roide mort au pié du retranchement. Gouvarnet animé de la mort de son Rival, retourne à l'assaut avec ses François; mais il reçoit un coup de mousquet au defaut du corcelet, & un coup de pique au visage. Deux Gentilshommes ses domestiques, se mettant en devoir de le retirer, il le leur defend, en disant qu'il ne veut pas manquer de parole au Colonel suisse John, à qui il avoit promis d'entrer au Fort vif ou mort; & puisque sa plaie etoit mortelle, il les prioit de jetter au Fort son corps vif ou mort. Tandis qu'on le desarme, un second coup de mousquet lui ote la vie. La gloire & la vangeance peuvent-elles monter plus haut ? Le Capitaine Hornstain, aiant pareillement eté repoussé, le reste songea à la retraite. Mais la boucherie fut grande au passage du canal, tant de la mousqueterie du Fer-à-cheval, que de l'artillerie des Ports voisins qui etoient occupez des Archiducaux. Il en demeura 160, & 20 furent faits prisonniers. Outre John & Gouvarnet, on tua Guichet Lieutenant François, le Vereux Sergeant François, du Harlai, des Portes & Tovard Gentilshommes François. les Anglois perdirent Hocanau Lieutenant; Jossei Gentilhomme tres-riche, & Lordei Sergeant Ecossois. Les Suisses perdirent leur Colonel John, Isac Corbs Sergeant, Paul Muller, Jaque Costniz, & Daniel Maan. Les blessez furent le Capitaine de Roque, la Planche, Vilon, son Sergeant, Dupré & Boismignon Gentilshommes François Volontaires, des Marés, la Louviere, Pousselin, & Dutour, François notables. Les Anglois blessez furent, Amel, Frohin, Gherner Gentilshommes Volontaires; Homans & Tomas Officiers apointez. Les Suisses blessez furent, le Capitaine Eliab, Pintz & Brennen libres apointez.

L'Archiduc perdit S.Maurice Gentilhomme Bourguignon, Lurois ou petit Pierre Sergeant Bourguignon, & neuf de la meme nacion. Les Liegeois perdirent, Rivet Enseigne, Lessart Gentilhomme Volontaire, un Flamand nommé Baffelghem, & cinc soldats. Les blessez furent le Capitaine Commandant de Maiseau, le Sergeant Boulet, des Sorbes & Lavei Gentilshommes François & Bourguignons, la Lorme vieux apointé. La Huraie Gentilhomme Liegeois, & Varlotin Sergeant Liegeois, qui mourut deux heures aprez, de ses blessures.

Dorp au desespoir demanda une cessacion de trois heures, pour retirer ses morts; ce qui lui fut accordé; l'on emploia soigneusement ce tems à reparer le Fer-à-cheval. On rendit le corps du Colonel John, non pas l'equipage; le Savoiard, qui le tua, lui prit son epée, qui etoit tres-riche & travaillée à la Suisse & une echarpe verte d'où pendoit une petite montre d'or. Ribas le recompensa, & il lui promit de l'avancement, Pendant la treve, le Capitaine Louis de Ville se desarma, il prit la halebarde de Sergeant & faisant semblant de chercher & de retirer des morts, il decouvrit les endroits favorables aux approches que Catriz meditoit.

L'Archiduc, pour donner chaleur à ses gens, nonobstant toutes les remontrances, voulut voir le Fer-à-cheval en persone; sur sa route, il fut arreté d'un soldat Bourguignon nommé Pierre le Gros, & surnommé le Pape, qui lui presenta une fascine, en disant, qu'il la devoit porter au Fort, celà etant ainsi etabli des Officiers. Don Gaston Spinola premier Ecuier de Son Altesse, gronda ce soldat & il lui fit signe que c'etoit l'Archiduc. Mais le soldat ne voulut rien demordre; & tenant la meche au serpentin, il ajouta intrepidemment, que son Caporal en le postant, n'avoit excepté persone de cette petite corvée, fut-il Empereur ou Roi; & puis il ajouta en riant, & en alludant à son nom de guerre, que le Pape commandoit à tout.

Le bon Prince troussa la fascine sur son epaule, & il blama Spinola d'avoir trouvé à dire que le sentinelle s'aquitat de son devoir. Tous les grans Seigneurs qui etoient de sa suite, en firent de meme. Ils allerent tous mettre leur fascine au fort, où l'on dressoit une nouvelle baterie. On méla confusément celle des Seigneurs, mais celle de l'Archiduc fut mise à part, & elle servit de monument eternel à la posterité qui la nomma la fascine de Son Altesse. Le Prince complaisant donna quelques bonnes pieces au sentinelle, & il prit un singulier plaisir au bon mot de Pape, dont ce bon Bourguignon s'etoit servi si à propos.

L'Archiduc visita le Fort, & comme Don Roderigo Lasso son Sommelier-de-corps lui eut voulu mettre Pot-en-tete, il le refusa; il voulut que Balanson i commandat, & pour le respect de son Epouse roiale, il changea le nom de Fer-à-cheval en celui d'Eugenie. Aprez avoir fait ses largesses aux soldats, il passa au Polder Carré, qu'il nomma de saint Jean, il nomma le grand Carré, le fort S. Filipe, & il i laissa le Comte de Frezin pour Commandant. Les soldats se ressentirent également de ses liberalitez. Il s'enquit singulierement de ceux qui s'i etoient distinguez, & de ceux qui i avoient eté blessez. Son Altesse voiant le Capitaine Bonours le bras en echarpe, & la tete bandée, lui donna des temoignages de sa tendresse & de sa magnificence.

Le 25 Mai 1603 Frederic Spinola etant sorti de l'Ecluse, & croizant sur la mer, pour empecher que le secours n'entrat dans Ostende, attaqua la flote Holandoise, qui etoit le double plus forte que la sienne. Aprez un rude combat de deux heures, il eut le bras droit & l'epée nue emportée d'un boulet de Canon. Son Confesseur lui aiant demandé s'il n'avoit rien à lui recommander, il dit, je recomande, à mon Frere, mes affaires & celles de mon Roi, & mon ame à Jesus-Christ, pour la querelle de qui je meurs; aprez avoir eté administré, il mourut au port de l'Ecluse. L'Archiduc perdit 300 braves dans ce combat naval. Cristofe de Valenzuola fut fait Amiral à sa place. Le Marquis Ambroise Spinola aiant appris la mort de ce cher Frere, eut besoin de toute sa force, pour se soutenir contre la douleur; mais il se consola de ce que Dieu l'avoir enlevé du milieu de la victoire, & de la gloire, comblé de toutes les vertus Cretienes & militaires, & que le Ciel lui laissoit ses deux bras pour vanger sa mort, & pour executer ses dernieres volontez.

Dorp, le 5 Juin 1603, commanda 2000 hommes de sa garnison dans la contrescarpe d'Orient; & à deux heures du matin il les fit marcher contre la grande digue qui etoit de tous les ouvrages celui qui l'incommodoit le plus: parceque le secours devoit passer à la merci du canon de cette batterie, qui n'i laissoit entrer quoique ce fut impunément. Le mot du Guet etoit Flessingue, & la marque pour se reconoitre etoit une blancheur au chapeau. Le Colonel Huseman, qui etoit comme le Chef, passa la canal du havre, il defit 150 Valons & Alemans, en moins de rien, & il tourna le canon de la digue vers le cartier qui sembloit plus le menacer. Aussitot Coin, Schore, & Icarde Capitaines du regiment de Torrés, qui etoient au Fort S.Charle, se mirent en bonne defence; & ils repousserent vigoureusement Codtuits Capitaine Anglois, & la Marche Capitaine François, qui à la tete de 200 hommes, etoient venus les attaquer assez brusquement. Le Comte de Buquoi s'opposa vaillamment à ceux qui mettoient dejà le feu à sa digue; & aiant d'abord couché sur le carreau trois Gentilshommes François volontaires, qui paroissoient les plus resolus, savoir Sanci, Prat & Verdin, il fit perdre l'envi aux autres de cette nacion de passer plus outre, & meme de s'arreter sur la digue. Un Anglois criant, trahison, fut cause que la retraite de ceux d'Ostende, qui se faisoit assez en bon ordre au commencement, ne se fit ensuite qu'en grande confusion. La Cavalerie Archiducale qui y survint, en tua beaucoup, sans qu'ils songeassent à tourner une seule fois tete; tant la fanfare les avoit epouvantez. Il i en avoit qui se rendoient prisoniers sans savoir à qui; quelquesuns meme se noierent dans des endroits où il n'i avoit que 3 ou 4 piez d'eau, à force de chercher azile. Mais le pont qui rompit, acheva de mettre ces miserables dans le dernier desordre. Dorp perdit en cette occasion 230 des siens. Sans conter les prisoniers, & les blessez qui etoient en grand nombre, & bien qualifiez. Les Gentilshommes Masures, Petima, Kraei & Bret furent les principaux, de ceux dont on retrouva les corps: car les Assiegez eurent soin, pour cacher leur infamie, d'en retirer quantité qui ne tomberent pas entre les mains des Archiducaux. Buquoi, dans la poursuite, ne perdit que 30 hommes dont les plus notables etoient, Mori Enseigne Valon, & Norbant Gentilhomme François volontaire. Le meilleur de tout fut, que le feu de la digue fut eteint, & que son Artillerie fut remise en son premier etat. Dorp aiant demandé cessacion d'armes, Buquoi la lui acorda; cet honete Comte leur envoia 18 chariots d'Artillerie, dont il etoit General en la place de Velasco, pour conduire leurs morts jusqu'au Canal. A son ordinaire il traita courtoisement les prisonniers & il les renvoia bientot aprez, ensuite de leur rançon. Dorp croiant d'avoir eté trahi ensuite de l'alarme de l'Anglois qui avoit crié, trahison trahison, par l'espion Flamand, & parle Sergeant Valon transfuge, qui lui avoient inspiré cette entreprise, les fit pendre à la vue des Assiegeans, qui en furent vangez sans qu'il leur en coutat la corde. Dorp pour se revancher de l'afront qu'il venoit de recevoir, dez le 13 du meme mois de Juin vers le minuit, envoia 25 mousquetaires, sous un Sergeant, comme pour enlever les sentinelles du Fort S.Jean. Dez que l'alarme i fut, six soldats François qui servoient dans Ostende, passant le canal, d'une extreme vitesse, jetterent des barrils artificiels au Fort S.Eugenie. Ce feu d'enfer ne tarda guere à eclater. Les Assiegez cependant tirerent effroiablement à la faveur de cet horrible luminaire, qu'aucune industrie ne pouvoit eteindre ; & en moins de rien, on vid tomber plus de 50 hommes de ce Fort. Balanson, quoiqu'à jambe de bois, monta sur le parapet, & il rendit mille devoirs pour etoufer ce nouveau gibel; parmi la grele ennemie, il marchoit l'epée blanche à la main il animoit les siens à bien faire. Le feu etoit si malin, que tout le monde crioit à l'abandon; mais le courage de Balanson tint ferme au milieu de ce petit enfer, dont on n'avoit pas encore vu d'exemple.

La machine diabolique etant de l'invencion Françoise, les François Volontaires, qui se trouvoient au Fort, jugerent qu'il i avoit de leur honneur de s'appliquer extraordinairement à l'etouffer. Ceux qui s'i signalerent le plus, furent de Burieux, d'Arville, du Moutier, de Franges, & d'Omerol. Les deux derniers i furent dangereusement blessez. Oursé Enseigne Liegeois, le Sergeant de la Quille, de Mars & de Fours Gentilshommes, qui servoient parmi les Bourguignons, i furent tuez. 200 Espagnols se presenterent au secours, mais Balanson les remercia, & il ne voulut avoir à la conservacion de ce Fort, que ceux qui avoient contribué à sa conquete, savoir les Valons les Bourguignons & les Liegeois. Malaise, avec 200 Liegeois, i fit des merveilles. Cependant Balanson, qui etoit exposé au plus visible danger, reçut une mousquetade à l'epaule droite. Malaise commanda en sa place. La Maison de Malaise, a sujet de se glorifier de la bravoure de son Aieul. Un Enseigne Liegeois nommé Everard, arreta ce nouveau vesuve, par des canaux qu'il fit creuser & remplir d'eau. Le feu rencontrant cette eau, s'i mortifioit petit à petit. Ribas i envoia des goutieres, par où l'on faisoit couler l'eau impunément. Dorp qui s'attendoit à un plus long embrasement, & à moins d'ordre au secours qui i fut conduit, se disposoit à profiter de l'occasion; mais son feu s'eteignit avec celui du Fort, & il se retira en bel ordre. Cet enfer portatif couta 370 hommes à l'Archiduc, sans conter une infinité de blessez. Les principaux des mort furent, de Gaugi, Calard, & Monmarin, François De Mijoux, Lorain; van Elpen Flamand, L'Enseigne Belet, les Sergeants Verget & Hubertin. De Lavei, Desprez, de l'Orme, le Carni, de Moulins, Lavans, & l'Ecar, Bourguignons & François. Les principaux Liegeois qui i demeurerent, furent, de Ville, Limberton, Marquin, & Aven.

Dorp aiant si bien reussi en feux, en fit tirer sur le Fort S.Filipe, mais s'il avoit trouvé un Balanson à S.Eugenie, il trouva un Frezin à S.Filipe. Ce Comte remedia industrieusement & infatigablement à ces diables-volans, & il ne perdit que l'Enseigne Mori, les Sergeans Pallai & Ivongnes, de Sarnes, & Leval Gentilshommes. Les blessez furent, Neron, Bernart, la Pie, & Boulenci, Officiers; la Cote, Dupui, Lorderes. le Petitsars, & Marennes, Gentilshommes. Le Fort de S.Jean eut aussi son tour; mais Catriz i etoit, & c'est tout dire. Le soir suivant, de la Haie Capitaine François dans Ostende, s'avança vers le Fort S.Jean avec des barrils infernaux semblables à ceux de S.Eugenie; mais aiant trouvé en chemin de bons obstacles, il se rabatit sur une trenchée, pour aller à couvert vers S.Filipe; un vent porta ce feu bien avant. Catriz craignant qu'il ne vint à lui, alla en personne pour l'eteindre, & ce fut là qu'il perdit 100 des siens, dont les principaux furent, de Brin Aide-major, la Faille Sergeant. De Vrai, Copin, & des Agneaux, Gentilshommes.

Dorp, nonobstant qu'on traitat treshumainement ses prisonniers, pour assouvir sa rage, fit pendre à sang froid un vaillant soldat Valon nommé Garrin qui avoit eté pris en bonne guerre. Le Comte de Buquoi, qui aimoit ce soldat, acause de sa bravoure & de sa vertu, fit pendre à la vue de la Ville, huit mariniers Holandois qui venoient d'etre pris en mer. Il fit faire le meme traitement à quantité de Holandois qu'on prit en moins de 15 jours. Ce qui fit perdre l'envi à Dorp de continuer sa barbarie.

Le Comte Maurice mecontent de Dorp, je dis d'un homme qui savoit si peu les belles loix de la guerre, le fit revenir au commencement de Juillet & il i renvoia vander Noot; qui pour signaler son retour, dez le 31 Juillet, fit tirer de nouveaux feux-d'artifice de la façon d'un Ingenieur, que les Espagnols n'avoient pas voulu recevoir: parcequ'il etoit d'une nacion qu'ils n'aiment pas. Comme le tems etoit bien sec, & que la matiere etoit combustible, le feu se prit opiniatrement à la Platteforme composée de fascines seches.

Antunez, qui i commandoit, i accourut aussitot avec quelques Chefs; mais il passa plus de tems à consulter sur les remedes, qu'à en i apporter. Un soldat Espagnol nommé Casanova, indigné de cette lenteur, s'ecrie; quoi ? les Valons, Les Bourguignons, & les Liegeois eteindront leurs feux, & les Espagnols regarderont les leurs à bras croisez ? il n'en sera pas ainsi. Là-dessus, avec une hardiesse incroiable, il monte à l'endroit où la balle artificielle faisoit plus d'operacion, il l'arrache avec sa dague, quoiqu'avec un travail inexprimable ; il essuia impunément toute la canonade & toute la mousquetade de la Ville; enfin etant percé de cinc coups il descendit, mais comme il n'avoit plus la force de gouverner son corps, il s'assomma de sa propre chute, au grand regret des deux armées qui avoient eté les admiratrices d'un coup si hardi, & qui souhaitoient qu'un cOEur aussi courageux que celui-là, vecut plus lontems. Plusieurs essaierent de l'imiter mais ils furent tuez avant de rien faire. Don Alvar, coula des cables du haut de la Platteforme, qui servirent à soutenir ceux qui se hazardoient à arracher les balles infernales. La Ville tira en sept heures, 87 de ces bales, qui furent toutes arrachées, au grand etonnement de ceux qui en connoissoient la malignité. Mais le 20 Aout l'Ingenieur François, aiant redoublé la mixtion, & aiant pris le tems d'un vent contraire aux Assiegeans, pensa reduire en cendres cette admirable machine, qui paroissoit une Etna. On sauva l'artillerie, mais parmi 860 canonades, & 3000 livres de poudre qu'on consumma en mousquetade. Les Espagnols i perdirent 400 hommes, & ils eurent un grand nombre de blessez. Le feu dura 12 jours. Le 13 Septembre un vent & une grosse pluie seconderent les assiduitez d'Alvar Suarez, à qui l'on dût la conservacion de cette Platteforme, que les Holandois nommoient le Chat: parceque personne d'Ostende ne pouvoit non plus tenir devant elle, que la Souris devant le Chat. Le feu du Chat etant eteint, on trouva que le degat n'etoit pas si grand qu'on se l'etoit imaginé. Vingart Lieutenant d'artillerie, fit mettre incessamment à l'euvre ses gens, & en peu de jours, le Chat fut en etat de chasser aux Souris, puisqu'il fut monté d'autant de canons qu'il en avoit portez, avant son embrasement.

Vander Noot, s'etant si bien trouvé de ses melons artificiels au Chat, en fit tirer à la digue Orientale, qui l'incommodoit extremement. Le Comte de Buquoi n'omit rien pour la conserver; mais ce fut en vain . 400 hommes i furent tuez, & un grand nombre i fut blessé, durant les 25 jours que ce feu d'enfer brula. Le Comte de Buquoi, qui connoissoit l'importance de cette digue, rompit mille obstacles, & il essuia mille contradictions pour la faire retablir. Tous les elemens traverserent son dessein; mais son invincible courage surmonta tout; & quand on vid la Ville prise par le moien de cette digue, on reconnut que son pressentiment n'avoit pas eté flateur. La mort de l'Ingenieur infernal donna de la relache aux Assiegeans. Il fut tué d'un canon qui creva, & par bonheur pour les Assiegeans, il n'avoit confié son secret à personne.

Ce fut en ce tems qu'une pauvre femme, qui gagnoit sa vie à blanchir le linge des soldats du camp, devant Ostende, accoucha d'une fille qui avoit deux tetes, quatre bras, & quatres jambes. Son epoux homme simple, en etoit inconsolable; sur tout quand des goguenards, au lieu de lui remettre l'esprit, le lui deconcerterent par lui dire, que cette double enfant avoit deux peres. Il fallut l'industrie & la charité des Jesuites du camp, pour lui oter cette folle imaginacion.

Ce fut au meme tems qu'on vid & qu'on entendit des armées fanatiques en l'air, du coté de l'Angleterre, & sur la terre, entre les Dunes où la bataille de Neuport s'etoit donnée. Le nombre & la qualité des personnes qui ont vu & qui ont oui ces, spectres, sont tels qu'il i auroit de l'efronterie à leur refuser creance, & à les prendre pour des visionaires.

Pompée Targon Ingenieur Romain proposa quantité de machines pour reduire Ostende; la pluspart les prirent pour des speculacions; mais le Comte de Buquoi, qui profitoit de tout, mit utilement en usage celle qui faisoit floter une espece de Chateau, pour fortifier & pour agrandir la digue Orientale.

Mais on avançoit bien peu. Dieu avoit reservé cette grande euvre au Marquis Ambroise Spinola, qui en entreprit la reduction à ses fraiz, moiennant le rembourcement en son tems. On remercia de ses bons offices le Mestre-de-Camp Ribas. Le Marquis accompagna l'Archiduc jusqu'à Ruremonde, où il alloit observer les Holandois; & il arriva au camp d'Ostende le 8 Octobre 1603. Il commença ses exploits par la digue de Buquoi, qui lui paroissoit la plus plausible à la reduction de la Ville, & il en donna la commission à Pompée Justinien Sergeant Major d'un Regiment qu'il avoit levé à ses fraiz en Italie, & qu'il avoit amené en la Belgique.

Justinien trop entesté de ne se servir ici que de ses Italiens, pensa renverser l'ouvrage. En etant revenu, il donna dix ecus par heure à quelques Valons, & à quelques Alemans, qui sont grans contemteurs de la vie, sur tout quand ils ont la recompense devant les yeux. Par ce moien Pompée vint à bout de tout, malgré la foudre de l'artillerie des Assiegez. Celà ne se fit pas sans grande effusion de sang; entre les 130, qui i furent sacrifiez, se distinguoient Fabriani Enseigne, Pinello Sergeant, & trois Gentilshommes nommez, Morabuzzi, Stafino, & Melli. Il n'i en eut que soixante Valons, & Alemans, qui furent tuez, de ceux qui aracherent les bales flambantes qu'on tiroit de la Ville contre la digue. Le Comte de Buquoi pour donner le change à l'ennemi, se servit de Gratier Ingenieur François; il tira des boulets flambans au boulevard de la vieille Ville, & il manqua de le reduire en cendres. La batterie de Bredené tua plus de 200 gens de marine, que vander Noot emploia à l'extinction de cet embrasement.

Balanson, avec ses Bourguignons, Malaise avec ses Liegeois, & Catriz avec ses Valons, etoient de tous les Assiegeans, ceux qui faisoient le plus de progrez. Catriz n'etoit qu'à quarante pas de la Redoute, surnommée la Folie, mais il manqua d'etre etouffé: car comme il etoit appuié contre un tertre, un boulet vint donner contre cet amas de terre, & quoiqu'il ne perçat point, il le poussa avec tant de roideur, qu'on le rapporta pour mort sur des piques au cartier. Rouville faisant sa fonction, i fut tué; & ce second fut relevé du Baron de Lietre. Catriz en fut quitte pour une grande abondance de sang qui lui coula du nez & de la bouche,

Les Valons animerent les Espagnols, qui sous Alvar Suarez avancerent courageusement jusqu'au Boulevard Zantil, le 24 Decembre veille de Noel. L'année 1604 commença par une grande tuerie que van der Noot fit avec une batterie, si secretement pratiquée, qu'on ne la vid que quand on la sentit le 3 Janvier. Mais le Marquis Spinola i remedia incessamment. Le 13 Janvier il fit jouer l'espace de deux heures, 40 pieces de canon, qui incommoderent infiniment les Assiegez. Vander Noot aiant eté redemandé, les Holandois i envoierent à sa place le Seigneur de Ghistelles, nom tresillustre, qui n'avoit de la haine contre son Prince que parcequ'il en avoit contre sa religion.

Tandis que Ghistelles prend conoissance de son Gouvernement, & qu'il prend ses mesures pour faire tete aux Assiegeans, respirons deux momens par une Liloise que je mets sur le teatre, pour vous servir de Tragicomedie. Quelque regulier que fut toujours le camp d'Ostende, on ne put pas empécher qu'il ne s'i glissat quelque malice. Une femme nommée Marie née à Lille en la Flandre-Belgique, avoit quitté son epoux pour des raisons qui ne sont pas venues à ma connoissance. Elle vint au camp d'Ostende, & elle se logea au cartier de S.Albert : parcequ'etant le cartier de la Cour, il paroissoit le plus lucratif. Elle i fit trafique exterieur d'eau de vie, de pains d'epice, & de pareilles friandises; mais au meme tems, elle en fit un interieur de son corps. Elle etoit connue sous le nom de Marion la Liloise, & de la belle Marion. Comme elle etoit entestée de sa beauté, elle preferoit le second titre au premier, & ceux qui la traitoient de belle Marion, etoient les mieux venus.

Entre ses Galans, elle en eut un qui lui fut extraordinairement assidu ou plutot importun. Il se nommoit André de Douai; il se piquoit de galanterie, mais il n'en avoit aucun air. Marion au contraire, qui etoit bien spirituelle & faite au badinage delicat, rebutoit ce rustre: acause de ses manieres niaises. Le fou Douizien, nonobstant ses façons mausades, pretendoit la primatie au cOEur de la belle, mais il en etoit bien eloigné. Cette place etoit occupée d'un agréable Italien surnommé le Vicentin homme vagabond, sans parti, & qui s'entretenoit de cartes & de dez. André s'en voiant suplanté, machina sa perte. Il en eut bientot l'occasion. La belle Marion sous couleur d'aller à la marchandise, mais dans l'effet, pour se donner entierement à son Vicentin, fit un voiage à Neuport en sa compagnie, à piez. André le sut; il prit les devans, & il alla se cacher parmi les ronces qui regnoient dans les Dunes. Aiant les Amans en belle mire, il les tua tout deux d'un coup d'arquebuse: joignant la brutalité à la cruauté, il prit ses infames plaisirs sur le corps mort de la miserable, parcequ'il ne pouvoit pas aisément aracher un anneau qu'elle portoit, il lui coupa le doigt avec un couteau, qui tenoit plus de la sie que du couteau. Il les depouilla, il les traina dans un ecart, & puis il gagna un cabaret surnommé la Maison du Lombard.

Un jeune-homme, qui servoit un Capitaine de Cavalerie, & qui alors chassoit aux lapins, avoit eté temoin de ces horreurs, d'un lieu elevé & epineux, d'où il avoit tout decouvert. Il suivit le malheureux à la piste, & l'aiant vu entrer au cabaret, il raconta tout à quatre soldats Valons qu'il rencontra. Ces Valons vinrent à l'Auberge, & ils i trouverent l'infame assis au feu, sur les hardes de ses victimes, qui etoit dejà pris de boisson. Il se trouva que ces quatre soldats etoient des amis du meurtrier; ainsi, ils se contenterent de le tirer à part, & de lui representer l'enormité de son crime. André colora si bien son fait, & il fit si bien boire ses camarades, qu'ils aprouverent son action, & qu'ils retournerent ensemble vers le camp.

En chemin les Valons lui demanderent ce qu'il avoit trouvé d'argent sur les corps qu'il avoit depouillez ? André leur avouant franchement qu'il leur avoit trouvé 126 ecus;& qu'il etoit pret à les partager entre eux; on se mit à le faire; mais il s'i trouva tant de contestations, qu'ils en vinrent aux mains; un des quatre Valons fut tué, & les trois autres furent fort blessez.

André ne trouvant pas de sureté dans le camp, alla se rendre à Ostende. Tant il est vrai que les impies vont de precipice en precipice. Ghistelles, fut content de s'en servir, mais de crainte qu'il ne fut double traitre, il le fit observer d'un de ses domestiques, qui eut l'adresse de lui faire decouvrir tous ses crimes, Ghistelles l'aiant sû, fut sur le point de l'envoier au camp bien lié pour en faire bonne justice; mais le desir qu'il eut de se signaler dans le commencement de son administracion prevalut à ce bon sentiment, qui fut bien lontems combattu: car il ne voioit qu'avec chagrin un detestable, qui changeoit aussi aisément de religion que de linge, qui au milieu de l'abondance, ne faisoit que regreter la bonne biere d'Anvers & de S.Omer, & qui se presentoit à sacrifier ses bienfacteurs.

Cet abominable Douizien, tout abominable qu'il etoit, ne laissa pas de servir Ghistelle, & sans une providence particuliere, qui a toujours eu un OEil benin sur les Archiducaux, il auroit excité un terrible esclandre. Par la conduite de ce meurtrier les Assiegez enleverent Dudoni Sergeant Italien, & cinc sentinelles du Camp Archiducal. Le lendemain il manqua d'enlever le Seigneur d'Assignies, qui avoit eté autrefois son Capitaine. Le mechant André manqua d'Assignies, mais il enleva Pressi Gentilhomme lorrain, & le Sergeant la Fourbe. Continuant dans ses malices, il prit toutes les mesures possibles, pour enlever le Colonel Catriz, qui gueri de ses blessures, exerçoit ses fonctions, à l'ordinaire; mais Dieu les eluda .

Catriz etoit d'ordinaire accompagné d'un petit chien blanc, qui couroit bien souvent dans la contrescarpe d'Ostende, sans qu'on lui fit aucun mal. Les Holandois, qui ne savoient pas de qui il etoit, le nommoient d'ordinaire Papau. André de Douai, qui savoit que c'etoit la suite ordinaire du Colonel Catriz, carressa ce petit animal, & il le prit, pour s'en servir, contre son maitre. Ce miserable Douizien se vantoit qu'il vouloit recompenser Catriz par le faire prendre, parcequ'il l'avoit une fois delivré de la corde. Heureux s'il eut eté alors pendu ! ce perfide sort de nuit, à la tete de 100 hommes, partagez en trois bandes, aiant entre ses bras le petit Papau, mais le baillon à la gueule. Catriz, ainsi que le traitre l'avoit prevu, ne manqua pas de paroitre aux dehors. Il s'avança tellement, que son petit chien le sentit. Ce fut d'abord de trepigner & de vouloir courir à toute force. Si le baillon ne l'en eut empeché, il auroit incessamment jappé. Le traitre André, par le moien de certaines cordeles qu'il avoit fait correspondre aux embuscades, avertit les Entrepreneurs. Catriz eut le bonheur de les sentir, & à toutes jambes, il regagna ses gens. Des herbes embarassantes avoient eté cause que Catriz n'avoit pu pousser plus outre, & ce fut ce meme obstacle, qui arreta l'embuscade, & qui empecha qu'elle ne put poursuivre sa proie.

Cependant Catriz fut sur le point d'etre pris. Dans cette conjoncture, les siens surviennent, &, Catriz de defenseur devenu Agresseur, fait tete aux ennemis. Les plus avancez furent tuez, & cinc blessez aux jambes, furent faits prisonniers. Les Assiegeans venant au secours, tuerent trente des Agresseurs; ils en blesserent plusieurs, & ils en firent onze prisonniers. Les Assiegeans perdirent neuf hommes, tant de tuez que de blessez.

La Ville en fut toute alarmée, & Ghistelles qui n'avoit guere conté sur le traitre André, crut certainement en etre la dupe. Sa croiance fut augmentée, quand il entendit au meme tems que le feu s'etoit pris à cinc barrils de poudre, en la courtine Orientale. Cependant comme il n'avoit nulle conviction de sa fourberie, il se contenta de le donner au Capitaine le Prince, & de recommander à cet Officier de veiller André de Douai comme un homme douteux.

Catriz sut que cette menée avoit eté conduite par André de Douai. Pour battre l'ennemi de ses armes, il fit induire ce meme André à rendre un bon service aux Archiducaux. André, indigné de ce que Ghistelles l'avoit privé dequoi satisfaire ses friponneries, donna dans l'offre, qui lui etoit faite, par un nommé Annibal; il gagna six complices tous semblables à lui, & il se prit à executer ses trahisons. Le dessein du double traitre André, fut de boucher le fougon des canons, de bruler le magazin, & d'enlever Ghistelles. On tira à la courte paille, qui commenceroit. Le sort tomba sur un Valencienois, qui alla tout decouvrir à Ghistelles. Ce Valencienois etoit un grand coquin lui-meme, qui avoit pris parti parmi les Holandois: parcequ'il avoit volé à son Capitaine Parmenteau, une bourse, & une chaine d'or.

Les complices surent qu'ils etoient decouverts; un se noia par precipitation, deux furent tuez en se sauvant, & un se sauva à grand'peine. André de Douai eut le bonheur d'avoir la cuisse emportée d'un boulet de canon tiré de la batterie des Italiens. N'etoit-ce pas la vangeance de l'Italien Vicentin qu'il avoit tué ? son abominable corps fut trouvé acroché, & suspendu par le cou, à la pointe d'une palissade. On dit qu'il mourut en blasfemant. Telle vie, telle mort. C'etoit un suplice trop doux pour un aussi grand selerat qu'il l'etoit. Le funeste reste de ce detestable fut arraché au gibet de la main du boureau à la vue du camp, & de la Ville. C'est assez respirer.

Venons au nouveau Gouverneur Ghistelles, qui malheureux dans ses commencemens, va essaier de se dedommager dans la suite. Le plus grand exploit de Ghistelle, fut un cercueil rempli de feu d'artifices, que ses gens firent enterrer, comme si ç'eut eté d'une personne distinguée. Les Archiducaux i vinrent, & le cercueil, jouant au meme tems, en tua huit. Le faux mort fit de vrais morts. Les Assiegeans cependant gagnoient toujours du terrein. On doit la gloire au Baron de Balanson d'avoir eté le premier, qui, en plein jour, osa planter une gabionade à 25 pas de l'ennemi, par la bravoure de Vacheret soldat Bourguignon.

Les Valons n'en firent pas moins. Catriz s'aprochant de plus en plus de la Folie, eut avis que les Assiegez alloient l'ataquer; au meme tems il s'i transporta avec un grand nombre de Gentilshommes Volontaires. A peine i fut-il, que les Capitaines Bracton Ecossois, & Luitard Holandois, à la tete de 300 hommes, vinrent l'ataquer brusquement. Catriz i soutint un rude combat. Les Agresseurs furent extremement malmenez du Comte de Suan, qui accompagné de dix Gentilshommes François aussi brillans de leur equipage que de leur courage, ils servoient l'Archiduc, firent de grans eclaircissemens dans l'ennemi. On s'i colleta, & l'on s'i batit bras à bras avec une opiniatreté inouie. Un accident ralentit les Holandois. Le feu se prit à leur poudre; d'où deux soldats, un Capitaine & un Lieutenant furent fort incommodez. Bracton trouva bon de se retirer en laissant soixante de ses soldats sur le carreau, sans conter le Baron Kreri Ecossois, Lucard, Tustei, & Darei Gentilshommes Anglois, Martinges & Flonpart Gentilshommes François, & Kepelshaus Gentilhomme Alemand. Les Archiducaux perdirent trente hommes, les principaux furent, Dorgemont, Baucoral, & Meuz Gentilshommes François; Mirolo Gentilhomme Piemontois, Dracts Gentilhomme Alemand, & Curanbon, Jumelet, & Diou Gentilshommes Valons. Les blessez furent le Comte de Suan, le Viconte Dargepont, de Lorres, de Mailleri, d'Ossemont, de Breuil & des Halles Gentilshommes François; Lureau Enseigne Valon; Prouin & le Maire, Sergeans.

Les Assiegez tirant aveuglément, tuerent quantité des leurs à la retraite. La mer fit un grand interest aux Assiegez, sur la fin de Mars. Balanson & Catriz en profiterent, par gagner un retranchement surnommé la forte bariere, où le Capitaine de Lest commandoit. Ghistelles l'i renvoia, & Lest s'aquita si bien de son devoir, qu'il tua dez l'abord, dix-huit soldats Assiegeans. Mais le Capitaine d'Osme Bourguignon, & le Capitaine Hache Valon, secondez des braves Volontaires, repousserent Lest vigoureusement, & ils se rendirent encore les maitres de ce poste, aprez en avoir tué cinquante. Belleorme & Mouterel, avanturiers François, sautant avec precipitacion sur un bout de retranchement miné sauterent eux-memes en air. Et ce fut tout ce que l'Archiduc perdit en cette occasion.

Ghistelles aiant eté renforcé de quinze compagnies, fit une sortie vigoureuse de 300 hommes, mais aprez en avoir perdu quinze, il se retira; Fochanes, Vrieux, Formageon, Maigrins, Verderonne, Vardes, Flabenas, Tuibeloin, Souhai, Craudiere, Helicour, Delandre, & Pui-Boisseau, furent ceux qui s'y signalerent le plus. Sur ces entrefaites, à la pointe du jour, la desertion de six Alemands du Regiment de Biglia, qui sautant de haut en bas du Fort S.André allerent se rendre à la contrescarpe de la Ville, qui leur etoit opposée, causa une grande alarme, de part & d'autre, chacun croiant qu'on lui en vouloit. L'Ingenieur David d'Orléans machinant au meme tems quelque nouvelle invencion fatale aux Assiegeans, fut tué d'un coup de canon. Ghistelle le regreta beaucoup, parcequ'il etoit habile & de grand usage. La digue Orientale de Buquoi etoit tellement avancée, que personne n'entroit plus impunément dans le havre. On avoit quantité de matelots prisonniers, au cartier de Bredené. Les Holandois craignoient ce risque: parcequ'on les envoioit de là, à la chiorme de l'Ecluse.

Une jeune beauté i avoit son epoux. L'amour la metamorfosa. Elle se travestit en jeune-homme, & elle passa au camp Archiducal, dans l'esperance au moins d'i voir son epoux. Sa modestie & son incomparable beauté, qui recevoit une nouvelle grace de l'habit viril, firent que tout le monde jetta les yeux sur elle. On la soupçonna d'abord, & sous ce pié, on la conduisit au Prevost d'un Regiment qui la tint etroitement. Son malheur voulut que sa prison fut differente de celle de son epoux, & ce fut là sa plus grande affliction. Elle n'i fut pas lontems, sans aprendre que le lendemain on devoit pendre sept mariniers, en represailles de sept que les Assiegez avoient fait pendre, & que le reste des 22, devoit aller aux galeres. Elle craignit que le sort ne tombat sur son epoux. Son amour alluma sa priere. Tandis qu'elle la faisoit, un Jesuite entra en la prison, pour i visiter, & pour i consoler les prisonniers, selon sa louable coutume. Elle se nommoit Caterine Herman, & comme elle etoit bonne Catolique, elle se confessa au Pere, à qui au meme tems, elle decouvrit son mistere. Le Jesuite obtint du Comte de Buquoi qu'on changea sa prison: afin qu'elle fut auprez de son epoux. L'entrevue la fit tomber en une longue sincope. En etant revenue, elle lui protesta qu'elle venoit dans la resolucion de le suivre à la galere pour ramer à son tour; & pour mourir avec lui, s'il etoit des sept condamnez, & si la somme qu'elle avoit recueillie de la vente de tous ses effets, ne pouvoit suffire à la rançon. Le Comte de Buquoi, la plus belle ame qui fut jamais, informé de cette charitable Nort-Holandoise, leur donna la liberté à tous deux, & il leur fit de grandes largesses. Ils furent fort redevables à la charité du Jesuite, qui avoit recommandé l'affaire au Comte de Buquoi, & qui avoit fortement travaillé à leur elargissement. L'epoux jugeant qu'une religion, où l'on trouvoit cette charité, ne pouvoit etre que la bonne, pria le pere de l'instruire & il abjura l'heresie, où jusques alors il avoit eté extremement opiniatre. J'espere que le teatre qui s'amuse tant à des sujets frivoles, se souviendra de cette Heroïne Holandoise, qui fait honte à toutes celles que l'antiquité nous a tant vantées.

