Alphonse Lamartine
Nouvelles méditations poétiques
Musae Jovis omnia plena!
VIRG.
I
L'esprit de Dieu
A L. de V***.
Le feu divin qui nous consume
Ressemble à ces feux indiscrets
Qu'un pasteur imprudent allume
Aux bord de profondes forêts;
Tant qu'aucun souffle ne l'éveille,
L'humble foyer couve et sommeille;
Mais s'il respire l'aquilon,
Tout à coup la flamme engourdie
S'enfle, déborde; et l'incendie
Embrase un immense horizon!
O mon âme, de quels rivages
Viendra ce souffle inattendu?
Serait-ce un enfant des orages?
Un soupir à peine entendu?
Viendra-t-il, comme un doux zéphyre,
Mollement caresser ma lyre,
Ainsi qu'il caresse une fleur?
Ou sous ses ailes frémissantes,
Briser ses cordes gémissantes
Du cri perçant de la douleur?
Viens du couchant ou de l'aurore!
Doux ou terrible au gré du sort,
Le sein généreux qui t'implore
Brave la souffrance ou la mort!
Aux coeurs altérés d'harmonie
Qu'importe le prix du génie?
Si c'est la mort, il faut mourir!...
On dit que la bouche d'Orphée,
Par les flots de l'Ebre étouffée,
Rendit un ultime soupir!
Mais soit qu'un mortel vive ou meure,
Toujours rebelle à nos souhaits,
L'esprit ne souffle qu'à son heure,
Et ne se repose jamais!
Préparons-lui des lèvres pures,
Un oeil chaste, un front sans souillures,
Comme, aux approches du saint lieu,
Des enfants, des vierges voilées,
Jonchent de roses effeuillées
La route où va passer un Dieu!
Fuyant des bords qui l'ont vu naître,
De Jéthro l'antique berger
Un jour devant lui vit paraître
Un mystérieux étranger;
Dans l'ombre, ses larges prunelles
Lançaient de pâles étincelles,
Ses pas ébranlaient le vallon;
Le courroux gonflait sa poitrine,
Et le souffle de sa narine
Résonnait comme l'aquilon!
Dans un formidable silence
Ils se mesurent un moment;
Soudain l'un sur l'autre s'élance,
Saisi d'un même emportement :
Leurs bras menaçants se replient,
Leurs fronts luttent, leurs membres crient,
Leurs flancs pressent leurs flancs pressés;
Comme un chêne qu'on déracine
Leur tronc se balance et s'incline
Sur leurs genoux entrelacés!
Tous deux ils glissent dans la lutte,
Et Jacob enfin terrassé
Chancelle, tombe, et dans sa chute
Entraîne l'ange renversé :
Palpitant de crainte et de rage,
Soudain le pasteur se dégage
Des bras du combattant des cieux,
L'abat, le presse, le surmonte,
Et sur son sein gonflé de honte
Pose un genou victorieux!
Mais, sur le lutteur qu'il domine,
Jacob encor mal affermi,
Sent à son tour sur sa poitrine
Le poids du céleste ennemi!...
Enfin, depuis les heures sombres
Où le soir lutte avec les ombres,
Tantôt vaincu, tantôt vainqueur,
Contre ce rival qu'il ignore
Il combattit jusqu'à l'aurore...
Et c'était l'esprit du Seigneur!
Ainsi dans les ombres du doute
L'homme, hélas! égaré souvent,
Se trace à soi-même sa route,
Et veut voguer contre le vent;
Mais dans cette lutte insensée,
Bientôt notre aile terrassée
Par le souffle qui la combat,
Sur la terre tombe essoufflée
Comme la voile désenflée
Qui tombe et dort le long du mât.
Attendons le souffle suprême;
Dans un repos silencieux;
Nous ne sommes rien de nous-même
Qu'un instrument mélodieux!
Quand le doigt d'en haut se retire,
Restons muets comme la lyre
Qui recueille ses saints transports
Jusqu'à ce que la main puissante
Touche la corde frémissante
Où dorment les divins accords!
II
Sapho
L'aurore se levait, la mer battait la plage;
Ainsi parla Sapho debout sur le rivage,
Et près d'elle, à genoux, les filles de Lesbos
Se penchaient sur l'abîme et contemplaient les flots :
Fatal rocher, profond abîme!
Je vous aborde sans effroi!
Vous allez à Vénus dérober sa victime :
J'ai méconnu l'amour, l'amour punit mon crime.
O Neptune! tes flots seront plus doux pour moi!
Vois-tu de quelles fleurs j'ai couronné ma tête?
Vois : ce front, si longtemps chargé de mon ennui,
Orné pour mon trépas comme pour une fête,
Du bandeau solennel étincelle aujourd'hui!
On dit que dans ton sein... mais je ne puis le croire!
On échappe au courroux de l'implacable Amour;
On dit que, par tes soins, si l'on renaît au jour,
D'une flamme insensée on y perd la mémoire!
Mais de l'abîme, ô dieu! quel que soit le secours,
Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours!
Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices
Un oubli passager, vain remède à mes maux!
J'y viens, j'y viens trouver le calme des tombeaux!
Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices!
Et vous, pourquoi ces pleurs? pourquoi ces vains sanglots?
Chantez, chantez un hymne, ô vierges de Lesbos!
Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse?
C'était sous les bosquets du temple de Vénus;
Moi-même, de Vénus insensible prêtresse,
Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse :
Aux pieds de ses autels, soudain je t'aperçus!
Dieux! quels transports nouveaux! ô dieux! comment décrire
Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois?
Ma langue se glaça, je demeurais sans voix,
Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre!
Non : jamais aux regards de l'ingrate Daphné
Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone;
Jamais le thyrse en main, de pampres couronné,
Le jeune dieu de l'Inde, en triomphe traîné,
N'apparut plus brillant aux regards d'Erigone.
Tout sortit... de lui seul je me souvins, hélas!
Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure,
J'errais seule et pensive autour de sa demeure.
Un pouvoir plus qu'humain m'enchaînait sur ses pas!
Que j'aimais à le voir, de la foule enivrée,
Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux,
Lancer le disque au loin, d'une main assurée,
Et sur tous ses rivaux l'emporter dans nos jeux!
Que j'aimais à le voir, penché sur la crinière
D'un coursier de I'Elide aussi prompt que les vents,
S'élancer le premier au bout de la carrière,
Et, le front couronné, revenir à pas lents!
Ah! de tous ses succès, que mon âme était fière!
Et si de ce beau front de sueur humecté
J'avais pu seulement essuyer la poussière...
O dieux! j'aurais donné tout, jusqu'à ma beauté,
Pour être un seul instant ou sa soeur ou sa mère!
Vous, qui n'avez jamais rien pu pour mon bonheur!
Vaines divinités des rives du Permesse,
Moi-même, dans vos arts, j'instruisis sa jeunesse;
Je composai pour lui ces chants pleins de douceur,
Ces chants qui m'ont valu les transports de la Grèce :
Ces chants, qui des Enfers fléchiraient la rigueur,
Malheureuse Sapho! n'ont pu fléchir son coeur,
Et son ingratitude a payé ta tendresse!
Redoublez vos soupirs! redoublez vos sanglots!
Pleurez! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos!
Si l'ingrat cependant s'était laissé toucher!
Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes
A son indifférence avaient pu l'arracher!
S'il eût été du moins attendri par mes larmes!
Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux
N'aurait filé des jours plus doux, plus glorieux!
Que d'éclat cet amour eût jeté sur sa vie!
Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie!
Et l'amant de Sapho, fameux dans l'univers,
Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers!
C'est pour lui que j'aurais, sur tes autels propices,
Fait fumer en tout temps l'encens des sacrifices,
O Vénus! c'est pour lui que j'aurais nuit et jour
Suspendu quelque offrande aux autels de l'Amour!
C'est pour lui que j'aurais, durant les nuits entières
Aux trois fatales soeurs adressé mes prières!
Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux ,
J'aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux!
Pour lui j'aurais voulu dans les jeux d'Ionie
Disputer aux vainqueurs les palmes du génie!
Que ces lauriers brillants à mon orgueil offerts
En les cueillant pour lui m'auraient été plus chers!
J'aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire,
Et couronné son front des rayons de ma gloire.
Souvent à la prière abaissant mon orgueil,
De ta porte, ô Phaon! j'allais baiser le seuil.
Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse
Me refuse à jamais ce doux titre d'épouse,
Souffre, ô trop cher enfant, que Sapho, près de toi,
Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi!
Que m'importe ce nom et cette ignominie!
Pourvu qu'à tes côtés je consume ma vie!
Pourvu que je te voie, et qu'à mon dernier jour
D'un regard de pitié tu plaignes tant d'amour!
Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse;
Vénus égalera ma force à ma tendresse.
Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas,
Tu me verras te suivre au milieu des combats;
Tu me verras, de Mars affrontant la furie,
Détourner tous les traits qui menacent ta vie,
Entre la mort et toi toujours prompte à courir...
Trop heureuse pour lui si j'avais pu mourir!
"Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone,
"Sous la tente au sommeil ton âme s'abandonne,
"Ce sommeil, ô Phaon! qui n'est plus fait pour moi,
"Seule me laissera veillant autour de toi!
"Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière,
"Assise à tes côtés durant la nuit entière,
"Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour,
"Je charmerai ta peine en attendant le jour!
Je disais; et les vents emportaient ma prière!
L'écho répétait seul ma plainte solitaire;
Et l'écho seul encor répond à mes sanglots!
Pleurez! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos!
Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire!
O lyre! que ma main fit résonner pour lui,
Ton aspect que j'aimais m'importune aujourd'hui,
Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire
Et mes feux, et ma honte, et l'ingrat qui m'a fui!
Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste!
Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis
Je ne te suspends pas! que le courroux céleste
Sur ces flots orageux disperse tes débris!
Et que de mes tourments nul vestige ne reste!
Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers
Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers!
Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre!
Que ne puis-je aux Enfers descendre tout entière!
Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon,
Emporter avec moi l'opprobre de mon nom!
Cependant si les dieux que sa rigueur outrage
Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage?
Si de ce lieu suprême il pouvait s'approcher?
S'il venait contempler sur le fatal rocher
Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée,
Frappant de vains sanglots la rive désolée,
Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort,
Et dressant lentement les apprêts de sa mort?
Sans doute, à cet aspect, touché de mon supplice,
Il se repentirait de sa longue injustice?
Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer
Il dirait à Sapho : Vis encor pour aimer!