Revenons à Ghistelle. Ce Gouverneur, etant sorti l'aprez-midi de son logis, alla au franc-jardin, pour voir les ouvriers, qui se defendoient contre les aproches assidues de l'infatigable Catriz . S'etant fait voir assez à decouvert, il fut reconnu d'un soldat Valon nommé Gille de Bouchain, qui avoit autrefois servi sous lui, quand Ghistelle servoit l'Espagne. Il le prit en si bonne mire, qu'il lui tira une balle au milieu du cOEur. Son corps fut envoié à Utrecht. Loon eut le gouvernement par interim.

Si la Ville perdit en Ghistelle, le camp n'en fit pas moins en Catriz, qui deseignant un nouvel ouvrage, reçut une mousquetade au travers de l'epaule, dont il mourut, par la faute du Chirurgien. Chalon lui succeda. Sauve la volonté de Dieu, Catriz, cet invincible Valon, meritoit d'entrer dans une Ville à l'ouverture de laquelle il avoit aporté tant d'applicacion. Mais le ciel jugea qu'il n'i avoit pas assez de beaux lauriers sur la terre pour cette ame heroïque, & il voulut lui en donner de sa façon.

La mort du vaillant Catriz fut vangée de celle de Loon, qui mourut deux jours aprez, d'un coup de bale de canon qu'il avoit reçu à la jambe, en donnant les ordres au Porc-epic, contre les aproches des Espagnols. Deux Lieutenans furent tuez du meme coup. Les Officiers ne s'etant pu accorder pour le choix d'un nouveau Gouverneur, donnerent toute l'administracion aux quatre principales nacions qui servoient en la Ville. Ensuite de quoi, l'on choisit Montesquieu de Roque François, Beuri Zelandois, Drak Anglois, & vander Borct Alemand.

Cependant les aproches Valonnes, Bourguignonnes & Liegeoises de Tilli etoient reduites en une, & elles alloient attaquer le Ravelin vert. Balanson etoit dejà si prez, que ses gens & les Holandois s'arrachoient bien souvent les armes des mains, les uns aux autres; & quoiqu'il en tombat toujours quelquesuns de part & d'autre, on ne laissoit pas de plaisanter & de se divertir de paroles. Lodai Capitaine Valon, & Emericour Capitaine Liegeois, furent blessez à mort; Belleforet, Dissorne, Champlou & Premartin Gentilshommes François i furent tuez. Grazia Florentin, Chevalier de S.Estienne, qui ne faisoit que d'arriver, fut assommé, en mettant la tete audessus de la trenchée, par curiosité. Ce fut par une semblable curiosité que le fils du Marechal d'Humiere perit au dernier siege de Luxembourg.

Enfin le premier Avril 1604 fut destiné par l'assaut. Balanson aiant fait sauter deux pans du Ravelin, par des fournaux, donna furieusement avec ses Bourguignons, & avec ses Valons; en un instant il defit 120 des ennemis. On trouva entre les morts le Lieutenant Aspleton qui avoit sur lui une lettre datée du dernier de Mars. Cette lettre contenoit une relacion des morts, depuis le premier jour du siege. Elle se montoit à cinquante trois mille six cens trente deux personnes, sans conter les femmes, ni les enfans, ni les gens de bagage. Les Assiegez n'omirent rien pour r'avoir ce Ravelin; & ce fut à cette occasion qu'ils tirerent de leurs magasins des feux d'artifice, dont on n'avoit encore rien ressenti de pareil. Je me contente de dire, qu'une bombe, i tombant, la troisieme nuit aprez la prise du Ravelin, en tua dix-sept, & en blessa six, dont les principaux furent Moreau, Riblet, & le Mar Gentilshommes Valons.

Balanson, Chalon, Touricour, Torrés & Malaise, nonobstant la fureur du canon & de la mousqueterie, passerent au bord du fossé principal d'Ostende. Bevri l'un des quatre Gouverneurs, i fut hors de combat. Les trois autres pressoient le Comte Maurice d'etre dechargez, & ils alleguoient qu'en quinze jours, ils avoient perdu plus de 115 soldats, sans conter les ravages que la peste & les autres maladies faisoient tous les jours.

Le Chevalier Melzo Officier Archiducal avec ses Italiens, etoit parvenu jusqu'au bord du canal, qui passe devant la contrescarpe. Les Assiegez sortirent de nuit, avec 200 hommes; mais ils furent relancez, aprez avoir perdu le Capitaine, la Haie, dix huit de ses François, & son Lieutenant Grand-champ qui i fut blessé à mort. Les Anglois rentrerent avec tant de confusion, qu'ils faillirent d'étoufer leur propre Capitaine Practon. On trouva sept pots artificiels, dont ils vouloient se servir pour bruler l'ouvrage avancé de Melzo.

Les Holandois dans l'esperance de trainer le siege, envoierent trente compagnies, qui essuierent quatre cens soixante & six coups de canon. Ce fut à cette entrée qu'un jeune soldat de ceux qui defendoient Ostende, poussé de la violence d'une balle, portée de la digue Orientale, vint tomber auprez du canal. Chacun crut qu'il etoit mort. L'amour, qui a cent yeux, le decouvrit à sa jeune epouse, qui, sans se soucier de tout le feu des Assiegeans, passa le canal à la nage, alla trouver son epoux & lui sauva la vie. Il me fache que mes memoires m'aient caché le nom de cette Amazone qui merite l'immortalité.

Il courut un bruit en Holande, que plus de la moitie de la derniere flote etoit perie ; & en effet, elle fut extremement malheureuse par divers accidens qui l'affligerent, aprez meme qu'elle fut entrée au port. Cette nouvelle refroidit tellement les esprits, que personne ne vouloit plus risquer. Ce qui fit que quatre biberons se trouvant dans un cabaret, formerent une espece de confraternité; ils s'engageoient par serment à courir toutes sortes de danger pour secourir Ostende. Cette confraternité fut tellement en vogue, que qui ne vouloit pas s'i faire enroler, passoit pour malhonete. Les femmes meme se firent un honneur de s'inscrire. Quand on i etoit reçu, l'on prennoit à la main une chopine d'eau de vie, & aprez l'avoir bue, l'on prononçoit cette formule: je suis content d'etre reputé Espagnol, & meme de passer pour enfant du Duc d'Alve, & de crever de la boisson que je viens de prendre, si je manque d'accomplir un seul point de toutes les loix de la confraternité jusqu'à la mort. Que de haine ! quelle erreur ! quel changement à l'heure qu'il est!

Le Colonel Berendrect, qui avoit conduit le dernier secours, i fut reçu pour Gouverneur, & il s'apliqua d'abord à reculer les aproches des Assiegeans. Le Chevalier Melzo etoit dejà à la sappe du Cancre-Marin; & meme il i avoit dejà creusé un fourneau capable de contenir neuf quintaux de poudre. Le 13 du mois, jour de Paque, Melzo donna l'assaut avec tant d'impetuosité, que dez l'abord il en abatit 100. De toute la contrescarpe Occidentale, il ne restoit plus que le Porc-epic à prendre; mais Antunez & Suarez i trouvoient tant de difficultez, qu'ils furent plus d'une fois sur le point d'en abandonner l'ataque; l'esprit de l'Ingenieur Targon aiant trouvé un nouveau remede aux obstacles, ils poursuivirent leur pointe.

Berendrect cependant faisoit incessamment travailler aux coupures des boulevards & du Porc-epic. Comme les Assiegez attendoient du secours, & que pour en aprendre des nouvelles, ils avoient envoiez des sauteurs, on en prit un entre les autres, qui aiant eté reconnu transfuge, fut condamné à etre pendu. Avant d'etre secoué, il se vanta du Calvinisme, d'avoir tué son propre pere, parcequ'il s'etoit remarié, & d'avoir fait avorter sa belle-mere d'un coup de pié. Voilà comme Dieu retrouve les crimes les plus cachez. Enfin il parut quarante deux voiles à la rade, mais les Assiegeans les reçurent si vertement, que les Assiegez en profiterent fort peu. On remarqua que, nonobstant l'horrible feu, qui donnoit sur cette flotte, il n'i eut pas un seul marinier qui se retira du cours ordinaire du canal, quoique le vent le permit. Un pere qui conduisoit un de ces bateaux, aiant su que son fils s'etoit caché au fond, pour eviter cette epouventable grele de fer & de plomb, vint tout en colere, & il lui coupa le poing, parcequ'il jugeoit que sa crainte le rendoit indigne de conduire jamais aucun bateau. C'etoit la le bel effet de la confraternité de la chopine. Aprez quoi, ne peut-on pas dire que le siege d'Ostende est un theatre fecond en tragedies ?

Le Marquis Spinola qui aprez l'Archiduc etoit l'ame de toutes les entreprises, où il se trouvoit en personne le jour & la nuit, se trouva en grande perplexité, d'aprendre que la garnison d'Ostende etoit encore de 109 drapeaux, & que le Comte Maurice etoit aux champs, pour l'obliger à lever le siege. Maurice avoit dejà forcé Aurele Spinola, & il avoit pris poste dans l'ile de Melpen, d'où il lui etoit aisé de passer vers Ostende. Mais le Marquis Spinola avoit envoié Justinien, sur les avenues, pour lui faire tete.

Les Valons & les Espagnols mouraient d'ardeur de monter à l'assaut, mais le Marquis Spinola les arretoit: parcequ'il ne decouvroit point assez le dessein du Comte Maurice, & parcequ'il ne vouloit pas laisser la preseance aux autres nacions à l'exclusion de l'Espagnole; outre que le Porc-epic, où se faisoit l'aproche Espagnole, n'etant pas pris, les Valons seroient trop decouverts, & exposez aux Assiegez. Le Comte Maurice de Nassau aiant pris quantité de Forts, venoit de batre Velasco General de la Cavalerie legere, qui lui avoit voulu disputer le passage d'un pont. On demeura cependant dix jours sans travailler aux aproches, mais on reprit la vigueur ordinaire, dez qu'on aprit que le Comte Maurice avoit pris la route de l'Ecluse.

Le 27 Mai un Samedi, à cinc heures aprez midi, Torrez attaqua le Boulevard surnommé le Grosbec; etant arrivé au pié, on travailla ardamment à la sappe, & l'on s'i logea, mais aprez un combat qui dura toute la nuit. Antunez & Suarez cependant aprez avoir rompu mille obstacles, passerent le canal, & ils vinrent se loger sur le gravier. Ils arriverent aux terrasses exterieures du Porc-epic, où il i avoit quantité de retranchemens, qu'il falloit sapper avant de pouvoir se servir de la pique. Le Capitaine Jean Gonzalez en facilita l'aproche, par faire sauter un grand pan de ce retranchement. Bracton s'opposa aux Assaillans avec 150 hommes, mais Suarez l'aiant tué, de sa propre main, donna la chasse au reste.

Tandis que les Espagnols travailloient à la sappe, pour ouvrir le chemin aux aproches, trois soldats de cette nacion firent quelques traits remarquables. Moreno s'attacha au parapet à deux mains, & nonobstant la mousqueterie des Assiegez, il ne lacha prise qu'aprez avoir emporté ce qu'il empoignoit. Formado ensuite d'une gageure, alla arracher un des maillets qui etoient fichez au haut du parapet; mais aiant reçu un coup mortel, il ne jouit qu'une heure de la gloire de sa gageure. Riberos promit de decouvrir ce que les Assiegez faisoient dans le Ravelin; en effet il monta le haut du rampart, & il vint raporter qu'on eut à etre sur ses gardes: puisqu'il venoit de voir que l'ennemi se disposoit à une sortie; ce qui fut verifié à l'instant. C'est ainsi que toutes les nations choisissent cet amphiteatre maritime pour i donner des marques de leur valeur.

Enfin l'on permit aux Valons & aux Bourguignons de monter à l'assaut. Le Capitaine le Coin les conduisit; & à la faveur d'une mine, qui avoit eu son effet, les Assiegeans se trouverent sur la pointe du Boulevard de West. Ils furent accompagnez de quantité de Volontaires, & d'avanturiers, dont les principaux furent le Comte Vladislas de Furstemberg Alemand fidelle à la maison d'Autriche; les Barons de Morbin & de Crimail, & onze Gentilshommes François. Suarez, profitant de cet avantage, fit attaquer le Porc-epic, qui fit fort peu de resistance. Ce fut dans cette attaque que le Seigneur de Bietres eut la main percée d'une mousquetade. Ce jeune Seigneur quitta la milice Espagnole pour en suivre une plus glorieuse sous l'etandart d'Ignace. Il se fit Jesuite, & il fut connu sous le nom de Pere de Renesse. Fernonville-Bassompiere, eut une jambe cassée, dont il mourut. Hamel, Pilliers, Gentilshommes, S.Sauveur & Marquigni Volontaires Lorains, i furent fort blessez. Balanson & Malaise de leur coté presserent tellement les travailleurs que leurs aproches se nommerent dejà, le Boulevard des Bourguignons. Les Valons auroient donné l'attaque à la Ville dez le 4 Juin, un Samedi, si le Marquis Spinola, pour eviter la jalousie, & pour occuper l'ennemi dans plus d'un endroit, n'eut arreté leur ardeur. Les Assiegez aiant enlevé subtilement deux sentinelles Valons, entreprirent de surprendre cette trenchée avec 300 soldats commandez par la Garde, & par Reusner. Mais de Witz Enseigne Colonel de Chalon, & quelques Volontaires, les firent echouer, aprez une perte considerable. Meurlai & Tannelet Gentilshommes Valons s'i comporterent vaillamment. Torrés & Touricour firent sauter la mine du Boulevard de West; mais elle fut plus avantageuse aux Assiegez qu'aux Assiegeans parcequ'elle les decouvrit. Celà n'empecha pas qu'une infinité de braves ne montassent à l'assaut, comme si le fourneau leur eut eté avantageux. En fort peu de tems, les Assiegeans en furent tellement chassez, qu'on ne vid plus au haut du Boulevard que Glimes, Enseigne dans le Regiment de Tilli. Glimes etant blessé de deux coups de pique, fut obligé de ceder à la force. L'Archiduc i perdit cent & quinze braves. Les plus specifiez furent; de Bruai, de Maude, DoienBrugge de Duras issu des Rois de Naples, parent du Baron de Roost grand Maieur de Liege & epoux de la Niece du Prince d'Elderen, Eveque de Liege. L'ennemi fit une perte considerable, mais il conserva le poste.

Berendrect essaia d'en faire autant aux Italiens de Melzo, qui aiant passé le fossé, etoient arrachez au boulevard de la Porte. Ils sortirent à une heure de nuit; Melzo auroit eté pris, si l'Enseigne Marni ne l'eut degagé avec 40 hommes, qui relancerent rudement l'ennemi: les Italiens demeurez maitres du poste, firent sauter un pan du boulevard.

Les Espagnols d'autre part passerent du Porc-epic au boulevard de la Gueule-d'enfer, à la faveur d'une galerie. Leur premier dessein avoit eté de penetrer en la vieille-Ville, par le boulevard Zantil, mais parcequ'ils auroient trop eu la Gueule-d'enfer en flanc, ils trouverent plus à propos de l'attaquer. Un Valon, des vieux mutinez, pour moienner sa grace, mit un billet entre deux briques, qui servit de beaucoup aux Assiegeans. Balanson, un matin, à la fin du mois d'Aout, fit sauter la mine qu'il avoit pratiquée à son boulevard, mais comme elle joua contre son attente, & que la terre tomba de son coté, il changea son attaque, & il ne permit qu'à Moreau Enseigne du Regiment de Tilli, d'aller reconnoitre la breche. Le Marquis Spinola, qui etoit venu à la trenchée, voiant l'ardeur des Volontaires pour suivre Moreau, leur envoia dire, par le Colonel Franceschi, qu'ils n'eussent pas à le faire. On loua sa prevoiance, quand on vid Moreau blessé à mort d'une mousquetade, & huit de ses quarante, tuez sur la place.

L'Enseigne Evraud releva Moreau avec trente hommes; & ensuite des lumieres qu'il rapporta on fit resolucion de se fortifier le plus avant qu'on pourroit. Bartelemins, Enseigne de Chalon, chassa les Assiegez d'une longueur de vingt pas du boulevard où ils s'etoient retranchez, mais il lui en couta la vie, & à quelques braves qui furent van Dorp, Ouest, Nitie, Belin, Courieres, Bol, Duras, Daré, Carraie, de Mor, de Margues, du Val, de Pample, & 130 soldats. Les blessez furent Gesan, Coin, Gulsin, d'Icarde, Gosuin, & d'Arque. Les Assiegez i perdirent deux de leurs Gouverneurs, Berendrect & vander Borct, & plus de trente Officiers. Utenhoven fut mis à la place de Berendrect.

Quelques Bourguignons, Valons & Liegeois, pris de Boisson, sans aucun aveu, monterent les trenchées ennemies, qui leur etoient opposées, l'epée blanche à la main, & ils se prirent à crier, a pleine tete, tue, tue, suivez compagnons, les canailles sont à nous. Les Assiegez sortirent en bel ordre, & aiant repoussé ces ivrognes, ils alloient donner jusqu'aux trenchées des Assiegeans, si de Torrés n'i fut accouru à tems. Ce fut là qu'il se donna un des plus furieux combats. Les Assiegez furent obligez à la retraite, aprez avoir laissez morts sur la place, sept Officiers & 150 soldats sans conter un grand nombre de blessez. Les Assiegeans perdirent, Ranci, Tol, Chainet, des Armures, Sarlies, du Fort, la Haie, Pimpei & cinquante soldats. Les blessez furent, Vers, Villart, Noailles, Petitval, Thouin, Frenel, Grand-pas. Les Assiegez eurent leur revanche, par une mine qui accabla un Sergeant Hutois & trente soldats Liegeois. Cependant les Assiegeans avançoient beaucoup. Les Italiens etoient bien avant dans le boulevard de la Porte, & les Espagnols alloient miner le boulevard de la Gueule-d'enfer. Mais le monde que l'Archiduc prit du camp, pour faire tete au Comte Maurice, fut cause que les aproches se ralentirent.

Les Assiegez au contraire reprirent du cOEur par dix compagnies de renfort qui leur vinrent. Ils mirent le feu aux aproches des Italiens, & ils leur tuerent deux Enseignes, quatre Gentilshommes, & cinquante soldats. Le Mestre-de-camp Justinien, qui i avoit bien paié de sa personne, i fut blessé au pié; & c'est à sa bravoure que les Italiens sont obligez d'avoir eté les seconds, qui soient entrez dans Ostende: car les Valons i etoient dejà, & ils poussoient vigoureusement les derniers retranchemens des Assiegez. Les Capitaines Caraffa & Diano, sous la conduite de Brancaccio qui commandoit la trenchée, monterent sur le boulevard de la Porte, & aprez un rude combat, ils i arborerent l'etandart de la croix, pour faire entendre que c'etoit un siege de religion. Ils i perdirent dix Officiers, mais peu de soldats. Les Assiegez, avant de se retirer à la coupure, i avoient fait une perte plus considerable. Comme il ne restoit de ce boulevard de la porte qu'une pointe, où les Assiegez etoient encore logez, les Italiens les firent sauter tous, hormis cinc, qu'ils retirerent eux-memes des decombres. Dix Anglois, sans aveu, vinrent presenter la pique; autant d'Assiegeans parurent sur la breche ; insensiblement, il s'i attacha une rude escarmouche, de plus de 1000 combatans. Le jeu finit par la perte totale du reste du boulevard, par la mort du Gouverneur Utenhoven, par celle de deux Lieutenans, & par la perte le 160 soldats, sans conter les blessez. Les Assiegeans i perdirent 80 soldats & cinc Officiers. Le Mestre-de- camp Brancaccio i fut legerement blessé.

Les Assiegeans se voiant attachez au corps de la place, minoient d'un coté, & les Assiegez contre minoient de l'autre. Il est arrivé souvent que se rencontrant sous terre, ils s'i soient battus avec tant d'opiniatreté, que personne n'en soit revenu de part & d'autre, pour rapporter des nouvelles du combat. Justinien, dans ces combats souterrains, reçut un nouveau coup de mousquet, qui lui fit perdre entierement le bras gauche.

Un soldat Assiegé, de ces mutins qui avoient pris parti dans Ostende, pour avoir sa grace, donna avis aux Assiegeans qu'ils se gardassent d'une mine entre la courtine du Boulevard de la Porte & de la Gueule-d'enfer; on le negligea, & cette negligence couta la vie à trente hommes qui en furent accablez. On retira avec bien de la peine un Pretre Valon, qui s'i etoit genereusement avancé, pour confesser les soldats.

Les Espagnols penetrant à la Gueule-d'enfer, alloient presque du pair avec les autres nacions, & il restoit bien peu de rampart à gagner, depuis les Valons jusqu'au canal, qui separe la Vieille-Ville de la Neuve. Les Assiegez, quoique privez de leur Gouverneur Utenhoven, s'opiniatroient incroiablement à la defence, & ils s'attachoient aussi resolument à la moindre motte de terre, qu'à un boulevard entier. Le plus animé etoit de Roque François, qui etoit l'un des Gouverneurs, charge dont il pressoit d'etre delivré, de peur d'avoir l'infamie, de rendre la place. Le Comte Maurice, pour acquiescer à sa demande, i envoia le Colonel de Marquette; & ce fut ce dernier Gouverneur qui eut l'honneur de capituler & de rendre Ostende à l'Archiduc Albert.

Comme les Valons etoient ceux qui incommodoient le plus Marquette par la batterie de huit pieces, qu'ils avoient dressée sur le rampart d'Ostende, ce Gouverneur fit sur eux une furieuse sortie de 500 hommes. Les Capitaines du Buisson, Falloi & Gribeval sortirent de trois cotez ; ils renverserent d'abord vingt Valons, ils donnerent la chasse à un corps-de-gardes entier, & ils se prirent à monter par les embrazures. Mais les Capitaines du Croquet & de Villart, & Maisieres Enseigne de Balanson, i etant accourus, les relancerent vigoureusement. Chateau Rouillaud Enseigne, en ramena quinze prisonniers. Balanson & Malaise, qui se trouverent en personne à cette chaude attaque, ne contribuerent pas peu à dissiper la confusion que les tenebres de la nuit avoient causée dans cette escarmouche. Les Assiegez i perdirent sept Officiers, & cinquante soldats. Les Assiegeans i perdirent Fraizelon Gentilhomme François & 25 soldats.

Ce fut alors que les Assiegeans decouvrirent pleinement la neuve Ostende, avec son fossé rempli d'eau, sa contrescarpe, & ses demies-lunes, enfin une place regulierement fortifiée, & aussi bonne que la premiere, si vous en otez les canaux & les marais, qui la rendoient inaccessible. Cette vue etoit capable de debaucher un tout autre courage que celui de l'Archiduc; mais elle ne fit qu'animer ce grand cOEur, qui se renouvella dans l'esperance d'une nouvelle conquete. Une mine aiant joué prez des Espagnols, fit une ouverture, qui decouvrit quantité d'Assiegez. On i accourut des deux cotez, & l'escarmouche i fut si sanglante, qu'en moins d'un quart d'heure il i mourut plus de 100 hommes. Les Assiegeans eurent l'avantage, mais ils en furent obligez à 10 Volontaires, qui n'aiant que l'epée à la main, firent des merveilles en attendant le secours. Ces dix genereux sont Sipion Popoli, & Jerome Gambari Italiens, le Baron de Grossieux & de Marlieres François, Demonpleinchamp Gentilhomme Ardenois, du Pont & Vorges, qui furent tuez. Bonfort & de Mai, Gentilshommes Belges i furent blessez, & Balsem i fut tué.

Un mutiné de dedans Ostende avertit les Italiens d'une mine, qui fut eventée par la vigilance du Chevalier Melzo ; mais une autre qui joua à la droite, fit sauter Beaufort Enseigne Valon, & trente soldats de la meme nacion. Mais ils reprirent leur revanche une heure aprez, par faire sauter quarante des Assiegez, ensuite d'une fausse alarme. Un soldat du camp s'etant allé rendre à Ostende, donna lieu au Gouverneur Marquette d'attaquer les Espagnols, d'un corps-de-gardes; mais il n'i eut que de la confusion, & que la perte de son Capitaine Froimau. Il n'en eut guere mieux en attaquant de petits retranchemens qu'il avoit abandonnez, & que les Bourguignons avoient occupez. II est vrai que 1e Sergeant Perchet i perdit quelquesuns de ses trente hommes, & qu'il i laissa lui-meme la vie, mais il repoussa son ennemi, & il en fit perir pour le moins autant qu'il en avoit perdus, avant d'etre immolé.

Les VaIons etoient prets à donner, & ils n'attendoient plus sinon que les Espagnols le fussent. Ces braves le furent la veille de S.Jaque leur Tutelaire. 53 pieces de canon saluerent les nouvelles fortifications des Assiegez. Mais ce feu se morfondit par la retraite de douze de ces 53 pieces & par la separation de mille cinq cens hommes, que l'Archiduc tira du camp, pour s'opposer aux entreprises du Comte Maurice à l'Ecluse.

Antunez, nonobstant ce detachement, s'approcha d'une demielune au pié du vieux rampart; mais comme il s'avançoit vers une hauteur, il sauta lui trenteunieme & l'on eut bien de la peine à le sauver avec trois soldats. Un soldat mutiné de dedans Ostende aiant envoié un billet, fut cause que les Italiens n'eurent pas un pareil echec.

Torrés, Chalon, Touricourt, & Mansfeld allerent à la sappe d'une demielune, qui s'oposoit à leur passage, ils s'en emparerent, mais avec la perte des Capitaines Gobreville, Mei & la Vallée, du Major Gourei, de l'Enseigne Trinquet, & du Sergeant la Saviere. Les Italiens, par emulacion, s'emparerent de deux autres. Mais la Bonde François, sortant avec 60 hommes les en chassa. Ce coup enhardit Marquete, qui fit sortir sur le meme cartier, 600 hommes, qui se rendirent les maitres du canon des Italiens Assiegeans. Mais ils n'en n'eurent qu'un quart d'heure la jouissance: car Melzo meme i venant en personne, relança rudement les Assiegez. Mais cet intrepide en s'i fortifiant, reçut une mousquetade à la jambe; Pompée Justinien prit sa place, quoiqu'il portat encore le bras en echarpe. Nonobstant tout celà les Assiegez ne rabatoient rien de leur fierté, par les nouveaux renforts qu'ils recevoient incessamment, & ils elevoient de nouvelles demies-lunes à la barbe des Assiegeans.

Les Espagnols en etant indignez, mepriserent le grand nombre de gens qu'ils perdoient, & ils s'avancerent courageusement. Le 20 Aout, les Assiegez reçurent sur le soir, trois batteaux de secours, qui leur inspirerent autant d'insolence, qu'ils donnerent de courage aux Espagnols. Ce secours apporta la nouvelle de la prise de l'Ecluse; quoique les Assiegeans s'attendissent qu'ensuite le Comte Maurice viendroit pour les obliger à lever le siege, ils ne perdirent rien de leur constance: l'infatigabilité de l'Archiduc & du Marquis Spinola suppleoit à tout. Les Assiegeans ne s'ebranlerent pas de trente deux Capitaines qu'ils perdirent en neuf jours, sachant qu'il en avoit couté le double aux Assiegez. L'Archiduc ordonna au Marquis Spinola, pour oter enfin l'entrée au secours, de faire attaquer le Zantil, pour penetrer par là, dans la vieille-Ville, & pour boucher le port. Spinola en donna la commission à Lutzelburg & à Biglia. Ces braves presserent Marquette de si prez, qu'il envoia au Comte Maurice Brogghe & Geldre, pour exposer l'extremité où il etoit reduit. Le meme jour les Espagnols ouvrirent la Gueule-d'enfer, par une mine, & les Italiens ouvrirent le boulevard de West. Le 13 Septembre tout etant pret pour donner l'assaut au Zantil, les Valons i monterent intrepidemment. Enfin ils en vinrent à bout, aprez une perte de 200 hommes, dont les plus distinguez etoient des Mottes, Valange, du Verger Officiers Valons, & quelques Officiers Alemans. Ainsi les Valons & les Italiens tenoient deux demies lunes de la nouvelle Ostende, & les Espagnols en tenoient une, mais de tres-grande importance.

Les Assiegez perdirent 113 hommes en cinq jours. Aranci Sergeant Valon, se trouva plus de cinquante pas de son poste, aprez avoir lontems voltigé en l'air, par l'effort d'une mine. Les Assiegez traitterent humainement quelques Assiegeans, qui par la force des fourneaux, furent transportez dans leurs retranchemens. Les Assiegeans etant venus à bout de la seconde Ostende, en trouverent une troisieme, qu'ils nommerent la petite Troie; elle etoit regulierement fortifiée.

Les Alemans de Lutzelburg entendant que Maurice, aprez la prise de l'Ecluse s'approchoit d'Ostende, sans consulter personne, attaquerent le boulevard de Scotembourg, & malgré la fiere resistance de Roque François, ils l'emporterent l'epée à la main, & ils se rendirent maitres de la vieille-Ville. Nonobstant celà, 16 bateaux de secours entrerent en la ville. Maurice fit dire aux Assiegez que s'ils pouvoient tenir jusqu'au huitieme Octobre, il ne manqueroit pas de venir les delivrer.

Marquette etoit extremement pressé des Alemans de Biglia, des gens d'Antunez, & des Italiens de Menesés. La posterité doit honnorer la belle action d'un Capitaine François nommé de la Case, qui etant sur le point de faire jouer une mine, qui n'auroit pas manqué de faire sauter Antunez, en fit suspendre l'execucion sur cet unique pié, qu'il ne falloit pas faire perir un si brave Officier d'une maniere si peu glorieuse. Les Espagnols alors etoient les plus avancez de toutes les nacions. Le dernier effort de Marquette fut une grosse sortie qu'il fit sur les Alemans. Ils renverserent les premiers, mais Biglia retablit le combat, & il relança l'ennemi. L'epouvante i etant repandue, un Lieutenant de Lutzelburg nommé Kernitz, entra jusqu'au dernier retranchement des ennemis avec 30 hommes, & il causa une telle fraieur par tout, que les Assiegez crurent etre pris d'assaut. Marquete se tenoit si peu assuré des Valons, qu'on nommoit les mutinez des Forts de S.André & de CrevecOEur, qu'il les fit embarquer de nuit. La meme nuit un Gentilhomme Alemand nommé Omelseuil sans en avoir aucun commandement, entra lui dixieme dans le dernier retranchement des Assiegez, & il fit main basse sur tout ce qu'il rencontra.

Enfin Marquete se trouvant aux extremitez le 20 Septembre 1604, fit battre la chamade par un tambour. Antunez, qui commandoit la trenchée, accorda une suspension d'armes, & il en ecrivit incessamment à l'Archiduc & au Marquis Spinola. Les Colonels Gelder & Actonen vinrent au Camp comme otages d'Ostende, & le Mestre-de-camp Touricour & le Major Otannez vinrent à Ostende comme otages du camp.

L'on ne parlamenta pas beaucoup à la capitulation: parcequ'Albert donna aux braves defenseurs presque tout ce qu'ils demanderent, & que la Ville restant sans habitans, il n'i avoit pas de conditions à leur donner. Ils sortirent avec toutes les marques d'honneur, qu'on a coutume de donner aux gens de guerre qui ont fait une aussi valeureuse & une aussi longue defense qu'ils avoient fait. Les spectateurs de la garnison qui sortoit, & de l'armée Assiegeante qui lui faisoit place rangée en haie laissoit en doute à qui apartenoit la premiere gloire: les defenseurs n'en aiant pas eu moins en soutenant Ostende l'espace de plus de trois ans, que les vainqueurs n'en avoient en forçant trois Villes de Troie, beaucoup plus difficiles à prendre que n'avoit eté la fabuleuse d'Homere & de Virgile: La capitulation etant signée de part & d'autre, l'Archiduc prit possession d'Ostende le 20 Septembre 1604.

Ostende fut Assiegée le 5 Juillet 1601. Charle Vander Noot i avoit alors une garnison de 21 drapeaux. François De Veer i vint de Bergh-op-Zom, avec 13 compagnies d'Anglois, & Huctenbroec avec 7 drapeaux. A la mi-Autonne les Assiegeans avoient tiré 35000 coups de canon. Le 23 Aout la Zelande i fit entrer 20 drapeaux montez sur 30 navires. Huctenbroec visitant le cartier des Anglois fut tué d'une mousquetade le 28 Septembre. Vander Noot lui succeda. Ostende aiant demeuré 14 semaines sans convoi, reçut la flote de secours le onzieme Septembre. Le 13 le feu se prit au cartier de S.Albert où l'Archiduc fit une perte de 15000 francs; Le 3 Decembre les Assiegeans firent une attaque malheureuse. De Veer faisant mine de capituler, leva le masque, en voiant arriver le jour de Noel, 300 hommes de secours. Le 30 Decembre les Assiegeans livrerent un cruel assaut. Le canon avoit emporté les deux jambes à un Apoticaire; il en mourut; comme on le portoit en terre, le canon lui emporta la tete sans blesser les porteurs. Ainsi finit l'an 1601.

Le 7 de l'an 1602 les Assiegez donnerent une nouvelle attaque. Ils tirerent 2000 coups de canon. Parmi les corps morts des Espagnols au boulevard de Zantil, on trouva celui d'une femme habillée en homme. On trouva auprez d'elle un riche collier. A la mi-Janvier, Lantscroon, Hartain de Marquete introduisirent du secours à Ostende. De Veer en la revue, trouva que sa garnison contoit 81 drapeaux. Le 15 Fevrier, il entra 15 drapeaux sous la conduite d'Emont. Le 25 Fevrier la mer fit de grans degats dehors & dans Ostende. Le 1 Mars les Espagnols se servirent de tonneaux, mais inutilement, pour boucher le Port. Le 7 Mars De Veer sortit d'Ostende, & il laissa le Gouvernement à Frederic Dorp. Sur la fin de Mars, il entra 36 vaisseaux de secours. L'usage de l'horloge fut oté dans Ostende.

Nous voici en l'année 1603, jusqu'ici les Assiegeans ont tiré 25000 coups de canon, & les Assiegez cent mille. Les 13 Avril les Archiducaux font une furieuse attaque. Le 14 les Assiegez font une grosse sortie. Le 15 Dorp remet le Gouvernement entre les mains de vander Noot. Le 22 les Assiegez mettent le feu au Luisbosch. Le 26 les Assiegez tirerent 150 boulets artificiels; le feu dura trois jours. Le 29 Septembre Dorp repassa en Zelande. Le 7 Octobre les Assiegez envoierent des boulets flambans au camp, de l'invencion de Maitre-George, qui fut tué d'un canon crevé. Son valet fut poussé au port sans etre blessé. Le 30 Novembre les Assiegeans envoient à Ostende des boulets flambans. Le 13 Decembre Ghistelles vint commander à Ostende, vander Noot en partit le 23.

L'an 1604 le Marquis Spinola succeda à Ribas Gouverneur de l'Ecluse. Ghisteles, Jean Loon, Jaque Berendrect, & Utenhove etant morts, Daniel Hartain Seigneur de Marquete, arriva en qualité de Gouverneur le 10 Juin, & il le fut jusqu'à la prise de la Ville. Spinola fit sauter le Zantil au mois d'Aout. Ce Marquis emporte le Polderwest, & le Porc-epic aprez de sanglans combats. Les Alemans de Barlemont & de Biglia prennent le Sandtil. Le 22 Aout une grosse tempete pensa noier les Assiegeans & les Assiegez. Ostende se rend le 20 Septembre 1604. Pompée Justinien ecrit que ce siege emporta cent mille & quarante ames. On trouva sur les habits d'un Gentilhomme Alemand une liste, qui portoit que durant le siege, il etoit mort 7 Generaux, 15 Mestres-de-camp, 19 Colonels, 165 Capitaines, 322 Enseignes, mille cent & soixante Lieutenans, neuf mille cent & soixante deux Sergeans, & soixante six mille soldats, mille cent & nonante six femmes & enfans. En tout 78046 personnes.




L'HISTOIRE DE L'ARCHIDUC ALBERT SOUVERAIN DE LA BELGIQUE.

LIVRE QUATRIEME.


Dez que la ville d'Ostende fut rendue, l'Archiduchesse Isabelle, qui avec l'admiration de Henri IV Roi de France, avoit voulu participer aux dangers de son Epoux guerrier, s'avança vers une conquete à laquelle elle avoit contribué de plus d'une maniere. Bien loin de se feliciter sur ce trophee; elle versa des larmes sur le grand nombre de Squelets qu'elle rencontroit à chaque pas. Leurs Altesses firent beaucoup d'honneur à la garnison qui sortoit comme en triomphe d'une place qu'elle avoit defendue si lontems, & si courageusement. Le Marquis Spinola ensuite reçut sous ses Tentes & traita magnifiquement l'Archiduc & l'Archiduchesse avec toute leur cour, & avec les Generaux. La table fut suivie d'un spectacle qui ne les rejouit pas moins. On mit toute l'Armée en ordonance de bataille, & puis on fit renouveller toutes les ataques, comme si l'ennemi eut encore eté dans la place. Ce combat divertissant fut terminé de trois salves roiales de toute l'artillerie. La joie fut diminuée de la mort d'un Canonier fort adroit, qui avoit extremement bien servi durant tout le siege sans etre blessé, qui trouva sa triste fin, dans cette fin joieuse de la guerre triennalle. Le Marquis Spinola, cette grande ame qui ne regardoit jamais ses interets, conduisit leurs Altesses d'escadrons en escadrons, de bataillons en bataillons, & il leur specifia les belles actions de ceux qui s'etoient valeureusement comportez durant le siege. Cette recommendation leur valut de grandes recompenses. Le Gouvernement d'Ostende fut donné au Sieur de Gruson brave Colonel Valon qui avoit beaucoup contribué à la reduction de la ville; mais ce ne fut que par interim car les choses etant un peu retablies, il fut donné à Eustache d'Ognies pareillement Colonel Valon qui avoit merité cette recompense par les brillantes actions qu'il avoit faites durant le siege. Le Comte de Bucquoi fut recompensé de celui de Bruges. Toute la garnison & toute la bourgeoisie d'Ostende etoient si atachées à la Hollande qu'on n'y trouva qu'un homme & une veuve, qui n'auroient pas manqué de suivre le reste, s'ils n'eussent pas aprehendé d'etre traitez en justice en Zelande où leur nom n'etoit pas en bonne odeur. Mais ce fut celà meme qui fit le bonheur d'Ostende; à la façon des villes que l'Empereur Leopold prend sur les Turcs car trouvant les places vides, il y a moins à craindre que ces nouveaux conquis, ne cabalent, & la Religion qu'on y veut etablir, triomphe & s'affermit sans obstacle. Aussi voions-nous que nonobstant les tentations de divers ennemis, Ostende à toujours demeuré fidelle à son Souverain.