Qu'ai-je dit? Loin de moi quelque remords peut-être,
A défaut de l'amour, dans son coeur a pu naître :
Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux,
Il frissonne, il s'arrête, il revient vers ces lieux?
Il revient m'arrêter sur les bords de l'abîme;
Il revient!... il m'appelle... il sauve sa victime!...
Oh! qu'entends-je?... écoutez... du côté de Lesbos
Une clameur lointaine a frappé les échos!
J'ai reconnu l'accent de cette voix si chère,
J'ai vu sur le chemin s'élever la poussière!
O vierges! regardez! ne le voyez-vous pas
Descendre la colline et me tendre les bras?...
Mais non! tout est muet dans la nature entière,
Un silence de mort règne au loin sur la terre :
Le chemin est désert!... je n'entends que les flots...
Pleurez! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos!
Mais déjà s'élançant vers les cieux qu'il colore
Le soleil de son char précipite le cours.
Toi qui viens commencer le dernier de mes jours,
Adieu dernier soleil! adieu suprême aurore!
Demain du sein des flots vous jaillirez encore,
Et moi je meurs! et moi je m'éteins pour toujours!
Adieu champs paternels! adieu douce contrée!
Adieu chère Lesbos à Vénus consacrée!
Rivage où j'ai reçu la lumière des cieux!
Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance
D'une tremblante main me consacrant aux dieux,
Au culte de Vénus dévoua mon enfance!
Et toi, forêt sacrée, où les filles du Ciel,
Entourant mon berceau, m'ont nourri de leur miel,
Adieu! Leurs vains présents que le vulgaire envie,
Ni des traits de l'Amour, ni des coups du destin,
Misérable Sapho! n'ont pu sauver ta vie!
Tu vécus dans les pleurs, et tu meurs au matin!
Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée!
Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel,
Une jeune victime à ton temple amenée,
Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée,
Vient tomber avant l'âge au pied de ton autel!
Et vous qui reverrez le cruel que j'adore
Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux,
Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux!
Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore!...
Elle dit. Et le soir, quittant le bord des flots,
Vous revîntes sans elle, ô vierges de Lesbos!
III
Bonaparte
Sur un écueil battu par la vague plaintive,
Le nautonier de loin voit blanchir sur la rive
Un tombeau près du bord par les flots déposé;
Le temps n'a pas encor bruni l'étroite pierre,
Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre
On distingue... un sceptre brisé!
Ici gît... point de nom!... demandez à la terre!
Ce nom? il est inscrit en sanglant caractère
Des bords du Tanaïs au sommet du Cédar,
Sur le bronze et le marbre, et sur le sein des braves,
Et jusque dans le coeur de ces troupeaux d'esclaves
Qu'il foulait tremblants sous son char.
Depuis ces deux grands noms qu'un siècle au siècle annonce,
Jamais nom qu'ici-bas toute langue prononce
Sur l'aile de la foudre aussi loin ne vola.
Jamais d'aucun mortel le pied qu'un souffle efface
N'imprima sur la terre une plus forte trace,
Et ce pied s'est arrêté la!...
Il est là!... sous trois pas un enfant le mesure!
Son ombre ne rend pas même un léger murmure!
Le pied d'un ennemi foule en paix son cercueil!
Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne,
Et son ombre n'entend que le bruit monotone
D'une vague contre un écueil!
Ne crains rien, cependant, ombre encore inquiète,
Que je vienne outrager ta majesté muette.
Non. La lyre aux tombeaux n'a jamais insulté.
La mort fut de tout temps l'asile de la gloire.
Rien ne doit jusqu'ici poursuivre une mémoire.
Rien!... excepté la vérité!
Ta tombe et ton berceau sont couverts d'un nuage,
Mais pareil à l'éclair tu sortis d'un orage!
Tu foudroyas le monde avant d'avoir un nom!
Tel ce Nil dont Memphis boit les vagues fécondes
Avant d'être nommé fait bouilloner ses ondes
Aux solitudes de Memnom.
Les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides;
La victoire te prit sur ses ailes rapides
D'un peuple de Brutus la gloire te fit roi!
Ce siècle, dont l'écume entraînait dans sa course
Les moeurs, les rois, les dieux... refoulé vers sa source,
Recula d'un pas devant toi!
Tu combattis l'erreur sans regarder le nombre;
Pareil au fier Jacob tu luttas contre une ombre!
Le fantôme croula sous le poids d'un mortel!
Et, de tous ses grands noms profanateur sublime,
Tu jouas avec eux, comme la main du crime
Avec les vases de l'autel.
Ainsi, dans les accès d'un impuissant délire
Quand un siècle vieilli de ses mains se déchire
En jetant dans ses fers un cri de liberté,
Un héros tout à coup de la poudre s'élève,
Le frappe avec son sceptre... il s'éveille, et le rêve
Tombe devant la vérité!
Ah! si rendant ce sceptre à ses mains légitimes,
Plaçant sur ton pavois de royales victimes,
Tes mains des saints bandeaux avaient lavé l'affront!
Soldat vengeur des rois, plus grand que ces rois même,
De quel divin parfum, de quel pur diadème
L'histoire aurait sacré ton front!
Gloire! honneur! liberté! ces mots que l'homme adore,
Retentissaient pour toi comme l'airain sonore
Dont un stupide écho répète au loin le son :
De cette langue en vain ton oreille frappée
Ne comprit ici-bas que le cri de l'épée,
Et le mâle accord du clairon!
Superbe, et dédaignant ce que la terre admire,
Tu ne demandais rien au monde, que l'empire!
Tu marchais!... tout obstacle était ton ennemi!
Ta volonté volait comme ce trait rapide
Qui va frapper le but où le regard le guide,
Même à travers un coeur ami!
Jamais, pour éclaircir ta royale tristesse,
La coupe des festins ne te versa l'ivresse;
Tes yeux d'une autre pourpre aimaient à s'enivrer!
Comme un soldat debout qui veille sous les armes,
Tu vis de la beauté le sourire ou les larmes,
Sans sourire et sans soupirer!
Tu n'aimais que le bruit du fer, le cri d'alarmes!
L'éclat resplendissant de l'aube sur tes armes!
Et ta main ne flattait que ton léger coursier,
Quand les flots ondoyants de sa pâle crinière
Sillonnaient comme un vent la sanglante poussière,
Et que ses pieds brisaient l'acier!
Tu grandis sans plaisir, tu tombas sans murmure!
Rien d'humain ne battait sous ton épaisse armure :
Sans haine et sans amour, tu vivais pour penser :
Comme l'aigle régnant dans un ciel solitaire,
Tu n'avais qu'un regard pour mesurer la terre,
Et des serres pour l'embrasser!
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S'élancer d'un seul bon au char de la victoire,
Foudroyer l'univers des splendeurs de sa gloire,
Fouler d'un même pied des tribuns et des rois;
Forger un joug trempé dans l'amour et la haine,
Et faire frissonner sous le frein qui l'enchaîne
Un peuple échappé de ses lois!
Etre d'un siècle entier la pensée et la vie,
Emousser le poignard, décourager l'envie;
Ebranler, raffermir l'univers incertain,
Aux sinistres clarté de ta foudre qui gronde
Vingt fois contre les dieux jouer le sort du monde,
Quel rêve! et ce fut ton destin!...
Tu tombas cependant de ce sublime faîte!
Sur ce rocher désert jeté par la tempête,
Tu vis tes ennemis déchirer ton manteau!
Et le sort, ce seul dieu qu'adora ton audace,
Pour dernière faveur t'accorda cet espace
Entre le trône et le tombeau!
Oh! qui m'aurait donné d'y sonder ta pensée,
Lorsque le souvenir de te grandeur passée
Venait, comme un remords, t'assaillir loin du bruit!
Et que, les bras croisés sur ta large poitrine,
Sur ton front chauve et nu, que la pensée incline,
L'horreur passait comme la nuit!
Tel qu'un pasteur debout sur la rive profonde
Voit son ombre de loin se prolonger sur l'onde
Et du fleuve orageux suivre en flottant le cours;
Tel du sommet désert de ta grandeur suprême,
Dans l'ombre du passé te recherchant toi-même,
Tu rappelais tes anciens jours!
Ils passaient devant toi comme des flots sublimes
Dont l'oeil voit sur les mers étinceler les cimes,
Ton oreille écoutait leur bruit harmonieux!
Et, d'un reflet de gloire éclairant ton visage,
Chaque flot t'apportait une brillante image
Que tu suivais longtemps des yeux!
Là, sur un pont tremblant tu défiais la foudre!
Là, du désert sacré tu réveillais la poudre!
Ton coursier frissonnait dans les flots du Jourdain!
Là, tes pas abaissaient une cime escarpée!
Là, tu changeais en sceptre une invincible épée!
Ici... Mais quel effroi soudain?
Pourquoi détournes-tu ta paupière éperdue?
D'où vient cette pâleur sur ton front répandue?
Qu'as-tu vu tout à coup dans l'horreur du passé?
Est-ce d'une cité la ruine fumante?
Ou du sang des humains quelque plaine écumante?
Mais la gloire a tout effacé.
La gloire efface tout!... tout excepté le crime!
Mais son doigt me montrait le corps d'une victime;
Un jeune homme! un héros, d'un sang pur inondé!
Le flot qui l'apportait, passait, passait, sans cesse;
Et toujours en passant la vague vengeresse
Lui jetait le nom de Condé!...
Comme pour effacer une tache livide,
On voyait sur son front passer sa main rapide;
Mais la trace du sang sous son doigt renaissait!
Et, comme un sceau frappé par une main suprême,
La goutte ineffaçable, ainsi qu'un diadème,
Le couronnait de son forfait!
C'est pour cela, tyran! que ta gloire ternie
Fera par ton forfait douter de ton génie!
Qu'une trace de sang suivra partout ton char!
Et que ton nom, jouet d'un éternel orage,
Sera par l'avenir ballotté d'âge en âge
Entre Marius et César!
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Tu mourus cependant de la mort du vulgaire,
Ainsi qu'un moissonneur va chercher son salaire,
Et dort sur sa faucille avant d'être payé!
Tu ceignis en mourant ton glaive sur ta cuisse,
Et tu fus demander récompense ou justice
Au dieu qui t'avait envoyé!
On dit qu'aux derniers jours de sa longue agonie,
Devant l'éternité seul avec son génie,
Son regard vers le ciel parut se soulever!
Le signe rédempteur toucha son front farouche!...
Et même on entendit commencer sur sa bouche
Un nom!... qu'il n'osait achever!
Achève... C'est le dieu qui règne et qui couronne!