Ceux qui sentent l'importance de cette place, ne regretent pas les sept millions que l'Archiduc sacrifia à cette conquete, & je doute fort si la France n'en emploieroit pas volontiers à la faire, autant que les Hollandois en emploierent à la conserver, quoique la somme se montat à l'infini.

Le Comte de Bossu dans la famille duquel la Principauté de Chimai s'est venue fondre, eut le regiment du Colonel Gruson en recompense des exploits qui l'avoient rendu remarquable pendant le siege. Mais faisons nous-meme, à notre façon, de glorieuses retributions aux Heros du siege d'Ostende.

La Maison de Croï-Reux-Ligne-Aremberg-Arschot-Solre-Havré-Chimai-Barbanson a tant de part dans l'Histoire de l'Archiduc, & sur tout au siege d'Ostende, que c'est à juste titre que je la mets à la teste de ceux que je pretens de recompenser par la reconoissance que la plume d'un Ecrivain peut donner.

Marc fils du Roi de Hongrie & neveu de S.Elizabet de Turinge, s'allia avec Caterine heritiere de Croï autrefois ville prez d'Amiens. Sa posterité retint le nom de Croï, & elle joignit les armes de Hongrie, qui sont une croix, aux armes de Croï qui sont de gueules à 3 quintefeuilles percées d'or, 2.1. Henri IV erigea Croï en Duché en faveur de Charle de Croï Duc d'Arschot en 1598. Jaque premier vivoit au treizieme siecle. Jaque second epoux de Marie de Pequigni fut Pere de Guillaume epoux d'Isabelle Dame de Renti heritiere d'André & de Marie de Brimeu. Il en eut Jean Chambellan de Jean sans-peur & de Philippe le Bon Ducs de Bourgogne. Il fut tué à la bataille d'Azincourt en 1415. De son epouse Marie de Craon il eut Archambaud tué à Azincourt auprez de son Pere. Ce Jean premier du nom a fait les branches des Princes de Chimai, des Comtes de Solre, des Ducs d'Havré. Antoine qui aprez la mort de son frere Archembaud etoit devenu l'ainé, fut Seigneur de Croï & de Renti, Comte de Porcien & de Guines & Chevalier de la Toison-d'or, & il mourut fort agé l'an 1475. Il avoit epousé Jeanne de Roubais fille de Jean Seigneur d'Herzelle, Ancetre du Chancelier de Brabant d'aujourd'hui, & d'Agnez de Lannoi. Il eut de ce mariage Marguerite Vicomtesse de Montfort en Holande. Antoine avoit pris une seconde alliance avec Marguerite de Loraine, Dame d'Arschot & de Burbeck fille puinée d'Antoine Comte de Vaudémont & de Marie de Harcourt, dont il eut Philippe; Jean a fait la branche des Comtes de Reux & des Sieurs de Cresques; Charle mort jeune; Jeanne epouse de Louis de Baviere-des-deux-ponts; Marie femme de Guillaume Louis de Los Comte de Blankenheim; Isabelle mariée à Guion d'Estouteville-Moyon; Jaqueline, qui epousa Jean de Ligne; Jeane Religieuse de Moncel qui fut Abbesse des Cordelieres du Faubourg S.Marcel à Paris, où elle mourut l'an 1512. Philippe fils ainé d'Antoine epousa Jaqueline fille du Comte de S.Paul, & de Jeanne de Bar; il en eut Henri; Antoine Eveque de Terouane mort en l'Isle de Chipre en revenant de la Terre-sainte; Guillaume Gouverneur de Charlequint, mort en 1521 sans avoir eu posterité de Marie Madelene de Hamal Trazegnies. Philippe mourut en 1511. Son ainé Henri epousa Charlote de Chateaubriant, dont il eut Philippe second; Charle Comte de Porcien, qui de Françoise d'Amboise eut Guillaume Cardinal Archeveque de Tolede qui etant allé à la chasse le 6 Janvier tomba de cheval dont il mourut agé de 23 ans 1'an 1521 pendant la Diete de Vorme; Robert Eveque de Cambrai; Charle Eveque de Tournai; Jaqueline Marquise de Berg sur l'Ecaut; Charlotte Abesse de Gilenghien; Helene mariée à Jaque de Luxembourg Sieur de Frennes, Comte de Grave, Chevalier de la Toison-d'or. Philippe II fils ainé de Henri fut créé Duc d'Arschot par Charlequint. D'Anne de Croï Princesse de Chimai il eut Charle mort en 1551. Philippe III, Antoine & Louis morts en enfance; Guillaume Marquis de Renti qui d'Anne de Renesse sa femme eut, Anne femme d'Emmanuel de Lalain- Montigni Chevalier de la Toison-d'Or. Philippe II prit une seconde alliance avec Anne de Loraine veuve de René de Nassau-Chalon Prince d'Orange, & fille d'Antoine Duc de Loraine. De ce mariage vint Charle Philippe Chevalier de la Toison-d'or, qui laissa posterité. Philippe III fils ainé de Philippe II & de Jeanne d'Halluin-Comines, eut Charle; Marguerite Comtesse de Bossu, & Anne l'ainée qui porta ce riche heritage à Charle de Ligne son epoux.

Charle de Trazegnies s'est distingué au siege d'Ostende & dans toutes les expedicions que l'Archiduc Albert a faites en la Belgique, comme il conste par l'erection qu'il a faite de sa Baronnie de Trazegnies en Marquisat, le 8 Fevrier 1614. Charle avoit epousé Adriene de Gavre fille ainée du Comte de Beaurieux. Le Cadet legitime d'un Souverain de la Bourgogne eut pour appanage la Francheville & terre de Trazegnies qui confine aux Provinces de Brabant, de Hainau, de Namur & de Liege, où ils ont toujours exercé le droit de Souveraineté; & où les Ducs de Brabant & de Hainau se sont quelquesfois trouvés aux tournois que les Seigneurs dudit lieu ont donnez. La tige de cette maison est Gillion premierement Epoux de Marie Comtesse d'Ostervant proche parente du Comte de Hainaut & puis de Gratiane Sultane de Babilone, ses decendans vendirent la terre d'Ath au Comte de Hainau. pour s'aller signaler en la terre Sainte. Ils furent aussi Connetable de France, pendant le Regne de S.Louis sous le nom de Gille le Brun, dont le Pere etoit Connetable de Flandre; cette branche conta jusques à sept generations, la derniere se termina en Agnés heritiere de Trazegnies qui epousa Eustache V Seigneur du ROEux Cadet du Comte d'Hainau, qui prit le nom & les armes de Trazegnies, &: qui les transmit à Otton Baron de Trazegnies & de Silly, Pair de Hainau, qui continua aussi sa posterité jusques à sept generations qui se termina à Anne heritiere de Trazegnies qui maria le dernier de Juillet 1414 à Arnou de Looz-de-Chini, dit de Hamal.

Arnou suivant l'exemple d'Eustache de Hainau, quitta le nom & les armes de Looz-Chini-Hamal, pour prendre celles de Trazegnies. Il transmit neamoins celles de Hamal à son Cadet. Un de ses fils epousa Jeanne fille de Richard Baron de Merode, duquel il i eut une fille nommée Marie de Hamal, qui epousa Guilleaume de Croy Marquis de Chevre Gouverneur & Favori de Charlequint, surnommé la gloire de la maison de Croy, ils sont enterrez aux Celestins de Heverle prez de Louvain, qu'ils ont fondez. Un autre de ses fils epousa l'heritiere d'Armuyde qui est un Vicomté, & un port de la Zelande. Son fils Jean qui epousa Michelle de Ligne fut grand Chambellan, Conseillier d'Etat & Amiral de Philippe le Beau Roi d'Espagne, & Archiduc d'Autriche. Son fils Jean epousa Isabelle de Werchin. Il fut grand Chambellan de l'Empereur Charlequint, Chevalier, & Doien de la Toison d'or, General de ses armées dans les Provinces de Luxembourg, de Hainau, de Namur & de Liege; il epousa au nom de l'Empereur Charlequint Isabelle de Portugal. Son fils Charle epousa Marie de Palant de Culembourg. Il eut la mercede de la Toison d'or, mais il n'en prit pas possession, aiant eté prevenu de la mort. Charle son fils, qui est celui qui s'est trouvé dans le siege d'Ostende, d'Adrienne de Gavre eut Gillion Otton Marquis de Trazegnies qui epousa Jaqueline de Lalain veuve du Comte de Middelbourg fille ainée du Comte d'Hooghstraten, Chevalier de la Toison d'or & Gouverneur de la Province d'Artois, il fut Gouverneur de Philippeville, & aprés Gouverneur & Capitaine General de la Province d'Artois. Par une confiance & par un honneur particulier il eut conjoinctement pendant plusieurs années de guerre, le Gouvernement de deux Provinces, savoir celui de Tournai & d'Artois il laissa une posterité digne de ses Ancestres. Deux de ses fils epouserent deux heritieres; Eugene l'ainé epousa Charlote de Merode; Comtesse de Villémont. Dame de Clermont & de plusieurs autres terres. Octave Joseph, son quatrieme fils, epousa l'heritiere de Willocq de Bomy ; son cinquieme fils Procope epousa Marie Louise d'Arragon Niece du Duc de Terra-nova; ses deux autres fils, Albert, Vicomte de Bilstein, est Prevost du tres-illustre Chapitre de Nivelle & Somelier de la Courtine de la Chapelle Roiale & l'autre nommé Ferdinand est mort Prevost de Louvain. Sa fille ainée a eté mariée à Charle de la Baume Marquis de S.Martin, & la seconde à Ferdinand Comte de Hamal Baron de Vierue. Les petites filles sont Madame la Comtesse d'Aubigny & Madame la Chanceliere Marquise d'Herzelle d'aujourd'hui.

Un Prince d'Arembergh fut envoié au secours de Charle IX Roi de France avec son armée Belgique & puis il contribua à la victoire que Henri III remporta sur le Prince de Condé chef des Huguenots, prez de Basac l'an 1568. Aremberg chargé de lauriers François revint en son Gouvernement de Frise & il sacrifia sa vie au service du Roi Filippe II devant Heyligherlée. Sa Veuve Comtesse de la Mark fut Gouvernante d'Elisabet Fille de l'Empereur Maximilien epouse de Charle IX Roi de France, qui donna à la conductrice de son epouse un bijoux de 10000 francs dans la ville de Maiziere. Aprez ses saints voiages elle se retira à Nanci prez de la Duchesse de Loraine Niece de Charlequint, qui l'aimoit comme sa propre Mere. Ce fut là qu'elle tint sur les fonds le Duc de Vaudémont. L'ainé de cette Dame qui se nommoit Charle, fut toujours fidelle au Roi, & il en reçut de grandes faveurs. Il presida au Traité de paix que l'Espagne fit avec l'Angleterre; il fut chef des Finances, Colonel des Alemans, Amiral & otage pour la paix de Vervins. Il se retira à Enghien que notre Archiduc lui permit d'acheter; il i batit les Capucins, & il i fut enterré le 18 Janvier 1616. Anne de Croi sa veuve i a doté le Cloitre de Nazaret. Son ainé a marché sur les traces de ses Ancetres, son puiné Alexandre Prince de Chimai, & Comte de Beaumont mourut jeune, le troisieme est le Pere Charle d'Aremberg Capucin & le cadet est le Pere Desiré qui a suivi son frere dans l'ordre Seraphique.

Cette maison d'Arembergh subsiste dans le fils de la Duchesse d'Arschot-Arembergh-Grana. Cet enfant de benediction est le fils & le Neveu des deux heroiques Arembergh les victimes de la bataille de Neuheusel & de Salankemen contre les Ottomans. Je donnerai plus de jour à mon histoire, en vous donnant la maison de la Marck & d'Aremberg. Mark est la Ville capitale du Comté de la Mark dans la Vesfalie. Le Marquis de Brandebourg l'a eue de l'heritage de la maison de Juliers. Elle est sur la Lippe au midi; elle a la Vesfalie au Levant, Munster au Septentrion, au midi & au couchant le Duché de Berg. C'est de là que la maison de Marck tire son nom. Engelbert mourut en prison l'an 1277. De Cunegonde de Schasswembourg, il eut Everard & Agnez epouse de Henri de Mont Seigneur de Vindeck. Everard combatit à la bataille de Voring prez de Cologne pour Jean Duc de Brabant en 1288. Il mourut en 1308 laissant d'Ermengarde de Mont, Engelbert second, qui de Matilde Dame d'Aremberg fille unique de Jean d'Aremberg, eut Everard second qui epousa Marie de Los, Dame de Lumain & de Neuchateau en Ardenne prez de Monpleinchamp, dont il eut Everard troisieme qui epousa Marie de Braquemont-Sedan-Florenville. Il en eut Jean premier, qui en 1443 d'Agnez de Vernembourg, eut Everard qui a fait la branche d'Aremberg, que Maximilien II a erigée en Principauté, en faveur de la maison d'Arschot. Albert d'Aremberg Fils de Robert & de Claudine Comtesse du Rhin, epousa Marie fille & heritiere d'Everard Prince de Barbanson, de laquelle il eut Octave & Isabelle d'Aremberg. Albert Prince de Barbanson etoit petit-fils de Jean de Ligne, qui prit le nom d'Aremberg en epousant Marguerite de La Marck heritiere du Comté d'Aremberg.

Le Duc Octave Prince de Barbanson, qui a defendu Namur en 1692, est frere de la Princesse Isabelle; il a deux filles de son Epouse de la maison de Manriquez de Lara. Isabelle, d'Albert François de Lalain, eut Marie Gabriele la Ringrave Douariere; & d'Ulric de Virtemberg, elle eut en 1653 la Princesse Marianne. Nous avons vu deux freres d'Aremberg Gouverneurs de Hainau immediatement avant le Prince de Rache; l'un est mort sans posterité, & il a laissé Madelene de Borgia, qui se felicite avec grand sujet, d'etre la petite-fille de S.Borgia troisieme General des Jesuites; le second des Aremberg qui a succedé à son frere au Gouvernement de Hainau, avoit epousé la Princesse de Cusance qui se tient à Louvain ou à Heverle où sont les tombeaux magnifiques des Croï-Aremberg. Ses deux Fils ne trouvant pas la Belgique assez vaste pour leur grand cOEur, ont eté chercher la belle gloire de leurs Ancetres en combatant contre les Infidelles, où ils sont morts au lit-d'honneur, en donnant toutes les marques d'une valeur heroïque. L'ainé qui est demeuré à la bataille de Salankemen en 1691, avoit epousé la fille du Marquis de Grana mort Gouverneur de la Belgique à Marimont. La sOEur du Duc du Prince d'Aremberg qui ont signé leur foi & leur courage de leur sang en Hongrie, est l'Epouse du Comte d'Egmond General de la Cavalerie du Roi. Quoique le Comte de Buquoi ait relevé Velasco General d'Artillerie, la Belgique, & singulierement la Ville d'Ostende ne laisse pas d'avoir de grandes obligations à ce nom immortel de Velasco, dont les Comtes de Salazar etoient les decendans.

Claude de Laberlot ou Labourlotte, comme on le nomme communément, merite d'avoir ici un rang distingué. Sa naissance tient de celles des grands hommes, qui sont souvent douteuses; la Loraine se l'attribue, la Bourgogne la lui dispute. Le nom de Claude favorise les Bourguignons. D'où qu'il soit, il est certain qu'il nous est venu de bon lieu. Le grand nombre d'ennemis qu'il a eus, sont des convictions de son merite extraordinaire: la foudre de l'envie passe les buissons, & elle s'attache aux hauteurs. Ils disent qu'il etoit de basse extraction & qu'il avoit manié le rasoir & la lancette avant de manier l'epée, & la pique; mais ceux qui sont exemts de passion, en parlent autrement. Ils disent qu'en effet ils savoit de bons remedes pour les blessures, mais que c'etoit une etude que la curiosité & la charité & non pas la necessité lui avoient inspirée; & qu'il i a autant d'injustice de le faire passer pour Barbier ou pour Chirurgien, qu'il i en auroit de faire passer Madame Fouquet Vicontesse de Melun pour une charlatane, acause qu'elle donnoit des remedes aux pauvres; remedes que l'on a imprimez, & qui ont de l'approbation. Ce fut la meme bevue qui fit passer pour fils de Medecin le Seigneur Robert de Cotereau le liberateur de Charle Hardi à la bataille de Montleheri, parceque le pere de ce Cavalier etoit un Gentilhomme qui par inclination particuliere, s'etoit apliqué à l'etude de la medecine. Ce qui ne derogeoit en rien à son ancienne noblesse. Labourlotte etoit un homme à tout entreprendre; nul danger ne l'epouvantoit; il entroit au combat comme s'il eut eté assuré de la victoire. C'etoit à lui qu'on confioit les coups de main. Ceux qui n'aimoient pas qu'on les hazardast tant, ou qui se voioient eclipsez de ses succez, le traitoient de temeraire heureux; si ces injustes ne le regreterent pas, les soupirs que l'Archiduc jetta à sa mort compensent la dureté de ces insensibles jaloux. Il est enterré à Lopogne dans une tombe relevée sous cette epitaphe: Ici git noble & illustre Seigneur Messire Claude de la Bourlotte Chevalier & du Conseil de guerre du Roi, Colonel de douze compagnies Luxembourgeoises, Seigneur de Berstein de Boncour, de la Vallée, de Lopogne & de Basi. Il fut tué au Fort Isabelle prez d'Ostende le 24 Juillet de l'an 1600.

On dit qu'il gagna les bonnes graces de Mansfeld par le delivrer de sa femme incommode; mais je n'en crois rien: il etoit trop honete homme pour faire un coup si vilain. La Bourlotte conseilla à l'Archiduc de se contenter de sa victoire du pont de Lefingue sans aller pousser les Holandois, au desespoir devant Neuport. Mais il prefera le conseil d'un Sicilien qui dit qu'Albert devoit etre plus sage qu'Annibal & qu'il ne devoit pas s'arreter à sa victoire de Cannes. Aprez qu'Albert eut eté battu, la Bourlotte s'en vangea par le mot trop militaire qui est assez connu.

Il laissa un fils & une fille. Son fils François s'est fait de l'Ordre de S.Dominique, & il a laissé le bel heritage à sa sOEur Anne epouse de Robert Baron de Celles & de Foi au païs de Liege prez de Dinant celebre par les miracles que Dieu a operez & qu'il opere devant la Statue de terre pierreuse qui fut trouvée au cOEur d'un chene.

François Mendoze servit de sa main & de son esprit au siege d'Ostende, où il assista etant Amiral d'Aragon. Il etoit fils d'Ignace ou d'Inigo Marquis de Montejar. Il fut fait Commandeur de Valde-Peñas de l'Ordre de Calatrave. Il etoit excellent pour les negociations & pour les Ambassades. Il a donné au public celles qu'il fit vers l'Empereur, vers notre Archiduc & vers le Roi de Pologne.

Il se trouva à la bataille de Neuport, mais il eut le malheur d'i etre fait prisonnier. Il ne faisoit que de sortir de son arrest quand il vint au siege d'Ostende. Les Hollandois l'avoient conduit en Zelande, & ils l'i avoient retenu deux ans entiers. Aprez la prise d'Ostende, il retourna en Espagne, & il s'i maria avec Marie Ruiz Colon de Cardonne Duchesse de Veraguas etant resté Veuf, il se fit Pretre, & il mourut le premier de Mars l'an 1623 dans le tems que le Roi l'avoit nommé à l'Eveché de Siguença. Ses Ambassades furent imprimées à Brusselle l'an 1579.

Jaque de Gand Comte d'Isenghien premier Majordome de Son Altesse rendit de signalez services au siege d'Ostende, en qualité de Conseiller d'Etat & de chef des bandes d'ordonnance; son fils Philippe Lamoral marchant sur les vestiges de son pere, reçut de grans honneurs comme fut celui de Gouverneur de Lille, de Douai & d'Orchies. Enfin le Roi Filippe IV le premier jour d'Août de l'an 1652 mit le couronnement à la maison de Gand en erigeant Masmines terre de Flandre, en Principauté en faveur de Philippe Baltazar Comte d'Isenghien, Baron de Rasienghien & de Busbeque, Gouverneur du Duché de Gueldre, & Chevalier de la Toison d'or, acause des grans services qu'il avoit rendus à la Couronne, en Alemagne, en Catalogne & en la Belgique, & en vue de sa grande Noblesse. Sa Majesté ensuite reconnoit qu'il est descendu des anciens Comtes de Gand, qui font de la maison de Saxe par le Comte Billing-de-Saxe, dont l'ainé fut Vicman ou Comte du chateau de Gand bati par l'Empereur Oton premier, & dont le second fils Herman Billing Duc de Saxe est la tige de la maison Ducale & Electorale de Saxe; que cette maison de Gand a eu des Princes d'Alost, des Seigneurs de Dermonde, des Barons de Folquingham, des Comtes de Licolne, de Guines, de Soissons & de Belfort; & des Seigneurs de Couci; enfin qu'elle a fait des alliances avec les plus augustes maisons de l'Europe.

Le Prince de Masmines en qualité de Doien de l'Ordre, donna la Toison-d'or au Duc de Villahermosa & au Duc d'Arschot-Aremberg Gouverneur d'Hainaut, Oncle des deux heros morts en Hongrie ces années passées, avec une pompe toutafait Roiale. Ce Prince mourut chargé de merites & d'années à Brusselle le 27 Fevrier 1681. De Louise de Sarmiento premiere Dame d'honneur de la Reine Isabelle de Bourbon premiere Epouse du Roi Philippe IV, il eut quatre fils & quatre filles; ces filles sont la Marquise de Risbourg, la Comtesse de Mastaing, la Marquise de Villanova, & la Marquise de Valpareyso qui est morte.

L'ainé du Prince de Masmines, à qui le Roi fit donner son nom de Philippe, mourut à Madrit, agé de quatre ans. Jean, le Puisné epousa Marie de Crevant. Le Roi Louis XIV erigea son Comté d'Isenghien terre de Flandre, en Principauté, & il lui donna les honneurs du Louvre. La Princesse Veuve d'Isenghien est la fille de Louis de Crevant Duc d'Humieres, créé Marechal en 1668 Gouverneur du Pais conquis, Chevalier des Ordres du Roi grand-Maitre d'Artillerie, celebre par la prise de S.Guilain, d'Aire, de Lieuwe, &c. Le Marechal d'Humiere a epousé Louise Antoinette Terese de la Chastre fille d'Edme de la Chastre Comte de Nancci & de Françoise de Cugnac, & de Dampiere. De ce mariage vint aussi Henri-Louis Marquis d'Humieres qui a eté tué au dernier siege de Luxembourg.

Le troisieme des fils du Prince de Mamine est Charle Comte de Gand qui mourut Capitaine de Cavalerie en Catalogne, au regret de toute la Cour qui le regardoit comme un sujet capable de tout ce qu'on peut se figurer de grand. Le cadet enfin est François Albert tenu sur les saints Fonds par son Oncle François de Gand Eveque de Tournai, successeur de Maximilien de Gand pareillement Eveque de cette ancienne Eglise. Il naquit à Ruremonde & il fut trois ans à la Cour de Madrit où le Roi lui donna un Regiment, & où il le confirma dans les prerogatives de Prince de Mamine.

La gloire de la maison d'Isenghien est que le Comte de cette Principauté sauva le guidon Archiducal à la bataille de Nieuport.

J'ai douté, si je ne devois pas mettre le Comte de Bucquoi a la tete des vainqueurs d'Ostende, puisque ce fut à la faveur d'un ouvrage qu'il construisit contre vent & marée, que la Ville succomba. Son pere nommé Maximilien-Baron de Vaux avoit merité la Toison-d'or, & c'est tout ce qu'on peut dire d'un homme; les statuts de l'ordre portant qu'on ne puisse la donner qu'aux illustres naissances, & aux merites fort extraordinaires. Alexandre de Parme, mandant au Roi la mort glorieuse de ce brave au siege de Tournai, l'avertit que le collier qu'il avoit destiné au pere, devoit se reserver pour le fils Charle Bonaventure de Longue val Comte de Buquoi, qui tout jeune qu'il etoit, faisoit esperer des merveilles. Alexandre ne se meconta point. Le Comte de Buquoi fut un des plus signalez Heros que plusieurs siecles aient admirez, si l'on considere sa pieté, son jugement, son adresse, son bonheur, son intrepidité, son infatigabilité. Il se trouva dans toutes les chaudes occasions de son tems, & il en revint toujours chargé de lauriers. Son chef-d'euvre fut la reduction de Prague, & la couronne de Boheme qu'il remit sur la tete de l'Empereur Ferdinand second. Aprez avoir rempli l'Univers de la grandeur de ses victoires, il fut accablé des Transsilvains de Betlen Gabor non pas prez de Neuheusel, mais prez de Neuheusol en soutenant ses fourageurs en 1621.

La maison d'Autriche s'est fait comme un plaisir d'enrichir & de glorifier sa posterité. Les Empereurs leur ont donné de grans biens en Alemagne. Le Comte de Rosenbergh de Buquoi en jouissoit, quand il fut accablé, comme son Ancetre, des Turcs immediatement avant la bataille de Salankemen, où le Prince Louis de Bade eclipsa le Croissant en l'an 1691. Le fils du heros de Neuheusol fut recompensé du Gouvernement de la Province de Hainaut. Dominique de Jesus Marie Carme guidon spirituel de la bataille de Prague, pour garder sa promesse, resuscita & donna sa main à baiser à ce Comte qui etoit encore jeune, à la vue d'une infinité de monde. Les filles de ce Gouverneur de Hainaut sont les Marquises du Quenoi & d'Argenteau, & la Comtesse 'Tserclaes de Tilli qui a laissé Veuf le General des Liegeois d'aujourd'hui.

Le Tilli dont le Regiment Liegeois fit des miracles au siege d'Ostende etoit l'Ancetre de ce Comte Albert de Tserclaes, qui s'est fait admirer dans plusieurs occasions ecclatantes, mais sur tout au bombardement de Liege de l'an 1690. Il maintint la Ville dans son devoir en courant par tout, nonobstant les bombes & les carcasses qui tomboient comme de la grele à ses cotez, il relança le Marquis de Bouflers qui etoit descendu par la Chartreuse; il lui fit passer l'envi de rester plus lontems à Robermont, & il lui fit voir que ceux qui lui avoient promis les clefs de Liege, s'etoient oubliés qu'il i eut un Prince d'Elderen & un Comte Tserclaes à la defense de cette fille bienaimée de l'Eglise Romaine.

Le Duc d'Aumale merite une place honorable dans cette histoire. Aumale sur la Bresse est une petite ville de Normandie. Henri II Roi de France. en 1547 erigea Aumale en Duché en faveur du Duc de Guise qui le ceda à son frere Claude de Lorraine né le premier Aout 1526. Claude en 1547 epousa Louise de Brezé, de laquelle il eut Charle de Lorraine Duc d'Aumale dont je parle. Charle naquit le 25 Janvier 1555. Il fut Gouverneur de Picardie. Ce fut ensuite l'un des principaux appuis de la ligue. Jamais il ne sut oublier le tort qu'il croioit avoit fait à sa maison à Blois par le massacre du Duc de Guise, & du Cardinal de Lorraine. Et la ligue aiant cessé par la paix, il se retira en la Belgique sous les auspices de notre Archiduc, qui l'honora selon sa qualité, & de qui il reçut de signalez services. Ce Duc avoit epousé le 10 Novembre 1576 Marie de Lorraine fille de René Marquis d'Elbeuf; & il en eut Charle Henri & Madelaine morts sans alliance; & Anne mariée le 14 d'Avril de l'an 1618 avec Henri de Savoie premier du nom Duc de Nemours, mort l'an 1632. De ce mariage vint François de Paule, mort en enfance, Louis Duc de Nemours mort l'an 1641, Charle Amedée de Savoie,& Henri de Savoie second du nom. Charle Amedée fut tué en duel à Paris en 1652. Une sainte ame a eu revelation que Dieu lui avoit accordé un acte de contrition avant que de mourir. Ce brave, & ce pauvre Prince laissa d'Elisabet de Vendome, Marie Jeanne Batiste Duchesse de Savoie, & Marie Françoise Elisabeth Reine de Portugal, epouse premierement du Roi Alphonse de Bragance, & puis du Roi Pierre son frere qui regne glorieusement aujourd'hui. Pourque cette maison roiale de Nemours ne perit pas, le cadet nommé Henri qui etoit deja Archeveque de Reims, avec dispense du Pape, epousa Marie d'Orleans-Longueville en 1657 ; mais etant mort sans enfants en 1659, il ensevelit la maison de Nemours, qui avoit subsisté en France l'espace de 150 ans, depuis Philippe Duc de Genevois & de Nemours, fils puisné de Philippe Duc de Savoie, & de Claudine de Brosse-Bretagne son epouse. Notre Duc Charle d'Aumale tige de tant de Heros mourut en la Belgique l'an mil six cent vingt.

Aprez l'Archiduc d'Albert, on doit la reduction d'Ostende à Ambroise Spinola, Marquis de Venafre, Chevalier de la Toison-d'or & General d'Armées en la Belgique. Spinola est un Marquisat dans le voisinage de Montferrat, du Milanois & du païs de Genes. Comme j'ai envi de faire une histoire particuliere d'Ambroise Spinola je me contente de dire ici que tout le monde, meme durant sa vie le preconisoit le Fabius Maximus & le Scipion l'Africain de la Belgique.

Ce seroit faire un injuste partage que de donner de la louange à ceux qui ont travaillé pour le temporel, & que de negliger ceux qui ont travaillé pour le spirituel. Pour ne pas commettre cette espace d'injustice, je dis en general, que la mission castrale des Jesuites n'omit rien pour santifier ce plus fameux des sieges. Cette mission commença & s'acheva sous Alexandre Farnese Duc de Parme. Tomas Sailli Brusselois qui fuioit la Cour autant qu'elle le cherchoit, ne se contentoit pas du titre de Confesseur de Son Altesse de Parme, mais aiant servi la Cour, il se donnoit entierement au service des pauvres soldats, parmi lesquels il contracta la peste dont il fut gueri miraculeusement ensuite d'une vOEu qu'il adressa à la Mere de Dieu. Le Medecin du Duc qui s'en etoit aproché, avoit gagné la peste, & il en etoit mort.

Le zele de Sailli fit songer à la mission castrale que le Roi fonda depuis à perpetuité en faveur des Jesuites. Ils se sont de tout tems rendus dignes de cette distinction roiale: ce fut en confessant les blessez que Nicolas Montanus fut tué à S.Quentin, que Pierre Buzelin Superieur de la mission, Laurent Everardi, & Oton Campensis Confesseur de l'Archiduc Ernest, le furent par les Calvinistes à la bataille de Nieuport.

Le Sieur Nicolas de Monpleincamp mort à Namur & enterré dans l'Eglise de S.Loup m'a raconté de s'etre confessé à Pierre Eulart à la bataille de Fleuru de l'an 1622 où il se trouva en qualité de Cornette, & de l'avoir vu parmi les bataillons tout chargé de sang d'un coup de mousquet qu'il avoit reçu à la tete. Herman Hugo auteur du siege de Breda, fut aussi une victime de la mission castrale en 1629.

La Treve de douze ans avec la Hollande expira le 29 Avril 1621. Il sembla que l'Archiduc Albert voulut emporter au tombeau le nom de Pacifique; puisqu'il sortit de ce monde peu aprez. Les Holandois crurent que le bonheur & la bravoure entreroient dans son tombeau, & ils crurent avoir bon marché de l'administration d'une Princesse, mais ils ne tarderent guere sans sentir qu'ils avoient en elle une Debbora, une Jahel, une Judith. Elle fit Assieger & prendre la forte Ville de Juliers ; & l'an 1622, elle fit assieger Berg-op-Zoom sur les confins du Brabant. Une terreur panique qui se jetta au camp fit avorter ce dessein; mais elle ne put pas eteindre la splendeur des belles actions que le Jesuite Guillaume Buvet i fit eclater. Les Assiegeans occupoient, & fortifioient un poste. Buvet i fut envoié pour donner chaleur aux travailleurs, & pour donner les derniers secours de I'Eglise à ceux qui seroient blessez. Les Hollandois minerent cet ouvrage, & au meme tems que le fourneau joua, ils i donnerent une furieuse ataque. La mine fut si favorable aux Hollandois qu'elle decouvrit les Archiducaux qui s'i etoient logez & qui s'i defendoient en lions. On i fut lontems aux mains; enfin les Archiducaux furent contraints de ceder à la multitude, & d'abandonner leur poste. Comme ils se retiroient, Buvet qui ne faisoit que de sortir des ruines de terre qui l'avoient accablé, & où il avoit perdu son chapeau, arreta les Archiducaux, & il leur reprocha leur lacheté. Au meme tems il leur montra ce qu'ils avoient à faire, en se chargeant de la hotte & en reparant la breche. Les soldats honteux de voir qu'un Pretre leur aprit leur metier rentrerent dans le poste, ils s'i retrancherent, & ils s'i maintinrent nonobstant toutes les attaques de l'ennemi.

Cependant un bruit se repandit parmi le camp que Buvet, etoit enseveli sous la mine. Quelques-uns meme disoient qu'il etoit mort d'un coup de pique. On commençoit deja à le deplorer lorsqu'il se fit voir aussi brillant de gloire que chargé de terre. On fut lontems qu'on ne parloit à l'armée que de l'intrepidité & de l'infatigabilité de Buvet. On la manda au Roi en Espagne, & celà augmenta l'amour qu'il avoit pour ces Missionaires, qui retenoient tant de l'esprit martial de leur pere qui s'etoit fait casser les deux jambes en defendant Pampelune contre les François. Buvet mourut quelques tems aprez au lit d'honneur, au grand regret de toute l'armée, & sur tout des pauvres soldats dont il etoit le consolateur & le nouricier. Le Cardinal Infant Ferdinand, qui s'en servoit souvent pour ses confessions, declara souvent en public, que l'armée avoit fait une tres-grande perte dans la personne de Buvet.

Tandis que Buvet se bat courageusement à Berg-op-Zoom, je me resouviens de ce que d'autres de sa robe firent le 9 Septembre de l'an 1590 à Paris derriere leur maison autrefois de Clermont, & presentement de Louis le Grand, qui en ce tems etoit contigue aux anciens ramparts. Alexandre Farnese Duc de Parme aiant fait lever le siege de Paris à Henri IV Roi de France & de Navarre qui n'etoit point converti, ce Roi vraiment grand, essaia d'avoir sa revanche en escaladant cette grande Ville. Pour cet effet la nuit du Samedi au Dimanche il fit couler 4000 soldats choisis, avec une bonne troupe de Cavalerie dans les Fauxbourg de S.Jaque & de S.Marcel sous la conduite du Comte de Chatillon. pour donner l'escalade entre ces deux portes aprez minuit tandis que tout le monde dormiroit: car Henri IV ne croioit pas que les Parisiens, qui savoient que l'Armée avoit eté tout le Samedi en bataille dans la plaine de Bondy, dussent se tenir sur leurs gardes de ce costé. Mais comme on avoit eu quelque avis de ce dessein, & que d'ailleurs les troupes ne purent entrer dans ces Fauxbourgs sans faire bien du bruit, on en prit aussitot l'alarme. On sonna le tocsin par tout, & les Bourgeois accoururent en foule sur les remparts, principalement en cet endroit. Mais enfin comme aprez avoir atendu lontems, rien ne parut & qu'on n'entendoit plus aucun bruit, parceque les ennemis couverts des Fauxbourgs gardoient un profond silence, sans remuer, on prit celà pour une fausse alarme. On cessa de sonner, & chacun se retira dans fa maison excepté dix Jesuites qui plus vigilans que les autres demeurerent fermes, tout le reste de la nuit dans ce poste qui n'est pas loin de leur College, vers l'estrapade.

Cependant les soldats de Chatillon s'etant fort doucement coulez dans le fossé, commencerent sur les quatre heures du matin, à planter leurs echeles à la faveur d'un grand brouillard qui les couvroit. La partie etoit bien faite: car on n'avoit besoin que de dix ou douze soldats, qui s'etant jettez dans Paris eussent ouvert la Porte de S.Marcel à leurs troupes, par l'intelligence qu'on avoit avec un Capitaine de ce quartier. Aprez quoi l'on se fut aisément rendu maitre de l'Université. Ensuite la Ville & la Cité eussent mieux aimé s'accorder avec Henri IV, que de voir Paris devenu la proie de deux grandes Armées, en recevant pour etre secourues celle du Duc de Parme par la Porte de S.Martin.

Mais la vigilance des dix Jesuites rompit de si justes mesures: car aiant oui le bruit que faisoient dans le fossé ceux qui apuioient leurs echeles contre la muraille, ils se mirent à crier aux armes de toutes leurs forces. Les soldats neanmoins ne laisserent pas de monter, & le premier qui se fit voir tout pret à se jetter sur le rempart parut justement à l'endroit où etoit le Pere Comelin, qui lui donna un grand coup d'une vieille hallebarde qu'il tenoit etant là en sentinelle & en aprennant son sermon. Il la lui rompit en deux sur la tete, & il le renversa du haut de l'echele dans le fossé. Les compagnons de ce vaillant Jesuite en firent autant à deux autres, & un quatrieme qui etoit deja monté, & qui tenoit d'une main son echelle pour decendre dans la Ville, & de l'autre un grand coutelas, pour fendre la tete au premier qu'il rencontreroit, fut arreté par deux de ces Jesuites, qui avec chacun une pertuisane, le pousserent si vigoureusement, que malgré tous les coups qu'il leur portoit inutilement de trop loin de peur d'etre enfermé de ces pertuisanes, ils le contraignirent enfin de quitter son echelle, & l'aiant blessé à la gorge, ils le firent tomber aprez ses compagnons dans le fossé.

Les deux premiers Bourgeois qui accoururent au secours furent l'Avocat Guillaume Balden, & le fameux Libraire Nicolas Nivelle. Ces Bourgeois trouvant un Jesuite aux prises avec un soldat, qui montoit malgré tous les foibles efforts que ce Pere faisoit pour l'empecher, se joignirent à lui, & ils lui aiderent à le tuer. L'Avocat Balden se tournant vers un autre qu'il aperçut dejà monté, lui dechargea d'un revers de son coutelas un si grand coup sur la main droite, qu'il la lui coupa tout net, & qu'il lui fit sauter la muraille. Cependant comme l'alarme avoit recommencé fort chaudement, on courut de tous les quartiers en cet endroit de la muraille, & l'on obligea les gens de Henri IV à se retirer prontement. Ce fut ainsi que Paris dut sa conservation aux Jesuites.