C'est le dieu qui punit! c'est le dieu qui pardonne!
Pour les héros et nous il a des poids divers!
Parle-lui sans effroi! lui seul peut te comprendre!
L'esclave et le tyran ont tous un compte à rendre,
L'un du sceptre, l'autre des fers!
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Son cercueil est fermé! Dieu l'a jugé! Silence!
Son crime et ses exploits pèsent dans la balance :
Que des faibles mortels la main n'y touche plus!
Qui peut sonder, Seigneur, ta clémence infinie?
Et vous, fléaux de Dieu! qui sait si le génie
N'est pas une de vos vertus?...
IV
Les étoiles
A Mme de P***.
Il est pour la pensée une heure... une heure sainte,
Alors que, s'enfuyant de la céleste enceinte,
De l'absence du jour pour consoler les cieux,
Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux.
On voit à l'horizon sa lueur incertaine,
Comme les bords flottants d'une robe qui traîne,
Balayer lentement le firmament obscur,
Où les astres ternis revivent dans l'azur.
Alors ces globes d'or, ces îles de lumière,
Que cherche par instinct la rêveuse paupière,
Jaillissent par milliers de l'ombre qui s'enfuit
Comme une poudre d'or sur les pas de la nuit;
Et le souffle du soir qui vole sur sa trace,
Les sème en tourbillons dans le brillant espace.
L'oeil ébloui les cherche et les perd à la fois;
Les uns semblent planer sur les cimes des bois,
Tel qu'un céleste oiseau dont les rapides ailes
Font jaillir en s'ouvrant des gerbes d'étincelles.
D'autres en flots brillants s'étendent dans les airs,
Comme un rocher blanchi de l'écume des mers;
Ceux-là, comme un coursier volant dans la carrière,
Déroulent à longs plis leur flottante crinière;
Ceux-ci, sur l'horizon se penchant à demi,
Semblent des yeux ouverts sur le monde endormi,
Tandis qu'aux bords du ciel de légères étoiles
Voguent dans cet azur comme de blanches voiles
Qui, revenant au port, d'un rivage lointain,
Brillent sur l'Océan aux rayons du matin.
De ces astres brillants, son plus sublime ouvrage,
Dieu seul connaît le nombre, et la distance, et l'âge;
Les uns, déjà vieillis, pâlissent à nos yeux,
D'autres se sont perdus dans les routes des cieux,
D'autres, comme des fleurs que son souffle caresse,
Lèvent un front riant de grâce et de jeunesse,
Et, charmant l'Orient de leurs fraîches clartés,
Etonnent tout à coup l'oeil qui les a comptés.
Dans la danse céleste ils s'élancent... et l'homme,
Ainsi qu'un nouveau-né, les salue, et les nomme.
Quel mortel enivré de leur chaste regard,
Laissant ses yeux flottants les fixer au hasard,
Et cherchant le plus pur parmi ce choeur suprême,
Ne l'a pas consacré du nom de ce qu'il aime?
Moi-même... il en est un, solitaire, isolé,
Qui, dans mes longues nuits, m'a souvent consolé,
Et dont l'éclat, voilé des ombres du mystère,
Me rappelle un regard qui brillait sur la terre.
Peut-être?... ah! puisse-t-il au céleste séjour
Porter au moins ce nom que lui donna l'Amour!
Cependant la nuit marche, et sur l'abîme immense
Tous ces mondes flottants gravitent en silence,
Et nous-même, avec eux emportés dans leur cours
Vers un port inconnu nous avançons toujours!
Souvent, pendant la nuit, au souffle du zéphire,
On sent la terre aussi flotter comme un navire.
D'une écume brillante on voit les monts couverts
Fendre d'un cours égal le flot grondant des airs;
Sur ces vagues d'azur où le globe se joue,
On entend l'aquilon se briser sous la proue,
Et du vent dans les mâts les tristes sifflements,
Et de ses flancs battus les sourds gémissements;
Et l'homme sur l'abîme où sa demeure flotte
Vogue avec volupté sur la foi du pilote!
Soleils! mondes flottants qui voguez avec nous,
Dites, s'il vous l'a dit, où donc allons-nous tous?
Quel est le port céleste où son souffle nous guide?
Quel terme assigna-t-il à notre vol rapide?
Allons-nous sur des bords de silence et de deuil,
Echouant dans la nuit sur quelque vaste écueil,
Semer l'immensité des débris du naufrage?
Ou, conduits par sa main sur un brillant rivage,
Et sur l'ancre éternelle à jamais affermis,
Dans un golfe du ciel aborder endormis?
Vous qui nagez plus près de la céleste voûte,
Mondes étincelants, vous le savez sans doute!
Cet Océan plus pur, ce ciel où vous flottez,
Laisse arriver à vous de plus vives clartés;
Plus brillantes que nous, vous savez davantage;
Car de la vérité la lumière est l'image!
Oui : si j'en crois l'éclat dont vos orbes errants
Argentent des forêts les dômes transparents,
Qui glissant tout à coup sur des mers irritées,
Calme en les éclairant les vagues agitées;
Si j'en crois ces rayons dont le sensible jour
Inspire la vertu, la prière, l'amour,
Et quand l'oeil attendri s'entrouvre à leur lumière,
Attirent une larme au bord de la paupière;
Si j'en crois ces instincts, ces doux pressentiments
Qui dirigent vers nous les soupirs des amants,
Les yeux de la beauté, les rêves qu'on regrette,
Et le vol enflammé de l'aigle et du poète!
Tentes du ciel, Edens! temples! brillants palais!
Vous êtes un séjour d'innocence et de paix!
Dans le calme des nuits, à travers la distance,
Vous en versez sur nous la lointaine influence!
Tout ce que nous cherchons, l'amour, la vérité,
Ces fruits tombés du ciel dont la terre a goûté,
Dans vos brillants climats que le regard envie
Nourrissent à jamais les enfants de la vie,
Et l'homme, un jour peut-être à ses destins rendu,
Retrouvera chez vous tout ce qu'il a perdu?
Hélas! combien de fois seul, veillant sur ces cimes
Où notre âme plus libre a des voeux plus sublimes,
Beaux astres! fleurs du ciel dont le lis est jaloux,
J'ai murmuré tout bas : Que ne suis-je un de vous?
Que ne puis-je, échappant à ce globe de boue,
Dans la sphère éclatante où mon regard se joue,
Jonchant d'un feu de plus le parvis du saint lieu,
Eclore tout à coup sous les pas de mon Dieu,
Ou briller sur le front de la beauté suprême,
Comme un pâle fleuron de son saint diadème?
Dans le limpide azur de ces flots de cristal,
Me souvenant encor de mon globe natal,
Je viendrais chaque nuit, tardif et solitaire,
Sur les monts que j'aimais briller près de la terre;
J'aimerais à glisser sous la nuit des rameaux,
A dormir sur les prés, à flotter sur les eaux;
A percer doucement le voile d'un nuage,
Comme un regard d'amour que la pudeur ombrage :
Je visiterais l'homme; et s'il est ici-bas
Un front pensif, des yeux qui ne se ferment pas,
Une âme en deuil, un coeur qu'un poids sublime oppresse,
Répandant devant Dieu sa pieuse tristesse;
Un malheureux au jour dérobant ses douleurs
Et dans le sein des nuits laissant couler ses pleurs,
Un génie inquiet, une active pensée
Par un instinct trop fort dans l'infini lancée;
Mon rayon pénétré d'une sainte amitié
Pour des maux trop connus prodiguant sa pitié,
Comme un secret d'amour versé dans un coeur tendre,
Sur ces fronts inclinés se plairait à descendre!
Ma lueur fraternelle en découlant sur eux
Dormirait sur leur sein, sourirait à leurs yeux :
Je leur révélerais dans la langue divine
Un mot du grand secret que le malheur devine;
Je sécherais leurs pleurs; et quand l'oeil du matin
Ferait pâlir mon disque à l'horizon lointain,
Mon rayon en quittant leur paupière attendrie
Leur laisserait encor la vague rêverie,
Et la paix et l'espoir; et, lassés de gémir,
Au moins avant l'aurore ils pourraient s'endormir.
Et vous, brillantes soeurs! étoiles, mes compagnes,
Qui du bleu firmament émaillez les campagnes,
Et cadençant vos pas à la lyre des cieux,
Nouez et dénouez vos choeurs harmonieux!
Introduit sur vos pas dans la céleste chaîne,
Je suivrais dans l'azur l'instinct qui vous entraîne,
Vous guideriez mon oeil dans ce brillant désert,
Labyrinthe de feux où le regard se perd!
Vos rayons m'apprendraient à louer, à connaître
Celui que nous cherchons, que vous voyez peut-être!
Et noyant dans son sein mes tremblantes clartés,
Je sentirais en lui... tout ce que vous sentez!
V
Le papillon
Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l'aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S'enivrer de parfums, de lumière et d'azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S'envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté!
VI
Le passé
A M. A. de V***.
Arrêtons-nous sur la colline
A l'heure où, partageant les jours,
L'astre du matin qui décline
Semble précipiter son cours!
En avançant dans sa carrière,
Plus faible il rejette en arrière
L'ombre terrestre qui le suit,
Et de l'horizon qu'il colore
Une moitié le voit encore,
L'autre se plonge dans la nuit!
C'est l'heure où, sous l'ombre inclinée,
Le laboureur dans le vallon
Suspend un moment sa journée,
Et s'assied au bord du sillon!
C'est l'heure où, près de la fontaine,
Le voyageur reprend haleine
Après sa course du matin!
Et c'est l'heure où l'âme qui pense
Se retourne et voit l'espérance
Qui l'abandonne en son chemin!
Ainsi notre étoile pâlie,
Jetant de mourantes lueurs
Sur le midi de notre vie,
Brille à peine à travers nos pleurs.
De notre rapide existence
L'ombre de la mort qui s'avance
Obscurcit déjà la moitié!
Et, près de ce terme funeste,
Comme à l'aurore, il ne nous reste
Que l'espérance et l'amitié!
Ami qu'un même jour vit naître,
Compagnon depuis le berceau,
Et qu'un même jour doit peut-être
Endormir au même tombeau!
Voici la borne qui partage
Ce douloureux pèlerinage
Qu'un même sort nous a tracé!
De ce sommet qui nous rassemble,
Viens, jetons un regard ensemble
Sur l'avenir et le passé!
Repassons nos jours, si tu l'oses!
Jamais l'espoir des matelots
Couronna-t-il d'autant de roses
Le navire qu'on lance aux flots?