Le siege d'Ostende qui nous a donné occasion d'immortaliser ces Heros a sacrifié un grand nombre de Missionaires que les travaux, les maladies & sur tout les canons & les mousquets ont ensevelis vraiment au lit d'honneur; le plus distingué fut Spikerman surnommé l'Apotre des Alemans; une bale lui apporta la couronne due à ses conquetes vraiment Apostoliques qui furent plus de 80 hauts Officiers convertis à la foi Catolique. Voici la vie que ces Peres menoient au camp. Ils procurerent que le saint Viatique fut porté aux malades en grande pompe, & avec une infinité de flambeaux; on convoquoit l'armée à la Messe au son de la cloche. On donnoit trois fois le jour au son des trompettes, le signal de l'Angelus. Il i avoit une lampe immortelle devant la statue de la Vierge dans la tente des Missionaires, où il i avoit peu de sentinelles de nuit qui ne se tournassent pour prier la Mere de Dieu.

Je suis né sujet de la maison d'Autriche, mais je ne renonce pas à la qualité d'histoirien equitable. C'est sur ce pié que je renouvelle la gloire que vander Noot s'aquit durant le siege. Il etoit d'une des sept illustres familles de Brusselle. Le- malheur des guerres, des tems l'avoient engagé dans le parti Hollandois; mais ceux qui ont depuis porté ce nom glorieux, & qui le portent encore aujourd'hui, comme sont le Baron de Carlo & le Vicaire General de Maline, ont compensé par leurs fidelles services ce que le Gouverneur d'Ostende avoit pu diminuer.

Mais persone ne merita plus de louange que le Prince Maurice de Nassau qui n'omit rien pour faire lever le siege d'Ostende, & qui essaia de contrebalancer cette perte par de glorieuses conquetes. Ce Prince d'Orange etoit fils de Guillaume le fondateur de la Republique de Hollande & de sa seconde femme Anne de Saxe. C'etoit un grand Capitaine qui fut fait Gouverneur des Hollandois aprez la mort de son pere tué à Delft en 1584 par un detestable Bourguignon. Durant l'absence du grand Alexandre Farnese il fit divers explois en 1590 & en 1592. Il gagna la bataille de Nieuport en 1600, mais il fut obligé de lever le siege d'Ostende qui etoit le but de l'Archiduc Albert. Il prit Grave sur la Meuse en 1602, & l'Ecluse en 1604, lorsqu'Ostende parloit de se rendre au Marquis Spinola. Maurice mourut à la Haie le 23 Avril 1625, de deplaisir de n'avoir pu faire lever le siege de Breda, qui fut pris aprez neuf mois, en la meme année 1625. Maurice ne laissa point d'enfans legitimes, & son Frere Frederic Henri lui succeda. Le nom de Maurice lui fut donné de celui de Maurice de Saxe pere d'Anne de Saxe sa mere. Ce Saxon etoit Electeur, & il mourut de la blessure d'un coup de pistolet, en faisant la guerre au Marquis de Brandebourg le 9 Juin 1553; au trente deuxieme de son age. Les curieux qui voudront voir avec plaisir les belles actions du Prince Maurice, n'ont qu'à voir les harangues latines de Daniel Heinsius Gantois qui font honte à celles de Ciceron.

La Belgique occupée de ses guerres intestines & etrangeres ne songea point à dresser aucun trophée au Vainqueur d'Ostende, je supplée à ce manque en conduisant l'Archiduc par les arcs de triomphe que la Ville d'Anvers lui erigea, en le recevant pour la premiere fois.

Je commence par les Deputez d'Anvers qui vinrent rendre hommage a Son Altesse à son avenement à la couronne Belgique. Les Deputez de l'Etat Ecclesiastique furent Guillaume de Berghes Eveque d'Anvers & alors Abbé de S.Bernard au bord de l'Ecaut, & Denis Feiten Abbé de S.Michel. Les Deputez de la Ville d'Anvers furent Blaise de Bejar Chevalier Seigneur de Westackers & Bourgmaitre d'Anvers ancetre de la Baronne d'Hannyvelle, & de Freney, le Chevalier Edouard vander Dilft, Seigneur de Leverghem, Magistrat, Gille Gerardi Magistrat frere d'André Bourgmaitre d'Anvers ancetre des Valkenisse, des Goubau & des Beveren; Et Henri Schot Conseiller & Pensionaire d'Anvers.

Cette Assemblée des Etats generaux se tint à Brusselle le 15 Aout de l'an 1592. Je descens à la reception toutafait Roiale qu'Anvers fit à l'Archiduc quand il vint prendre possession de cette Reine des Villes. Le 5 Decembre Albert & Isabelle vinrent à Anvers par un Jact richement & agreablement equipé. En attendant que tout fut disposé à les recevoir, ils decendirent dans la Citadelle par un pont que le Magistrat leur avoit fait construire expressément. Le jour de leur entrée triomphante fut fixé au huitieme Decembre jour de l'Immaculée Conception de la Mere de Dieu. Le Magistrat superbement monté sortit par la Porte Imperiale, & laissant les ramparts de la Ville à leur droite, ils donnerent à la porte de la Citadelle qu'on nomme de secours. Ils etoient precedez de leurs six Messagers, qui le baton rouge & blanc à la main rangeoient la foule, & empechoient le desordre. On voioit ensuite deux Doiens des 24 Metiers, en habits de soie & en botines de cuir blanc. Puis on voioit pareillement à cheval & en riche equipage deux des treize carriers de la Ville, qu'on nomme quartiers-maitres, avec deux Hooftmans. Aprez eux suivoit l'ancien Magistrat, qui pour se distinguer du nouveau, avoit les bras fourrez dans les manches, au lieu que le Magistrat en pié, portoit ces manches pendantes.

Voici leurs noms:

Jaque de Berchem Chevalier. Son fils a eté Bourgmaitre & son petit fils vit en lustre à Brusselle.

Jaque de sainte Croix Chevalier. Ses decendans sont les Seigneurs de Meerbeke.

Jean Bacx.

Gille Gerardi dont le nom est illustre dans le College des Cardinaux.

Adrien de Marselaer ancetre des Barons de Parc d'aujourd'hui.

Nicolas de Meyere.

Daniel de Ranst. Les Ranst viennent des Seigneurs de Malines.

Manard vander Cruyce ancetre du Bourgmaitre vander Cruyce.

Arnou Schoyt. Ancienne & noble famille, dont il ne reste qu'une jeune Demoiselle.

Nicolas van Mechelen Chevalier de l'illustre maison de Bertaut Seigneur de Maline.

Jean de Pape. Ancienne noblesse de Flandre. Ses trois filles sont alliées aux nobles familles de van de Werwe, de Happart, & de Hoens.

Michel Cnobbaert dont la posterité a embelli les Biblioteques.

Jaque Dassa dont sortent les familles de Pastrana, de Bervelt-Borsbeke.

André Bruseghem dont les decendans sont alliez aux illustres de la Faille.

Baltasar de Robiano, depuis Tresorier general des Etats de Brabant.

Melchior de Villegas Noblesse d'Espagne d'où viennent les Barons de Hoevart.

Jean Happart. Dont decendent les Bourgmaitres d'Anvers.

Aprez ce Magistrat suivoit la Cour de la baguette courte qui avoit ses quatre Apariteurs à sa tete. On voioit ensuite la baguette longue avec les quatre Secretaires, savoir:

Henri de Moi, Licentié.

George Kieffel Licentié, ses decendans sont les Seigneurs de Crhinhem.

Denis vander Neesen Licentié, ses decendans continuent dans l'honneur prez d'Anvers.

Et Jean Boghe qui m'a fourni ses memoires.

Aprez venoient les Greffiers, savoir:

Adrien van Dyck.

Jean Jacobeus, Licentié.

Jean-Batiste vander Kieboom, Licentié.

Et Jean Brandt Licentié; puis les deux Conseillers Pensionaires d'Anvers.

Henri Schotti Licentié, depuis Commis des Finances, dont decendent les Seigneurs de Bauroel.

Et Jose de Weerdt Licentié; dont decend le Sieur de Weerdt Secretaire d'Anvers Seigneur de Vordestin.

Enfin le Tresorier Henri van Etten conduisoit le nouveau Magistrat, que voici:

Blaise de Bejar Seigneur de Westacker Bourgmaitre qui acause de sa maladie ne put tenir son rang; il se fit porter en litiere devant Leurs Altesses, qui lui donnerent plusieurs marques d'estime & d'honneur.

Henri Halmale Chevalier Bourgmaitre & Magistrat. C'est l'Aieul de l'Official d'Anvers que les connoisseurs desinteressez esperent de voir sur un rang conforme à ses hauts merites, & du Bourgmaitre de ce nom qui fait encore aujourd'hui l'honneur & les delices de la Ville d'Anvers.

Edouard vander Dilft Chevalier Seigneur de Leverghem, depuis Envoié dans une Cour Souveraine. Il repose aux Cordeliers d'Anvers.

Antoine de Berghem Chevalier.

Jean de Brecht, sa famille est entrée dans celle de Schoete.

Lancelot Tseraerts Chevalier dont decendent les Seigneurs de la Cour, de Lyre, &c.

Robert Tucher dont l'illustre nom a eté rival de Jansenius à Louvain & qui revit glorieusement dans sa posterité. Leurs ancetres viennent d'Allemagne.

Nicolas Rockox Chevalier, dont decend le Seigneur de Hestfeldt.

Jean de Vischere dont decendent les Barons de Celles Seigneurs de Schiplaeken a Brusselle.

Jean de Stemborg Chevalier dont les illustres decendans sont à Louvain; une Stemborg a epousé Tulden Conseiller d'Etat à Madrit.

Antoine Perez dont decendent les Marquis de Melin, & de Floraines.

Louis vanden Werve Chevalier de la plus ancienne noblesse d'Anvers.

Paul van Lyere Chevalier nom celebre par les persecutions qu'il soufrit acause de sa fidelité sous le Duc de Parme, mais nom qui fut glorieux par les premieres dignitez, où on l'eleva.

Luc Despomeraulx dont les decendans sont les Barons de Hove, Seigneurs d'Altena.

Gaspar de Rovelasca, Noblesse de Milan.

François de Schot.

Gille de Meere, depuis Chevalier.

Corneille de Wyse.

Nicolas de Herde, dont les decendans ont fait d'illustres alliances.

Le nouveau Magistrat etoit fermé par Henri de Varich Preteur d'Anvers Marquis de Rhien, dont le Pere avoit eu la meme dignité, & Jean Damant Amman d'Anvers, tous deux Chevaliers. Toute cette cavalcade etoit richement & proprement ornée. Aprez qu'elle fut arrivée auprez de la Citadelle, elle retourna vers la Ville dans le meme ordre qu'elle etoit venue. Vers le midi Leurs Altesses etant en carrosse qui etoit posé sur une eminence, reçurent les complimens du Marquisat d'Anvers qui aiant mis pié à terre, s'approcha humblement du carrosse. Halmale portoit la baguette qui est l'Armoirie du Marquisat d'Anvers, acause que Bejar ne pouvoit pas s'aquiter de cette fonction pour sa maladie. Henri Schotti comme premier Pensionaire de la Ville harangua leurs Altesses, d'une maniere noble, savante & respectueuse. L'Infante Isabelle, qui etoit à la droite de l'Archiduc, prit la parole, & elle fit entendre en Espagnol, que l'affection des Anversois lui etoit agreable, & qu'elle ne manqueroit pas de conserver leurs privileges. L'Archiduc ajouta à celà, que les aiant aimez singulierement n'etant que Gouverneur de la Belgique, il augmenteroit ses affections en etant Souverain.

La garnison de la plaine de la Citadelle & la Bourgeoisie des Ramparts etoient si nombreuses, que Leurs Altesses crurent i voir une Armée entiere. Le plus beau spectacle etoient les six sermens rangez en ordonnance de bataille devant la Porte Imperiale, prez d'une Chappelle. Quoiqu'on eut reçu le serment des anciens Marquis d'Anvers dans une ladrerie des Fauxbourgs, on trouva bon d'innover cette coutume, & l'on fit batir une Chapelle d'improviste pour cette ceremonie. Le Clergé i attendoit Leurs Altesses. Il etoit conduit de l'Eveque de Berghes, de Feiten Abbé de S.Michel, en habits Pontificaux; de Charle Maes Doien de la Catedrale, de Jean Del Rio Archidiacrc, & de Silvestre Pardo, tous eclatans en Noblesse, & en merites extraordinaires.

Lorsque Leurs Altesses vinrent à la Chapelle, l'Eveque leur donna la croix à baiser; ce qu'elles firent à genoux, au grand attendrissement de tout le peuple. Le Chancelier de Brabant les avertit du serment que les Marquis d'Anvers avoient coutume de preter à leur avenement à la Couronne; & elles, aiant fait entendre qu'elles i consentoient, l'Audiencier lut ce serment, d'un livre que le Magistrat d'Anvers avoit fait aporter, tandis que l'Eveque & le Chancelier etoient à genoux aux cotez du Lecteur. La lecture faite, l'Archiduchesse se mit à genoux, & elle toucha les Evangiles, pour marquer qu'elle ratifioit le serment. L'Archiduc en fit de meme. Ce fut alors que l'artillerie, la mousqueterie, les fanfares, & les acclamations se firent entendre d'une maniere à faire avouer à Leurs Altesses, qu'elles n'avoient encore rien oui de pareil.

Durant tous ces bruits & tous ces cris de joie, l'on conduisoit le Marquis & la Marquise en triomphe dans la Ville. Le Clergé prit les devans, puis les Marchans, les Negotians etrangers, &c. chacun selon son rang. Le Comte de Solre, portoit l'epée devant Leurs Altesses, qui à cheval se mirent sous un daiz d'or porté par les tres-nobles Antoine de Berchem, Louis vanden Werve, dont le Pere Theodoric avoit fait la meme fonction, quarante ans auparavant, au Roi Philippe II; Jean Brecht, que l'Archiduc crea Chevalier le lendemain, Lancelot Tseraerts, Jean de Stembor dont les decendans sont l'ornement de Louvain, & Jean de Meere, depuis Bourgmaitre d'Anvers. On voioit marcher devant le daiz, le flambeau à la main, 60 Doiens des sermens pompeusement revetus.

Ce ne furent qu'arcs de triomphe sur toute leur route. Boche ou Bochius les a fait graver à Anvers. Rome triomphante en seroit jalouse. Une jeune beauté representant Anvers offrit un cOEur d'or a Leurs Altesses. Les Espagnols dresserent leur obelisque en la rue de l'Hopital. Il avoit 65 piez de haut, 44 de large, & 33 de profond. De là on rencontroit l'obelisque de la Venus victorieuse qui avoit 60 piez de haut, 30 de large,& 12 de profond. La machine des Portugais etoit en la rue des Tanneurs; elle avoit 78 piez de haut, 58 de large, & 25 de profond. Anvers avoit fait dresser sur la Mer, un theatre tournant qui avoit 40 piez de diametre, & 60 de hauteur. Les Genois avoient posé leur arc tout le long de la rue des Clairisses a cent piez de longueur. Au sortir de cette rue de sainte Claire vers l'Eglise de S.Jaque, on voioit un Portique consacré à saint Eugene Eveque de Tolede, à S.Elisabeth & à S.Claire. Dans la suite paroissoit l'arc des Milanois. La statue qui representoit la Lombardie, etoit au sommet de l'ouvrage haute de dix piez. Puis vers la Bourse, la Ville avoit fait construire un arc consacré aux Hervines victorieuses. Les Marchans en avoient bati un superbe dedié à la Deesse Hermatene, qui marquoit leur commerce. Le Magistrat avoit edifié le theatre de l'Hercule Gaulois au marche de Lait; il avoit 40 piez de haut, 24 de large, & 16 de profond. Il i avoit devant l'Hotel-de-Ville une orgueilleuse Architecture large de 60 piez, & longue de 20.

Les Fugger passent en proverbe par toute l'Europe, où, pour marquer des richesses immenses, on a coutume de dire, aussi riche qu'un Fugger d'Anvers. Ces freres originaires d'Ausbourg, temoignerent leur magnificence dans les rejouissances publiques à leurs propres fraiz, ils dresserent au marche des lins, un arc de triomphe, à la hauteur de 48 piez, à la largeur de 30, & a la profondeur de 18. Le pont S.Jean avoit un arc triomphal haut de 50 piez, large de 32, & profond de 13. On voioit au marche du Rivage, celui de Neptune, large de 28 piez. En allant vers S.Michel on en voioit un autre haut de 100 piez, large de 44, & profond de 20. Devant l'Abbaie de S.Michel, il i en avoit de 60 piez de haut, & de 35 de large. Toutes ces machines que je n'ai qu'ebauchées, etoient sur la route par où Leurs Altesses se rendoient a leur Palais. Ce furent ces spectacles qui ravirent leurs yeux. Le lendemain elles visiterent les Fortifications, & l'admirable maison des Alemans. Le 12 Decembre, qui etoit un Dimanche, & qui etoit destiné au sacre solennel, la cavalcade dans le meme ordre que le jour d'auparavant, fut prendre Leurs Altesses dans leur Palais, & elle les conduisit a l'Eglise Catedrale de Notre Dame. Le Magistrat se tint dans les sieges des Chanoines. L'Eveque aiant achevé l'office on alla à pié, à la maison de Ville. Le chemin etoit couvert de planches & de sable. Le Magistrat monta sur l'echafaut, qui i etoit dressé, & il se mit à la gauche de l'Archiduchesse qui i etoit un peu plus elevée. Le Chancelier de Brabant fit silence, & il avertit l'assemblée que Leurs Altesses alloient preter leur serment. L'Audiencier le recita en Flamand & puis en Latin; quand il fut arrivé à ces paroles, ainsi Dieu, & tous ses Saints m'aident, l'Infante se mit à genoux, elle preta le serment, puis l'Archiduc fit le meme, entre les mains du Bourgmaitre Halmale. Ensuite l'Audiencier, au nom de la Ville, preta le serment de fidelité, en levant les doigts au ciel.

Voici ce qui etoit au bas des sermens. Fait en notre Ville d'Anvers, le 12 Decembre 1599 en presence de l'illustrissime & du Reverendissime Pere en Jesus-Christ l'Eveque de Tricarice Nonce Apostolique, de Don Baltazar de Zuniga Ambassadeur du Roi d'Espagne, du Duc d'Aumale, du Comte de Mansfeld libre Baron de Heldringen, Chevalier de notre Ordre, Conseiller d'Etat, General d'armée & Gouverneur de notre Duché de Luxembourg, & de notre Comté de Chini; du Duc de Croi & d'Arschot, du Prince d'Orange, du Marquis d'Havré Conseiller d'Etat & Chef des Finances, du Comte d'Aremberg Chevalier de notre ordre & Amiral, du Comte de Berg Marquis de Berg-op-Zoom, Gouverneur de Gueldre & de Zutfen, de Jean Richardot Chevalier Seigneur de Berly, & President de notre conseil Privé, de Christophe d'Assonville Chevalier Seigneur d'Albeville & Conseiller d'Etat, de Nicolas Damant Chevalier, Chancellier de Brabant. Il i avoit ce parafe: N. D. Vt. il etoit signé A. Albert, & I. Isabel. Et puis, par les ordres de Leurs Altesses, Verreycken.

Aprez cette action solennelle, Leurs Altesses firent venir Robert Tucher & Nicolas Rockox Magistrats; Jean van Brecht & Jaque Dassa Patriciens, qui se mirent a genoux devant l'Archiduc, le Comte de Solre presenta l'epée à ce Prince, qui les crea Chevaliers en leur touchant legerement l'epaule droite. Voici les termes de la creation : je vous fais Chevalier au nom de Dieu & de S.George, pour conserver fidelement la foi, l'Eglise, la Justice, les Veuves, & les Orphelins.

La cavalcade reconduisit Leurs Altesses dans leur Hotel. Les feux de joie i furent tresgrands, & ils l'auroient encore eté davantage, si Leurs Altesses ne les eut pas fait anticiper de quelques heures. Elles eurent la condescendance d'honorer la fete de leur auguste presence. Le lendemain les Jesuites representerent la vie de S.Elisabeth, où Leurs Altesses assisterent avec beaucoup de satisfaction. Le 15 Decembre les Gouverneurs de la Citadelle d'Anvers, des Ville de Lire & de Grave, vinrent leur preter le serment de fidelité. Aprez midi, elles visiterent la Bourse & la Verrerie, ou elles firent faire des experiences de cristal. Elles passerent deux jours à visiter l'Eglise de Notre Dame, les boutiques de tapisserie & de I'Imprimerie de Plantin. Jean Moretus gendre de Plantin, qui a augmenté la gloire de son Beaupere, & dont la posterité en fait de meme, fit imprimer en la presence de Leurs Altesses, cet eloge en Latin:

Princes Serenissimes & Trespuissans, nous souhaitons que vous entriez dans toutes les places de votre jurisdiction, avec autant d'applaudissement que vous etes entrez dans cette principale Ville de votre Belgique, que vous i faciez lontems regner la justice& la paix; que vous cultiviez, que vous consoliez, que vous conserviez la Belgique, & que vous faciez passer bien tard votre Souveraineté à vos enfans semblables a vous. Ce sont les vOEux de toute la Belgique, & singulierement de cette Imprimerie Plantinienne, qui vous sera aussi attachée qu'elle a eté au Roi Catolique de memoire immortelle: elle a imprime ces souhaits en votre presence. Cette industrie fut renouvellée dans la meme imprimerie l'an 1666 en la presence de Ferdinand de Furstenberg Eveque de Paderborne. L'incomparable Hesius fit un bel impromptu qui fut imprimé en caracteres rouges. Les six Sermens leur firent present, de sept pieces de tapisserie où l'or & l'artifice n'etoient point epargnez. Ils representoient agreablement & doctement les victoires de l'Archiduc Albert.

Enfin le 18 Decembre, Leurs Altesses retournerent à Brusselle sur le Jact qui les avoit amenées, pour ensuite aller recevoir les hommages de leurs Sujets.

La ville d'Anvers ne se contente pas d'avoir honoré ses Princes dans la persone de ses Predecesseurs, elle renouvelle ses hommages deux fois l'année, en assistant aux obseques anniversaires de l'Archiduc le 13 Juillet,& à celles de l'Archiduchesse le 28 Novembre en la Catedrale. Je conte cette memoire pour un tombeau immortel, qui supplée à celui qui manque a sainte Gudule, & qui nous oblige ici de soupirer avec Pline dans la lettre sixieme de son livre douzieme: j'ai eté curieux de voir le tombeau de Virginius, & je me suis repenti de l'avoir vu: car il est encore imparfait. Ce n'est pas la faute de l'ouvrier, mais c'est celle de celui qui a la charge de le batir. J'en suis indigné, & je regrette qu'un homme fameux par tout le monde soit sans tombeau meme dix ans aprez sa mort. Tant rares sont les vrais amis! sitot on oublie les morts ! nous sommes reduits à nous construire nous-memes nos tombeaux sans en charger nos heritiers. L'exemple de Virginius, est autant plus indigne, que son merite est eclatant jusques ici Pline.

Voilà la distribution des prix faite. Ce n'est qu'un echantillon de la grande recompense dont jouissent presentement les ames desinteressées, qui dans toutes leurs entreprises n'eurent en vue que le bien de la vraie Eglise.

Le Comte Maurice merite un eloge plus ample mais comme beaucoup de choses ne viennent pas à mon sujet, je me contenterai d'alleguer ce qui regarde mon histoire; outre que les diversions qu'il fit pour embarasser le siege d'Ostende, font une bonne partie de son panegirique, quoiqu'il n'ait pas eté heureux en toutes. Debutons par son entreprise sur Boisleduc.

En 1585 le Comte de Hohenlo i entra avec 200 soldats, mais la porte aient eté fermée aux autres qui le suivoient, ils furent la victime des Bourgeois. Pierre Borri a decrit le siege de 1629 par où Henri Prince de Nassau se rendit maitre d'une Ville où Maurice avoit echoué plus d'une fois. En 1559 le Pape Paul IV fonda l'Eveché qui fut pour la premiere fois rempli de François Sonnius. La Mairie de Boisleduc comprend plus de 100 vilages. Notre Dame de Boisleduc qui reside presentement a l'Abbaie Roiale du Froidmont à la Cour de Brusselle, a eté poliment & fidellement decrite par le Jesuite Oton Zilius. Le Prince Maurice de Nassau pour obliger, l'Archiduc Albert à lever le siege d'Ostende, vint mettre le siege devant Boisleduc, le premier jour de Novembre 1601, a la tete de 8000 fantassins, & de 1500 chevaux.

Toute la garnison consistoit en deux compagnies tirées des Bourgeois memes, qui sont naturellement soldats; en un Regiment de Cavalerie du Comte Adolfe de Berg, & en 50 chevaux de Grobendonc. Mais Antoine, Baron de Grobendonc qui etoit Gouverneur de la Ville, lui valoit une garnison de plusieurs mille hommes. Il fit fortifier la Porte de Vucht, qui etoit l'endroit le plus insultable. Cet ouvrage dut sa perfection & sa defence à l'industrie, au travail, & à la bravoure des Bourgeois, qui nonobstant les decharges continuelles des Assiegeans, l'acheverent, & le maintinrent jusqu'à la fin du siege. Le Magistrat regla les choses, pour empecher les embrasemens, & il defendit de hausser le prix d'aucune denrée. La Bourgeoisie se porta avec tant d'ardeur à fortifier sa Ville, qu'on conte qu'elle fit, en un seul jour, plus que n'auroient pu faire des maneuvres mercenaires louez à 10000 francs.

Le Gouverneur fit dresser une demielune a la Porte de Vucht, pour se retrancher en cas d'oppression. Le courage des Assiegez s'augmenta à la vue de 260 braves, qui leur vinrent de Grave, le 7 Novembre, de grand matin; & le lendemain, à la vue des lettres de l'Archiduc meme, qui les assuroit d'un promt secours, par le Comte Frederic de Bergh.

Maurice fit jetter dans la Ville une infinité de bombes le 12 de Novembre, mais par la vigilance des Bourgeois, elles n'exciterent aucun desordre. Le 15, les Capitaines Hilaire de Bliven & vander Sterre percerent au travers des marais, & ils introduisirent 800 fantassins, qui avoient marché sur le ventre à 50 Assiegeans, qu'ils avoient rencontrez dans leur passage.

Maurice alla à la sappe du coté de la Porte de Hintam. Les mineurs des Assiegez contreminerent aussitot la mine ennemie; mais pour ne s'i etre pas pris assez prudemment, douze d'entre eux furent miserablement accablez. Un autre accident pensa faire perdre le courage aux Assiegez. Le Gouverneur, accompagné du Magistrat Bardouil, visitoit les cartiers des ramparts ; un soldat mal adroit, qui etoit en sentinelle, aiant reconnu le Gouverneur, baissa son mousquet par respect; la meche n'aiant pas bien eté gouvernée, i mit le feu, & elle le fit cruellement decharger. Le Gouverneur reçut un coup de balle à la cuisse, & le Magistrat en reçut deux au travers du corps.

Cette infortune deconcerta les Assiegez, mais le cOEur leur fut remis aussitot par l'agreable nouvelle du Comte Frederic de Bergh, qui etant venu de Diest, avec de petites troupes, etoit passé par les bruieres au secours de la Ville.

Le froid ne combatoit pas moins pour les Assiegez que leur propre ardeur. La saison etoit si aspre qu'un sentinelle Holandois fut trouvé mort de froid en faction dans le camp ennemi. D'ailleurs les rivieres etant gelées, serroient le passage, & elles commençoient à mettre les Assiegeans sur les dens. Maurice se sentant trop foible pour s'opposer à tant d'ennemis, leva le siege le 27 de Novembre. On n'a pas sitot fait avec l'ennemi exterieur, qu'un interieur vient sur les bras. Filippe III irrité de la mutinerie des soldats en 1602, avoit signifié à l'Archiduc qu'il n'eut à faire aucun accomodement avec ces Rebelles, mais qu'il en prit raison à quelque prix que ce fut. L'Archiduc pour seconder les volontez de son Beaufrere donna une commission à Charles de Lorraine Duc d'Aumale, pour lever 1000 chevaux, & une autre au Colonel Vizlier pour lever 3000 Alemans.

Le 23 Juillet 1603 le Comte Frederic de Berg marcha à la tete de 7000 fantassins & de 3000 chevaux pour donter les Rebelles. Eux, aiant laissé leur Infanterie dans Hooghstraten, mirent aux chams leur Cavalerie, & ils promirent aux Holandois de leur etre fidelles s'ils vouloient les soutenir contre leurs propres maitres. Les Holandois, qui n'aimoient rien mieux que de les detacher du parti Austrien, leur promirent du secours, aussi longtems qu'ils tiendroient la campagne.

En effet, le 8 Aout, le Prince Maurice marcha vers Hooghstraten; pour preter la main aux mutins. Le Comte Frederic de Bergh se trouvant inegal, & d'ailleurs voiant qu'on ne lui envoioit pas les Regimens de Borgia & de Brancaccio, qu'on lui avoit promis, abandonna l'entreprise d'Hooghstraten, & il se retira vers Herental le 10 Aout. les mutins d'Hooghstraten, enflez de cette retraite, sortirent brusquement, & ils donnerent sur l'arrieregarde, où le Sieur de Ronei fils du General, qui avoit eté tué au siege de Hulst, qui commandoit les Cuirassiers Archiducaux, demeura en combattant vaillamment.

Maurice, sans perdre du tems, prit bon nombre de Mutins d'Hooghstraten avec lui, & il mit le siege devant Boisleduc le 19 Aout, pour reparer la faute, ou la perte qu'il avoit faite l'année passée. Le Comte de Berg, qui etoit renforcé des Regimens de Borgia & de Brancaccio, suivit Maurice à la piste, & il vint se camper assez prez de lui, dans deux places, qui tenoient pour la Hollande, savoir Dungen & Hintam.

Maurice ne perdit pas courage pour celà, & il tint ferme dans l'esperance, ou que Boisleduc ne recevroit pas garnison, ou si elle la recevoit, que cette garnison mal paiée n'i apporteroit que de la confusion. Le Comte de Berg eleva un Fort qui causa bien du mal au camp du Comte Ernest de Nassau; ce Fort fut surnomé de l'Etoile, & ce fut une Comete pour la Holande.

Boisleduc craignant que les soldats ne vinssent à se mutiner faute de paie, & qu'au lieu de l'aider, ils ne se jettassent sur les maisons des Bourgeois, ne voulut pas recevoir garnison, & il assura le Gouverneur que ses seules forces seroient capables de faire tete à Maurice. L'Archiduc, sans quitter le dessein de continuer son siege d'Ostende, se rendit en grande hate devant Boisleduc.

Le Marquis della Bella Colonel Italien remarquant que l'unique moien de faire deloger 1e Prince Maurice, etoit de lui couper les vivres, conduisit 2000 braves à l'autre coté de la riviere de Diese, & il erigea, avec une diligence incroiable, un Fort entre Boisleduc & CrevecOEur, surnommé la bride des Holandois.

Maurice, sentant que cette machine alloit lui couper la gorge, i mena 4000 de ses plus braves, & au minuit, il attaqua della Bella avec beaucoup de resolucion. Les Archiducaux soutinrent son effort l'espace de deux heures; mais comme le Fort n'etoit pas encore assez elevé pour les couvrir, & que les ennemis etoient en trop grand nombre, ils succomberent sous la multitude. Ce combat se donna entre le deuxieme & le troisieme jour du mois de Septembre. Della Bella combatit en desesperé, & il ne voulut pas avoir cartier. 200 de ses gens perirent avec lui; mais aprez avoir fait perir plus de 300 Holandois. Si le secours fut venu a tems, della Bella auroit taillé de grandes affaires à Maurice, qui se voiant maitre de ce Fort, i fit monter dix pieces d'artillerie, qui foudroierent la Ville. Celà fut cause que l'Archiduc aiant laissé le siege d'Ostende, sous la conduite du Marquis Spinola, vint au secours de Boisleduc, en personne. Il arriva le 1 Octobre à Ruremonde, d'où il envoia son Conseiller de guerre Alexandre Malaspina vers le Comte de Bergh avec 40 chevaux. Malaspina eut le malheur d'etre pris des Mutins d'Hooghstraten, qui s'etoient mis a la suite des Holandois. Malaspina fut conduit au Prince Maurice. Et puis par vanité ou par honeteté, il fut conduit par le camp des Holandois par Olivier de Temple, Seigneur de Corbeeck Colonel Holandois. Pendant qu'ils considerent les quartiers, voici un boulet de canon envoié de la Ville qui emporte de Temple, & qui emporte les jambes à Malaspina le 3 Octobre. Le lendemain l'Archiduc arriva devant la Ville; abandonnant les Bourgeois à leur propre bravoure, il songea à rompre un cartier du Prince Maurice. Il avoit amené avec soi du siege d'Ostende le Comte de Buquoi. Ce General de l'artillerie, sous les ordres de l'Archiduc, conduit dix pieces de canon, pour detruire un Fort dressé entre Flimen & Vucht, qui facilitoit les convois de l'armée de Holandoise. Mais la chose n'aient pas reussi, l'Archiduc jugea qu'il falloit user d'un stratageme. Le 17 Octobre il fait semblant d'en vouloir au meme Fort, mais au meme tems, il fait couler dans la Ville, 5000 Fantassins. La Ville en est surprise dans l'abord, mais elle i consent, & dans la suite, elle s'en aplaudit: car ce secours jetta le Prince Maurice dans le desespoir; il lui fit abandonner ses Forts, & ses municions, & lever le siege honteusement, le 5 du mois de Novembre. Le Marquis Spinola etant honoré de la Toison-d'or le 24 Avril de l'an 1605, essaia de s'en rendre digne.

Il ne manqua point d'occasion d'exercer sa force militaire. Le Prince Maurice de Nassau, qui minutoit toujours quelque chose contre l'Archiduc, forma une entreprise sur Anvers.

Le 16 Mai 1605 il sortit de Bergopsoom à la tete de 2500 chevaux, de 7000 fantassins & de 9 pieces de canon, tandis que le Prince Ernest de Nassau conduisoit une flotte de 500 voiles montée de 8000 soldats. Ernest, aprez avoir eté sur le fer à Lilloo, demara à deux heures de nuit, il vint devant Anvers, & il passa devant le Fort de S.Croix ; d'où le Gouverneur aiant tiré quelques volées de canon, donna avis à Borgia, des approches de l'ennemi. Cet Espagnol fit attaquer la flotte entre les Fort, de S.Filipe & de la Perle. Cesar prit les devans avec 50 chevaux, & 200 Bourguignons de Balanson ; il les cacha an Fort de Blockersdic; puis il retourna vers Borgia, qu'il trouva bien prez de là, avec 300 Fantassins ; aiant laissé de Luna pour Commandant à Callo, & aiant ordonne que son Regiment suivit avec deux pieces de campagne.

800 Holandois aiant mis pie à terre vers la tete-de-Flandre, qui est vis-à-vis du Havre d'Anvers les armes & la pele à la main, pour s'i fortifier, furent accueillis de Borgia, qui en fit perir 400 par l'epée ou par l'eau, ou en les faisant prisonniers. Ce coup arreta ceux qui alloient faire descente à Borcht. Borgia, qui n'avoit pas pu conduire ses deux pieces de canon; acause de l'inpraticabilité des chemins, se servit fort à propos de celle qu'il avoit, pour battre la flotte ennemie. Maurice, voiant les Archiducaux si bien sous leurs gardes, quitta le dessein d'attaquer Anvers, & il alla se rabatre sur le Chateau de Wau, à deux lieues de Bergopsoom; il le prit le 22 de Mai. Le Marquis Spinola fit mourir la pluspart de la garnison qui consistoit en 85 hommes, pour s'etre rendus trop tot, surtout, parcequ'il avoit dejà dressé son pont devant Anvers, pour pouvoir secourir de toutes parts les places que l'ennemi attaqueroit audeça ou au de là de l'Ecaut. Maurice fit une nouvelle entreprise sur Isendic en Flandre le 2 Juin; mais Spinola lui en fit perdre l'envi, en i envoiant Velasco.

L'Archiduc, pour donner 1e change à Maurice, voulut mettre en execucion l'attaque de Linghe, qu'il minutoit depuis lontems. Dans cette vue, il envoia Torrés, Berlaimont & Sanchez à Tirlemont, où ils trouverent le Comte de Buquoi, qui fortifié de ces troupes, prit sa marche vers Cologne, au commencement de Juillet.

II donna la chasse aux Vaisseaux Holandois, qui occupoient le Rhin, il passa cette riviere, & il se campa devant Keiserswert. Maurice crut que ce n'etoit qu'une feinte. Dans cette croiance; il envoia le Comte Ernest de Nassau à Rhinbergh avec 6000 hommes, pendant quoi, Spinola alla passer le Rhin le 22 Juillet, & il vint se camper devant Keiserswert.

Quoique Maurice sut que 7000 Archiducaux avoient passé le Rhin, il persista à s'imaginer que ce n'etoit qu'un stratageme, & il tint toujours ses gens en haleine. Enfin au commencement d'Aout, Spinola ouvrit son dessein sur Linghe. La dicipline severe qu'il observa sur sa route, fut cause, que son armée eut tout ce qui lui fallut, pour un mois entier. Le 10 Aout il prit en passant Oldenzeel, qui auroit pu l'arreter, si elle avoit eu un Gouverneur plus vaillant; il sortit de sa place avec 450 Fantassins, & avec 80 chevaux. Enfin Spinola arriva devant Linghe, qui est une tresforte Ville de Vestfalie, & la Capitale du Comte qui porte son nom.

Dez le 13 Aout il fit battre la ville; & trois jours aprez les Italiens & les Vallons gagnerent les fossez. Linghe, sous l'esperance du secours que Maurice prometoit de lui envoier le 20 Aout, se defendoit genereusement; mais les Assiegeans la serrerent de si prez, qu'elle fut obligée de rendre aux condicions de ceux d'Oldenzeel le 19 Aout, auquel jour 500 Fantassins sortirent de la ville. Ils i laisserent 50 blessez, & onze pieces de canon. Cette importante place couta à l'Archiduc 200 hommes, tant tuez que blessez.

Pour ne pas donner de relache à l'ennemi, l'Archiduc fit apliquer deux petards a Bergopsoom, qui incomodoit fort Anvers, le 21 Aout. L'un aiant eu son effet, mais l'autre ne l'aiant pas eu, acause que la porte etoit trop humide, les entrepreneurs furent obligez de se retirer avec la perte du Capitaine Lechier, & de 30 Soldats, sans conter 40 blessez. Mais on eut bientot sa revanche par la prise de Vactendonc & de Cracou.
Tandis que Buquoi assiegea Vactendonc le 8 Octobre, Spinola vint aux mains avec Maurice 1e 9 du meme mois, prez de Mullem & de Ruroort. On s'i battit avec beaucoup d'ardeur, l'espace de 4 heures. Spinola i eut un cheval tue sous lui, & le Colonel Trivulce i demeura avec 400 tant de tuez que de blessez. Les Hollandois perdirent plus de 500 des leurs.Tandis qu'on se bat à Mullem, le Comte de Buquoi presse Vactendonc, qui est une ville du Duché de Gueldre; & enfin il l'oblige a capituler. Le 27 Octobre une garnison de 900 sains & de 150 blessez sortit de la Ville; cette place couta 500 hommes tant tuez que blessez. Buquoi eut meilleur marché de la forteresse de Cracou, dans 1e Duché de Meurs. Le Colonel Justinien, qui avoit la principale ataque, refusoit de leur donner quartier; mais 1e General Buquoi voulut user de clemence. Le 8 Novembre il fit venir toute la garnison dans l'Eglise, il les desarma tous à la reserve des Capitaines, à qui il laissa l'epée; & puis il les lassa aller. Il presenta leurs 4 Etandarts au Marquis Spinola, qui repassa en Espagne la veille de Noel de cette année 1605. Je ne dois pas omettre que le Prince Maurice essaia de rompre le siege de Vactendonc, par la surprise de la ville capitale de Gueldre; mais cette entreprise ne lui reussit pas mieux que celle de Bergopsoom n'avoit reussi à la Terraille. Plessis-Mornai fils du fameux Ministre de ce nom, se retira avec honte, aprez i avoir laissé ses 2 petards, & quelquesuns des siens. L'entreprise par où l'Archiduc comença les operacions de l'an 1606, lui reussit plus heureusement. Elle fut faite sur la ville de Brefort sur le Rhin.

La Terraille qui etoit un des debris de la Ligue de France, le 14 Mars vint devant Brefort 2 heures avant le jour à la tete de 1200 hommes de pié, & de 500 chevaux, qu'il avoit pris secretement de Linghen, il applica le petard. La sentinelle aiant demandé au Petardier, qui va là ? il repondit qu'il etoit de la garnison de Grolle, qui tenoit alors pour les Holandois. La sentinelle se paiant de cette defaite, le petard joua à 2 portes. 30 Soldats vinrent aux breches, mais ils furent aussitot massacrez. La Terraille passa la riviere, & il petarda la porte qui etoit à la tete du pont. 40 Holandois, qui i survinrent, furent relancez dans le Chateau. Les Entrepreneurs les y assiegerent, & animez par Verdugo, ils y arreterent 8 jours, mais la poudre leur manquant, ils furent obligez à la retraite le 22 Mars.

L'entreprise sur l'Ecluse ne fut pas plus heureuse. La Terraille, pour essuier sa honte de Bergopsoom & de Brefort, en voulut à cette ville, au tems que le Marquis Spinola fut de retour d'Espagne, qui fut au comencement de Juin de cette année 1606. Le 12 Juin fut destiné à l'ataque. La Terraille i conduisit heureusement de Bruges 1200 Vallons & Hibernois, qui s'en aprocherent à la retraite de la marée. Comme ils s'aprochoient d'une porte, qui pour etre couverte de la mer, n'avoit pas de corpsdegarde, un cheval qui paissoit en la prairie se prit à hannir. Ce hanissement donna lieu au sentinelle d'observer ce qui se passoit à son voisinage, mais n'aiant rien remarqué, il se retira dans sa guerite. 20 Entrepreneurs aiant passé le fossé à la nage, & aiant gagné le Pontlevis, à la faveur de quelques crochets qu'ils avoient aportez avec eux, ils petarderent ce pont, & puis ils en firent autant à la premiere porte, il firent à la seconde porte un trou capable d'admettre deux soldats de front. Froment & deux autres Capitaines i entrerent avec leurs gens, qu'ils conduisirent heureusement jusqu'au corpsdegarde. Ce fut là que Froment & Ghelinger furent tuez par la defense qui i fut faite. Les autres epouvantez de ce coup, prirent honteusement la fuite; les plus coupables le paierent de leurs tetes à Brusselle le 19 Juin.

Le 21 Juillet l'Archiduc envoia Borgia pour se rendre maitre de Lochem, petite place mais fort commode. Le Comte d'Embden alla à l'autre coté de l'Issel pour tenir tete au Prince Maurice. Lochem aprez avoir reçu 40 coups de Canon, se rendit le 23 Juillet. Ils i laisserent 5 pieces de Canon, & ils en sortirent au nombre de 300. Lochem couta à l'Archiduc 50 hommes tant blessez, que tuez. L'Archiduc donna ensuite ordre au Comte de Buquoi de passer la riviere de Vahal, & de faire des courses dans la Betuve. Buquoi envoia Justinien avec 144 Combatans, pour passer le Vahal entre le Fort de Schenck & Nimegue, à un village nommé Spaerdorp, trois heures de Moock. Quoique les Holandois bordassent le rivage, Justinien essaia de passer la riviere avec beaucoup de resolucion; mais comme le coulant etoit trop rapide, ses batteaux furent emportez beaucoup au dessous du lieu de la descente. Justinien les fit remonter; mais ce delai donna aux Holandois le loisir de se renforcer ; ce qui fut cause qu'on ne put aborder, & qu'on fut obligé de se retirer aprez la perte de 30 hommes; la perte des Holandois fut presque egale, si l'on excepte les 4 navires, qui etant venus du Fort de Schenck, furent fort mal- traitez de l'Artillerie Archiducale, qui eurent bien de la peine à regagner Nimegue.

Cependant Spinola essaioit de passer la riviere d'Issel d'un autre coté. Le Comte de Solre sous ses ordres, passa dans l'Ile de Mastenbrouc, pour de là passer l'Issel, & pour aller investir Zuol. Spinola pour lui en donner le loisir, fit semblant de passer l'Issel à Zutfen le 31 Juillet. Ce fut à la barbe de cette Ville qu'il passa la riviere de Berkel, pour tenir Deventer en eschec; le 3 Aout il campa à Dort, où il soufrit une grande disette de vivres ; mais il fut rejoui d'aprendre au meme tems que le Comte de Solre avoit passé les rivieres de Regge & de Vect, & qu'il etoit campé dans l'Ile de Mastenbrouc. Le Comte de Solre ne put aller plus outre, parceque Maurice envoia deux navires pour boucher le passage, & que les boulets de Canon du Comte de Solre ne se trouverent pas de calibre, pour enfoncer ces obstacles. Celà determina le Marquis Spinola au siege de Grolle, où il envoia Velasco le 4 Aout pour prendre les postes. Les Assiegez firent une vigoureuse sortie, mais ils furent relancez aprez avoir laissé morts 40 des leurs. La blessure de Vingard qui etoit un des Generaux d'Artillerie & une grosse pluie retarderent la batterie. Enfin par la valeur de Torrés & des deux Comtes d'Embdem, ceux de Grolle furent obligez à se rendre. Onze cens fantassins en sortirent le 14 Aout. Ils en avoient perdu 150 durant le siege. Et les Assiegeans environ 550, tant tuez que blessez.

Spinola voiant qu'il n'etoit pas moien de passer dans la Betuve, & que les pluies continuelles empechoient les convois, prit resolucion d'assieger Rhinberg. Le 21 Aout il campa d'un coté du Rhin, tandis que Buquoi campa de l'autre. La garnison de Rinberg etoit forte de 2500 Combatans; & cependant le Prince Maurice à la faveur des tenebres trouva le moien d'y driver encore 2000 Fantassins & 200 chevaux avant que la ville ne fut entierement investie. Il se fit quantité d'escarmouches, mais comme la sortie, surnommée la Grande, les efface toutes, j'en donnerai le detail.

Le Colonel Justinien s'etoit porté sur une hauteur entre deux marais, à chaque tete desquels il avoit bati un Fort. Les Assiegez pressentant que celà alloit les perdre, firent une sortie de toute leur Cavalerie divisée en 4 Escadrons, & de 800 Fantassins divisez en 2 bataillons. Cesar & Brancaccio leur tinrent tete avec beaucoup de force, & ils les relancerent l'epée aux reins jusqu'à leur palissade. Mais ils perdirent Rengin Capitaine des Fusiliers, & 15 Cavaliers. Justinien eut deux de ses Capitaines blessez.

Spinola n'avançoit pas moins de l'autre coté du Rhin. Sa batterie de dix pieces avoit dejà fait une juste breche, & tout etoit disposé à l'assaut, quand les Holandois prirent la fuite, & abandonerent leur place. La mort d'Emond Scot ne contribua pas peu à leur lacheté: ce brave Colonel haussant trop la tete au-dessus de parapet, reçut une mousquetade qui le renversa roide mort, le 3 Septembre: les fuiards de Rhinberg essaierent de gagner l'Ile, mais les Assiegeans les serrerent de prez, & ils en firent perir un tresgrand nombre. Ceux qui gagnerent l'Ile, eurent le courage de tourner le canon vers les Archiducaux, ils en tuerent 12, & ils en blesserent 2 Capitaines. Spinola ne leur laissa pas lontems ce loisir.

Cependant Maurice ne savoit assez s'etonner qu'une place aussi forte que Rhinberg, eut pu etre reduite en quatre jours, sur tout lui etant au voisinage, c'estadire à Vezel, pret à la secourir avec 1600 hommes. De l'etonnement il en vint à l'indignacion, à la resolucion, à l'execucion. Il partagea son armée en 6 petits bataillons & en quatre grans, il mit la Cavalerie sur les ailes; & en cette posture, il marcha de nuit vers les campagnes d'Alpen. Il fit prendre les devans à 1500 Fantassins, par Meurse, pour passer la foret de Buric, & pour surprendre la grand'garde du Marquis Spinola, dont le camp devoit etre attaqué au meme tems par la garnison qui feroit une sortie.

Spinola, aiant apris les aproches de Maurice, mit son armée en ordonance de bataille, & il la tint sous les armes jusqu'à la pointe du jour. Alors, aiant oui que l'ennemi se tenoit à Alpen, il y envoia Velasco, qui ne l'i trouva plus. La ville fut pressée plus vigoureusement que jamais. Enfin le premier jour d'Octobre de l'an 1606, elle capitula. Le lendemain il en sortit 3300 soldats sous 30 Enseignes, 900 blessez, 150 Cavaliers, & autant de gens de Marine. Ils emporterent 2 pieces de campagne, mais ils laisserent dans la ville 14 grosses pieces, 2 Navires à la rade, & un grand aparat pour construire des ponts. Ils avoient perdu plus de 400 combatans durant le siege ; les Assiegeans i avoient perdu 500 des leurs, sans conter 700 blessez. Le meme jour que Rhinberg se rendit, Maurice essaia d'essuier sa honte par une entreprise sur Venlo; mais il ne fit que l'augmenter, par son malheureux succez.

Il ne fut pas plus fortuné par celle qu'il pratica sur Grolle. Le Comte Henri de Berg en etoit Gouverneur. Sa garnison etoit tellement affoiblie par les desertions & par la peste, qu'il ne lui restoit plus que 600 hommes, & sa compagnie de Cavalerie. Spinola marcha au secours de Grolle le 3 Novembre. Le Gouverneur nonobstant la foiblesse de ses gens, faisoit une des plus belles defences, animé du coup de canon que Spinola tiroit toutes les nuits pour l'avertir du secours qu'il lui amenoit. Spinola avoit envi de tenter le secours par le chemin de Besleit, comme etant le plus court, mais aiant apris de ses espions, que les Holandois i etoient extremement forts, il fit resolucion de prendre celui de Vreden, quoique plus long; aiant ensuite apris que l'ennemi n'i etoit pas moins fortifié, il prit celui des collines; & parceque l'ennemi n'i avoit qu'un simple retranchement, & parcequ'il avoit à dos Oldenzeel, dont le Gouverneur qui etoit le Comte de Solre, pourroit venir à son secours. En effet ce Gouverneur parut dans la foret de Rhekem, qui n'est distante qu'une lieu de Grolle, avec 1000 Fantassins, avec 200 chevaux, & avec quelques municions.

Spinola menagea si secretement sa marche, que Maurice n'en sut rien, qu'aprez que ce Marquis fut à la portée du canon. Cette vue imprevue le deconcerta tellement, qu'il leva prontement le siege, & qu'il passa le meme jour 8 Novembre, la riviere de Barkel. Spinola, aprez avoir aplani les lignes & rafrechi Grolle, reprit sa route vers Rinberg chargé de lauriers.
Il ne se passa rien de memorable le reste de cette année, que la mort de Just Lipse, qui merite quelques traits de plume, lui qui a si bien merité des belles lettres. C'est une dependance de l'Histoire de l'Archiduc, puisque ce bon Prince accompagné de son Epouse roiale, voulut bien aller prendre la Leçon publique de ce grand Maitre a Louvain. Just Lipse, que la vertu reçut à la naissance, que la sience cultiva, que la modestie eleva au dernier periode de la gloire, naquit a Isque bourgade du Brabant à trois lieues de Brusselle & de Louvain, où le Prince de Horne a un beau chateau.

Il naquit à minuit le 18 Octobre Fete de S.Luc, l'an 1547; son Pere se nomoit Gille & sa Mere Isabelle Petirivie, laquelle la veille de ses couches, songea de voir promener dans sa chambre deux Jumaux blancs, que tout le monde prit pour la modestie & pour la sience qui firent le caractere distinctif de cet enfant de benediction. Ses Parens etoient honetes & aisez. J'ai vu plus d'une fois sa maison, & je m'en suis fait un honeur. Son Aieul Nicolas s'apliqua aux belles lettres, son Oncle paternel fut Religieux de S.Martin à Louvain. Nicolas Lipse fut estimé d'Erasme acause de son erudition, & il mourut quand notre Just n'avoit que huit ans. Marguerite Eichout epouse de Nicolas Lipse etoit Demoiselle, & ses parens avoient brillé dans la Cour des Ducs de Brabant. On lui donna le nom de Just en vue de son Bisaieul, qui avoit epousé une tresnoble Demoiselle nommée Anne Linquebeque. C'etoit de sa dote que la maison de Lipse possedoit ses grans biens a Isque.

Il est à remarquer que Just naquit la meme année que Charlequint remporta la fameuse victoire de l'Elbe, où il fit prisoniers le Duc de Saxe & le Lantgrave de Hesse, qui se rendit volontairement pour eviter un plus grand malheur.

Il fut elevé quelque tems à Isque, dans ce sejour innocent que le paisible Dieu Lucrius prefere au tumulte des Villes. A six ans, il fut conduit à Brusselle, & il reçut les premieres instructions dans l'Ecole Paroissiale de la Chapelle prez de la Steenpoorte, qui se glorifiera toujours de cet Eleve admirable. Son maitre avoit coutume de le prendre sur ses genoux, & de l'exposer pour modele aux autres enfans. Il i eut pour condisciple Denis Villers depuis Chanoine & Chancellier de Tournai. Il etudia la Grammaire de Despauters ce fameux Maitre d'Ecole de Ninove & de Boisleduc. Il aprit le François de luimeme; il l'ecrivoit bien, mais il ne le parloit pas juste. Il evita quantité de dangers, auxquels cet age est sujet; & il avoit coutume d'attribuer ce bonheur à une singuliere protection de son Dieu.

A douze ans, il fut envoié au College d'Athe fameux par les Briard, par les Lensai, par les Bai, & par le Boch, qui i ont etudié. On l'i fit perdre bien du tems dans la Grammaire de Brectanus. Just meme se plaint dans sa lettre 94, parmi les melées, d'avoir changé trois fois de Grammaire; & d'avoir apris jusqu'à 13 ans inutilement, ce qu'il savoit dejà à huit. Aprez avoir eté deux ans à Athe, il composa un vers: aprez quoi il fut envoie au College des Jesuites de Cologne. Il eut pour maitres dans le Grec, Jean Kempen, dans la Retorique, Jean Oran, & dans la Filosofie Arnou Havens, qui a eté Chartreux. François Coster, cette gloire de Maline, etoit alors Recteur du College de Cologne.

Lipse fut toujours le premier de son Ecole. Dez l'age de douze ans, il composa des haranges latines capables de donner de l'admiracion. La Filosofie, je dis la belle Filosofie, qui s'arrete, sur tout, à la politique & à la morale, fut sa passion dominante.Il s'i portoit avec tant d'ardeur, qu'on etoit obligé de lui arracher les livres, & les caiers d'entre les mains. Dans la lettre 87 des melées, il avoue d'avoir eu la volonté de se faire Jesuite; mais que ses Parens en aiant eu le vent, 1e rappellerent incessamment, & qu'ils l'occuperent à Louvain. Son cOEur fut toujours parmi ces Peres.

L'an 1565, il etudia la Fisique au College du Lis qui se glorifie plus de lui que d'Erasme. Corneille Valer, & Pierre Hannius enseignoient la Retorique au College des trois Langues.

Tandis que Lipse etudioit à Louvain, son Pere, qui etoit Bourgmaitre de Brusselle, vint à mourir. Sa mere, qui etoit une Dame treshonete, se transporta exprez à Louvain avec sa fille, pour avoir l'OEil sur Just ; mais elle i mourut bientot aprez d'hidropizie. Just avoit alors 18 ans. A 19 ans il fit son livre des leçons diverses qu'il dedia au Cardinal de Granvelle, & qu'il avoit coutume de nommer son aprentissage. Il pouvoit le nommer le premier degré de sa gloire, puisque ce fut par là qu'il se fit connoitre & qu'il s'insinua dans la maison de ce Cardinal tout-puissant. Il lui servit de Secretaire à Rome l'espace de deux ans. Ce fut là qu'il profita des leçons de Marc-Antoine Muret, & de la douce & savante conversacion de Bencius, qu'il aimoit comme son frere, je dis de ce Bencius, qui se faisant Jesuite, quita son ancien nom de Plaute pour prendre celui de François.

II ne revint pas de Rome aussi bon qu'il i etoit allé ; ainsi qu'il l'avouoit luimeme. Il passa la vie gaie un an à Louvain. Comme il avoit le fond excellent, il en revint bientot, & les anciennes images s'effacerent dans son voiage de France & d'Alemagne. Mais il acheva d'etre ce qu'il fut depuis, en demeurant chez Charle Lange Chanoine de S.Lambert à Liege, à qui en reconnoissance, il dedia ses livres d'or de la Constance.

Il passa à Dole, où Filipe le Bon a fondé l'Université; & il fit publiquement l'eloge de Victor Giselin, quand il i prit le degré de Docteur en medecine. Comme il s'etoit mis à table immediatement aprez cette harangue, il en contracta une fievre, qui pensa l'emporter. Il visita la Cour de Maximilien II, & du Duc de Saxe, ou il arreta un an, en qualité de Professeur.

La Belgique començant à s'apaiser, il la raprochat. Il vint à Cologne, où il epousa une Demoiselle de Louvain, Veuve, nommée Anne de Calestre, plus par inclinacion que par conseil. Ils vecurent paisiblement; mais ils n'eurent pas d'enfans. Il arreta neuf mois à Cologne, pendant lesquels il acheva ses admirables commentaires sur Tacite.

Il retourna à Isque dans le dessein d'i finir ses jours, Ce fut là qu'il ecrivit cette lettre d'or à son Cousin Guillaume Breugel Conseiller du Roi, où il fait l'eloge de la vie Champetre. C'est la huitieme entre les melées. Mais la guerre le fit changer d'opinion, & elle le reconduisit à Louvain, où il prit 1e degré de Docteur en Droit en 1576. Son penchant victorieux le fit toujours retourner aux belles lettres, dont nous avons plusieurs monumens & sur tout, ses commentaires sur Tite-Live. La guerre chassa les Muses de Louvain. Don Jean d'Autriche, ce digne fils de Charlequint, aiant battu les Hollandois à Gembloux prez de Namur, Louvain fut remis sous la puissance du Roi. Lipse fut obligé de se retirer à Anvers. Ses ecrits, qu'il nommoit sa vie, auroient peris, sans la main que lui donna son ancien ami Delrio Auditeur dans 1e camp Roial. La ville de Leide le demanda, & elle l'obtint à sa grande gloire. Il i fut 13 ans; & ce fut en ce sejour qu'il nous donna ses plus riches productions. Theodore Conrard heretique demisavant, le querela sur deux paroles qu'il avoit ecrites, & il le fit passer dans l'esprit des Etats de Holande pour un homme cruel qui conseillat d'emploier le fer & le feu contre les heretiques. Cette frasque & celles qu'il devoit incessamment essuier, au sujet de sa religion, lui firent abandonner Leide. Il prit pretexte de prendre les eaux de Spa contre son mal de Ratte. Il se rendit à Liege, où ses amis lui firent mille accueils, sur tout Guillaume de Bergh qui n'etoit alors que Doien de S.Lambert, & qui fut depuis Archeveque de Cambrai.

Personne ne fit plus de bien à Lipse que son ennemi Conrart. Il renversa la muraille, par ses calomnies, mais au meme tems il fit qu'on en decouvrit la hauteur, qui n'etoit pas si perceptible, tandis qu'elle etoit debout. Du moment que le bruit de la retraite de Lipse se repandit, il se fit un concours des plus grans Princes du monde, à qui auroit ce tresor animé. Guillaume Duc de Baviere, Ernest Prince de Liege, Volgang Teodoric Eveque de Saltzbourg, Jules Eveque de Wurtzbourg, Cretien Duc de Saxe, le Pape Clement VIII, Henri IV Roi de France, Ferdinand Duc de Toscane, les Republiques de Venise, de Padoue, & de Boulogne, l'inviterent dans leur Ville; ils lui firent tous des offres tres-avantageuses. Benoit Arias Montanus de Seville, qui connoissoit le prix de Lipse, cet Arias si celebre par la Bible, dont il a fait l'edition sous les ordres de Filipe II, l'invita en Espagne; il lui offrit sa maison, & il promit de le faire son heritier. Mais son Roi lui fut audessus de tout. Il revint à Louvain. Notre Patrie a un je ne sai quoi de charmant dont nous ne pouvons nous defendre.

Notre Archiduc honora ses leçons de sa presence le 24 Novembre 1599, à l'imitacion de Pompée qui retournant de la guerre, où il avoit subjugue Mitridate, & qui passant par Rode, assista à la dispute que Possidoine avoit contre Hermagore; & à l'exemple de l'Empereur Claude, qui venoit bien souvent surprendre les Regens publics pendant leurs leçons. Mille grans esprits se vantent d'avoir eu Just Lipse pour maitre, mais Just Lipse peut se vanter d'avoir eu pour disciples a Louvain le Fils de l'Empereur Maximilien II, & la Fille du Roi Philippe II, Princes Souverains de la Belgique.

Toutes les euvres de Lipse meritent l'immortalité, mais ce qu'il a fait de Saint, la meritent infiniment. Il dedia son Seneque au Pape Paul V, qui reçut agreablement son present.

Aubert le Mire & François Coster Jesuite, lui fournirent des memoires. Revenu miraculeusement d'une maladie, il apendit une plume d'argent en memoire à l'autel de la Vierge en la Ville de Halle. Il fit paroitre son affection envers la Mere de Dieu, en s'enrollant dans ses Congregations, & en les frequentant constamment. La Congregation Latine de Liege, peut se glorifier d'avoir vu Lipse, & de l'avoir oui haranguer en Latin au jour d'une Fete Virginale. La Congregation de Louvain se vante d'avoir eu le meme honeur.

Lipse, aprez avoir fourni la carriere la plus belle qu'un homme d'honeur & de probité puisse fournir, le 17 d'avril de l'an 1606, tomba malade d'une toux, & d'un catarre. D'abord il ouvrit sa consience au Pere Leonard Lessius. Il comunia le 20, qui etoit le jour des Rameaux; & il reçut l'Extreme- Onction. Un des Assistans, lui rapellant en la memoire cette force stoïciene qu'il avoit tant de fois fait paroitre dans ses ecrits, il le renvoia bien loin, en prenant le Crucifix à la main: voilà, dit-il, l'ecole de la vraie patience. Un Religieux lui disant que la Vierge Mere l'attendoit à bras ouverte comme son cher Client, il eleva les yeux, la voix & les mains, & il dit ces paroles: O Mere de Dieu, secourez votre serviteur qui combat avec toute l'eternité, ne m'abandonnez pas à cette heure, de laquelle depend le salut eternel de mon ame.

Lipse se felicitoit de mourir dans une saison où le Sang de Jesus-Christ est le plus bouillant dans l'Eglise. Comme un Jesuite lui eut presenté la Messe, plut à Dieu, dit-il, que ce Sang precieux qui a eté versé pour moi en sa Passion, m'arrose abondamment! Il voulut que son Epouse donnat à l'Autel de Notre-Dame de S.Pierre à Louvain sa robe Doctorale. Gerard Corsel l'a rachetée, & il la conserve comme S.Antoine conservoit la robe de S.Paul premier Hermite. Just Lipse etant agé de 58 ans & de 5 mois, mourut à minuit le 23 Avril 1606, en embrassant le Crucifix, & en prononçant les sacrez noms de Jesus & de Marie. Trois Jesuites & un Cordelier assisterent à sa mort. Nicolas Oudart Chanoine & Official de Malines, lui ferma les yeux. Il fut enterré aux Cordeliers, devant l'Autel de Notre-Dame, où il avoit coutume de prier chaque jour, 1e veille de Paque 25 Avril. Toute l'Academie honora ses obseques, & elle put dire aprez Cecilius Metelius, qu'elle ne verroit jamais sa chaire remplie d'un homme plus digne. Il avoit luimeme fait son Epitafe en onze Vers, où il parle de lui comme d'un neant. NIHIL. Son Epouse lui fit dresser un Tombeau que le Senat d'Anvers rendit plus magnifique.

Le 30 Avril on fit ses funerailles à S.Pierre à Louvain. Son Oraison funebre fut prononcée par Gerard Corsel. Il donna sa Biblioteque à son Neveu Guillaume Grevius Brusselois, le fils de sa sOEur, agé de 13 ans. Il donna ses Grecs & ses manuscrits aux Jesuites de Louvain. Ses Executeurs Testamentaires furent Nicolas Oudart, Jaque Wover & Guillaume Varner Chanoine de S.Pierre à Louvain. Il prononça anateme contre ceux qui seroient si hardis que d'imprimer quoique ce fut de ses manuscrits à la reserve de deux cens de ses Lettres choisies.

Jamais on n'a pu bien le peindre. Il avoit le front large, les yeux vifs, la stature majestueuse; il etoit d'une complexion seche; ses etudes & son mal de ratte qui le travailla prez de 20 ans, ne contribuerent pas peu à cette secheresse. Il avoit l'esprit vif, vaste, docile, & capable de tous les Arts, hormis de la Musique; il avoit le jugement droit, & la memoire admirable.

Les Etats de Brabant lui donnoient une pension de 600 francs, & le College des trois Langues, une de deux cens. Le Comte de Fuentes ce digne Mecene, l'augmenta.

L'Archiduc Albert fit Conseiller Just Lipse, & il lui offrit les repos, en tirant ses gages. Sa devise etoit celle d'Ennius, a la vieille mode. MORIBUS ANTIQUIS. Elle est encore au dessus de sa maison à Louvain. Aprez l'etude, les fleurs & les chiens faisoient son divertissement. Il en avoit de trois sortes; Safir Holandois, Mopsul Anversois, & Mopse Ecossois. Mopse l'accompagnoit aux ecoles publiques. Il a laissé la posterité en doute s'il etoit plus homme d'honneur & de pieté, que d'etude. On peut dire sans le flater que ces trois qualitez etoient en lui ensemble vaincues & victorieuses.

Deux jours aprez sa mort, il s'eleva des gens dont l'Histoire n'avoit encore rien senti de pareil, & l'on ne croit pas que la posterité en sente jamais de semblable. Charle Malapert Jesuite de Mons en fait un Poëme capable d'etre admiré de Virgile. Voici la Cronique de ces vens qui renversoient tout.

oMnIa CaDVnt.

Nous avons bien voulu adoucir la cruauté de ce siecle de fer & de feu par le recit de la vie tranquille de cet homme pacifique qui conversoit doucement avec ses Muses tandis que les trompettes & les Tambours retentissoient par tout. En reprenant ce qui s'est passé dans la Belgique pour traverser le siege d'Ostende, nous avons fait justice de part & d'autre à quantité de braves, qui n'avoient pas eu leur place dans la distribution de la gloire que j'ai donnée à ceux qui se sont signalez dans ce siege si celebre. Mais nous avons omis la principale piece, qui fait neamoins directement à l'Histoire de l'Archiduc Albert, je dis son Epouse Isabelle Claire Eugenie, qui selon le temoignage de Henri IV Roi de France surnommé le Grand fut à la Belgique, & singulierement au siege d'Ostende, ce que Zenobie fut aux Palmipeniens dont elle etoit Reine.

Isabelle etoit fille de Philippe II Roi d'Espagne, cet Archimede qui remuoit l'Univers sans sortir de son Cabinet, & d'Isabelle de France. Si j'etois poete, je dirois qu'elle etoit la Pallas de ce Jupiter, qui la fit entrer dans le Conseil dez l'age de douze ans, en voiant son esprit meur avant que d'avoir fleuri. Il fut epouvanté d'entendre le raisonement de cette jeune Conseillere, & il suivit toujours ses avis durant les 35 ans qu'elle vequit auprez de lui. Le Cabinet n'empecha point sa Sainteté. Elle aporta pour dote la Principauté de la Belgique; mais elle en usoit avec tant de respect pour son Epoux l'Archiduc Albert qu'elle lui renvoioit toutes les affaires, & qu'elle vouloit que toutes les graces dependissent de lui. L'Archiduc en usoit de meme, & il n'y avoit jamais d'autre dispute entre eux, qu'à qui ne seroit point le Souverain. L'Archiduc etant mort elle voulut entrer dans un Monastere, mais depeur d'abandonner ses Etats à l'heresie, elle sacrifia ses inclinations au salut de ses peuples. Ne pouvant etre Religieuse de profession, elle en voulut porter l'habit, & elle en fit tous les exercices en secret. Elle parloit peu, mais ce peu etoit si sensé qu'un Lacedemonien n'y eut rien trouvé à retrencher, & qu'un Atenien en eut eté satisfait. Elle ne sortoit presque de son Palais qu'aux occasions des Processions ou des Confraternitez, ou pour accompagner le S.Sacrement qu'on portoit aux malades. Elle montoit dans les greniers, & elle ne se rebutoit point de la puanteur des lieux les plus infects, ou elle laissoit toujours des marques de sa charité.

Elle savoit neamoins s'humaniser en son tems; elle abatit plusieurs fois l'oiseau à l'arquebuse & à l'arbalête. Elle batit aux Sermens de magnifiques Maisons, où elle buvoit à leur santé. Quand elle etoit obligée de refuser, elle le faisoit avec des paroles qui valoient presque la grace qu'on lui demandoit. Elle avoit partagé le jour en quatre parties; elle emploioit six heures à la devotion, elle en prenoit six pour le repas & pour le divertissement, qui etoit de travailler avec ses Filles-d'honeur, à des ouvrages de tapisserie pour les Eglises, ou à des chemises pour les pauvres. Six autres etoient destinées pour son sommeil ; mais elle avoit donné ordre qu'on l'eveillat toutes les fois qu'il arriveroit un courier pressé. Elle emploioit les six dernieres au Conseil avec ses Ministres aux depeches & aux Audiences. Elle les donnoit reglement tous les jours si elle n'etoit malade. Elle recevoit tous les Memoriaux qu'on lui presentoit des plus pauvres comme des plus riches, avec une douceur qui ravissoit. Avant de se coucher, elle lisoit toutes les requetes, & elle les apostilloit de sa main. Elle ne faisoit point d'impositions par son autorité absolue. Elle obtenoit tout ce qu'elle vouloit parcequ'elle deroboit le cOEur de tout le monde. Un faux bruit aporta que l'Archiduc etoit demeuré à la bataille de Nieuport. Un si pesant coup n'abatit pas ce grand cOEur. Elle sentit ce que pouvoit sentir une epouse extremement aimante, mais persone ne decouvrit la tendresse de ses sentimens. Quand elle vid revenir l'Archiduc blessé, elle le reçut sans lui temoigner ni tristesse ni etonnement; mais Elle en eut un soin qui fit bien voir que son cOEur en disoit plus que sa bouche. La perte de Mastric & de Boisleduc l'auroit vue insensible si l'interet de sa Religion n'y eut point eté melé.

Les Hollandois aiant pris une barque dans le Port de Dunkerque où elle etoit, jetterent en mer à la vue des rempars, tous les Mariniers qui s'y trouverent. On la pressa de faire le meme traitement aux Hollandois, mais cette Amazone répondit froidement, nous les avons vu; & ce fut un arret de grace pour les Hollandois . La Reine de France, & le Duc d'Orleans se jetterent dans l'azile de ses bras; elle les reçut avec tendresse & avec pompe. Elle leur conseilla de se racommoder avec le Roi Louis XIII, & elle leur offrit sa mediation. Elle pourvut magnifiquement à leur subsistance; elle leur fit des Presens & des Festins où la galanterie eclatoit d'une maniere qui surprit ces illustres Refugiez. Elle prescha le Duc si efficacement qu'elle en fit un Prince de grand exemple.

Elle ne soufroit pas seulement l'ombre des amourettes. Un clin d'OEil tenoit ses filles dans une modestie gaie & religieuse. Toutes celles qui etoient de sa façon se sont distinguées admirablement dans l'etat qu'elles ont embrassé; & c'etoit un prejugé de sainteté & d'innocence que d'avoir eu le bonheur d'etre à l'Infante. Dans sa maison, elle ne soufroit point d'Officiers qui fussent soupçonnez de debauche. Elle leur parloit quelquefois pour les reprendre; & c'etoit toujours avec une douceur qui donnoit une agreable confusion, & qui ne manquoit jamais à les corriger.

Durant tout le cours de sa vie elle n'a eloigné que 4 ou 5 persones. Mais ç'a eté sans les deshonorer, & sans meme leur oter leurs gages. Elle avoit l'oreille fermée aux faux raports. Elle ne soufroit point les fourberies & les artifices; jamais elle n'a eu ni favori ni favorite. Elle recommandoit sans cesse à ses Ministres de traiter avec douceur ceux qui avoient des affaires à negotier avec eux, & son mot ordinaire etoit Con blanduras. La mort ne put suspendre l'inclination qu'elle avoit à bien faire, & le dernier soufle de sa vie fut un esprit de grace. Elle avoit reçu l'Extreme-Onction & elle n'atendoit plus que le moment de partir. Lorsqu'il lui souvint qu'il etoit demeuré dans sa cassette quantité de Requetes qui restoient à expedier. Elle commanda qu'elles lui fussent aportées: & se faisant apuier la tete & soutenir la main, elle emploia ce qui lui restoit de vue & de mouvement à les signer le mieux qu'elle put. C'est ainsi que le Soleil eclaire encore la terre & qu'il lui fait du bien, lors meme qu'il s'eclipse. Par là elle soutint des maisons entieres qui alloient tomber, elle en releva qui etoient deja tombées, & ce dernier tremblement de sa main apuia des communautez, & il opera le salut de plusieurs familles. Voiant un de ses anciens Officiers inconsolable, voiez cet homme, dit-elle en riant, qui ne veut pas que je meure. Cette Princesse digne de l'immortalité alla recevoir la Couronne due a ses merites infinis, le premier jour de Decembre de l'an 1633, agée de 67 ans, trois mois, & dixneuf jours.

Je me suis contenté de vous faire voir cette Heroine en petit: parcequ'avec l'aide du Ciel, j'ai envi de vous l'exposer bientot en grand, dans une Histoire qui lui sera toute particuliere.






L'HISTOIRE DE L'ARCHIDUC ALBERT SOUVERAIN DE LA BELGIQUE.

LIVRE CINQUIEME.

Le Maitre de l'eloquence Romaine crioit de ses Rostres, qui etoient la Tribune d'où il declamoit ses harangues, que l'epée devoit ceder la place à la langue. Cedant arma togae, concedat laurea linguae. Je dis à peu prez le meme; savoir qu'aiant jusqu'ici accompagné l'Archiduc Albert à la guerre, il faut que nous le suivions parmi les douceurs de la paix. S'il y entre quelques petits combats, ce ne seront que des combats de divertissement. Nous deduirons un peu plus au long la Paix de Vervins que nous n'avons touchée qu'en passant, & autant qu'il le falloit pour nouer l'Histoire. Nous en produirons les sources extraordinaires, qui furent des armes; cette paix s'etant cimentée à l'occasion des armes que Henri IV Roi de France fit travailler à Brusselle, qui en ce tems avoit les plus habiles armuriers de l'Europe. Puis nous passerons naturellement à la Treve de douze ans, qui fut la fin de la guerre, & de la vie de l'Archiduc. Un Huguenot, ou un Ecrivain Catolique, mais Prevaricateur de sa Foi, & trop lachement complaisant, passeroit bien doux sur ces 12 ans du regne de l'Archiduc, parcequ'on n'i void ni Sieges ni Batailles, & qu'on y doit contempler, un Prince Catolique qui s'aquite de tous les devoirs de sa Religion; mais nous qui, grace à Dieu, n'avons nulles de ces complaisances, & qui ne choquant persone aimons bien aussi, qu'on ne nous choque pas des maximes de notre foi nous en couronerons notre Histoire. Ce seroit rendre ridicule l'Archiduc Albert que de ne vouloir le contempler que l'epée à la main, & que de lui oter les ornemens dont il faisoit le plus de gloire, & qui lui en ont le plus aquis auprez de Dieu & auprez des hommes. Nous ne traitons pas ici la controverse; nous laissons chacun dans les opinions, & nous depeignons seulement l'Archiduc tel qu'il s'est depeint lui-meme, & tel qu'il voudroit qu'on le depeignit, s'il etoit encore à regler son portrait. Nous lisons pacifiquement la vie de Gaspar de Coligni, sans nous dechainer contre lui qui a donné la matiere de cette Histoire, ni contre ceux qui ont mis en euvre ces matieres ; nous prions qu'on ait la meme honeteté pour nous, & qu'on ne traite pas de Moineries, des pratiques tressaintes dont l'Archiduc faisoit son capital, & sur lesquelles la posterité l'a mesuré en lui donnant l'Eloge d'Albert le Pieux. Nous serions bien fachez de priver les Princes de sa Maison, des exemples de sa pieté, qu'ils admirent & qu'ils imitent de toutes leurs forces. Ceux à qui des fondations Saintes deplaisent, n'ont qu'à gemir de ce qu'ils n'ont pas les memes pensées, & qu'à se confondre de voir que notre siecle n'ait point degeneré de la sainte antiquité, qui a commencé en Salomon, & qui a continué dans tant de Monarques, qui n'ont rien eu de plus à cOEur que de laisser aprez eux des langues qui continuassent à faire sur la terre, ce qu'ils alloient commencer au ciel.