Jamais d'une teinte plus belle
L'aube en riant colora-t-elle
Le front rayonnant du matin?
Jamais, d'un oeil perçant d'audace,
L'aigle embrassa-t-il plus d'espace
Que nous en ouvrait le destin?
En vain sur la route fatale,
Dont les cyprès tracent le bord,
Quelques tombeaux par intervalle
Nous avertissaient de la mort!
Ces monuments mélancoliques
Nous semblaient, comme aux jours antiques,
Un vain ornement du chemin!
Nous nous asseyions sous leur ombre,
Et nous rêvions des jours sans nombre,
Hélas! entre hier et demain!
Combien de fois, près du rivage
Où Nisida dort sur les mers,
La beauté crédule ou volage
Accourut à nos doux concerts!
Combien de fois la barque errante
Berça sur l'onde transparente
Deux couples par l'Amour conduits!
Tandis qu'une déesse amie
Jetait sur la vague endormie
Le voile parfumé des nuits!
Combien de fois, dans le délire
Qui succédait à nos festins,
Aux sons antiques de la lyre,
J'évoquai des songes divins!
Aux parfums des roses mourantes,
Aux vapeurs des coupes fumantes,
Ils volaient à nous tour à tour!
Et sur leurs ailes nuancées,
Egaraient nos molles pensées
Dans les dédales de l'Amour!
Mais dans leur insensible pente,
Les jours qui succédaient aux jours
Entraînaient comme une eau courante
Et nos songes et nos amours;
Pareil à la fleur fugitive
Qui du front joyeux d'un convive
Tombe avant l'heure du festin,
Ce bonheur que l'ivresse cueille,
De nos fronts tombant feuille à feuille,
Jonchait le lugubre chemin!
Et maintenant, sur cet espace
Que nos pas ont déjà quitté,
Retourne-toi! cherchons la trace
De l'amour, de la volupté!
En foulant leurs rives fanées,
Remontons le cours des années,
Tandis qu'un souvenir glacé,
Comme l'astre adouci des ombres,
Eclaire encor de teintes sombres
La scène vide du passé!
Ici, sur la scène du monde,
Se leva ton premier soleil!
Regarde! quelle nuit profonde
A remplacé ce jour vermeil!
Tout sous les cieux semblait sourire,
La feuille, l'onde, le zéphire
Murmuraient des accords charmants!
Ecoute! la feuille est flétrie!
Et les vents sur l'onde tarie
Rendent de sourds gémissements!
Reconnais-tu ce beau rivage?
Cette mer aux flots argentés,
Qui ne fait que bercer l'image
Des bords dans son sein répétés?
Un nom chéri vole sur l'onde!...
Mais pas une voix qui réponde,
Que le flot grondant sur l'écueil!
Malheureux! quel nom tu prononces!
Ne vois-tu pas parmi ces ronces
Ce nom gravé sur un cercueil?...
Plus loin sur la rive où s'épanche
Un fleuve épris de ces coteaux,
Vois-tu ce palais qui se penche
Et jette une ombre au sein des eaux?
Là, sous une forme étrangère,
Un ange exilé de sa sphère
D'un céleste amour t'enflamma!
Pourquoi trembler? quel bruit t'étonne?
Ce n'est qu'une ombre qui frissonne
Aux pas du mortel qu'elle aima!
Hélas! partout où tu repasses,
C'est le deuil, le vide ou la mort,
Et rien n'a germé sur nos traces
Que la douleur ou le remord!
Voilà ce coeur où ta tendresse
Sema des fruits que ta vieillesse,
Hélas! ne recueillera pas :
Là, l'oubli perdit ta mémoire!
Là, l'envie étouffa ta gloire!
Là, ta vertu fit des ingrats!
Là, l'illusion éclipsée
S'enfuit sous un nuage obscur!
Ici, l'espérance lassée
Replia ses ailes d'azur!
Là, sous la douleur qui le glace,
Ton sourire perdit sa grâce,
Ta voix oublia ses concerts!
Tes sens épuisés se plaignirent,
Et tes blonds cheveux se teignirent
Au souffle argenté des hivers!
Ainsi des rives étrangères,
Quand l'homme, à l'insu des tyrans,
Vers la demeure de ses pères
Porte en secret ses pas errants,
L'ivraie a couvert ses collines,
Son toit sacré pend en ruines,
Dans ses jardins l'onde a tari;
Et sur le seuil qui fut sa joie,
Dans l'ombre un chien féroce aboie
Contre les mains qui l'ont nourri!
Mais ces sens qui s'appesantissent
Et du temps subissent la loi,
Ces yeux, ce coeur qui se ternissent,
Cette ombre enfin, ce n'est pas toi!
Sans regret, au flot des années,
Livre ces dépouilles fanées
Qu'enlève le souffle des jours,
Comme on jette au courant de l'onde
La feuille aride et vagabonde
Que l'onde entraîne dans son cours!
Ce n'est plus le temps de sourire
A ces roses de peu de jours!
De mêler aux sons de la lyre
Les tendres soupirs des amours!
De semer sur des fonds stériles
Ces voeux, ces projets inutiles,
Par les vents du ciel emportés,
A qui le temps qui nous dévore
Ne donne pas l'heure d'éclore
Pendant nos rapides étés!
Levons les yeux vers la colline
Où luit l'étoile du matin!
Saluons la splendeur divine
Qui se lève dans le lointain!
Cette clarté pure et féconde
Aux yeux de l'âme éclaire un monde
Où la foi monte sans effort!
D'un saint espoir ton coeur palpite;
Ami! pour y voler plus vite,
Prenons les ailes de la mort!
En vain, dans ce désert aride,
Sous nos pas tout s'est effacé!
Viens! où l'éternité réside,
On retrouve jusqu'au passé!
Là, sont nos rêves pleins de charmes,
Et nos adieux trempés de larmes,
Nos voeux et nos espoirs perdus!
Là, refleuriront nos jeunesses;
Et les objets de nos tristesses
A nos regrets seront rendus!
Ainsi, quand les vents de l'automne
Ont balayé l'ombre des bois,
L'hirondelle agile abandonne
Le faîte du palais des rois!
Suivant le soleil dans sa course,
Elle remonte vers la source
D'où l'astre nous répand les jours;
Et sur ses pas retrouve encore
Un autre ciel, une autre aurore,
Un autre nid pour ses amours!
Ce roi, dont la sainte tristesse
Immortalisa les douleurs,
Vit ainsi sa verte jeunesse
Se renouveler sous ses pleurs!
Sa harpe, à l'ombre de la tombe,
Soupirait comme la colombe
Sous les verts cyprès du Carmel!
Et son coeur, qu'une lampe éclaire,
Résonnait comme un sanctuaire
Où retentit l'hymne éternel!
VII
Tristesse
Ramenez-moi, disais-je, au fortuné rivage
Où Naples réfléchit dans une mer d'azur
Ses palais, ses coteaux, ses astres sans nuage,
Où l'oranger fleurit sous un ciel toujours pur.
Que tardez-vous? Partons! Je veux revoir encore
Le Vésuve enflammé sortant du sein des eaux;
Je veux de ses hauteurs voir se lever l'aurore;
Je veux, guidant les pas de celle que j'adore,
Redescendre, en rêvant, de ces riants coteaux;
Suis-moi dans les détours de ce golfe tranquille;
Retournons sur ces bords à nos pas si connus,
Aux jardins de Cinthie, au tombeau de Virgile,
Près des débris épars du temple de Vénus :
Là, sous les orangers, sous la vigne fleurie,
Dont le pampre flexible au myrte se marie,
Et tresse sur ta tête une voûte de fleurs,
Au doux bruit de la vague ou du vent qui murmure,
Seuls avec notre amour, seuls avec la nature,
La vie et la lumière auront plus de douceurs.
De mes jours pâlissants le flambeau se consume,
Il s'éteint par degrés au souffle du malheur,
Ou, s'il jette parfois une faible lueur,
C'est quand ton souvenir dans mon sein le rallume;
Je ne sais si les dieux me permettront enfin
D'achever ici-bas ma pénible journée.
Mon horizon se borne, et mon oeil incertain
Ose l'étendre à peine au-delà d'une année.
Mais s'il faut périr au matin,
S'il faut, sur une terre au bonheur destinée,
Laisser échapper de ma main
Cette coupe que le destin
Semblait avoir pour moi de roses couronnée,
Je ne demande aux dieux que de guider mes pas
Jusqu'aux bords qu'embellit ta mémoire chérie,
De saluer de loin ces fortunés climats,
Et de mourir aux lieux où j'ai goûté la vie.
VIII
La Solitude
Heureux qui, s'écartant des sentiers d'ici-bas,
A l'ombre du désert allant cacher ses pas,
D'un monde dédaigné secouant la poussière,
Efface, encor vivant, ses traces sur la terre,
Et, dans la solitude enfin enseveli,
Se nourrit d'espérance et s'abreuve d'oubli!
Tel que ces esprits purs qui planent dans l'espace,
Tranquille spectateur de cette ombre qui passe,
Des caprices du sort à jamais défendu,
Il suit de l'oeil ce char dont il est descendu!...
Il voit les passions, sur une onde incertaine,
De leur souffle orageux enfler la voile inhumaine.
Mais ces vents inconstants ne troublent plus sa paix;
Il se repose en Dieu, qui ne change jamais;
Il aime à contempler ses plus hardis ouvrages,
Ces monts, vainqueurs des vents, de la foudres et des âges,
Où dans leur masse auguste et leur solidité,
Ce Dieu grava sa force et son éternité.
A cette heure où, frappé d'un rayon de l'aurore,
Leur sommet enflammé que l'Orient colore,
Comme un phare céleste allumé dans la nuit,
Jaillit étincelant de l'ombre qui s'enfuit,
Il s'élance, il franchit ses riantes collines
Que le mont jette au loin sur ses larges racines,
Et, porté par degrés jusqu'à ses sombres flancs,
Sous ses pins immortels il s'enfonce à pas lents :
Là, des torrents séchés le lit seul est sa route,
Tantôt les rocs minés sur lui pendent en voûte,
Et tantôt, sur leurs bords tout à coup suspendu,
Il recule étonné; son regard éperdu
Jouit avec horreur de cet effroi sublime,
Et sous ses pieds, longtemps, il voit tournoyer l'abîme!
Il monte, et l'horizon grandit à chaque instant;
Il monte, et devant lui l'immensité s'étend
Comme sous le regard d'une nouvelle aurore;
Un monde à chaque pas pour ses yeux semble éclore!