L'an 1596 le 8 Avril l'Archiduc fit dessein d'ataquer Calais; Henri IV Roi de France, qui assiegeoit la Fere, vid d'un coté qu'il lui seroit honteux de lever le siege de cette place, & de l'autre, que selon les aparences s'il entreprenoit cette delivrance, il y viendroit trop tard. Pour marcher au milieu de ces deux ecueils, il gagna un des principaux Ministres de l'Archiduc, qui fut si infame que de conseiller à son maitre de ne pas songer à Calais, mais bien au ravitaillement de la Fere. Le bon Ange du Prince voulut qu'il meprisat le conseil de ce traitre & qu'il continuat dans son dessein de Calais, qui lui reussit parfaitement. Pendant le siege de la Fere Henri IV eut un autre malheur; c'est que S.Geran Gouverneur de Bourbon, venant avec trop de confiance au camp du Roi de France, fut pris & emmené à Brusselle par les Ligueux, qui voltigeoient vers la Fere pour en incommoder le siege. S.Geran avoit beaucoup de liberté à Brusselle, & il voioit ce qu'il y avoit de rare; les Belges n'etant rien moins qu'ombrageux, meme à l'egard de leurs ennemis, sur tout quand ils sont chez eux. Quand S.Geran fut elargi, il loua fort au Roi son maitre les belles armes que l'Archiduc se faisoit faire à Brusselle. Ce Roial Guerrier eut envi d'en avoir du meme maitre; c'est pourquoi il depecha un Trompete à Sancerre, Agent d'Isabelle Reine Douariere de France à Brusselle, avec un pourpoint de toile d'argent qui contenoit la mesure des armes qu'il devoit faire travailler pour Sa Majesté Tres-Chretienne. Sancerre qui se souvenoit qu'il etoit dans une terre etrangere, & qui n'aimoit pas de donner aucun ombrage à des gens qui en usoient avec lui fort civilement, declara ouvertement à l'Archiduc le desir du Roi son maitre. Albert le plus humain des hommes, repondit à Sancerre qu'il en etoit trescontent, & puis sous main, il fit avertir l'ouvrier de les travailler extraordinairement bien & qu'on lui repondoit de son salaire. Les armes etant faites, Sancerre voulut les paier, mais il trouva que l'urbanité de l'Archiduc l'avoit prevenu, & qu'au meme tems il avoit ordre de se rendre à la Cour de Brusselle. L'Archiduc le voiant en sa presence, lui dit de lui faire ce petit present de sa part. Qu'au reste il aimeroit mieux lui envoier le signal de la Paix que celui de la guerre. Ce fut ce qui causa la paix.

Sancerre ravi de cette commission vint trouver le Roi Henri IV à Monceaux, & il lui offrit les armes de l'Archiduc qui le charmerent; il ne fut pas moins joieux du bon mot de paix qui accompagnoit ces instrumens de guerre. Sancerre vint remercier l'Archiduc, & il lui demanda au meme tems un lieu de congrez. L'Archiduc, du conseil de son President Richardot, envoia en France le General des Cordeliers, pour traiter de la paix au nom du Roi Philippe Il & de l'Archiduc. Le Cordelier dit au Roi Henri IV que le Pape lui avoit ordonné de passer en Espagne, pour l'induire à la paix & que ce bon Roi avoit laissé cette affaire à l'arbitrage de l'Archiduc son neveu. Mais la surprise d'Amiens faite le 11 Mars 1597 rompit tout. Le General des Cordeliers fut renvoié sans etre ecouté; les Amienois furent privez de leurs privileges, & ils durent construire une Citadelle à la porte par où les noix fatales avoient passé. Henri IV outre celà dechargea sa colere sur deux Avocats de Paris, à cette occasion. Le Duc de MercOEur dont l'Histoire paroit depuis quelques années, alors Gouverneur de Bretagne, entretenoit un Pensionaire à Paris nommé l'Avocat Carpentier. L'Avocat, aiant eu nouvelle de la prise d'Amiens, depecha son beaufrere pour en feliciter le Duc de MercOEur. Cet Envoié passant la Loire à Saumur repondit aux Gardes qu'il venoit de Paris à Angers. Comme on lui eut demandé s'il ne portoit pas de lettre, il dit en begaiant, que non. Les Gardes s'en aperçurent, & ils en firent leur raport à Duplessis Gouverneur de Saumur, qui prit de là sujet de le faire fouiller. L'on trouva la lettre felicitante; & sur ce sujet tresmaigre, on roua les deux freres en Greve à Paris. L'Avocat Carpentier endura ce supplice sans soupirer, son beaufrere donna des marques d'une grande sensibilité. Comme on portoit ces corps vivans quoique rompus, au Montfaucon, Carpentier interrompit ses devotions par prier le Prevost qu'il leur donnat le coup de grace, en leur otant la vie, ce qu'il fit. Le General des Cordeliers cependant revint de Rome, & il obtint le Cardinal de Medicis depuis le Pape Leon XI, pour Mediateur entre les deux Courones. Philippe II qui souhaitoit de mourir en paix, & d'y laisser sa fille Isabelle passa le Traité de Vervins en l'an 1598. L'Archiduc envoia pour otages de la paix ces Seigneurs dans l'ordre que je les nomme, le Duc d'Arschot, l'Amiral d'Arragon, le Prince d'Aremberg, Louis de Velasco depuis Comte de Salazar, le President Richardot, & l'Audiencier Verreiken. Le Comte de S.Paul vint les prendre à une riviere qui separe l'Artois de la Picardie, & il les conduisit à S.Denis prez de Paris; ils arriverent à Paris le 18 Juin 1598. Le Roi Henri IV qui ne savoit quelle Fete faire à ces otages, s'habilla à l'Espagnole, d'un bonnet de Velour noir, relevé en forme de chapeau à petit bord, avec un Cordon de piereries. Ses chausses à bandes brodées de diverse sorte, avoient de longs-bas qui du pié touchoient le-haut-des-chausses. Le pourpoint etoit couvert d'un collet de senteur. Le manteau noir avoit une chappe large par derriere où brilloit une infinité de diamans. Il n'avoit qu'un crepe à son bonnet & un diamant au bout du crepe. Son collet de senteur etoit passementé de noirs. Les Ducs d'Epernon & de Montpensier pareillement habillez à l'Espagnole, avoient plus de pierreries que le Roi meme.

Le Roi Henri arreta seul au Louvre à cheval jusqu'à ce que la pompe fut passée. Les autres y entroient à pié, & puis ils montoient à cheval hors du Louvre, pour marcher devant le Roi Henri. Etant arrivé dans l'Eglise de Notre-Dame, il monta sur un echafaut au coté droit du ChOEur prez de l'Autel. Aprez la Messe, il se mit dans son siege sous un Dais. Le Legat etoit vis-à-vis, & il tournoit le dos à l'Autel. Huraut Chancelier, & Neuville Secretaire d'Etat se presenterent à coté du Roi Henri. Les articles de la paix furent lus. Le Roi Henri en jura l'observation, il signa l'acte du serment, il embrassa les Ambassadeurs, & il souhaita une longue vie à son frere le Roi Philippe II. Tout le monde cria, vive le Roi. Sa Majesté traita l'Assemblée à l'Eveché. Le Duc de Montpensier y servit de Grand-Maitre; l'Archeveque de Bourge benit la table. Huit trompettes sonnoient à chaque service. Le Roi Henri IV durant la Musique, but deux fois à la santé du Roi; le bal se donna ensuite au Louvre.

Durant ces allegresses, Antoine Perez marchoit à piez par Paris suivi d'un Hallebardier Suisse; je dis ce Perez à qui Don Jean d'Autriche mort à Namur, donnoit le titre de Magnifique Seigneur. L'Amiral d'Arragon qui voioit Perez avec mepris ne songeoit pas qu'il ne lui en ariveroit guere moins fort peu aprez. Le Duc de Lermes le fit tomber en disgrace pour se vanger d'une Satire que l'Amiral avoit publiée contre lui. Ce Duc fut lui-meme disgracié jusqu'à ce point qu'il demanda de pouvoir dire la Messe aux Jacobins où il s'etoit refugié. Le Pape Gregoire XV lui envoia le Chapeau de Cardinal.

Le feu de Saint Jean qui s'allume sur la place de Greve, pour marquer la joie de la paix, fut cette année entouré d'une chaine d'olives en forme de feston où etoient entrelacez toutes sortes d'instrumens de guerre, qui se termina en feu d'artifice que le Roi Henri alluma lui-meme par honeur. Il renvoia ensuite les Otages Archiducaux, & il envoia les siens à Brusselle, où ils firent leur entrée en cette ordre. Le Maréchal de Biron qui bien peu aprez eut la tete tranchée etoit à la droite du Comte de Mansfelt, Bellievre etoit à celle du Duc d'Aumale qui etoit au service de l'Archiduc, & qui mourut en son gouvernement de Binche, & le President Brulard de Silleri etoit à celle du Prince d'Orange. Trois Gentilshommes Archiducaux conduisoient à leur droite autant de Gentilshommes François. Le contraire s'etoit pratiqué à Paris. Bellievre & Brulard passerent à Louvain pour y voir le grand Just Lipse. Pendant que les Ambassadeurs François etoient à Brusselle, il arriva à la Cour de Henri IV, quelques particularitez que je ne dois pas omettre. Pierre de Colins Chevalier & Seigneur de Heetfelde Ancetre des Seigneurs de Tarsienne, de Roche-Fontaine ancien Colonel, des deux Conseillers de ce nom & de plusieurs autres qui ont l'honeur de porter ce nom tresnoble & qui vivent encore aujourd'hui fidelles au Roi, fit present au Roi Henri du portrait du Conetable de Luxembourg decapité en Greve. Henri le reçut agreablement, & il dit au Conetable de Montmorenci, voiez mon Compere, voilà le Conetable mon parent du tems du Roi Louis XI. Colins lui fit encore present du portrait de notre Archiduc d'aprez nature en habit de Cardinal. Henri se mesura à la hauteur de cette toile, en disant; voiez, on nous depeint l'Archiduc si petit, & il est plus grand que moi. Il se trouva pourtant que Henri passoit Albert de toute la tete.


Mais qu'eut la France de la Paix de Vervins qui lui causa tant de joie ? Elle n'avoit que Calais, Ardres, Dourlens, & quelques petites places de peu de consideration, que le Roi lui avoit enlevées. Et la Belgique demeura en son entier sans que la France y pretendit quoique ce fut. Les peuples, qui aiment la paix & le repos eussent bien voulu qu'on eut au meme tems fait la paix avec la Hollande, mais la chose n'etoit point encore meure, & la Treve de douze ans avec cette Republique, ne se fit qu'en l'an 1609. Cette Treve qu'on nomme d'ordinaire de douze ans, se conclut à Anvers. Les Ambassadeurs Hollandois y arriverent le 25 Mars 1609. Le Marquis Spinola, le Secretaire Mancicidor, & l'Audiencier Verreyken accompagnez de plusieurs Seigneurs Belges, les y reçurent magnifiquement. Le Comte Louis de Nassau, & le Seigneur de Brederode, y arriverent peu de jours aprez au bruit du canon de la ville, de la Citadelle & des Vaisseaux. Ils furent logez au Palais des Fugger, celebres par leurs richesses en la rue des Tailleurs-de-Pierre. Ils avoient leurs Ministres avec eux ; & pour n'en pas faire moins que le Marquis Spinola n'en avoit fait à la Haie où il avoit fait prescher son Predicateur Catolique, ils firent prescher dans leur hotel Jean Uuytenbogaert leur Ministre. La plupart des Conferences se tinrent à l'Hostel-de-Ville. La Treve de douze ans fut enfin conclue le 9 Avril. L'Archiduc la signa & la ratifia à Brusselle, & les Hollandois en firent de meme à Bergopzoom. Elle fut publiée à Anvers le 14 Avril de la meme année 1609. Le Sieur de Moy Secretaire d'Anvers la publia sur un echafaut dressé devant l'Hotel-de-Ville, au bruit des Trompettes & des Hautbois, & de tout le Canon de la Ville, de la Citadelle & du Havre. Durant la publication de la Treve on voioit aux fenetres de la grande Chambre de l'Hotel de Ville Pierre Jannin Chevalier Baron de Chagni & de Montieu Ambassadeur de France, & Elie de la Place Chevalier Seigneur de Russi, Ambassadeur de la meme couronne. Richard Spencer Chevalier, & Rodolphe Winwoodt Chevalier, tous deux Ambassadeurs d'Angleterre Ambroise Spinola Marquis de Venafre Chevalier de la Toison d'or. Jean Richardot Chevalier Seigneur de Boixsy President du Conseil Privé. Jean de Mancicidor Chevalier, du Conseil de Guerre & Secretaire du Roi. Jean Neyen Commissaire General des Cordeliers. Louis Verreyken Chevalier Audiencier premier Secretaire du Roi. Ces cinq derniers nommez etoient les Ambassadeurs de l'Archiduc.

De la part des Hollandois, etoient Louis Comte de Nassau Gouverneur de Frise. Valerand de Brederode Chevalier. Corneille de Gent Chevalier Seigneur de Loerren & de Meynloyck, Vicomte de Leiden. Jean Olden Barnevelt Chevalier Seigneur de Tempel Avocat d'Hollande. Ce fameux Barnevelt qui aiant degagé les places de Briele, de Flessingue, & de Rammekens des mains des Anglois, qui aiant eté l'instrument principal de cette Treve de 12 ans, qui aiant empeché que les Hollandois ne s'engageassent dans la guerre de Boheme sous Ferdinand II, perdit la tete sur un echafaut à la Haie le 13 Mai 1619 agé de 72 ans. On l'accusa d'avoir voulu remetre la Hollande entre les mains des Espagnols; mais on dit qu'on n'en trouva pas de preuve dans ses papiers. On prit pretexte de ce qu'il avoit pris le parti d'Arminius & qu'il se ht Chef des Remontrans contre Gomer dont les Sectateurs se nomerent les Contre-Remontrans. Leur differend principal regardoit la Predestination. Maurice Prince d'Orange, qui avoit un ancien chagrin contre Barneveldt de ce qu'il s'etoit opposé à son humeur martiale en moiennant la Treve de 12 ans, & qui tenoit le parti des Gomeristes, ne fut pas faché qu'on mit hors du monde celui qui contrepointoit ses inclinations, ensuite de la condemnation des Arminiens qui fut conclue au Sinode de Dort les années 1618 & 1619. Le jeune Barnevelt essaia de vanger la mort de son Pere en attentant sur la vie du Prince Maurice, mais il fut justement condamné de tout le monde.

Barnevelt, à la fenetre de l'hotel-de-ville d'Anvers, etoit suivi de Jean de Maldere Chevalier Seigneur, de Reyst premier Conseiller de Zelande; de Gerard de Renesse Chevalier Seigneur d'Aa, & de Streeskeraken; de Jean de Salick Chevalier Drossart de Wollenhoven; de Gille Hillema Conseiller ordinaire de Frise ; enfin d'Adam Goeuders van Helpem Seigneur de Tam & de Bantes. Les Bourgmaitres d'Anvers en ce tems, etoient Guillaume Draeke, & Arnoud de Beukelaer Ecuier.

Aprez avoir parlé de la Paix & de la Treve, parlons des fruits de ces tems fortunez. Dez que Henri IV Roi de France fut en paix avec l'Archiduc par le Traité de Vervins, il n'eut rien de plus à cOEur, que la bonne correspondance avec ce Prince. Ce fut pour la fomenter qu'il prit le dessein de lui envoier une solenelle Ambassade. Il se declara en public sur ce dessein, & il ajouta qu'il lui falloit un intrepide, capable de tenir contre la gravité Alemande- Espagnolle-Belgique de l'Archiduc, qui etoit capable de demonter une hardiesse ordinaire. Un Seigneur d'une grande maison que je ne nomme point par respect, mais qui n'a rien moins que la gasconade, & qui au contraire a la modestie pour caractere distinctif, fit fort le brave, & il dit hautement que si Sa Majesté voudroit bien l'honnorer de cet emploi, il s'en aquiteroit à sa gloire, & que tout le serieux Archiducal ne seroit point capable de le decontenancer. Henri IV le prit au mot, mais il lui ajouta par bonté qu'il ne se fiat pas trop sur son intrepidité, & qu'on en avoit encore vu d'aussi resolus que lui, s'ebranler en la presence de ce grand Prince. La remontrance fut cause que le François fit le fanfaron plus que jamais. On l'accepte. Tout se dispose pour l'Ambassade, Monsieur l'Ambassadeur fait sur tout bonne provision de hardiesse, & il se flatte qu'il laisse son front à Paris. Mais ses provisions ne lui durerent pas lontems, & son front vint bientot le retrouver à Brusselle. Henri IV qui aimoit à rire; ecrivit secrement à l'Archiduc qu'il alloit lui envoier un Ambassadeur qui se vantoit d'etre à l'epreuve de sa gravité; & qu'il lui feroit plaisir de lui mander le succez de ce resolu. Albert entendit le jeu, & il se disposa à bien recevoir ce vanteur. Quoiqu'il fut assez bien pourvu de gravité, il emprunta une majesté extraordinaire, & il fit savoir à sa Cour, sans lui rien dire du secret, qu'il aimoit bien un profond serieux à la reception des Ambassadeurs, & sur tout de ceux de France. Comme sa Cour y etoit dejà accoutumée, elle ne dut pas bien se contraindre dans la premiere action qui se presenta; mais comme elle savoit les volontez du Prince, elle se fit aussi un devoir extraordinaire d'ajouter à sa gravité qui d'elle-meme etoit assez grande.

Voici venu le jour de l'introduction de l'Ambassadeur de France. La Cour fait rejaillir de toutes parts de ses peintures, de ses vermeilles-dorez, de ses glaces, de ses tapisseries, enfin de tous ses ameublemens, un eclat, qui tout muet qu'il etoit, disoit infiniment, & qui sur tout parloit fort arrogamment aux etrangers inaccoutumez à ces irradiations. Les trois compagnies de gardes etoient a cheval sur les avenues, les compagnies des Archers & des Hallebardiers avec leurs hoquetons jaunes & leurs portes Imperiales du PLUS OUTRE au dos, avec leurs armes extraordinairement luisantes, vont rencontrer Monsieur l'Ambassadeur; la Cour qui etoit extremement nombreuse, parut toute en or. Tout marchoit à pas mesuré, les yeux baissez, dans un profond silence. Ces avances deconcerterent mon ambassadeur, mais il fut entierement defait, effacé & interdit lorsqu'il vid l'Archiduc qui l'atendoit majestueusement le dos contre une table, sous un daiz d'or. Ce fut alors qu'il maudit interieurement sa vanité, & qu'il se repentit de son marché; la raillerie qu'il se representoit aussi bien de la Cour de Paris que de celle de Brusselle, s'il se brouilloit, acheva sa crainte, sa crainte augmenta son trouble, & son trouble lui arracha la parole, & ne lui laissa que du tremblement aux genoux, de la palpitation au cOEur, du nuage aux yeux, du claquement aux dens, & de la stupefaction à la langue. Il fit sa reverence d'une maniere bizarre & qui marquoit le trouble de son esprit; il presenta son gand au lieu de ses lettres; & tout ce qu'il put se commander à soi-meme, fut d'ouvrir la bouche, pour laisser sortir quelques paroles barbouillées, qui lui firent plus de tort que ne lui en auroit fait un silence absolu. L'Archiduc Albert le plus humain des Princes, voiant que la comedie etoit jouée, que l'Ambassadeur etoit suffisamment chatié, & que le Roi Henri alloit avoir le divertissement qu'il s'etoit promis; d'ailleurs voiant que la honte de sa propre Cour augmentoit la confusion de l'Ambassadeur; prit doucement la parole, & il fit au pauvre interdit le plus grand plaisir & le plus grand deplaisir du monde; plaisir parcequ'il donnoit passage à ses paroles par son urbanité; deplaisir parcequ'il enrageoit de ce qu'au lieu qu'un Ambassadeur doit porter la parole au Prince, le Prince se voioit obligé de la lui porter lui-meme.

Je laisse à vos imaginations les douces guerres que le Roi Henri fit à son Ambassadeur fanfaron; pour vous dire que l'Archiduc adoucit le mieux qu'il put la mortification de ce pauvre envoié par les divertissemens qu'il lui donna, & par les grans presens qu'il lui fit.

Albert aiant domté un entesté, en lui presentant sa personne, en domta un autre par ses Lieutenans. L'Archiduc n'etoit pas quereleux, mais il etoit magnanime quand il ne pouvoit eviter le combat sans laisser ses soldats dans l'infamie. Aiant su que le Capitaine Briauté Normand de nation, traittoit de haut en bas les Belges & sur tous les Flamans, il consulta son conseil de consience, qui lui repondit que la saine Teologie permettoit le combat comme singulier pour mettre une nation entiere à couvert de quelque ignominie. Ce fut ensuite qu'il permit au Lieutenant du Comte de Grobendonck Gouverneur de Boisleduc, de se battre contre Briauté qui comme un Philistin etranger, insultoit le peuple de Dieu. Je vous ai decris ce combat, mais j'ajoute presentement quelques nouvelles circonstances.

Les Religieux de S.Dominique, qui avoient à Boisleduc un beau Couvent dont les Hollandois se sont emparez en faisant sortir la Religion Catholique, bien persuadez que les duels où il s'agit de l'honneur de toute une nation, sont permis, & sur tout sachant que l'Archiduc i donnoit son consentement, animerent à bien faire ceux qui du coté de Boisleduc, furent choisis pour ce combat d'honneur, & ils leur inspirerent de se confesser & de communier pour se munir de la viande héroïque des FORTS. Ces braves, qui avoient plus en vue l'honneur de la Religion orthodoxe, que la reputation des armes Belgiques suivant l'exhortation des Freres Perscheurs & leur propre inclination, ne manquerent pas à ces deux devoirs Chretiens.

Le champ-de-bataille fut un lieu presque à la vue de Boisleduc, que la nature sembloit avoir destiné, quoiqu'il eut eté choisi ailleurs. L'ardeur martiale de Briauté qui s'avança plus qu'il ne devoit, fut cause, qu'on se tint à ce champ-de-bataille d'improviste. C'etoit une bruiere qui avoit deux collines à ses cotez. Les Trompetes s'i placerent pour donner chaleur au combat. Les Trompettes François-Hollandois occuperent la hauteur qui etoit à la gauche en allant vers Boisleduc, sous un gibet à trois colonnes; ce qu'on prit en mauvais presage pour eux. Les Trompettes Belges qui se nommoient George van Bueck, & Zacarie Lanckhaen, occuperent la hauteur qui etoit à droite. Ils avoient les couleurs de Grobendonck. Ils etoient sous une tour; ce qu'on prit pour un augure fortuné. On etoit convenu de se battre dixneuf contre dixneuf; mais les François-Hollandois rompirent la convention, & ils entrerent au champ-de-bataille au nombre de 20. Le Lieutenant de Grobendonck etant en presence avec ses 18 champions, se plaignit de cette supercherie. Briauté s'en excusa sur ce qu'il ne lui avoit pas eté possible de defendre les armes à ce vintieme, qu'au reste il n'avoit qu'à en prendre aussi un de son coté. Le Lieutenant le fit. Il se souvenoit que Jean l'Epine qui renfermoit un courage heroïque sous son air de païsan, s'etoit fort affligé, & qu'il avoit meme versé quelques larmes, quand il s'etoit vu exclu du nombre des combattans, & il lui fit dire que si la volonté lui continuoit, il n'avoit qu'à monter à cheval. Ce fut une nouvelle nuptiale que celle-là pour l'Epine, il i courut; & il fit plus que tous les autres, puisqu'il prit Briauté. J'ai vu cent fois cette bataille d'aprez nature, le nom etant marqué sur chaque guerrier Belge.

Voici les noms de ces vingt magnanimes.

Gerard Abraham Lieutenant de Grobendonck.

Antoine Abraham frere de Gerard.

Jaque de Lise.

Charle vanden Bergh.

Pierre Pichart.

Henri de Mastrik.

Gerard d'Amersfort.

Leonard van Muers.

Gerard vander Graef.

Artus van Os.

Jean l'Epine seul Wallon du Païs d'Artois.

Adrien Roest.

Jean de Ridder de Boisleduc.

Le petit Herman de Dort.

Jean de Louvain.

Corneille Passequi.

Pierre vander Graef.

Frederic Brequint.

Henri van Hulp.

Gerard van Wert.

Les François-Hollandois avoient tous la main au pistolet, & les Belges n'avoient que la main à l'epée. Les Belges eurent la precaution de faire attacher de petites chaines derriere les brides de leurs chevaux, de peur que leurs ennemis venant à les leur couper, ils ne fussent plus capables de gouverner leurs chevaux. Les François-Hollandois n'eurent pas cette prevoiance, & ce fut ce qui contribua beaucoup à leur defaite. Briauté i reçut plusieurs coups d'epée, mais qui ne lui firent rien parcequ'il etoit charmé. Ce fut la raison pourquoi on l'assomma sur le pont-levis de la porte de Boisleduc à grans coups de fust de pistolet.

Les cinq braves qui demeurerent au combat du coté des Belges furent Gerard & Antoine Abraham freres qui avoient pour leurs armes un arbre surmonté d'un heaume. Le troisieme fut Henri van Hulp, le quatrieme fut Gerard d'Amersfort & Gerard vander Graef. Chose assez etonnante que de quatre Gerard dont le nombre des 20 Champions etoit composé, il en demeurat trois: car des quatre il n'i eut que Gerard van Wert qui survecut.

Les Dominicains de Boisleduc pour faire honneur à la vaillance, ont immortalisé ces cinq illustres morts, en les faisant peindre au naturel dans un grand tableau, dont l'original se void dans leur Couvent de Malines, & la copie dans celui d'Anvers. Ils sont tous cinq à genoux les mains jointes devant un crucifix, armez, mais la tete nue. Le premier est Gerard Abraham homme de bonne mine à la grande barbe, comme on portoit alors, à la fleur de son age. Son frere, qui le suit paroit fort peu d'années plus jeunes; il a l'air de son ainé, & il porte comme lui la longue barbe à la capucine. Le troisieme qui est Gerard d'Amersfort n'a que la moustache; le quatrieme porte la barbe longue, & van Hulp qui est le cinquieme ne la porte pas.

Il i a deux ecriteaux audessus de cette espece d'Epitaphe, en haut & en bas; celui d'en haut marque que ces braves se sont mis sous la protection de la Vierge que la sainte Eglise preconise comme une armée rangée en ordonnance de bataille. Terribilis ut castrorum acies ordinata. L'ecriteau d'enbas declare, que les Peres Jacobins ont animé ces guerriers à bien faire leur devoir pour soutenir l'honneur de la nation, qu'ils se sont tous confessez à ces Religieux, & qu'ils ont reçu le saint Sacrement de l'Autel de leurs mains.

Voici le sujet de ce combat singulier. La garnison de Boisleduc fit quatre François prisonniers. Briauté, qui etoit leur Capitaine, negligea de leur envoier leur rançon; c'est pourquoi on donna la liberté à un, afin de moienner celle des autres. Briauté bien loin de la donner, traita rudement ce soldat, de ce qu'il s'etoit laissé prendre des Belges qui n'etoient que de lourds ivrognes; & pour trois desquels il ne falloit qu'un François. Le Trompette de Briauté vint dire aux Belges à Boisleduc que son maitre les attendoit lui vingtunieme. Grobendonck commanda à un Alfer reformé nommé l'Epine qu'il prit un cheval dans son ecurie, & qu'il se joignit aux vingt autres qui etoient prets à monter à cheval. La terre etoit couverte de neige. On etoit convenu de ne donner quartier à personne. C'est pourquoi tous les François furent tuez à la reserve de trois fuiars qu'on pendit en Hollande. Briauté fut deux fois demonté, en se rendant, il dit à celui qui le faisoit prisonnier: de quelle nation etes-vous gens si valeureux? Jean de l'Epine lui repondit: nous sommes tous Flamans, excepté moi seul, qui suis Artizien. Il comprennoit les Brabansons sous le nom de Flamand. Le fils de Briauté voulut vanger la mort de son pere au camp devant Breda; mais il fut plus malheureux que lui: puisque le vieux Briauté avoit eu la satisfaction de voir le vieux Lieutenant de Grobendonck tomber, à ses piez à la premiere decharge, au lieu que le jeune Briauté, fut tué du nouveau Lieutenant de Grobendonck qu'il avoit provoqué en duel.

Puisque nous sommes sur le chapitre des duels, nous ne pouvons en omettre deux sans defrauder l'histoire de l'Archiduc. Je vous ai marqué l'invincible courage de Gouvernet au siege d'Ostende. Voici le sujet pourquoi, il quita la France. La Diguiere etoit Gouverneur du Daufiné, & Alphonse Corse etoit commis au meme Gouvernement par patente de Henri IV Roi de France. Poret etoit Lieutenant de Ladiguiere, & Gouvernet l'etoit d'Alphonse de Corse. Ils se querelerent sur la bravoure de leurs maitres, & leur different alla si avant qu'il fallut en decider par un duel. Ces desesperez se trouverent au champ designé, à cheval, en chemise, tete nue, l'epée à la main. Poret courut de toute sa force sur Gouvernet, mais Gouvernet eut au meme tems l'adresse de faire faire la courbete à son cheval. Ce qui fut cause que Poret au lieu de percer son ennemi, enfonça son epée dans la tete & aux flancs du cheval jusqu'aux gardes. Tandis qu'il fait ses efforts pour la degager, Gouvernet fait son coup, il lui fourre deux fois son epée au travers du corps, & il l'étend roide mort sur la place. Le Samedi suivant Alphonse Corse parut sur le marché aux chevaux de Paris avec son Lieutenant Gouvernet aussi fier que s'il eut fait une belle action. Mais comme l'action etoit criante, il fut saisi & conduit à la Conciergerie, où Corse l'alla consoler, & lui donna bonne esperance de pardon. Il l'obtint en effet, nonobstant que Madame Poret Veuve du defunt se fut jettée aux piez du Roi Henri IV, qui lui donna de belles paroles, & qui fit dire secretement à Gouvernet qu'il n'avoit qu'à aller servir hors du Roiaume: ce qu'il fit en s'enrollant sous les Etandarts des Hollandois qui defendoient Ostende.

L'autre duel est plus agreable: parcequ'il ne s'i repand point de sang. Il regarde directement l'histoire de l'Archiduc Albert, puisqu'il s'est fait durant son Gouvernement de la Belgique, quoiqu'il fut en voiage quand l'action arriva, & qu'elle se soit faite durant que l'Archiduc Ernest etoit son Lieutenant en la Belgique. Le champ-de-bataille est Anvers. Ernest n'etoit qu'au deuxieme mois de son administration par interim, lorsqu'un Gentilhomme Ecossois nommé le Comte Batuel vint à Anvers. Les
ramparts de cette Ville qui sont les plus rians qu'il i ait peutetre en Europe, l'inviterent a la promenade. Il i rencontra deux amans qui etoient tous deux basannez. Le galant de son teint naturel, la belle du masque dont elle se servoit ou pour conserver sa beauté, ou pour sauver son honneur. Batuel qui venoit de Paris, où ce n'est pas la coutume qu'on salue les masques, passa outre sans oter le chapeau. L'Amant n'etoit pas si attaché à ses amours, qu'il ne fit reflexion au point-d'honneur. Il blama Batuel de lui manquer de respect, & comme l'Ecossois ne le paioit point assez, il lui dechargea un vilain souflet sur la joue. Batuel, sentit d'abord sa main sur la garde de son epée, mais se sentant etranger contre une infinité d'Anversois qui n'auroient pas manqué de defendre ou leur Citoien ou leur Negotiant, il cala voile, & prennant un froid qui n'est point ordinaire aux Ecossois, il dit modestement à l'affronteur; je vous remercie Monsieur. Et puis il se retira pour la lui garder belle. Batuel passa aisément d'une moderation subite à une moderation meditée. Au lieu de se faire justice luimeme, il alla remontrer au Cardinal Ernest l'affront sanglant qu'il avoit reçu sur les ramparts d'Anvers, & ce bon Prince qui n'apprehendoit non plus qu'on ne les apprehendoit en France, ces combats singuliers, lui permit de se faire justice à soi-meme.

L'Amant soufleteur parut sur le champ, mais si bien accompagné, que Batuel n'en put tirer raison. C'est pourquoi il presenta une seconde requete à Son Altesse-Eminence; qui selon ses desirs, lui donna des juges & des gardes pour son assurance au lieu du combat. Les champions parurent, & ils mirent aussitot le pourpoint bas. Batuel voiant que son epée s'acrochoit à sa chemise, la mit bas, & parut en Atlete. Il fit ensuite un cercle avec la pointe de son epée, & il dit aux assistans; Messieurs, si je sors de ce cercle, je vous prie de me tuer. Cette resolution de l'Ecossois fit changer de couleur à l'Amant qui fit bientot voir qu'il i a bien de la difference entre Mars & Venus. Ce glacé ficha la pointe de son epée en terre, il avoua sa faute, & il lui en demanda pardon. Batuel fut si bon que de le lui donner. Mais il voulut en prendre acte qui fut formé sur le champ. Le lache en fut quitte pour recevoir un soufflet sur la joue, & deux coups de plat-d'epée sur les epaules.

Quittons ce duel quoiqu'insanglant, & venons au bel endroit de l'histoire de l'Archiduc qui sont les douze ans de Treve qu'il eut avec les Hollandois.

Dez que la guerre fit respirer l'Archiduc, il tourna tous ses soins vers la pieté, qui a fait son caractere distinctif. La Mere de Dieu lui avoit tenu tendrement au cOEur, depuis son enfance; il avoit donné des marques de ses respects selon les diverses rencontres. Il n'avoit voulu recevoir l'epée qu'à l'Autel de Notre-Dame de Halle. Il avoit fait mettre l'Image de cette divine Princesse sur toutes ses banieres, avec cette inscription Latine; Sainte Mere de Dieu nous avons recours à votre assistance; mais il en donna une marque eclatante à Notre Dame de Montaigu, où la Toutepuissance de Dieu s'est manifestée par une infinité de miracles que Just Lipse & Erice Putean ont merveilleusement bien descrits.

Montaigu est à une lieue de Diest en Brabant. Marias Hovius Archeveque de Malines, i avoit consacré une Chapelle dez l'an 1604. L'Archiduc i fit construire une Eglise tresriche & tresmagnifique, qui lui couta plus de trois mille pistoles; & il lui fit des Presens augustes; ce lieu, qui n'etoit auparavant qu'un desert, & qui est presentement une petite ville, que la pieté des Pelerins fait vivre; il y a un Oratoire de S.Philippe de Neri. Aprez avoir satisfait sa pieté au dehors, il y satisfit au dedans.

Il fit venir d'Espagne Anne de Jesus la Compagne de S.Terese, & le Pere Tomas de Jesus pour etablir le Carmel Reformé dans ses Etats, & avant tout, à Brusselle. Il batit roiallement les Carmelites tout tenant son propre Palais dans un lieu qui aboutit à la Porte de Namur; & c'est de cette ruche que sont sortis tant d'essains, qui ont porté le miel du Carmel Reformé par tous les Roiaumes.

Aprez avoir convoqué dans ses etats des Saintetez vivantes, il i fit venir des Saintetez mortes, je veux dire des Reliques des Saints. Il essaioit de copier son cher modele Filipe II, & comme il savoit que ce Prince pieux avoit fait venir de la Belgique, & de France le Corps de S.Eugene, & qu'il s'etoit censé honoré de soumettre ses epaules Roiales à son transport dans Tolede, il fit venir de Reims en Champagne, le Corps de S.Albert Eveque de Liege, son aimable Tutelaire, & son cher Cousin: car S.Albert etoit fils de Godefroi III Duc de Brabant & de Loraine & de Marguerite de Limbourg. Ce saint Prelat avoit sacrifié sa vie pour la liberté Ecclesiastique à Reims, en 1192; comme S.Tomas Bequez l'avoit fait à Cantorberi. Melchior Demarouai Eveque de Brioce, par l'ordre de Louis de Loraine Archeveque de Reims, avoit relevé ce Corps Saint, avec beaucoup de pompe le 2 Novembre 1612. L'Archiduc se fit un honeur de le transporter luimeme au Couvent de ses Carmelites de Brusselle, accompagné de Hovius Archeveque de Malines, de Gui Bentivoglio alors Internonce, & puis Cardinal; de Jean Richardot Archeveque de Cambrai, d'Alfonse Requesens Eveque de Rosoneri en Dalmacie, & de plusieurs Prelats.

Mais comme S.Albert etoit mort, avant que l'Eglise instituat la solennité des Canonizacions, & lors qu'elle se contentoit de la voix des peuples, pour donner le droit de la Jerusalem celeste aux saintes ames, l'Archiduc procura que S.Albert reçut des honeurs du Saint Siege meme. Voici comme le Pape Paul V s'explique pour la memoire perpetuelle de la chose.

Faisant sur la terre quoique sans merite, l'office du Roi eternel, qui couronne au Ciel du diademe immarcescible de la gloire eternelle, ses serviteurs, dont la constance a eté à l'epreuve des tentacions, nous sommes obligez, selon notre charge, de procurer que l'honeur & que la veneracion dûs à ces fidelles serviteurs, s'augmente tous les jours de plus en plus sur la terre; dans cette vue nous secondons volontiers les vOEux des fidelles, & sur tout des Princes Catoliques qui regardent le culte particulier de ces Saints, autant que nous le jugeons expedient en notre Seigneur. On nous a depuis peu representé au nom de notre trescher Fils, noble homme Albert Archiduc d'Austriche & Prince de la Belgique, que pour la devocion particuliere qu'il porte à S.Albert Martir, Eveque de Liege & Cardinal, il a fait transporter pompeusement & canoniquement son corps, qui a reposé quatre cent ans dans l'Eglise de Reims, au Monastere des Religieuses Carmelites qu'il a bati & fondé à Brusselle; & que pour augmenter la devocion des peuples envers ce Saint, il souhaite ardamment qu'on puisse en faire l'Office, & la Messe à Brusselle, & à Reims. Il nous a fait humblement supplier de vouloir lui accorder sa demande; nous, qui louons grandement le louable desir de ce Prince & qui voulons lui faire des graces extraordinaires, aprés l'avoir absous de toute excommunication & censure qu'il pouroit avoir encourues, de l'avis de la Congregacion des Rites, nous permettons que desormais l'on face le 20 Novembre, l'Office & la Messe de S.Albert à Brusselle & à Reims; & au jour de la Translacion, uniquement à l'égard des Carmelites de Brusselle. A Rome à S.Marie Majeure sous l'anneau du Pescheur 9 Aout 1613, l'année neuvieme de notre Pontificat.

Les Carmelites sont à l'Orée du Bois de Soigne quoique le tems semble en avoir fait une separation. Aiant consideré les monumens de la pieté de l'Archiduc à l'entrée de cette Foret, considerons-là au milieu. J'i trouve la Maison Roiale de Tervure. Elle est à mi-chemin de Brusselle à Louvain. C'est l'ancienne retraite des Ducs de Brabant quand ils respiroient de la chasse. Il conste que c'etoit le Patrimoine de S.Hubert Apotre d'Ardenne, que c'etoit son lieu de plaisir avant qu'il se mit dans les ordres sacrez & qu'il est mort le 3 Novembre l'an 746, au lieu où est presentement l'Autel de la Chapelle Roiale qui lui est dedié. Deplus il conste que Henri I, Jean II, Antoine I, Jean IV, Filipe I, & plusieurs autres Ducs de Brabant i ont vecu, & que quelquesuns i sont morts. Cette maison etoit bien dechue, par l'injure des tems; mais l'Archiduc Albert l'a retablie de fond-en-comble, il l'a ornée d'excellentes peintures, il eut soin sur tout d'i batir une riche Chapelle, & de la faire benir en sa presence par l'Archeveque Hovius.