Jusqu'au sommet suprême où son oeil enchanté
S'empare de l'espace, et plane en liberté.
Ainsi, lorsque notre âme, à sa source envolée,
Quitte enfin pour toujours la terrestre vallée,
Chaque coup de son aile, en l'élevant aux cieux,
Elargit l'horizon qui s'étend sous nos yeux;
Des mondes sous son vol le mystère s'abaisse,
En découvrant toujours, elle monte sans cesse
Jusqu'aux saintes hauteurs où l'oeil du séraphin
Sur l'espace infini plonge un regard sans fin.
Salut, brillants sommets! champs de neige et de glace!
Vous qui d'aucun mortel n'avez gardé la trace;
Vous que le regard même aborde avec effroi,
Et qui n'avez souffert que les aigles et moi!
Oeuvres du premier jour, augustes pyramides
Que Dieu même affermit sur vos bases solides!
Confins de l'univers, qui, depuis ce grand jour,
N'avez jamais changé de forme et de contour!
Le nuage, en grondant, parcourt en vain vos cimes,
Le fleuve en vain grossi sillonne vos abîmes,
La foudre frappe en vain votre front endurci;
Votre front solennel, un moment obscurci,
Sur nous, comme la nuit, versant son ombre obscure,
Et laissant pendre au loin sa noire chevelure,
Semble, toujours vainqueur du choc qui l'ébranla,
Au dieu qui l'a fondé dire encor : Me voilà!
Et moi, me voici seul sur ces confins du monde!
Loin d'ici, sous mes pieds la foudre vole et gronde,
Les nuages battus par les ailes des vents
Entre-choquant comme eux leurs tourbillons mouvants,
Tels qu'un autre Océan soulevé par l'orage,
Se déroulent sans fin dans des lits sans rivage,
Et devant ces sommets abaissant leur orgueil,
Brisent incessamment sur cet immense écueil.
Mais, tandis qu'à ses pieds ce noir chaos bouillonne,
D'éternelles splendeurs le soleil le couronne :
Depuis l'heure où son char s'élance dans les airs,
Jusqu'à l'heure où son disque incline vers les mers,
Cet astre, en décrivant son oblique carrière,
D'aucune ombre jamais n'y souille sa lumière,
Et déjà la nuit sombre a descendu des cieux
Qu'à ces sommets encore il dit de longs adieux.
Là, tandis que je nage en des torrents de joie,
Ainsi que mon regard, mon âme se déploie,
Et croit, en respirant cet air de liberté,
Recouvrer sa splendeur et sa sérénité.
Oui, dans cet air du ciel, les soins lourds de la vie,
Le mépris des mortels, leur haine, ou leur envie,
N'accompagnent plus l'homme et ne surnagent pas :
Comme un vil plomb, d'eux-même ils retombent en bas.
Ainsi, plus l'onde est pure, et moins l'homme y surnage.
....................................................
A peine de ce monde il emporte une image!
....................................................
Mais ton image, ô Dieu, dans ces grands traits épars,
En s'élevant vers toi grandit à nos regards.
Comme au prêtre habitant l'ombre du sanctuaire,
Chaque pas te révèle à l'âme solitaire :
Le silence et la nuit, et l'ombre des forêts,
Lui murmurent tout bas de sublimes secrets;
Et l'esprit, abîmé dans ces rares spectacles,
Par la voix des déserts écoute tes oracles.
....................................................
J'ai vu de l'Océan les flots épouvantés,
Pareils aux fiers coursiers dans la plaine emportés,
Déroulant à ta voix leur humide crinière,
Franchir en bondissant leur bruyante barrière,
Puis soudain, refoulés sous ton sein tout-puissant,
Dans l'abîme étonné rentrer en mugissant.
J'ai vu le fleuve, épris des gazons du rivage,
Se glisser flots à flots, de bocage en bocage,
Et dans son lit voilé d'ombrage et de fraîcheur,
Bercer en murmurant la barque du pêcheur;
J'ai vu le trait brisé de la foudre qui gronde
Comme un serpent de feu se dérouler sur l'onde;
Le zéphir embaumé des doux parfums du miel,
Balayer doucement l'azur voilé du ciel;
La colombe, essuyant son aile encore humide,
Sur les bords de son nid poser un pied timide,
Puis d'un vol cadencé fendant le flot des airs
S'abattre en soupirant sur la rive des mers.
J'ai vu ces monts voisins des cieux où tu reposes,
Cette neige où l'aurore aime à semer ses roses,
Ces trésors des hivers, d'où par mille détours
Dans nos champs desséchés multipliant leur cours,
Cent rochers de cristal, que tu fonds à mesure,
Viennent désaltérer la mourante verdure!
Et ces ruisseaux pleuvant de ces rocs suspendus,
Et ces torrents grondant dans les granits fendus,
Et ces pics où le temps a perdu sa victoire...,
Et toute la nature est un hymne à ta gloire!
IX
Ischia
Le soleil va porter le jour à d'autres mondes;
Dans l'horizon désert Phébé monte sans bruit,
Et jette, en pénétrant les ténèbres profondes,
Un voile transparent sur le front de la nuit.
Voyez du haut des monts ses clartés ondoyantes
Comme un fleuve de flamme inonder les coteaux,
Dormir dans les vallons, ou glisser sur les pentes,
Ou rejaillir au loin du sein brillant des eaux.
La douteuse lueur, dans l'ombre répandue,
Teint d'un jour azuré la pâle obscurité,
Et fait nager au loin dans la vague étendue
Les horizons baignés par sa molle clarté!
L'Océan amoureux de ces rives tranquilles
Calme, en baisant leurs pieds, ses orageux transports,
Et pressant dans ses bras ces golfes et ces îles,
De son humide haleine en rafraîchit les bords.
Du flot qui tour à tour s'avance et se retire
L'oeil aime à suivre au loin le flexible contour :
On dirait un amant qui presse en son délire
La vierge qui résiste, et cède tour à tour!
Doux comme le soupir de l'enfant qui sommeille,
Un son vague et plaintif se répand dans les airs :
Est-ce un écho du ciel qui charme notre oreille?
Est-ce un soupir d'amour de la terre et des mers?
Il s'élève, il retombe, il renaît, il expire,
Comme un coeur oppressé d'un poids de volupté,
Il semble qu'en ces nuits la nature respire,
Et se plaint comme nous de sa félicité!
Mortel, ouvre ton âme à ces torrents de vie!
Reçois par tous les sens les charmes de la nuit,
A t'enivrer d'amour son ombre te convie;
Son astre dans le ciel se lève, et te conduit.
Vois-tu ce feu lointain trembler sur la colline?
Par la main de l'Amour c'est un phare allumé;
Là, comme un lis penché, l'amante qui s'incline
Prête une oreille avide aux pas du bien-aimé!
La vierge, dans le songe où son âme s'égare,
Soulève un oeil d'azur qui réfléchit les cieux,
Et ses doigts au hasard errant sur sa guitare
Jettent aux vents du soir des sons mystérieux!
" Viens! l'amoureux silence occupe au loin l'espace;
Viens du soir près de moi respirer la fraîcheur!
C'est l'heure; à peine au loin la voile qui s'efface
Blanchit en ramenant le paisible pêcheur!
" Depuis l'heure où ta barque a fui loin de la rive,
J'ai suivi tout le jour ta voile sur les mers,
Ainsi que de son nid la colombe craintive
Suit l'aile du ramier qui blanchit dans les airs!
" Tandis qu'elle glissait sous l'ombre du rivage,
J'ai reconnu ta voix dans la voix des échos;
Et la brise du soir, en mourant sur la plage,
Me rapportait tes chants prolongés sur les flots.
" Quand la vague a grondé sur la côte écumante,
À l'étoile des mers j'ai murmuré ton nom,
J'ai rallumé sa lampe, et de ta seule amante
L'amoureuse prière a fait fuir l'aquilon!
" Maintenant sous le ciel tout repose, ou tout aime :
La vague en ondulant vient dormir sur le bord;
La fleur dort sur sa tige, et la nature même
Sous le dais de la nuit se recueille et s'endort.
" Vois! la mousse a pour nous tapissé la vallée,
Le pampre s'y recourbe en replis tortueux,
Et l'haleine de l'onde, à l'oranger mêlée,
De ses fleurs qu'elle effeuille embaume mes cheveux.
" A la molle clarté de la voûte sereine
Nous chanterons ensemble assis sous le jasmin,
Jusqu'à l'heure où la lune, en glissant vers Misène,
Se perd en pâlissant dans les feux du matin. "
Elle chante; et sa voix par intervalle expire,
Et, des accords du luth plus faiblement frappés,
Les échos assoupis ne livrent au zéphire
Que des soupirs mourants, de silence coupés!
Celui qui, le coeur plein de délire et de flamme,
A cette heure d'amour, sous cet astre enchanté,
Sentirait tout à coup le rêve de son âme
S'animer sous les traits d'une chaste beauté;
Celui qui, sur la mousse, au pied du sycomore,
Au murmure des eaux, sous un dais de saphirs,
Assis à ses genoux, de l'une à l'autre aurore,
N'aurait pour lui parler que l'accent des soupirs;
Celui qui, respirant son haleine adorée,
Sentirait ses cheveux, soulevés par les vents,
Caresser en passant sa paupière effleurée,
Ou rouler sur son front leurs anneaux ondoyants;
Celui qui, suspendant les heures fugitives,
Fixant avec l'amour son âme en ce beau lieu,
Oublierait que le temps coule encor sur ces rives,
Serait-il un mortel, ou serait-il un dieu?...
Et nous, aux doux penchants de ces verts Elysées,
Sur ces bords où l'amour eût caché son Eden,
Au murmure plaintif des vagues apaisées,
Aux rayons endormis de l'astre élysien,
Sous ce ciel où la vie, où le bonheur abonde,
Sur ces rives que l'oeil se plaît à parcourir,
Nous avons respiré cet air d'un autre monde,
Elyse!... et cependant on dit qu'il faut mourir!
X
La branche d'amandier
De l'amandier tige fleurie,
Symbole, hélas! de la beauté,
Comme toi, la fleur de la vie
Fleurit et tombe avant l'été.
Qu'on la néglige ou qu'on la cueille,
De nos fronts, des mains de l'Amour,
Elle s'échappe feuille à feuille,
Comme nos plaisirs jour à jour!
Savourons ces courtes délices;
Disputons-les même au zéphyr,
Epuisons les riants calices
De ces parfums qui vont mourir.