Antoine, Jean, & Filipe, Ducs de Brabant i sont enterrez. Antoine, est ce brave qui fut acablé de corps morts à la bataille d'Azincour en 1415. Jean IV son fils, est le Fondateur de l'Université de Louvain, en 1425. Filipe I, pareillement son fils, mourut au Chateau de Cesar à Louvain en 1430. Le tombeau de ce grand Prince i etoit sans honeur. Albert l'a relevé, il la decoré, & il l'a enrichi d'une eloquente Epitafe.

Baudri Comte de Bracbat vieux titre des Ducs de Brabant, a bati S.Gudule de Brusselle en 1054, & à l'instance de son epouse Ode, il a fondé les Chanoines de cette Eglise. Albert, pour honorer la memoire d'un de ses Ancetres, qui avoit fondé une Eglise qu'il choisissoit pour la Maison de son eternité, lui fit faire un illustre Mausolée. Au ChOEur de la meme Eglise, il a fait eriger une Tombe de marbre à la memoire de Jean II Duc de Brabant. Son zele s'est etendu jusqu'à Luxembourg; c'est là qu'il a fait construire, un Mausolée auguste à Jean l'aveugle Roi de Boheme, de l'Imperiale & de la Roiale Maison de Luxembourg, dans l'Abbaie des Benedictins de Munster qui est dans l'enceinte de Luxembourg. C'est de cette Maison que vient Pierre de Luxembourg Eveque de Cambrai, & puis Cardinal, beatifié par Clement VII de la Maison de Medicis. Ce bienheureux Pierre de Luxembourg repose aux Celestins d'Avignon, dont il est le Tutelaire.

Raprochons de Brusselle. Binche est une petite, mais agreable ville du Hainau, à trois heures de Mons, qui en est la Capitale. Le Chapitre de Binche possede 8 Corps Saints, qui i furent miraculeusement transportez de l'Abbaie de Lobbe l'an 1409. Ursmer, Ermin, Teodulfe, Ulgise, & Amoluin ont eté Eveques & Abbez de Lobbe depuis prez de 200 ans. Abel fut Eveque de Reims & Hildulfe fut Prince de Lobbe en 698.

Amelberge, qui est une sainte & le huitieme de ces Saints Corps, est la Mere de S.Gudule. Leur celebrité se fait au commencement de Juillet. L'Archiduc fit transporter leurs Os Sacrez dans des fiertes dignes de sa magnificence, avec beaucoup de Majesté; & il ne manquoit pas de quiter tous les ans son delicieux sejour de Marimont, pour se trouver à la Procession de ces Saints.

Avançons du coté de Namur, & nous i aurons un precieux monument de la pieté de l'Archiduc. La Foret de Marlagne est à Namur ce que la Foret de Soigne est à Brusselle. Elle regne entre la Sambre & la Meuse. Le 31 de Juillet de l'an 1619, l'Archiduc Albert, i batit le miraculeux Hermitage des Carmes Dechaussez, qui nous donne une idée de l'ancienne Tebaïde, & de la regle des Carmes Religieux de S.Elie. S.Terese etant en contemplacion au Monastere d'Avila, la veille de la Pentecote, dans l'Hermitage de Nazaret en l'an 1579, eut ordre de Notre-Seigneur, de commander aux Carmes Dechaussez, d'avoir peu de Religieux, dans chaque Couvent, d'avoir peu de communication avec les Seculiers, & d'enseigner plus par leurs actions que par leurs paroles. La Sainte ajoute que l'etat de l'Ordre depend de l'observance de ces points. Ils les ont à cOEur, comme nous le voions tous les jours: car ils paroissent peu en public; ils ne se melent pas de precher beaucoup, & ils conversent peu avec le monde. L'Archiduc, pour se conformer à l'esprit de S.Terese, a fondé l'hermitage de Marlagne qui peut passer pour un des miracles de la Belgique. Je l'ai visité, je l'ai admiré & sur tout un Christ mourant, qui est au chOEur caché; le Roi de France Louis XIV i prit son quartier pendant le siege de Namur de l'an 1692. Albert a mis la premiere pierre de l'Eglise de cet Hermitage.

A l'occasion du Carmel qu'Albert fonda en la Belgique, je ne puis m'empecher de vous donner une idée de celui dont il se servit pour cette OEuvre pie, d'autant plus que notre bon Prince eut la consolation de rendre le dernier soupir entre les bras de ce Carme prodigieux s'il en fut jamais. C'est Dominique surnommé de Jesus-Marie. Ce saint Aragonois nasquit à Calatrave, qui est la Bilbilis de Martial le Prince des Epigrammatistes. Il prit naissance le 26 Mai 1559; il fut le quatrieme des onze enfans de Michel Ruzzola, ou Orzola & de Jeronime Lopez surnommée la Belle. Jeronime durant sa grossesse, vid souvent les Anges & elle entendit leurs concerts. Elle ne ressentit aucune douleur en le mettant au monde. Dominique apporta toutes ses dents au monde, & il n'en perdit que deux etant fort agé. Il fut honoré de la familiarité de son Ange Gardien dez sa tendre jeunesse, & d'un grand don de miracles. Il eut revelation que sa Mere etoit sauvée. Son Oncle l'aiant retiré dans les Carmes Chaussez, il en prit la vocation à l'age de douze ans, & puis il passa aux Carmes Deschaussez à Pastrane. Il etudie à Alcala, & il contribue à la vocation du B. François de l'Enfant Jesus. Il se presente pour servir les Pestiferez à Barcellone. Le Sauveur, la Vierge, S.Bartelemi, S.Bernard & les Anges lui apparoissent. La sainte Vierge lui revele la conjuration de deux heretiques determinez à assassiner le Roi. Il va à Tarragone & il convertit ces deux desesperez. S.Terese le guerit de la peste, & elle lui predit qu'il avancera sa canonisation. Par sa priere il obtint une glorieuse posterité à la Reine d'Espagne, & il delivre du Purgatoire le Roi Philippe II. A Rome il est communié de S.André l'Apotre, il i fait revivre des poissons morts, son Ange Gardien vient le communier durant sa maladie, une colombe repose sur sa tete pendant la Messe, les Anges lui decouvrent une conjuration contre la Reine de France. Etant elu General, il fait de grans miracles à Viterbe, à Florence, où il prevoit tout ce qui arrivera à la maison de Medicis à Gene, a Milan, où il guerit le Duc Sforça, à la Mirande où il guerit la Princesse, à Bologne, & à Faience. Etant de retour à Rome il i guerit de la pierre le Duc de Tursi. La reduction de Prague & le retablissement de Ferdinand II sur le trone de Boheme doit beaucoup à l'Archiduc: parcequ'il i envoia ses Spinola, ses Tilli, ses Buquoi, & une infinité d'autres braves qui firent des merveilles dans cette grande occasion. Mais l'Empereur n'en eut pas moins d'obligation au Pere Dominique.

Le Duc Maximilien Aieul du Serenissime Electeur de Baviere d'aujourd'hui, avoit dejà invité plusieurs fois en Baviere le Pere Dominique. Enfin au mois de Novembre de l'an 1615, par un Courier exprez, il le remercie de ce que par ses prieres, il lui a sauvé la vue, & il le conjure de le venir voir. Il redoubla ses instances & neanmoins il ne l'obtint que l'année 1620. Le Pape lui confera le pouvoir, les indulgences & les benedictions de S.Charle à toutes les medailles qu'il distribueroit de sa main, tant en chemin que dans l'Armée Impériale, d'absoudre de l'heresie, & de donner la benediction Apostolique à tous les Catoliques qui perdroient la vie dans l'Armée Imperiale. Dominique partit de Rome le 17 Juin 1620. A Inspruck il trouva Laurens Petrancoli Envoié du Duc de Baviere, qui le reçut de sa part avec toutes sortes de respect, pour le conduire en Baviere. Il alla trouver le Duc à Scharding le 20 Juillet jour de S.Elie Fondateur des Carmes, où ils confererent sur les affaires de la guerre. Ils allerent à Riet donner l'adieu à la Duchesse Elisabet de Loraine, à qui Dominique revela qu'elle reverroit son epoux en santé & victorieux. Ensuite le Duc & le Pere se rendirent le 18 Juillet, à l'armée qui etoit campée à Greskhirch ; le Pere i benit l'etandart general qui portoit sur son endroit les noms de Jesus & de Marie, & sur l'envers l'Image de la S.Vierge sous cette exergue. Terrible comme une armée rangée en ordonnance de bataille. Les noms sacrez ecrits sur l'etandart, avoient cette inscription: Donnez-moi de la force contre vos ennemis. Le Duc Maximilien reçut cet etandart des mains du Pere Dominique & il le fit toujours porter devant soi par un de ses pages qui lui servoit de guidon. Dieu avoit donné au Pere Dominique plusieurs descriptions de la victoire de Prague lontems avant qu'elle arrivat. Il en avoit eu revelation etant à Rome & il s'en etoit expliqué à plusieurs personnes ; il venoit d'en etre eclairci à la benediction de l'etandart general ; mais la connoissance la plus distincte qu'il en eut, fut le jour de l'Assomption de la S.Vierge, dans une extase qu'il eut aprez avoir celebré cette fete avec une ferveur extraordinaire. Et dez lors il ne cessa pas de presser le Duc de Baviere, d'aller trouver l'ennemi, quoique le Comte de Buquoi, le Comte de Dampierre & la pluspart des Capitaines Catoliques fussent d'un avis contraire. Sa Majesté Imperiale avoit ecrit au Pere Dominique pour l'inviter de venir à Vienne. Le Pere sachant que le Comte de Dampierre y etoit deputé pour informer l'Empereur de l'etat des affaires, le pria de lui dire, qu'on etoit occupé aux affaires de Dieu & de l'Empereur, & à faire deposer le faux & le sacrilege (ce sont ses mots) Roi de Boheme, & qu'aprez la victoire, il iroit rendre ses respects à Sa Majesté.

L'Armée confederée s'arreta quinze jours à Lints; pendant ce delai le Pere Dominique distribua une infinité de Scapulaires de la façon & de la liberalité de la Duchesse de Baviere. Le Duc Maximilien fut le premier qui le reçut. Toute son armée le prit à son imitation. L'armée se mit ensuite en marche, & elle avança jusques à Oberdorp sur les frontieres de la Boheme. La veille de la Nativité de Notre Dame, le feu s'etant pris au camp, il conjura l'embrasement le Crucifix à la main, & le feu, nonobstant le vent impetueux qui le portoit, s'arreta tout court comme s'il eut rencontré un torrent.

Deux jours aprez savoir le 9 Septembre, il atteignit l'Armée particuliere de l'Empereur qui etoit commandée par le Comte de Buquoi. La pieté de Ferdinand second avoit eu soin de lui donner un etandart singulier d'etoffe tres-riche & tres-bien travaillé. L'endroit representoit un Crucifix avec cette exergue: Levez-vous Seigneur, & jugez vous- meme votre cause. L'envers representoit l'image de la sainte Vierge avec cette ame: montrez que vous etes notre Mere. Les deux armées etant unies sous de si glorieux auspices, le Pere Dominique fit une predication toute de feu pour l'animer à aller trouver l'ennemi au travers d'une infinité d'obstacles qu'il falloit surmonter. Le General de l'artillerie desesperant de prendre la ville de Piska qu'il falloit necessairement reduire pour faciliter la victoire de Prague, le Pere Dominique l'assura qu'il en seroit le maitre avant le midi, & contre toute esperance humaine la verité confirma la prediction. Ce fut à Piska que le Pere predit au Comte de Marcossan abandonné des Medecins, qu'il n'en mourroit pas, mais que s'il ne changeoit de vie il ne la feroit pas longue par un autre accident. Marcossan recouvra la santé, mais six mois aprez il fut tué en duel. Ce fut au meme tems que de son seul crucifix il rendit la santé à Dominique Pozzo Cavalier, d'Asti en Piemont. L'armée Catolique s'etant emparée du Chateau de Piltsen, le Pere Dominique le 10 Octobre le visita, & il i trouva une image de la Nativité du Fils de Dieu prophanée. Les heretiques avoient arraché les yeux à la Vierge, à S.Joseph & aux Bergers avec la pointe de leur poignard, comme le Pere l'apprit par revelation. Il pria Dieu de vanger l'affront que l'on avoit fait à sa Mere & à son Pere Nourissier, & au meme tems il eut une confirmation de la victoire de Prague, sous les auspices de cette image qu'il porta comme un bouclier terrible à l'ennemi. C'est cette image que les peintres & les graveurs lui ont fait pendre au cou dans les portraits qu'ils en ont faits. Le septieme Novembre veille de la bataille il eut une description de la victoire de Prague beaucoup plus specifique qu'il n'avoit eue jusques lors. Il vid au ciel une espece de chemin de lait par où decendoit une infinité d'Anges armez qui alloient se mettre à la tete de l'armée Catolique. Ensuite de cette vision il alla trouver le Duc de Baviere & il lui donna la derniere assurance de la bataille & de la victoire. Le huitieme Novembre 1620 le Duc donna commencement à la bataille par envoier le General Tilli pour reconnoitre les ennemis. Dez qu'ils le virent ils se retirerent; alors le Duc de Baviere commanda à l'armée de s'avancer jusqu'à la plaine & de presenter la bataille.

Le Comte de la Tour & le Prince d'Anhalt Generaux de l'armée Rebelle i attendoient les Catoliques de pié ferme. L'armée Catolique mouroit de faim jusques-là que le General Tilli arracha une pomme des mains du Pere Dominique en lui disant qu'il mouroit de faim, & neanmoins il falloit aller affronter une armée tres-puissante, retrenchée jusqu'aux dens sur une montagne escarpée, & qui n'etoit un peu insultable que par un petit pont. Tout celà decontenança l'armée Catolique, jusques-là que le conseil de guerre alloit conclure à la retraite. Dez que le Pere Dominique le sentit, il s'arma du zele de son Fondateur Elie, aiant le crucifix lié au haut de son baton, & l'image de Piltsen pendue au cou, il porta ces paroles de feu aux Generaux qui composoient ce conseil de guerre: enfans de l'Eglise, est-ce ici le tems de tant soit peu balancer ? Ne vangerez-vous pas l'affront que les prophanateurs ont fait aux yeux de la Mere de Dieu dans ce portrait que je porte ? Combatez seulement, & vous vaincrez. Dieu a mis ses ennemis entre vos mains.

Il prononça ces paroles avec tant de feu que tout le conseil se changea en un moment, & que tout le monde conclut à la bataille. Le Duc de Baviere vint baiser le crucifix & l'image du Pere, & il fut suivi de tous ses Lieutenans Generaux. Sainte Marie fut le mot du guet de la bataille, qui commença par la decharge de douze pieces de canon surnommées les douze Apotres.

Tandis que le Pere Dominique fait la fonction de Moïse, les armées s'ebranlent & les superbes Amalecites crient victoire au sujet d'un petit avantage des Hongrois dont Betlem Gabon avoit grossi l'armée rebelle. Le Duc de Baviere en vint donner avis au Pere qui lui releva le courage & qui le suivit à cheval par tous les escadrons de l'armée Catolique en criant: Seigneur, où sont vos anciennes misericordes ? levez-vous Seigneur, jugez votre propre cause & celle de votre sainte Mere. Les soldats Catoliques reprennent du cOEur à cette vue, & à ces paroles. Tilli avec son Lieutenant de Gratz, attaque & defait cinq escadrons rebelles, & il met le reste en fuite. Les Hongrois qui venoient de chanter victoire, suivent les fuiards à leur tour. Le Prince d'Anhalt est blessé, & il est fait prisonnier par Guillaume de Verdugo. Charle Spinelli se rend maitre d'une redoute, & de deux pieces de canon qui etant pointées contre les rebelles, i firent d'horribles eclaircissemens. Aiant assuré ce poste, il pousse plus avant, il va degager Preiner que le Prince d'Anhalt avoit dejà fait prisonnier, & il va reprendre trois drapeaux que les Rebelles avoient enlevez. Le combat dura trois heures. Dans la premiere demie heure l'on combatit avec assez d'egalité; dans la seconde, les Catholiques eurent du desavantage, & la victoire fut fort en balance. Mais enfin le change tourna du coté du bon parti; aprez Dieu & sa sainte Mere, on attribua cette victoire aux prieres & au zele du Pere Dominique. L'Empereur lui en temoigna sa reconnoissance en lui donnant tous les drapeaux qui furent pris sur l'ennemi ; le Duc de Baviere envoia la bataille representée en quatre tableaux au Couvent des Carmes à Rome. Le Pape fit celebrer cette journée sous le nom du triomphe de Notre-Dame de la Victoire. On vid rejallir du Pere Dominique quantité de raions tandis qu'etant à cheval il exhortoit les Catoliques à bien combattre. Avant la bataille les Rebelles qui etoient à Prague, disoient que le Pape avoit envoié un Magicien nommé Dominique, & aprez, ils publierent que leur deroute etoit un effet des artifices de cet enchanteur. Ce fut sur cette persuasion que Chretien l'ancien Prince d'Anhalt vint dire au Prince Palatin au Chateau de Prague: fuions, Sire, notre armée est defaite, le Magicien nous a enchantez. Il resta 7000 Rebelles sur le champ-de-bataille, & 2000 furent faits prisonniers. De ce nombre etoit le Duc Chretien de Saxe-Weimar, le jeune Prince d'Anhalt, & le Rhingrave Schlick. L'on prit dix gros canons & plusieurs autres de moindre calibre.

Le Prince Palatin travesti, s'enfuit en Silesie avec toute sa famille, par le conseil du Prince d'Anhalt. Il fut contraint de passer bien vite sur un pont où lui & sa femme avoient juré de n'i passer point, tandis qu'il subsisteroit un grand crucifix qu'ils nommoient par derision le baigneur, acause de sa nudité. L'armée vouloit conduire le Duc de Baviere en triomphe dans Prague, mais ce Prince modeste refusa cet honneur, & il alla avec la suite ordinaire faire chanter le Te Deum aux Capucins, aprez quoi le Pere Dominique fit un beau sermon où il prit fort à propos pour texte. Rendez à Cesar ce qui est à Cesar. C'etoit justement l'Evangile de ce Dimanche, l'on chanta un peu aprez un Te Deum solennel au Chateau. Jean Sohel Archeveque de Prague rentra dans sa Catedrale avec le Clergé. L'on batit une Chapelle au lieu du champ-de-bataille, & l'on institua une procession generale & annuelle pour renouveller cette victoire. Le Duc de Baviere aiant mis le Prince de Liectenstein pour Gouverneur general de la Boheme, & i aiant laissé Tilli pour General, retourna en ses Etats avec le Pere Dominique, qui avoit perdu un OEil à la bataille de Prague. Ce Prince enrichit l'image miraculeuse du Pere Dominique, qui rendit miraculeusement la santé à son Confesseur.

Le Pape lui ordonna d'aller à Vienne. L'Empereur Ferdinand II lui fit des honneurs extraordinaires, il confera lontems avec lui, il honora l'image miraculeuse, il prit le Scapulaire & il fonda des Couvents de Carmes. Il rendit la visite à l'Archiduc Leopold l'OEil de la Belgique, & il apaisa les differens qui regnoient dans la Cour de Lorraine. Il passa par la Belgique où un Abbé de Benedictins qui croioit de l'ensevelir, mourut lui-meme. Il assiste à la mort de l'Archiduc Albert. Il contribue à la fondation roiale des Carmelites de Brusselle. Il donne à l'Infante Isabelle la Croix de son crucifix miraculeux. Le Marquis Spinola admire ses lumieres divines. Il va voir à Anvers la venerable Mere Anne de S.Bartelemi. En allant en France, il fait plusieurs merveilles à Douai. Il guerit la Duchesse de Nemours à Charenton. Etant de retour à Rome, il arrete le debordement du Tibre. Il obtient la canonization de S.Terese & de S.Isidore, de S.Ignace, de S.Xavier, & de S.Philippe. Il obtient la santé au Pape & à son Neveu aux depens de la sienne. Il procure que son image miraculeuse de Prague soit portée en triomphe. Il compose un livre par l'ordre du Pape. Il travaille pour faire remettre l'Electorat dans la maison de Baviere. A Genes il rend la parole à une muette de sept ans. Il a cinq suffrages pour le Pontificat, à la creation du Pape Urbain Vll. Il aprend par revelation la guerre & la paix entre l'Espagne & la France. Il obtient par ses prieres un fils au frere du Cardinal Rivarola. Enfin il meurt saintement à Vienne en la presence de l'Empereur Ferdinand second, le 16 Fevrier 1630, un Samedi, deux heures avant minuit, agé de 71 ans, Il se fit voir à plusieurs persones aprez sa mort, & il les assura de la gloire qu'il possedoit. L'Empereur se fit un honneur de prendre le baton, dont Dominique s'etoit servi dans ses voiages. Tous les Princes, & toutes les Princesses Catoliques demanderent avec empressement de ses reliques.

Tandis que ce saint Corps etoit pompeusement exposé dans la Chapelle Imperiale, Charle de Longueval, fils du Comte de Buquoi de ce Heros de la bataille de Prague, fendit la presse pour s'en aprocher. Le defunt separa l'une de ses mains qui etoient jointes sur sa poitrine, il l'eleva visiblement bien haut, à la vue de tout le monde, & il la donna à baiser à ce jeune Comte. Buquoi l'aiant baisée respectueusement, le mort la retira, & la rejoignit comme elle avoit eté auparavant. Charle de S.Joseph Provincial des Carmes en la Belgique, a apris ce miracle de la propre bouche du Comte de Buquoi à Mons Capitale du Hainaut où ce Seigneur etoit Gouverneur.

Ce fut ainsi que Dominique accomplit miraculeusement la promesse qu'il avoit faite à ce jeune Seigneur: car en partant il lui avoit predit qu'il le retrouveroit encore en vie. Le corps fut conduit comme en triomphe aux Carmes Deschaussez où la Cour Imperiale se rendit. Le Cardinal Klesel Eveque de Vienne disoit que la pompe funebre de Dominique avoit egalé celle de l'Empereur Matias qu'on sçait avoir eté l'une des plus magnifiques. Un Jesuite fit l'oraison funebre. Dominique avoit predit au Prince d'Eggenbergh que son corps reposeroit en Alemagne. Il i repose en effet aux Carmes de Vienne, au coté droit de la Chapelle de Notre-Dame. L'Empereur le fit mettre dans une caisse, & il voulut que le Prieur du Couvent en eut la clef. Il est encore aujourd'hui en son entier. Je vous conseille de lire toute l'histoire si universellement reçue de ce cher Directeur de mon Archiduc, composée par le General des Carmes, & de ne point oublier de vous arreter sur l'histoire tragique d'un Gentilhomme Espagnol qui fit triompher l'enfer, & qui s'attira une fin malheureuse en retenant une peinture infame dans son cabinet.

Revenons a notre Archiduc.

Rien ne se faisoit dans l'Eglise de considerable pour la gloire de Dieu, où l'Archiduc n'eut part. En 1612 Antoine Albergatti, alors Nonce à Cologne, & depuis Cardinal, Itele Frederic, Comte de Solre, & François Lavallin noble Hibernois, fonderent à Cologne une Societé nommée de la Sainte Croix, qui a pour fin le soulagement des nouveaux Convertis. Le Pape Paul V l'aprouva en 1613. Cette Confraternité choisit tous les ans un Chef. L'Archiduc fut prié d'accepter cette intendance. Bien loin de la refuser, il remercia trescivilement ceux de Cologne, de lui avoir fait l'honeur de le choisir. Il envoia une grosse somme pour le dessein de la Confraternité, & il en procura de grandes du Roi.

Puisque l'amour qu'on a pour son prochain a le meme motif que celui qu'on a pour Dieu, je raporte à la pieté de l'Archiduc ce qu'il a fait pour les pauvres & pour ses parens. Sauve Julien Jurisconsulte de Milan, par le commandement d'Elie Adrien, forma un Edit perpetuel des Edits annuels des Preteurs. Cet Edit fut le Modele des Pandectes du droit. L'Empereur Justinien commanda à Trebonien & à ses Collegues de reduire en un corps tout le droit Romain recueilli des Livres des Sages.

Albert qui n'avoit jamais que de grans originaux devant les yeux, en 1611 fit publier un nouvel Edit perpetuel formé de la main de ses Jurisconsultes. Par cet Edit il vuida les anciens differens, & il etablit un droit nouveau. Et par une admirable prudence il ordona que les Privileges & les Coutumes qui dans la Belgique sont presque aussi frequens que les villes pour ne pas dire les villages, fussent rapportez au grand Conseil pour en etre examinez & pour recevoir son aprobacion. Et pour faire voir qu'il vouloit autant soulager le public de la bourse que de la bouche, non-seulement il regla de grosses sommes pour etre distribuées chaque jour par son Aumonier, mais de plus il donna quantité d'argent à des particuliers qui avoient connoissance des pauvres honteux, pour soulager la misere inconnue & pour etre luimeme inconnu à la vanité. Il n'i a pas de Maison de charité qui ne se ressentit de ses liberalitez roiales.

Dez qu'il prit possession de la Belgique, il remit les Lombards dans le devoir, & il acheva d'extirper l'usure par l'etablissement des Mons de Pieté. Venceslas Couberghen en fit le Plan, les Archeveques de Malines & de Cambrai, les Eveques & les plus Savans aprouverent & louerent son dessein qui fut executé en 1619. Les Curieux pourront en aprendre davantage du savant ouvrage de Leonard Lessius Jesuite au chapitre 20 du 2 livre du droit & de la justice que cet incomparable a mis en lumiere. L'Archiduc avoit coutume d'avoir ce livre sur sa table & de dire que ce livre & son epée etoient les defenseurs de la justice.

On ne doit pas douter qu'un Prince si zelé pour le bien public, n'ait des egards pour ses parens. Le 20 Mars 1619 l'Empereur Matias mourut à Vienne sans laisser d'enfant. Il fit heritier de l'Autriche, & des Provinces qui lui sont annexées son frere notre Archiduc Albert. Il en prit possession par l'Archiduc Leopold Guillaume. Etant encore plein de vie & de santé, il transporta cette heredité Imperiale à son Cousin germain l'Empereur Ferdinand II, qui de son Patrimoine n'avoit que la Stirie, la Carintie & la Carniole. Ce fut ainsi qu'il ne se contenta point de ceder l'Empire à Ferdinand, mais qu'il lui procura les moiens de soutenir dignement cette majesté. J'ai dis un grand mot quand j'ai dis qu'Albert ceda l'Empire à Ferdinand, mais je dois dire davantage, savoir qu'il eut l'honneur de meriter deux fois cette premiere dignité du monde, & de la refuser autant de fois. Cette modestie est si rare que le Ciel voulut en envoier des pronostics & des aprobateurs. Au moment que l'Empereur Rodolfe mourut, un Aigle Imperial vint se jetter au Jardin du Prevot de S.Servais à Mastric. Le Prevot le porta à l'Archiduc qui pour la rareté le fit nourir dans sa menagerie. Il ne fit pas le meme accueil au modele qu'à la copie, car les Electeurs lui etant venus presenter la Couronne Imperiale, il la refusa constamment, & il se fit une joie singuliere de la transferer sur la tete de son frere Matias.

L'Empereur Matias etant mort huit ans aprez, les Electeurs vinrent de nouveau soliciter sa modestie, mais ils la trouverent aussi inflexible la seconde que la premiere fois, & Jean Suichard Archeveque de Maience qui lui vint presenter cette Couronne au nom du College Electoral, retourna plein d'etonnement de voir qu'un Prince tresdigne refusat deux fois ce que tant d'autres brulent d'avoir une fois & souvent pour fort peu de tems.

Je raporte encore à la pieté de l'Archiduc le sacrifice qu'il fit de ses plus grans Capitaines pour soutenir la Religion Catolique en Alemagne contre le Luteranisme qui se servoit des armes pour s'i etablir. Il envoie Charle de Longueval Comte de Buquoi avec 8000 en Boheme, il envoie en Italie Guillaume Verdugo avec ses Valons surnommez les Lions, il envoie le Marquis Ambroise Spinola avec une puissante armée Belgique, pour faire tomber le Luteranisme du trone de Boheme avec le Roi de trois mois Frederic Prince Palatin; & les lauriers qui se cueillirent en la victoire de Prague l'an 1620, tinrent lieu des ciprez au sepulcre de l'Archiduc qui emporta dans son tombeau la gloire d'avoir gouverné cette grande machine, & d'avoir detroné l'heresie. Mais voions de plus prez la pieté de notre Prince, & aprez l'avoit contemplée à l'exterieur considerons-là dans sa propre personne. Tout accablé qu'il etoit, il donnoit chaque jour deux heures de prieres à Dieu, l'une le matin & l'autre le soir.

Chaque jour il recitoit l'office de Notre-Dame qu'il avoit exprez fait imprimer chez Plantin en grands caracteres, les sept Pseaumes de la Penitence & les Litanies; il se plaisoit aux Pseaumes de David & dans ce gout, il les avoit fait enrichir d'un court commentaire par un excellent Teologien. Un peu avant sa mort il recitoit les Litanies des Saints de chaque mois, & il les fit imprimer. Jamais, au camp meme, il ne manqua la sainte Messe, il se confessoit & il communioit aux grandes fetes de l'année, les jours de Notre-Seigneur, de Notre-Dame & des Apotres. Il avoit un priez-Dieu devotement pratiqué & curieusement orné des images sacrées de Quentin Mets & des autres excellens peintres. Il faisoit par coutume ce que son Ancetre Rodolfe n'avoit fait qu'une fois. Jamais il ne rencontroit le S.Sacrement qu'il ne l'accompagnat à piez; c'est de sa pieté que la Belgique tient l'usage des Pavillons qui couvrent sur les rues le S.Sacrement, & la foule des gens qui marchent devant, le flambeau ardent à la main, ou qui le suivent pieusement. Il donna au S.Sacrement-de-Miracle de Brusselle une triple courone de plusieurs mille pistoles. Jamais, pour empeché qu'il fut, il ne manqua de se trouver à la procession de ce mistere miraculeux. Le miracle fait à Faverniac en Bourgogne l'an 1608, raporté par Ferdinand de Rie Archeveque de Besançon, montre que sa pieté agreoit extraordinairement à Dieu. Les Gouverneurs de la Belgique gardent inviolablement cette sainte coutume, & la levée du siege de Valencienne arrivée en 1656 marquée par ce Cronique, gaLLI DepLUMes. François, Deplumez, est un temoignage que l'hommage que Don Jean venoit de rendre à cet auguste mistere, lui etoit agreable.

Il a retabli & enrichi plus de 300 Eglises detruites ou depouillées de l'heresie; il a posé la premiere pierre aux riches Eglises des Jesuites, des Augustins, des Carmes Deschaux, des Minimes, des Annonciates & des Carmelites de Brusselle sans parler de quantité de lieux où il a fait eclater la meme pieté. Les Jesuites outre celà lui sont redevables de leur College de Maline. Il a cru que le Palais de Charlequint ne pourroit etre plus glorieusement emploié qu'à renfermer les jeunes victimes qui i quittent le monde pour assurer l'empire du Ciel a une infinité d'ames.

Il a donné aux Chanoines d'Anvers les grandes prairies que la mer lave cinq heures de Gand, à ceux de S.Gudule a Brusselle cent journaux de terre vers Valenciennes, & à ceux de S.Pierre à Louvain plus de dix mille francs d'ornemens Sacrez. C'est sa prudence qui a separé les Jesuites & les Capucins Flamans d'avec les Valons.

Les Jesuites ne pouvant suffire à la nombreuse jeunesse, il leur a donné pour secours les Hermites de S.Augustin, les Jacobins, les Premontrez & les Croiziers en divers lieux. C'est lui qui a ouvert les Ecoles de Filosofie & de Teologie aux Benedictins de Douai. Chaque année il alloit faire une neuvaine à Notre-Dame de Montaigu en Juin ou en Mai, & il n'en sortoit jamais qu'aprez i avoir laissé un riche Present. Il faisoit le meme à Halle, & la lampe d'argent qui i est eternellement allumée, est un gage de sa devocion immortelle.

L'an 1609 il envoia à Notre-Dame de Lorrette une Robe par Jean de Silva. Le Pape Paul V l'aiant fait estimer, trouva qu'elle coutoit trente quatre mille florins.

Il eut des respects singuliers pour les pieces de la Sainte Croix qu'on avoit recouvrées des Anglois & des Holandois. Il enrichit d'or & de diamans la main de S.Sebastien martir dont l'Archeveque de Treves lui avoit fait present. Il en fit de meme du bras de S.Simeon ce fortuné vieillard qui embrassa son Sauveur le 2 jour de Fevrier, de cet heureux Cigne qui chanta sa mort aprez avoir touché ou baizé la vie. Ce don lui etoit venu du Monastere Benedictin de Lisborne au Diocese de Paderborne.

Il avoit un admirable respect pour le Souverain pontife & pour tout ce qui regardoit le Saint Siege. Il detestoit les differens qui regnoient entre les puissances Ecclesiastiques & Seculieres, & comme on lui reprochoit ce trop grand panchant pour le Sacerdoce, il repondoit avec Filipe Auguste Roi de France, les paroles que S.Louis estimoit tant dans son aieul. Les voici:

J'avoue que je suis porté pour le Sacerdoce, mais quand je considere les faveurs que Dieu m'a faites par l'entremise de ceux qui servent ses autels, quand je considere les prieres qu'ils adressent incessamment au ciel pour mon bien & pour celui de mon roiaume, j'aime mieux souffrir celà pour Dieu que d'exciter un scandale entre moi & l'Eglise, j'aime mieux m'atirer la bienveillance de ceux dont les prieres m'ont eté avantageuses que de les irriter contre moi.

Le S.Siege reconnut ses respects en lui donnant le privilege de choisir & de presenter les Eveques de ses Etats. Clement VIII imitant en cela Adrien VI & Leon X qui acorderent ce privilege à Charlequint & à François I; jamais il ne faisoit ses elexions qu'aprez s'etre confessé & communié. Il aima la lecture jusqu'à la fin de ses jours.Il vouloit qu'on lui donnat chaque année la liste de ceux qu'on debitoit à la foire de Francfort, & il marquoit à la marge ceux qui etoient de son gout & qu'il vouloit qu'on lui achetat. Il avoit incessamment devant les yeux les manuscrits depuis Maximilien I & Filipe I, qu'on garde encore precieusement à Brusselle. Les Matematiques & sur tout la Geometrie faisoient les douceurs de son esprit. Son Architecte Venceslas Couberghen & le celebre Matematicien Michel Coignet avoient coutume d'admirer les connoissances de ce Prince tresentendu. Il s'entendoit en peinture, & il aimoit les peintres. Pierre Paul Rubbens, Oton Veno, & Jean Breugel faisoient ses delices. Il acheta à grand prix de l'Abbé de Grandmont une piece de Jean de Maubeuge qu'on void encore dans la Chapelle de la Cour à Brusselle. Tervure seul contoit jusqu'à 200 pieces tresrares qu'il s'etoit aquises cherement sans parler de celles dont il para la Cour de Brusselle & le Palais de Marimont.

Ciceron sans avoir lu l'Evangile dit que le sage reçoit la mort d'un bon visage, & qu'il n'i a que les foux qui la reçoivent autrement.

Inigo Brizuela Jacobin & puis Eveque de Segovie qui confessa l'Archiduc 25 ans, lui etant venu anoncer sa derniere heure, il n'en fut nullement deconcerté. Au contraire il en temoigna de l'alegresse, & il voulut aussitot recevoir les Sacremens de l'Eglise. Le P. Dominique ce fameux Carme de la bataille de Prague assista à sa mort. Il rendit saintement son ame à Dieu le 13 Juillet 1621 à l'age de 61 ans, 8 mois, un jour, aprez avoir regné 25 ans. Selon qu'il l'avoit ordonné, son corps fut revetu de l'habit de S.François. On l'exposa quatre jours dans un lit de parade. Au mois de Mars de l'an 1622 il fut transporté à sa fosse de S.Gudule à Brusselle avec une pompe dont l'on n'a pas encore vu de pareille, & l'on ne croit pas d'en voir jamais.

Ce convoi prodigieux a eté finement gravé & il fait un juste volume, digne d'etre examiné de tous les curieux. Le plus distingué des objets etoit le char de triomfe de la Liberalité; le haut etoit occupé d'une
Nimfe qui representoit la Libéralité & qui avoit à son coté la Couronne Imperiale, & plusieurs autres, avec cette devise. Il est mort aprez les avoir meprisées. Ce char etoit entouré de 27 Etandarts representant les 27 Provinces que ce genereux Prince avoit cedées à l'Empereur Ferdinand II pour soutenir la Majesté de l'Empire. Sa harangue funebre fut prononcée par Bernard de Montgaillard Abbé d'Orval surnommé le Petit Feuillant durant la Ligue de France où il se rendit fameux par ses predicacions. Son corps repose sans ornement devant l'Autel du S.Sacrement-de-Miracles à S.Gudule de Brusselle.

L'Archiduc Albert etoit assez petit de stature, mais il avoit une tresjuste proporcion de corps. Il se tenoit droit sans fierté mais avec beaucoup de majesté, il etoit d'un blond doré. Mais selon la coutume du tems il portoit les cheveux bien courts & la barbe non pas longue, mais assez epaisse & en pointe. Son front etoit haut, large & uni. Son OEil avoit de la benignité qui rabatoit de son grand serieux. Son teint etoit fleuri. Le nez etoit d'une juste longueur, la levre d'enbas lui etoit originaire, mais elle ne diminuoit rien de la beauté de sa bouche. Il avoit tout ce qu'on a admiré dans Filippe II qu'il avoit eu le loisir de copier durant son long sejour à la Cour de Madrit. Il etoit si majestueux que les Ambassadeurs les plus intrepides se trouvoient interdits en sa presence. Il parloit fort peu, & toujours de bon sens. Il admiroit fort peu de chose lui qui faisoit l'admiracion de l'Europe. Il possedoit toutes les vertus dans un degré si souverain qu'on a eu de la peine à decider de celle qui tenoit le haut bout, enfin la pieté l'a emporté. Sa cour etoit tresmagnifique, mais elle etoit si reguliere, que sans cet aparat roial, on l'auroit prise pour un Monastere reformé. Comme tous les vices etoient bannis du Prince, ses courtisans se faisoient un devoir de s'en eloigner. Aussi n'i auroient-ils pas eté soufferts sur un autre pié. Nulle adversité, nul incident etrange ne le trouvoit au depourvu. Il etoit grand Justicier, mais l'exemple de son Dieu, il faisoit surnager la clemence sur toutes ses actions. A l'imitation du Soleil, il parut aussi grand & aussi vertueux en son
jeune qu'en son grand age. Jamais il ne lui echapa aucune parole libertine ni inconsiderée. Sa vue simple etoit une leçon perpetuelle de toutes les vertus. Ses divertissemens etoient honetes, & il paroissoit visiblement qu'il les prenoit pour se detendre l'esprit, & pour le rendre plus propre aux grandes fonctions. Jamais persone ne fut plus maitre de sa colere que ce Prince. Il etoit bien loin de negliger son autorité, hors delà, il paioit les messeances d'urbanité, mais d'un air si beau, qu'on voioit bien qu'il suivoit les inclinacions de son ame, & qu'il n'avoit pas d'autre motif que la volonté de Dieu, la rectitude de la raison, l'amour de la vertu, & le plaisir d'etre sage. Aprez Dieu & les choses saintes, son epouse Isabelle & son peuple, faisoient ses delices.