Souvent la beauté fugitive
Ressemble à la fleur du matin,
Qui, du front glacé du convive,
Tombe avant l'heure du festin.
Un jour tombe, un autre se lève;
Le printemps va s'évanouir;
Chaque fleur que le vent enlève
Nous dit : Hâtez-vous de jouir.
Et, puisqu'il faut qu'elles périssent,
Qu'elles périssent sans retour!
Que ces roses ne se flétrissent
Que sous les lèvres de l'amour!
XI
A EL***
Lorsque seul avec toi, pensive et recueillie,
Tes deux mains dans la mienne, assis à tes côtés,
J'abandonne mon âme aux molles voluptés
Et je laisse couler les heures que j'oublie;
Lorsqu'au fond des forêts je t'entraîne avec moi,
Lorsque tes doux soupirs charment seuls mon oreille,
Ou que, te répétant les serments de la veille,
Je te jure à mon tour de n'adorer que toi;
Lorsqu'enfin, plus heureux, ton front charmant repose
Sur mon genou tremblant qui lui sert de soutien,
Et que mes doux regards sont suspendus au tien
Comme l'abeille avide aux feuilles de la rose;
Souvent alors, souvent, dans le fond de mon coeur
Pénètre comme un trait une vague terreur;
Tu me vois tressaillir; je pâlis, je frissonne,
Et troublé tout à coup dans le sein du bonheur,
Je sens couler des pleurs dont mon âme s'étonne.
Tu me presses soudain dans tes bras caressants,
Tu m'interroges, tu t'alarmes,
Et je vois de tes yeux s'échapper quelques larmes
Qui viennent se mêler aux pleurs que je répands.
" De quel ennui secret ton âme est-elle atteinte?
Me dis-tu : cher amour, épanche ta douleur;
J'adoucirai ta peine en écoutant ta plainte,
Et mon coeur versera le baume dans ton coeur. "
Ne m'interroge plus, ô moitié de moi-même!
Enlacé dans tes bras, quand tu me dis : Je t'aime;
Quand mes yeux enivrés se soulèvent vers toi,
Nul mortel sous les cieux n'est plus heureux que moi!
Mais jusque dans le sein des heures fortunées
Je ne sais quelle voix que j'entends retentir
Me poursuit, et vient m'avertir
Que le bonheur s'enfuit sur l'aile des années,
Et que de nos amours le flambeau doit mourir!
D'un vol épouvanté, dans le sombre avenir
Mon âme avec effroi se plonge,
Et je me dis : Ce n'est qu'un songe
Que le bonheur qui doit finir.
XII
Elégie
Cueillons, cueillons la rose au matin de la vie;
Des rapides printemps respire au moins les fleurs.
Aux chastes voluptés abandonnons nos coeurs,
Aimons-nous sans mesure, ô mon unique amie!
Quand le nocher battu par les flots irrités
Voit son fragile esquif menacé du naufrage,
Il tourne ses regards aux bords qu'il a quittés,
Et regrette trop tard les loisirs du rivage.
Ah! qu'il voudrait alors au toit de ses aïeux,
Près des objets chéris présents à sa mémoire,
Coulant des jours obscurs, sans périls et sans gloire,
N'avoir jamais laissé son pays ni ses dieux!
Ainsi l'homme, courbé sous le poids des années,
Pleure son doux printemps qui ne peut revenir.
Ah! rendez-moi, dit-il, ces heures profanées;
O dieux! dans leur saison j'oubliai d'en jouir.
Il dit : la mort répond; et ces dieux qu'il implore,
Le poussant au tombeau sans se laisser fléchir,
Ne lui permettent pas de se baisser encore
Pour ramasser ces fleurs qu'il n'a pas su cueillir.
Aimons-nous, ô ma bien-aimée!
Et rions des soucis qui bercent les mortels;
Pour le frivole appas d'une vaine fumée,
La moitié de leurs jours, hélas! est consumée
Dans l'abandon des biens réels.
A leur stérile orgueil ne portons point envie,
Laissons le long espoir aux maîtres des humains!
Pour nous, de notre heure incertains,
Hâtons-nous d'épuiser la coupe de la vie
Pendant qu'elle est entre nos mains.
Soit que le laurier nous couronne,
Et qu'aux fastes sanglants de l'altière Bellone
Sur le marbre ou l'airain on inscrive nos noms;
Soit que des simples fleurs que la beauté moissonne
L'amour pare nos humbles fronts;
Nous allons échouer, tous, au même rivage :
Qu'importe, au moment du naufrage,
Sur un vaisseau fameux d'avoir fendu les airs,
Ou sur une barque légère
D'avoir, passager solitaire,
Rasé timidement le rivage des mers?
XIII
Le poète mourant
La coupe de mes jours s'est brisée encor pleine;
Ma vie hors de mon sein s'enfuit à chaque haleine;
Ni baisers ni soupirs ne peuvent l'arrêter;
Et l'aile de la mort, sur l'airain qui me pleure,
En sons entrecoupés frappe ma dernière heure;
Faut-il gémir? faut-il chanter?...
Chantons, puisque mes doigts sont encor sur la lyre;
Chantons, puisque la mort, comme au cygne, m'inspire
Aux bords d'un autre monde un cri mélodieux.
C'est un présage heureux donné par mon génie,
Si notre âme n'est rien qu'amour et harmonie,
Qu'un chant divin soit ses adieux!
La lyre en se brisant jette un son plus sublime;
La lampe qui s'éteint tout à coup se ranime,
Et d'un éclat plus pur brille avant d'expirer;
Le cygne voit le ciel à son heure dernière,
L'homme seul, reportant ses regards en arrière,
Compte ses jours pour les pleurer.
Qu'est-ce donc que des jours pour valoir qu'on les pleure?
Un soleil, un soleil; une heure, et puis une heure;
Ce qu'une nous apporte, une autre nous l'enlève :
Travail, repos, douleur, et quelquefois un rêve,
Voilà le jour, puis vient la nuit.
Ah! qu'il pleure, celui dont les mains acharnées
S'attachant comme un lierre aux débris des années,
Voit avec l'avenir s'écrouler son espoir!
Pour moi, qui n'ai point pris racine sur la terre,
Je m'en vais sans effort, comme l'herbe légère
Qu'enlève le souffle du soir.
Le poète est semblable aux oiseaux de passage
Qui ne bâtissent point leurs nids sur le rivage,
Qui ne se posent point sur les rameaux des bois;
Nonchalamment bercés sur le courant de l'onde,
Ils passent en chantant loin des bords; et le monde
Ne connaît rien d'eux, que leur voix.
Jamais aucune main sur la corde sonore
Ne guida dans ses jeux sa main novice encore.
L'homme n'enseigne pas ce qu'inspire le ciel;
Le ruisseau n'apprend pas à couler dans sa pente,
L'aigle à fendre les airs d'une aile indépendante,
L'abeille à composer son miel.
L'airain retentissant dans sa haute demeure,
Sous le marteau sacré tour à tour chante et pleure,
Pour célébrer l'hymen, la naissance ou la mort;
J'étais comme ce bronze épuré par la flamme,
Et chaque passion, en frappant sur mon âme,
En tirait un sublime accord.
Telle durant la nuit la harpe éolienne,
Mêlant aux bruits des eaux sa plainte aérienne,
Résonne d'elle-même au souffle des zéphyrs.
Le voyageur s'arrête, étonné de l'entendre,
Il écoute, il admire et ne saurait comprendre
D'où partent ces divins soupirs.
Ma harpe fut souvent de larmes arrosée,
Mais les pleurs sont pour nous la céleste rosée;
Sous un ciel toujours pur le coeur ne mûrit pas :
Dans la coupe écrasé le jus du pampre coule,
Et le baume flétri sous le pied qui le foule
Répand ses parfums sur nos pas.
Dieu d'un souffle brûlant avait formé mon âme,
Tout ce qu'elle approchait s'embrasait de sa flamme :
Don fatal! et je meurs pour avoir trop aimé!
Tout ce que j'ai touché s'est réduit en poussière :
Ainsi le feu du ciel tombé sur la bruyère
S'éteint quand tout est consumé.
Mais le temps? - Il n'est plus. - Mais la gloire? - Eh! qu'importe
Cet écho d'un vain son, qu'un siècle à l'autre apporte?
Ce nom, brillant jouet de la postérité?
Vous qui de l'avenir lui promettez l'empire,
Ecoutez cet accord que va rendre ma lyre!...
....................................................
Les vents l'ont déjà emporté!
Ah! donnez à la mort un espoir moins frivole.
Eh quoi! le souvenir de ce son qui s'envole
Autour d'un vain tombeau retentirait toujours?
Ce souffle d'un mourant, quoi! c'est là de la gloire?
Mais vous qui promettez les temps à sa mémoire,
Mortels, possédez-vous deux jours?
J'en atteste les dieux! depuis que je respire,
Mes lèvres n'ont jamais prononcé sans sourire
Ce grand nom inventé par le délire humain;
Plus j'ai pressé ce mot, plus je l'ai trouvé vide,
Et je l'ai rejeté, comme une écorce aride
Que nos lèvres pressent en vain.
Dans le stérile espoir d'une gloire incertaine,
L'homme livre, en passant, au courant qui l'entraîne
Un nom de jour en jour dans sa course affaibli;
De ce brillant débris le flot du temps se joue;
De siècle en siècle, il flotte, il avance, il échoue
Dans les abîmes de l'oubli.
Je jette un nom de plus à ces flots sans rivage;
Au gré des vents, du ciel, qu'il s'abîme ou surnage,
En serai-je plus grand? Pourquoi? ce n'est qu'un nom.
Le cygne qui s'envole aux voûtes éternelles,
Amis! s'informe-t-il si l'ombre de ses ailes
Flotte encor sur un vil gazon?
Mais pourquoi chantais-tu? - Demande à Philomèle
Pourquoi, durant les nuits, sa douce voix se mêle
Au doux bruit des ruisseaux sous l'ombrage roulant!
Je chantais, mes amis, comme l'homme respire,
Comme l'oiseau gémit, comme le vent soupire,
Comme l'eau murmure en coulant.
Aimer, prier, chanter, voilà toute ma vie.
Mortels! de tous ces biens qu'ici-bas l'homme envie,
A l'heure des adieux je ne regrette rien;
Rien que l'ardent soupir qui vers le ciel s'élance,
L'extase de la lyre, ou l'amoureux silence
D'un coeur pressé contre le mien.
Aux pieds de la beauté sentir frémir sa lyre,
Voir d'accord en accord l'harmonieux délire
Couler avec le son et passer dans son sein,
Faire pleuvoir les pleurs de ces yeux qu'on adore,
Comme au souffle des vents les larmes de l'aurore
Tombent d'un calice trop plein;
Voir le regard plaintif de la vierge modeste
Se tourner tristement vers la voûte céleste,
Comme pour s'envoler avec le son qui fuit,
Puis retombant sur vous plein d'une chaste flamme,
Sous ses cils abaissés laisser briller son âme,
Comme un feu tremblant dans la nuit;
Voir passer sur son front l'ombre de la pensée,
La parole manquer à sa bouche oppressée,
Et de ce long silence entendre enfin sortir
Ce mot qui retentit jusque dans le ciel même,
Ce mot, le mot des dieux, et des hommes : ... Je t'aime!
Voilà ce qui vaut un soupir.
Un soupir! un regret! inutile parole!
Sur l'aile de la mort, mon âme au ciel s'envole;
Je vais où leur instinct emporte nos désirs;
Je vais où le regard voit briller l'espérance;
Je vais où va le son qui de mon luth s'élance;
Où sont allés tous mes soupirs!
Comme l'oiseau qui voit dans les ombres funèbres,
La foi, cet oeil de l'âme, a percé mes ténèbres;
Son prophétique instinct m'a révélé mon sort.
Aux champs de l'avenir combien de fois mon âme,
S'élançant jusqu'au ciel sur des ailes de flamme,
A-t-elle devancé la mort?
N'inscrivez point de nom sur ma demeure sombre.
Du poids d'un monument ne chargez pas mon ombre :
D'un peu de sable, hélas! je ne suis point jaloux.
Laissez-moi seulement à peine assez d'espace
Pour que le malheureux qui sur ma tombe passe
Puisse y poser ses deux genoux.
Souvent dans le secret de l'ombre et du silence,
Du gazon d'un cercueil la prière s'élance
Et trouve l'espérance à côté de la mort.
Le pied sur une tombe on tient moins à la terre;
L'horizon est plus vaste, l'âme plus légère,
Monte au ciel avec moins d'effort.
Brisez, livrez aux vents, aux ondes, à la flamme,
Ce luth qui n'a qu'un son pour répondre à mon âme!
Le luth des Séraphins va frémir sous mes doigts.
Bientôt, vivant comme eux d'un immortel délire,
Je vais guider, peut-être, aux accords de ma lyre,
Des cieux suspendus à ma voix.
Bientôt!... Mais de la mort la main lourde et muette
Vient de toucher la corde : elle se brise, et jette
Un son plaintif et sourd dans la vague des airs.
Mon luth glacé se tait... Amis, prenez le vôtre;
Et que mon âme encor passe d'un monde à l'autre
Au bruit de vos sacrés concerts!
XIV
L'ange
Fragment épique
Dieu se lève; et soudain sa voix terrible appelle
De ses ordres secrets un ministre fidèle,
Un de ces esprits purs qui sont chargés par lui
De servir aux humains de conseil et d'appui,
De lui porter leurs voeux sur leurs ailes de flamme,
De veiller sur leur vie, et de garder leur âme;
Tout mortel a le sien : cet ange protecteur,
Cet invisible ami veille autour de son coeur,
L'inspire, le conduit, le relève s'il tombe,
Et, portant dans les cieux son âme entre ses mains,
La présente en tremblant au juge des humains :
C'est ainsi qu'entre l'homme et Jéhovah lui-même,
Entre le pur néant et la grandeur suprême,
D'êtres inaperçus une chaîne sans fin
Réunit l'homme à l'ange et l'ange au séraphin;
C'est ainsi que, peuplant l'étendue infinie,
Dieu répandit partout l'esprit, l'âme et la vie!
Au son de cette voix, qui fait trembler le ciel,
S'élance devant Dieu l'archange Ithuriel :
C'est lui qui du héros est le céleste guide
Et qui pendant sa vie à ses destins préside :
Sur les marches du trône, où de la Trinité
Brille au plus haut des cieux la triple majesté,
L'esprit, épouvanté de la splendeur divine,
Dans un saint tremblement soudain monte et s'incline,
Et du voile éclatant de ses deux ailes d'or
Du céleste regard s'ombrage, et tremble encor!
Mais Dieu, voilant pour lui sa clarté dévorante,
Modère les accents de sa voix éclatante,
Se penche sur son trône et lui parle : soudain
Tout le ciel, attentif au Verbe souverain,
Suspend les chants sacrés, et la cour immortelle
S'apprête à recueillir la parole éternelle.
Pour la première fois, sous la voûte des cieux,
Cessa des chérubins le choeur harmonieux :
On n'entendit alors dans les saintes demeures
Que le bruit cadencé du char léger des heures
Qui, des jours éternels mesurant l'heureux cours,
Dans un cercle sans fin, fuit et revient toujours;
On n'entendit alors que la sourde harmonie
Des sphères poursuivant leur course indéfinie,
Et des astres pieux le murmure d'amour,
Qui vient mourir au seuil du céleste séjour!
Mais en vain dans le ciel les choeurs sacrés se turent;
Autour du trône en vain tous les saints accoururent;
L'archange entendit seul les ordres du Très-Haut;
Il s'incline, il adore, il s'élance aussitôt.
Telle qu'au sein des nuits, une étoile tombante,
Se détachant soudain de la voûte éclatante,
Glisse, et d'un trait de feu fendant l'obscurité,
Vient aux bords des marais étendre sa clarté :
Tel, d'un vol lumineux et d'une aile assurée,
L'ardent Ithuriel fend la plaine azurée.
A peine a-t-il franchi ces déserts enflammés,
Que la main du Très-Haut de soleils a semés,
Il ralentit son vol, et, comme un aigle immense,
Sur son aile immobile un instant se balance :
Il craint que la clarté des célestes rayons
Ne trahisse son vol aux yeux des nations;
Et secouant trois fois ses ailes immortelles,
Trois fois en fait jaillir des gerbes d'étincelles.
Le nocturne pasteur, qui compte dans les cieux
Les astres tant de fois nommés par ses aïeux,
Se trouble, et croit que Dieu de nouvelles étoiles
A de l'antique nuit semé les sombres voiles!
Mais, pour tromper les yeux, l'archange essaye en vain
De dépouiller l'éclat de ce reflet divin,
L'immortelle clarté dont son aile est empreinte
L'accompagne au-delà de la céleste enceinte;
Et ces rayons du ciel, dont il est pénétré,
Se détachant de lui, pâlissent par degré.
Ainsi le globe ardent, que l'ange des batailles
Inventa pour briser les tours et les murailles,
Sur ses ailes de feu projeté dans les airs,
Trace au sein de la nuit de sinistres éclairs :
Immobile un moment au haut de sa carrière,
Il pâlit, il retombe en perdant sa lumière;
Tous les yeux avec lui dans les airs suspendus
Le cherchent dans l'espace et ne le trouvent plus!
C'était l'heure où la nuit fait descendre du ciel
Le silence et l'oubli, compagnons du sommeil;
Le fleuve, déroulant ses vagues fugitives,
Réfléchissait les feux allumés sur ses rives,
Ces feux abandonnés, dont les débris mouvants
Pâlissaient, renaissaient, mouraient au gré des vents;
D'une antique forêt le ténébreux ombrage
Couvrait au loin la plaine et bordait le rivage :
Là, sous l'abri sacré du chêne, aimé des Francs,
Clovis avait planté ses pavillons errants!
Les vents, par intervalle agitant les armures,
En tiraient dans la nuit de belliqueux murmures;
L'astre aux rayons d'argent, se levant dans les cieux,
Répandait sur le champ son jour mystérieux,
Et, se réfléchissant sur l'acier des trophées,
Jetait dans la forêt des lueurs étouffées :
Tels brillent dans la nuit, à travers les rameaux,
Les feux tremblants du ciel, réfléchis dans les eaux.
Le messager divin s'avance vers la tente
Où Clovis, qu'entourait sa garde vigilante,
Commençait à goûter les nocturnes pavots :
Clodomir et Lisois, compagnons du héros,
Debout devant la tente, appuyés sur leur lance,
Gardaient l'auguste seuil, et veillaient en silence.
Mais de la palme d'or qui brille dans sa main
L'ange en touchant leurs yeux les assoupit soudain :
Ils tombent; de leur main la lance échappe et roule,
Et sous son pied divin l'ange en passant les foule.
Du pavillon royal il franchit les degrés.
Sur la peau d'un lion, dont les ongles dorés
Retombaient aux deux bords de sa couche d'ivoire,
Clovis dormait, bercé par des songes de gloire.
L'ange, de sa beauté, de sa grâce étonné,
Contemple avec amour ce front prédestiné.
Il s'approche, il retient son haleine divine,
Et sur le lit du prince en souriant s'incline :
Telle une jeune mère, au milieu de la nuit,
De son lit nuptial sortant au moindre bruit,
Une lampe à la main, sur un pied suspendue,
Vole à son premier-né, tremblant d'être entendue,
Et, pour calmer l'effroi qui la faisait frémir,
En silence longtemps le regarde dormir!
Tel des ordres d'en haut l'exécuteur fidèle,
Se penchant sur Clovis, l'ombrageait de son aile.
Sur le front du héros il impose ses mains :
Soudain, par un pouvoir ignoré des humains,
Dénouant sans efforts les liens de la vie,
Des entraves des sens son âme le délie :
L'ange, qui la reçoit, dirige son essor,
Et le corps du héros paraît dormir encor!
Dans l'astre au front changeant, dont la forme inégale,
Grandissant, décroissant, mourant par intervalle,
Prête ou retire aux nuits ses limpides rayons,
L'Eternel étendit d'immenses régions,
Où, des êtres réels images symboliques,
Les songes ont bâti leurs palais fantastiques.
Sortis demi-formés des mains du Tout-Puissant,
Ils tiennent à la fois de l'être et du néant;
Un souffle aérien est toute leur essence,
Et leur vie est à peine une ombre d'existence :
Aucune forme fixe, aucun contour précis,
N'indiquèrent jamais ces êtres indécis;
Mais ils sont, aux regards de Dieu qui les fit naître,
L'image du possible et les ombres de l'être!
La matière et le temps sont soumis à leurs lois.
Revêtus tour à tour de formes de leur choix,
Tantôt de ce qui fut ils rendent les images;
Et tantôt, s'élançant dans le lointain des âges,
Tous les êtres futurs, au néant arrachés,
Apparaissent d'avance en leurs jeux ébauchés.