Aussi jamais Prince ne fut plus aimé ni plus regretté. Quand vous en parlez à ceux qui ont eu le bonheur de le voir, vous les voiez aussitot dans une espece d'extase à la memoire de ses perfexions, & puis dans un abatement au souvenir de sa mort & de la sterilité de son mariage.

L'Archiduc Albert etant mort le quart aprez midi du 13 Juillet 1621, toutes les cloches de Brusselle sonnerent trois heures à trois diverses reprises. Cette sonnerie continua l'espace de six semaines. Le corps fut mis en la grande Chapelle de la Cour habillé en Cordelier, selon qu'il l'avoit luimeme ordonné, sous un daix de drap d'or l'espace de quatre jours. Aprez quoi on l'enferma dans un cercueil de plomb, & on le transporta dans la petite chapelle sous la Sacristie où il reposa jusqu'à l'onzieme de Mars 1622, auquel jour il fut remis en la grande chapelle de la Cour. A trois heures aprez midi l'on chanta les Vigiles auxquelles assisterent tous les Etats. La chapelle etoit tendue de deuil. Le luiseau couvert d'un drap d'or etoit posé sur un piedestal oval distingué de six montées & orné de six grands chandeliers d'argent. Le 12 Mars la pompe funebre marcha vers Sainte Gudule, en cet ordre. Deux Officiers de la Cour montroient le chemin du dueil. On voioit les cinq Sermens de la ville. Le Serment de S.Michel avoit Olimart pour Doien, & Govaerts pour Roi. Le Serment de S.Cristophle avoit Gheerts pour Doien, & Crabbe pour Roi. Le Serment de S.George avoit Kerchove pour Doien, & Godtsvrucht pour Roi. Le Serment de S.Sebastien & de S.Antoine avoit Ingels pour Doien, & Donkere pour Roi. Le Grand Serment dont l'Infante Isabelle etoit Reine perpetuelle, avoit Bastogne pour Doien. Le Maitre des Ceremonies de sainte Gudule conduisoit 400 pauvres revetus de drap noir par la liberalité de l'Infante. Les Provinciaux Religieux conduisoient leurs sujets. Demontherot conduisoit 41 Minimes, Dermonde 56 Capucins, Anthoine 57 Bogards, Aughem 130 Augustins, Des Loix 107 Dominicains, Menni 117 Carmes, Paludanus 80 Cordeliers. Ces Mendians etoient suivis des Pasteurs de Brusselle; De Verhagen Pasteur de S.Caterine, & d'Estrix Pasteur de S.Nicolas. Vander Meulen marcha à la place de Henrici Pasteur de S.Geri. Enfin Van Mauden Pasteur de la Chapelle terminoit les Pasteurs. La Messe solennelle fut chantée par Jaque Boonen Archeveque de Malines. Drusius Abbé de Parck y fut Diacre, & Beharel Abbé de S.Aubert à Cambrai fut Sous-Diacre. Les Eveques de Namur, d'Anvers, de Ruremonde & d'Ipre dirent les prieres accoutumées aux quatre coins de la Chapelle Ardente. Les Seigneurs de la Chambre Archiducale qui avoient porté le corps, le placerent au milieu de la Chapelle du S.Sacrement-de-Miracles dans l'Eglise de S.Gudule. Puis ils le descendirent dans le monument pratiqué de pierres blanches devant l'Autel. Le Convoi dura un jour entier. Il commença à huit heures du matin, & il ne finit qu'à sept heures du soir. Montgaillard Abbé d'Orval fit l'Oraison funebre. Le ciel suspendit la pluie,& il ne la laissa tomber qu'à la fin de la ceremonie funebre. Les Seigneurs de la Chambre Archiducale qui portoient le corps furent secondez de Coloma Gouverneur de Cambrai, du Comte d'Argeil Ecossois, d'Oneil Prince d'Ultonie, du Comte de Tiron Irlandois, de Velasco Marquis de Belveder, de Melun Vicomte de Gand, de Grimaldi, de Merode-Trelon, de Berg-Stabroeck, de Montmorenci-Neuville, de Silva, de Gusman, de Rochefort, de Nassau, & de Colon- Varaguas. Le Magistrat de Brusselle portoit le Daiz, Moulaert Lieutenant des Archers, & le Baron de Sommogy Lieutenant des Hallebardiers marchoient aux cotez du corps. Immediatement aprez le corps marchoient le Nonce du Pape, & l'Ambassadeur d'Espagne tete couverte comme representant le Roi. L'Eglise de S.Gudule avoit 12 Enfans de ChOEur, & 12 Chantres, 10 petits Chanoines, & 18 Chapelains, qui etoient suivis des Chanoines Reguliers de l'Eglise de Cauberg. L'Eglise de Cauberg etoit suivie de l'Eglise de S.Gudule qui consistoit en onze Chanoines, en un Pleban & en un Ecolastre. De Mol etoit Chantre, Brant etoit Tresorier & Clement etoit Doien. On voioit ensuite la chapelle de la Cour. Les enfans de chOEur precedoient & Sotelo Intendant de la chapelle marchoit à la tete de 40 Musiciens, & de 15 Chapelains.

L'Oratoire precedoit les Predicateurs de Leurs Altesses, dont voici les noms: François Vivero Jacobin, Pierre Vivero Jesuite, Soto Cordelier Confesseur de l'Infante Isabelle & Claude du Vivier Minime. Comme l'Eglise de S.Jaque de Cauberg n'avoit pas encore d'Abbé, le Prevost Meulemans precedoit les Abbez Premontrez qui suivent: David Abbé de Ninoven, van Heke Abbé de Dilegem, Valentins Abbé d'Everboden, Stalpart Abbé de Tongerlo, Druyve Abbé de Furne, Charlon Abbé de S.Folien, Outers Abbé de Grimberghe, Fraiteur Abbé d'Helisem, Jersel Abbé de S.Michel à Anvers, Chamart Abbé de Bonne Esperance, & Robert Abbé de Floref. Aprez les Premontrez suivoient les Abbez de Cisteaux; Fouquard Abbé de Loz, van der Heyden Abbé de Villers, Mouchet Abbé de Cerscamp, Mongaillard Abbé d'Orval, Farinart Abbé de Cambron, Cancelier Abbé de Duynen. Voici la liste des Abbez Benedictins: Busignies de S.Denis prez de Mons; Lemmens de Vlierbeke; Loyer de S.Martin à Tournai; Roberti de Munster à Luxembourg; la Croix, de Maroilles; le Maire d'Anchin; l'Alemant de Blangy; de Montmorenci de S.André au Cambresis; Bossu de S.Guillain; Jonquoi, de Marchiennes prez de Douai; Caverel, de S.Vaast à Arras; Scaik de S.Pierre à Gand; les Eveques Belges etoient; Triest, de Gand; Boudot, de S.Omer ; d'Auvin, de Namur; Gand-Villain, de Tournai; Malder, d'Anvers; Hennin, d'Ipre; Orenbergh, d'Arras; à Castro, de Ruremonde. L'Archeveque de Cambrai vander Burcht; & Boonen Archeveque de Maline environné des Abbez du Park & de S.Aubert suivoient les Eveques.

On voioit ensuite la maison de son Altesse qui commençoit par les Jardiniers, par les Officiers de main de l'Ecurie, par les Valets de Cuisine, par les porteurs-d'eau, & par les valets-de-pié. On voioit suivre les valets d'Office, qui etoient, du Garde-manger, de l'etat des Pages & des Aides de la Chambre; des Gentilshommes de la Chambre; de l'etat des Dames; de la Cave, de la Panneterie, de la Tapisserie, de la Retraite, de la Pharmacie, des gardes-joiaux, & des porteurs de Cuisine. Ces valets etoient suivis des Aides d'Offices, savoir, de la Cuisine; suivoient le Pelletier, le Cordonier, les maitres-d'exercices des Pages, les Brodeurs, le Tresseur de Cordons, le Chaussetier, les Couturiers, & les Peintres. Puis, les Aides du maitre de l'Ecurie des Mulets, du Depensier, du Garde-manger, de l'etat des Dames, de l'etat de ceux de la Chambre, de la Cave, de la Paneterie, de la Tapisserie, du Fourier, de la Pharmacie, du Tresorier. Les Aides d'Offices etoient encore, les Portiers des Dames & de la Salette, les maitres-d'Hotel de l'etat des Aides de la Chambre & des Pages, des Aposentadores, & l'aide du Barbier. Les Aides des Garderobes etoient Scorsa, Mendoça, Vanloners, Couwenhoven, Benero; Parts etoit Lieutenant du maitre des Pages. Voici les chefs d'offices, Delcampo & Tragallo piqueurs; Herq Palfrenier; Esquerecocha Gardemanger; Hernandez premier acheteur; Marcelo maitre de sales des Dames. Cortez & Vega Huissiers de Viande. Moralet premier Cerier; Riva premier Saucier. Gomez premier Sommelier de la Panneterie. Rama premier Sommelier de la Cave; Vermeren premier Tapissier. Nuñez premier Apoticaire; Juvenonis Chirurgien; Merlin Barbier de la Chambre; Verlano & Hullegarde Medecins de la maison. Van Elen premier Depensier; Enriquez Maitre de l'Ecurie des Mulets; Reposteros de Camas, Oñate, Diaz, Walscart, Cortes, Leenen, Arnedo. Olivarés Ecrivain de la chambre marchoit à la tete des 12 aides de chambre. Les Gardes des Dames etoient Lysaguirre, & Carate; & les gardes joiaux, Silva & Lainez. Les Valets-servans etoient Benessa, Rodriguez, & Olarte. Les Gentilshommes de la maison, etoient Gottlgnies, Romrée, Pouts, Hannedouche, Granvelle, Bulteel, Waha-Baillonville, Maes. Holona, vander Beken, Landas de-Chin, Cortewille, Triest, Du Bosch, Bosso, Radiche; Ariçano, Aposentador major; Mendoça, Greffier, Rovelasca, Tresorier & maitre de Chambre; Hertoghe controleur de la maison, Conseiller & commis des Finances. De Paz, & Avendeña, Ecuiers de Son Altesse. Trevisius, de Paz & Masteleyn Medecins de Son Altesse. Voici les Gentilshommes de la bouche: d'Ursel, Boulers, Lide-Kercke, Toledo, Fernelmont, Merode-Harchies, Samaniego, d'Andelot, Sarmiento, vander Gracht, Acuña, Huyn-Gelain. Pianca maitre-d'hotel de l'etat des Gentilshommes de la Chambre; la Cruz, Tassis, Liques, Melo, Spanghen, Ghistelle, Brizuela, Rubempré, Bourgogne-Bredam, de Baxen. Ensuite marchoient deux Timbaliers & douze Trompetes. Tserclaes de Horenschen portoit la cornette des couleurs, & Metzen-hausen portoit le Guidon des couleurs. Perenci-d'Ognies portoit le Heaume de Jouste, & Mastaing-de-Jausse portoit la Targette. Le cheval de Jouste etoit conduit par Pipenpoi & par Omallun de Glean. Gavre-d'Inchi portoit l'etandart des couleurs. Groesbeke & Schellart conduisoient le cheval de Groningue, & Lictervelde en portoit la banniere. Baronaige & Insart conduisoient le cheval de la Province d'Overyssel. Dion en portoit la baniere. Gorcei & Drack conduisoient le cheval d'Utrect & le jeune Baronaige en portoit la baniere. Prant & Heetwelde conduisoient le cheval de Malines, & vander Graecht en portoit la baniere. Calone & du Tartre conduisoient le cheval de Salins, & Poligni en portoit la baniere. Merwik, & Vlasraten conduisoient le cheval de Frise; Wittenhorst en portoit la baniere. Vander Dilft & vande Werve conduisoient le cheval du Marquisat d'Anvers, & Berchem en portoit la banniere. Du Pin & Bernard conduisoient le cheval de Charolois; Marmier portoit la baniere. Aveskerke, & Voestyne conduisoient le cheval de Zutphen; vander Gracht en portoit la baniere. Noielle & Brandenbourg conduisoient le cheval de Namur ; Davre en portoit la baniere. Tirest & Blondel conduisoient le cheval de Zelande; Gomicourt en portoit la baniere. Lannoi & Hennin conduisoient le cheval de Hollande; Mailly en portoit la baniere. Dandelot & Hennin- Lietart conduisoient le cheval d'Hainau; Roysin en portoit la baniere. Dourain & Berghtrips conduisoient le cheval de Tirol ; & Conrard de la Roche en portoit la baniere. Gierge & Laitre conduisoient le cheval du Comté de Bourgogne; Pontalier en portoit la baniere. Bernemicourt & Ostrel conduisoient le cheval d'Artois; Rache-Bergh-S.Vinox en portoit la baniere. La Vieuville & vander Graech conduisoient le cheval de Flandre; Ideghem en portoit la baniere. Hovardiere & la Hamaide conduisoient le cheval de Habsburg; Bruquet-Touricourt en portoit la baniere. Archies- Sarts & Berlopetit-Leez conduisoient le cheval de Wirtembergh; Tserclaes-Tilli en portoit la baniere. Huyn & Schenck conduisoient le cheval de Gueldre; Hoensbroeck en portoit la baniere. Custine & Griboval conduisoient le cheval de Luxembourg; Stramborch en portoit la baniere. Emstenraet, & Eynatten conduisoient le cheval de Limbourg; Scheiffaert de Merode en portoit la Baniere. Vignacour & Visoc conduisoient le cheval de Carniole; Huchin en portoit la baniere. Hoensbroec & S.Genois conduisoient le cheval de Carintie; Loqueghem en portoit la baniere. Lannoi & de Mol conduisoient le cheval de Stirie; Namur-Dui en portoit la baniere. Doienbrugge de Duras-de-Nieldert, & Cottereau conduisoient le cheval de Brabant; Merode-Leesfdale & Duffle en portoient la baniere. De Pra & d'Argenteau conduisoient le cheval de Bourgogne; Granmont Fallon en portoit la baniere. Barlemont-Chapelle, & Argenteau- Ligni conduisoient le cheval d'Autriche; Zwartzenborch en portoit la baniere. Ici marchoit le char triomphal de la Liberalité. Ognies portoit le Penon des Armes; Novelle portoit le guidon des armes. Les Comtes de Gomignies & de Bailloeul conduisoient le cheval de bataille. Bourgogne-Falais portoit l'etendart aux armes-pleines. Robles-Anappe, & Ognies-Vilerval conduisoient le cheval d'honeur. Le Comte de Brouai Albert Gaston Spinola portoit la baniere, & Albert de Longueval Comte de Buquoi portoit le heaume de parure. Merode-d'Oelen portoit l'estoc-d'armes; Hornes-Hautekerke portoit la cotte-d'armes. Thiry-Mandercheyt, & Croï-Meghem qui etoit encore tout jeune, conduisoient le cheval de dueil; Charle Marquis de Trazignies portoit la Toison-d'or; Albert Prince de Barbanson & d'Aremberg portoit le septre; & le Prince de Chimai portoit l'epée de Souveraineté. Le Comte Gamalerio Visconte portoit la couronne Archiducale, que Barlemont Page de Son Altesse soutenoit. Clocman Abbé de Gembloux portoit l'epée du Pape. L'on voioit suivre les maitres-d'hotel de Leurs Altesses, les Comtes de Noielle, d'Etaire, de Midelbourg, de Roeulx, de S.Aldegonde, Dandelot Gouverneur de Grey; & Ambroise Spinola Marquis de los Balbaçes grand-Maitre-d'hotel. Noielle eut sa place, mais il ne marcha point: parcequ'il devoit donner les ordres dans l'Eglise. Voici les noms des Pages: Merode-Gouchencourt, Glime-Judogne, Roble-Fretin, Bette-Peronne, Argenteau-Ochain, Robles- Anappe, du Tartre, Bernemicourt-la-Tieuloie, Mendoça, Liques, Vivaldo. Suivoit Adrien de Riebeke Conseiller & premier Roi d'armes. Les Seigneurs qui porterent le corps de l'Archiduc furent, Rubempré-Vertaing, Henin-Bournonville, Ibarra, Noielle-Marle, Isenghien, Cronberg, Zennegem, & Isenbourg. Les coins du poisle etoient soutenus par Charle de Loraine Duc d'Aumale, par Guillaume Marquis de Baden, par le Comte d'Egmond, & par le Marquis de Marnai-Gorvoux. Ceux qui soutinrent le daiz furent les Seigneurs vander Ee, vander Noot, Taie, Baronaige, Schotte, DoienBrugge, Baert, & Ghindertalen. Le Nonce Apostolique qui suivoit immediatement le corps, etoit Jean François Comte de Guidibagne, Archeveque de Patras, il etoit accompagné du Marquis de Bedmar Ambassadeur d'Espagne, de Rie grand-Aumonier, & de Gand-Vilain Sommelier de Courtine. Les Chevaliers de la Toison etoient en cet ordre: Barlemont, Ligne, Solre, Arschot, Havré, Emden, Hooghestraten, Salazar, Epinoi. Pollein & Steenwinkele Huissiers precedoient le Conseil Privé dont voici le rang Maes chef-President, Grisperre, Boischot, Grivel, Steenhuys, Acchelen, Bailli. Corselius Pretre, della Faille Secretaire d'Etat le Comte, de Groote, Gottignies, Berti, Prats, Robiano. Ceux des Finances etoient, Ognies-Coupigni chef, Kinschot Tresorier, Maes, vanden Wouwere, Kesseler, Croonendale, van Oncle Receveur, de Bic Greffier. Voici la Chancelerie de Brabant. Pierre Peckius Chancelier, Bourgeois, vanden Brande, Berti, Fourneau, de Weert, van Pede, Gottignies-Neerische, Roose Avocat Fiscal, Pontanus, vander Voort, Viron, Hertoge, Crasbeke, Asseliers, Malineus, Vivens, Foxius Procureur General, van Hove substitut, Wytfliet & vande Perre Greffiers, voici les noms des Secretaires de la Chancelerie de Brabant: Boudewyns, van den Wouvre, de Witte, Fourdin, Cools, Steenhuyse, Mastelyn, du Frene. De Backer etoit Receveur des exploits. On voioit ensuite Volfart Drossart de Brabant; Le Comte-Dorville. Van den Berghe President de la Chambre des Comptes, Madoets, vander Steghen, Roberti, Boxhorn, Conseillers de la Chambre des Comptes. Les Maitres ordinaires etoient le Roi, van Oss, Godin qui ne marcha point acause de son indisposition, & Bouvet. Les Auditeurs de la Chambre des Comptes etoient Fierlans, de Zoette, Ghuysel, & Scrapere. Vander Smissen en etoit Greffier. Le Magistrat de la Ville de Brusselle etoit alors composé de Marselaer, de Dongelbergh, de vanden Cruyce, de Laurette, de Raveschot, de Fourneau, de du Quenoi de vander Eycken, de Schotte Pensionaire, de Hujoel Lieutenant de l'Amman, de Zennick; Bourgmaitre des Nations; de Simon de Sailli, de Meester Jans, & de Cuyermans tous trois Receveurs. Ces huit premiers Magistrats aiderent à soutenir le daix audessus du corps de l'Archiduc. On voioit aprez, Stroobant Receveur; Raes & van Dormale tous deux Receveurs du Rivage. Van Hamme, de Coninck, Sadeleer, vanden Bempde, & van Ghindertalen etoient tous du Conseil. Van Vossum, van Heymbeke, van Asbroecke, vander Reest, van Bemmel & Condé etoient Secretaires de la Ville. Brocman etoit Greffier des Tresoriers, & vander Borcht etoit adjoint.

L'Archiduc fut un Soleil si bienfaisant qu'il n'y aucun endroit de la Belgique qui ne se soit ressenti de ses favorables influences; mais entre les Reguliers, les Jesuites peuvent se glorifier, d'en avoir eté les plus favorisez. Il leur donna une preuve invincible de son amitié en empechant la condemnation de Louis de Molina par la lettre qu'il ecrivit au Pape. Il a continué dans cette amitié toute sa vie, & quoiqu'il n'eut pas de Confesseur Jesuite, Inigo Brizuela Dominicain, occupant cette dignité, il estima toujours leur conduite, & il donna plusieurs marques de cette estime. Il contribua à l'erection de leurs Colleges de Berg-Saint-Winoch, de Maline, de Cassel, d'Audenarde, de Hal, & de plusieurs autres.

Le grand cOEur de l'Archiduc n'a point retressi son zele dans cette illustre compagnie; ce Soleil universel l'a etendu par tous ses Domaines; comme il étoit persuadé que tout depend d'une bonne education, il fit en sorte qu'aucun lieu de sa jurisdiction ne manqua de bons maitres; ce fut en cette vue qu'à la solicitation de Charle d'Itegem Chevalier Seigneur de Wiese, il erigea en Baronie la Terre de Busbeke en faveur d'Auger Guislain de Busbeke son Gouverneur, & qu'il donna l'Eveché de Trieste en Istrie à Nicolas Coret l'un de ses Precepteurs. Ce fut en cette vue qu'il procura aux Augustins des Ecoles à Brusselle; à Louvain, à Tirlemont, à Anvers, à Herentals, à Gand, à Lille & à Bouvine vis-à-vis de Dinant; ce fut en cette vue qu'il procura les memes emplois aux Dominicains à Lire, à Ipre, à Braine-le-Comte; & aux Norbertins à Furne. Pour marquer qu'il vouloit etre le soutien des Eglises & des Ecclesiastiques il mit la premiere pierre aux Eglises des Jesuites de Brusselle & de Gand, des Augustins à Anvers, aux Carmelites & aux Recolets Irlandois à Louvain, aux Minimes à Brusselle, aux Annonciades & aux Carmelites Espagnoles d'Anvers. Il aimoit les beaux arts; il aprenoit les matematiques sous Venceslas de Coebergen, & sous Michel Coignet. Les peintres anciens & modernes etoient ses inclinations; il plaça en la chapelle de son Palais une piece de Jean de Maubeuge dont le Prelat de S.Adrien à Grammont lui avoit fait present. Il estimoit les ouvrages de Quentin Metsys ce Vulcain que Venus metamorphosa en Apelle, ceux de Jerome Bosch, d'Albert Duren, de Luc de Leide, d'Holbeen, & de François Floris. Entre les peintres de son tems, il cherissoit tendrement, Oton Veno, Pierre Paul Rubbens, & Pierre Breugel.

Les pauvres Ecoliers etrangers faisoient son tendre; ce fut pour les entretenir qu'il institua les Colleges des Anglois, des Ecossois, des Almans, des François, & des Irlandois, à Douai, à Louvain, & à S.Omer. Sa devotion dominante etoit la Mere de Dieu. Pour la satisfaire il envoia à l'Image de notre Dame de Lorette un manteau de trente mille ducats. Les Monts de Pieté qu'il erigea en 1619 furent des arrhes de sa pieté & de sa charité. Il avoit coutume de dire qu'il aimoit mieux tout perdre que de fausser sa parole, meme à l'egard de ceux qui manquoient à leur foi. Il donnoit les dignitez Ecclesiastiques au merite; pour ce qui est des politiques, il se conformoit au sentiment de l'Empereur Severe qui disoit que le Prince n'avoit pas de droit de punir un Officier qui vendit ce qu'il avoit acheté.

Je me suis plains que le tombeau de ce Prince ne soit point encore dressée mais je me console que Brusselle i a suppléé par les obseques magnifiques qu'elle lui a faites le 12 Mars. Elle tendit de noir toutes les rues depuis la Cour jusqu'à S.Gudule. Il i avoit un pont dressé pour mener les chevaux à l'Eglise, ce qui etoit une espece d'hommage qu'on ne rend qu'au Duc de Brabant. Le frontispice portoit les armes Archiducales avec la devise de ce Prince qui portoit que c'etoit une belle chose que de briller par la vertu & par les armes. Pulcrum clarescere utroque. On voioit cette epitaphe latine au coté Septentrional. Arretez. On vous montre le chemin mortel, à quoi bon s'amuser aux choses mortelles? Albert marche devant, nous le suivrons. Vous pouvez vivre; mais vous devez mourir. Pourquoi vous attachez-vous à l'incertain ? choisissez le certain comme etant le plus seur. Quel Sceptre a-t'on vu eternel ? ce moment que vous emploiez à lire cette inscription fait une grande partie de votre vie. Voulez-vous vivre eternellement ? vivez comment vous alliez mourir, ou comme si vous ne faisiez que de commencer à vivre. Ce fut la maxime de notre Albert. C'est pourquoi aussi le dernier moment de sa vie mortelle fut le premier de son immortelle. Si vous aimez de mourir comme lui, vivez comme il a fait, & imitez les travaux si vous voulez jouir de sa recompense.

On lisoit cette autre inscription au coté meridional. Quittez le deuil: cet apparat mortuaire n'a que l'apparence. Albert vit, & il seroit mort s'il ne fut pas mort. Il vit par sa mort meme, & il commande à celle qui l'a vaincu par l'ordre du ciel. Ce Phenix renait de ses cendres. Arretez vos larmes. On pleure les morts; ainsi vous ne devez pas pleurer Albert qui vit au ciel où ses vertus & les vOEux de toute la terre l'ont porté. Imitez ses mOEurs, ce seront ces ailes qui vous eleveront au ciel avec votre Prince & votre Pere. Vous avez lieu de vous feliciter que vous devez desormais plus attendre de secours de lui que lors qu'il vivoit sur la terre, puisqu'il va vous servir d'Avocat au ciel. On montoit à sa chapelle ardente qui etoit dressée au milieu de l'Eglise de S.Gudule, par neuf marches. C'etoit le monument de l'amour conjugal de l'Infante Isabelle qui etoit exprimé dans cette inscription: A Albert d'Autriche septieme, Isabelle d'Autriche l'Epouse tres-affligée d'un Epoux tres-bon qui fut le Decendant de douze Empereurs. Elle ensevelit son cOEur dans le sien jusqu'à ce qu'elle le rejoigne au ciel. Priez que puisque nous sommes privez d'Albert, nous puissions eternellement posseder Isabelle. Cette inscription regardoit la porte de l'Eglise. Voici celle qui regardoit le ChOEur. La Belgique affligée rend les derniers devoirs à Albert Archiduc, Comte, Duc, Marquis, son tres-bon Souverain, son Prince, & son Pere. Elle ne renferme pas son illustre depost dans le marbre ni dans l'airain mais dans son cOEur immortel. C'est ainsi que ces enfans ne veulent vivre que de leur esprit & de celui de leur bon Pere.

La statue de la justice etoit posée sur la Chapelle ardente avec cette inscription: à Albert le juste. Il etoit egal à tous. Il ne suivoit que l'equité sans avoir egard ni aux personnes, ni aux richesses ni aux honneurs, ni à la Noblesse. La statue de la paix qui etoit aussi posée sur cette Chapelle ardente, avoit cette inscription: à Albert pacifique. On peut justement le surnommer le Prince de paix, puisqu'il ne faisoit la guerre qu'i etant contraint, & que pour parvenir à une bonne paix. La clemence qui bordoit aussi un des coins de la chapelle ardente, portoit cette inscription: à Albert clement. Il faisoit bon accueil à tout le monde, & il ne rebutoit personne. Il etoit plus enclin à la douceur qu'à la rigueur. On ne vit en toute sa vie aucune action de cruauté, mais on en vid une infinité de clemence. La Noblesse portoit cette devise: à Albert noble. C'est un admirable trait de moderation que ce Descendant de douze Empereurs, aiant pu etre Cesar par tous les suffrages des Electeurs, il n'ait pas voulu l'etre. Et cette approbation universelle est une marque de son grand merite. La force portoit cette inscription: à Albert magnanime. L'adversité ne put le terrasser, ni la prosperité l'elever. En guerre & en paix c'etoit toujours le meme visage, la meme bouche, les memes yeux, & le meme front.

La temperance avoit à ses piez les mots suivans: à Albert temperant. Sa table etoit sans luxe. Jamais il ne viola la foi conjugale, ce qui lui aquit avec justice le surnom d'Albert-le-chaste.

La liberalité portoit cet ecriteau: à Albert liberal. Il donnoit tous les ans cent mille francs d'aumones. Cette vertu seule le rendra immortel. La sagesse tenoit cette devise: à Albert sage. Il ne recevoit conseil de personne, & il le donnoit aux Princes, aux Rois, & aux Empereurs. La prudence avoit ces paroles: à l'honneur d'Albert le prudent. Jamais on ne put le blamer d'avoir fait aucune action temeraire, elles etoient toutes prudentes, meures, seures, & pesées lontems. La victoire avoit ces mots sur son piedestal: à l'honneur d'Albert le victorieux. Il netoia la mer & les cotes de Portugal, de Pirates. Il prit Calais, Ardres, Hulst, Ostende, & il chassa l'ennemi de Boisleduc. On lisoit ces mots sous la Magnanimité: à l'honneur d'Albert le magnanime. Les menaces des tres-puissans Rois ne l'ont point ebranlé. Il a defié lui seul la fortune, & il l'a vaincue. Voici l'inscription de la Pieté: à l'honneur d'Albert le pieux. Il a eté pieux audelà que les Princes & les Rois ne le sont d'ordinaire & il a pu aller du pair avec les Religieux. Si la Belgique a beaucoup d'Alberts, elle en aura beaucoup de pieux. Nous allons lire les inscriptions que portoient les vertus placées du coté meridional de la chapelle ardente: à l'honneur d'Albert d'Autriche septieme. Les Albert d'Autriche ont eu leur caractere distinctif; le premier Albert fut surnommé le Triomphateur; le second fut surnommé le Sage; le troisieme fut surnommé le pere de la Patrie. Le quatrieme fut surnommé le patient; le cinquieme fut surnommé l'Honorable; le sixieme fut surnommé le debonaire; notre septieme renferma toutes ces qualitez.

On lisoit au coté Septentrional cette explication de la devise d'Albert. Il est beau de briller de deux cotez. Soit qu'il prit les armes, ou qu'il fit la paix; soit que l'adversité l'abaissat ou que la prosperité le relevat, soit qu'il fut sain ou qu'il fut malade; soit que les Rois le carressassent ou qu'ils le menaçassent, il etoit toujours le meme; tellement qu'on ne peut pas decider en quel etat il a eté le plus eclatant. Tout ce que nous pouvons dire de plus certain, est que si son esprit nous a quitté c'est pour voler au ciel où nous le croions pieusement, & où nous le suivrons si nous vivons comme lui; arretons nos pleurs: l'ame d'Albert reste dans Isabelle: ce sera par elle qu'il continuera à regner heureusement.

Les victoires d'Albert etoient exprimées sur les piedestaux des colonnes qui environnoient la chapelle ardente. On voioit ces mots sous Lisbonne. L'an 1589 Albert a maintenu le Portugal contre les armées de François Drak & du Batard Antoine: on lisoit sous Calais & Ardres ces paroles: Albert en 1569 a pris le port de Calais, & la Forteresse d'Ardres. Sous Hulst. En 1596 il a pris Hulst & il s'est rendu maitre de tous les Forts d'alentour. Sous Amiens. En 1597 il surprit Amiens par stratageme. Une statue representoit la paix avec cet eloge: en 1598 & en 1603 il a donné la paix aux Espagnols, aux François, aux Anglois, aux Belges, & aux Savoiards. La statue de l'alliance avoit cet ecriteau. L'an 1599 il prit possession de la Belgique & de la Bourgogne que son Epouse Isabelle Claire Eugenie lui aporta pour dote. On lisoit ces paroles sous la ville de Boisleduc. En 1601 & en 1603 il delivra la ville de Boisleduc surnommée l'epouse du Duc de Brabant, qui etoit etroitement assiegée. Ostende portoit cette devise. En 1604 il se rendit maitre d'Ostende où il perit plus de cent mille ames de part & d'autre. On lisoit ces mots sous la ville d'Oldenzeel. Durant l'eté de l'an 1605 il prit Oldenzeel, Lingue, Wactendonc & Cracou. Sous Grolle on lisoit. En 1608 il prit Grolle, & il chassa l'ennemi deux fois de Rhinberg; Aix avoit cet eloge. En 1614. il a ramené Aix-la-Chapelle sous l'obeissance de l'Empercur; il a retabli le Duc de Neubourg, il a protegé Wezel & la Province de Juliers, il a rompu diverses mesures de ses ennemis, & il a maintenu la paix.

On voioit ecrit ce qui suit sur un piedestal separé. Albert a remporté plus de victoires que nous n'en n'avons marquées ici. Il a fait pendant la paix des miracles, de pieté, de sainteté, de prudence, de majesté, & de force. Il a eté le restaurateur & le defenseur de l'Eglise, de la Religion, de la Justice, de la police & de la milice. Il s'est aquis le nom de tres-grand Prince, & il a merité l'immortalité. Enfin chargé de soins & de gloire il est mort le jour de S.Eugene comme il avoit pris naissance, la fete d'un autre S.Eugene, le 13 de Juillet 1621.

La Chapelle ardente avoit trois galeries, les deux inferieures avoient quatre Tours, & la supreme portoit jusqu'à la voute de l'Eglise. Voilà en quel etat etoit la ville de Brusselle un Samedi douzieme de Mars. Il sembloit que le ciel & la terre concourussent à l'honneur de cet Imperial Mort car outre que ce fut en ce jour que Rome celebra la Canonization triomphante d'Ignace, de Xavier, d'Isidore & de Terese tous quatre Espagnols, & de Philippe de Neri Florentin, le ciel fit cesser ces pluies presque continuelles & il fit regner une agreable serenité pour decorer cette pompe funebre qui tenoit du triomphe. On tient que l'Archiduchesse, qui etoit de si bonne intelligence avec le ciel, previd ce beau jour par une connoissance extraordinaire, & voici le fondement de cette creance. Comme on avoit cru faire la solennité dez le 10 jour de Mars, & que les pluies l'avoient empeché: le Marquis Spinola fut trouver l'Archiduchesse, & il lui representa le onzieme jour, que bien loin d'avoir lieu d'esperer du beau tems, on avoit sujet d'en apprehender encore un plus facheux puisqu'outre les pluies, il regnoit un vent orageux, qui en effet dura jusqu'à onze heures du soir; que tout se gatoit, & qu'il seroit plus à propos de differer la pompe jusqu'à une saison agreable. L'Infante ecouta paisiblement à son ordinaire la remontrance du Marquis qui etoit accompagné de plusieurs grands Princes, & puis elle dit resolument qu'on ne devoit pas differer la ceremonie funebre, & qu'elle esperoit que Dieu auroit la bonté d'envoier un beau jour pour les derniers devoirs d'un Prince qui lui avoit eté si fidelle. L'Archiduchesse ne se trompa point, le lendemain fut un des plus rians jours de toute l'année. Le ciel suspendit les vens & les pluies & pour montrer que c'etoit en faveur de son serviteur, dez que la pompe fut achevée, & que chacun fut retiré chez lui, les cataractes du ciel s'ouvrirent, & il plut à verse plus qu'auparavant. C'etoient deux recompenses dont Dieu vouloit bien reconnoitre la vertu d'Albert, la Serenité recompensa le calme de cette belle ame qu'on ne vid jamais hors de son assiette; & l'abondance des pluies servit de larmes pour regretter un Prince qui ne sauroit jamais etre assez regretté.

Le Marquis Spinola voiant la resolution de l'Archiduchesse qui paroissoit parler d'inspiration, comme Maistre-d'Hotel-Major se mit en devoir dez l'onzieme sur le midi de faire transferer le corps pour recevoir les honneurs le lendemain. Il avoit eté jusques lors dans la petite-chapelle, il fut ensuite transporté à la grande chapelle du Palais, par les Gentilshommes de la Chambre qui etoient le Duc d'Arschot, le Duc de Croï, le Prince d'Epinoi, & les Comtes d'Emden, de Hennin, de Zwegem, &c. Il fut posé sur un throne. Il etoit couvert d'un drap de velour noir, sur lequel etoit une croix de drap d'or. On voioit aux quatre quartiers de cette croix les armes plaines de Son Altesse richement brodées. La Couronne Archiducale, la Cotte-d'armes, le Sceptre, l'Epée-de-justice, l'Epée & le Chapeau dont le Souverain Pontife l'avoit honoré, furent rangez d'une maniere convenable. Tout ainsi ordonné, on chanta les Vigiles à la Roialle en la presence de tout ce que la Belgique avoit d'illustre au Clergé, en l'Epée & en la Robe. Le 12 enfin 4000 Brussellois en dueil le cierge ou la hallebarde à la main etoient en haie, pour honorer le convoi & pour empecher le tumulte. Voilà ce que la pieté Belgique a fait aux funerailles de son bon Prince. Je ne regrette plus que son tombeau ne soit pas dressé: puisqu'il a autant de tombeaux qu'il a & qu'il aura de sujets qui conserveront eternellement dans leurs cOEurs sa memoire precieuse.

Jaque Brancquart (*) a fait graver au naturel cette pompe funebre qui compose un volume entier, & il l'a dediée à l'Infante Isabelle.

* Dans le tome I (page 448) de «Bruxelles à travers les ages», écrit vers 1885 par l'auteur belge Louis Hymans et publié notamment (date inconnue, probablement début du XXe siècle) par Bruylant-Christophe & Cie à Bruxelles, figure la série complète des 62 gravures en taille-douce de Brancquart (Francquart ?) illustrant les funérailles de l'Archiduc Albert à Bruxelles décrites ci-avant. Louis Hymans identifie l'auteur de ces gravures comme «J. Francquart, né à Bruxelles en 1577, (et qui) était en meme temps peintre, poète et géographe.» (G. Swaelens)

Ceux qui regarderont les choses simplement blameront cette pompe de depense excessive, mais ceux qui peseront les merites de l'Archiduc, & les regrets immortels de ses tristes sujets, loueront les expressions de leur amour qui durera aussi lontems que la memoire de l'Archiduc Albert vivra au Temple de la gloire.