Quand la nuit des mortels a fermé la paupière,
Sur les pâles rayons de l'astre du mystère
Ils glissent en silence, et leurs nombreux essaims
Ravissent au sommeil les âmes des humains,
Et, les portant d'un trait à leurs palais magiques,
Font éclore à leurs yeux des mondes fantastiques.
De leur globe natal les divers éléments,
Subissant à leur voix d'éternels changements,
Ne sont jamais fixés dans des formes prescrites,
Ne connaissent ni lois, ni repos, ni limites;
Mais sans cesse en travail, l'un par l'autre pressés,
Séparés, confondus, attirés, repoussés,
Comme les flots mouvants d'une mer en furie,
Leur forme insaisissable à chaque instant varie :
Où des fleuves coulaient, où mugissaient des mers,
Des sommets escarpés s'élancent dans les airs;
Soudain dans les vallons les montagnes descendent,
Sur leurs flancs décharnés des champs féconds s'étendent,
Qui, changés aussitôt en immenses déserts,
S'abîment à grand bruit dans des gouffres ouverts!
Des cités, des palais et des temples superbes
S'élèvent, et soudain sont cachés sous les herbes;
Tout change, et les cités, et les monts et les eaux,
S'y déroulent sans terme en horizons nouveaux :
Tel roulait le chaos dans les déserts du vide,
Lorsque Dieu séparant le terre du fluide,
De la confusion des éléments divers
Son regard créateur vit sortir l'univers!
C'est là qu'Ithuriel, sur son aile brillante,
Du héros endormi portait l'âme tremblante.
A peine il a touché ces bords mystérieux,
L'ombre de l'avenir éclôt devant ses yeux!
L'ange s'y précipite; et son âme étonnée
Parcourt en un clin d'oeil l'immense destinée!
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XV
Consolation
Quand le Dieu qui me frappe, attendri par mes larmes,
De mon coeur oppressé soulève un peu sa main,
Et, donnant quelque trêve à mes longues alarmes,
Laisse tarir mes yeux et respirer mon sein;
Soudain, comme le flot refoulé du rivage
Aux bords qui l'ont brisé revient en gémissant,
Ou comme le roseau, vain jouet de l'orage,
Qui plie et rebondit sous la main du passant,
Mon coeur revient à Dieu, plus docile et plus tendre,
Et de ses châtiments perdant le souvenir,
Comme un enfant soumis n'ose lui faire entendre
Qu'un murmure amoureux pour se plaindre et bénir!
Que le deuil de mon âme était lugubre et sombre!
Que de nuits sans pavots, que de jours sans soleil!
Que de fois j'ai compté les pas du temps dans l'ombre,
Quand les heures passaient sans mener le sommeil!
Mais loin de moi ces temps! que l'oubli les dévore!
Ce qui n'est plus pour l'homme a-t-il jamais été?
Quelques jours sont perdus; mais le bonheur encore,
Peut fleurir sous mes yeux comme une fleur d'été!
Tous les jours sont à toi! que t'importe leur nombre?
Tu dis : le temps se hâte, ou revient sur ses pas;
Eh! n'es-tu pas celui qui fit reculer l'ombre
Sur le cadran rempli d'un roi que tu sauvas?
Si tu voulais! ainsi le torrent de ma vie,
À sa source aujourd'hui remontant sans efforts,
Nourrirait de nouveau ma jeunesse tarie,
Et de ses flots vermeils féconderait ses bords;
Ces cheveux dont la neige, hélas! argente à peine
Un front où la douleur a gravé le passé,
S'ombrageraient encor de leur touffe d'ébène,
Aussi pur que la vague où le cygne a passé!
L'amour ranimerait l'éclat de ces prunelles,
Et ce foyer du coeur, dans les yeux répété,
Lancerait de nouveau ces chastes étincelles
Qui d'un désir craintif font rougir la beauté!
Dieu! laissez-moi cueillir cette palme féconde,
Et dans mon sein ravi l'emporter pour toujours,
Ainsi que le torrent emporte dans son onde
Les roses de Saron qui parfument son cours!
Quand pourrai-je la voir sur l'enfant qui repose
S'incliner doucement dans le calme des nuits?
Quand verrai-je ses fils de leurs lèvres de rose
Se suspendre à son sein comme l'abeille aux lis!
A l'ombre du figuier, près du courant de l'onde,
Loin de l'oeil de l'envie et des pas du pervers,
Je bâtirai pour eux un nid parmi le monde,
Comme sur un écueil l'hirondelle des mers!
Là, sans les abreuver à ces sources amères
Où l'humaine sagesse a mêlé son poison,
De ma bouche fidèle aux leçons de mes pères,
Pour unique sagesse ils apprendront ton nom!
Là je leur laisserai, pour unique héritage,
Tout ce qu'à ses petits laisse l'oiseau du ciel,
L'eau pure du torrent, un nid sous le feuillage,
Les fruits tombés de l'arbre, et ma place au soleil!
Alors, le front chargé de guirlandes fanées,
Tel qu'un vieux olivier parmi ses rejetons,
Je verrai de mes fils les brillantes années
Cacher mon tronc flétri sous leurs jeunes festons!
Alors j'entonnerai l'hymne de ma vieillesse,
Et, convive enivré des vins de ta bonté,
Je passerai la coupe aux mains de la jeunesse,
Et je m'endormirai dans ma félicité!
XVI
Les Préludes
La nuit, pour rafraîchir la nature embrasée,
De ses cheveux d'ébène exprimant la rosée,
Pose au sommet des monts ses pieds silencieux,
Et l'ombre et le sommeil descendent sur mes yeux :
C'était l'heure où jadis!... Mais aujourd'hui mon âme,
Comme un feu dont le vent n'excite plus la flamme,
Fait pour se ranimer un inutile effort,
Retombe sur soi-même, et languit et s'endort!
Que ce calme lui pèse! O lyre! ô mon génie!
Musique intérieure, ineffable harmonie,
Harpes, que j'entendais résonner dans les airs
Comme un écho lointain des célestes concerts,
Pendant qu'il en est temps, pendant qu'il vibre encore,
Venez, venez bercer ce coeur qui vous implore.
Et toi qui donnes l'âme à mon luth inspiré,
Esprit capricieux, viens, prélude à ton gré!
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Il descend! il descend! La harpe obéissante
A frémi mollement sous son vol cadencé,
Et de la corde frémissante
Le souffle harmonieux dans mon âme a passé!
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L'onde qui baise ce rivage,
De quoi se plaint-elle à ses bords?
Pourquoi le roseau sur la plage,
Pourquoi le ruisseau sous l'ombrage
Rendent-ils de tristes accords?
De quoi gémit la tourterelle
Quand, dans le silence des bois,
Seule auprès du ramier fidèle,
L'Amour fait palpiter son aile,
Les baisers étouffent sa voix?
Et toi, qui mollement te livre
Au doux sourire du bonheur,
Et du regard dont tu m'enivres,
Me fais mourir, me fais revivre,
De quoi te plains-tu sur mon coeur?
Plus jeune que la jeune aurore,
Plus limpide que ce flot pur,
Ton âme au bonheur vient d'éclore,
Et jamais aucun souffle encore
N'en a terni le vague azur.
Cependant, si ton coeur soupire
De quelque poids mystérieux,
Sur tes traits si la joie expire,
Et si tout près de ton sourire
Brille une larme dans tes yeux,
Hélas! c'est que notre faiblesse,
Pliant sous sa félicité
Comme un roseau qu'un souffle abaisse,
Donne l'accent de la tristesse
Même au cri de la volupté;
Ou bien peut-être qu'avertie
De la fuite de nos plaisirs,
L'âme en extase anéantie
Se réveille et sent que la vie
Fuit dans chacun de nos soupirs.
Ah! laisse le zéphire avide
A leur source arrêter tes pleurs;
Jouissons de l'heure rapide :
Le temps fuit, mais son flot limpide
Du ciel réfléchit les couleurs.
Tout naît, tout passe, tout arrive
Au terme ignoré de son sort :
A l'Océan l'onde plaintive,
Aux vents la feuille fugitive,
L'aurore au soir, l'homme à la mort.
Mais qu'importe, ô ma bien-aimée!
Le terme incertain de nos jours?
Pourvu que sur l'onde calmée,
Par une pente parfumée,
Le temps nous entraîne en son cours;
Pourvu que, durant le passage,
Couché dans tes bras à demi,
Les yeux tournés vers ton image,
Sans le voir, j'aborde au rivage
Comme un voyageur endormi.
Le flot murmurant se retire
Du rivage qu'il a baisé,
La voix de la colombe expire,
Et le voluptueux zéphire
Dort sur le calice épuisé.
Embrassons-nous, mon bien suprême,
Et sans rien reprocher aux dieux,
Un jour de la terre où l'on aime
Evanouissons-nous de même
En un soupir mélodieux.
Non, non, brise à jamais cette corde amollie!
Mon coeur ne répond plus à ta voix affaiblie.
L'amour n'a pas de sons qui puissent l'exprimer :
Pour révéler sa langue, il faut, il faut aimer.
Un seul soupir du coeur que le coeur nous renvoie,
Un oeil demi-voilé par des larmes de joie,
Un regard, un silence, un accent de sa voix,
Un mot toujours le même et répété cent fois,
O lyre! en disent plus que ta vaine harmonie,
L'amour est à l'amour, le reste est au génie.
Si tu veux que mon coeur résonne sous ta main,
Tire un plus mâle accord de tes fibres d'airain.
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J'entends, j'entends de loin comme une voix qui gronde;
Un souffle impétueux fait frissonner les airs,
Comme l'on voit frissonner l'onde
Quand l'aigle, au vol pesant, rase le sein des mers.
-----
Eh! qui m'emportera sur des flots sans rivages?
Quand pourrai-je, la nuit, aux clartés des orages,
Sur un vaisseau sans mâts, au gré des aquilons,
Fendre de l'Océan les liquides vallons?
M'engloutir dans leur sein, m'élancer sur leurs cimes
Rouler avec la vague, au fond des noirs abîmes?
Et, revomi cent fois par les gouffres amers,
Flotter comme l'écume, au vaste sein des mers?
D'effroi, de volupté, tour à tour éperdue,
Cent fois entre la vie et la mort suspendue,
Peut-être que mon âme, au sein de ces horreurs,
Pourrait jouir au moins de ses propres terreurs;
Et, prête à s'abîmer dans la nuit qu'elle ignore,
A la vie un moment se reprendrait encore,
Comme un homme roulant des sommets d'un rocher,
De ses bras tout sanglants cherche à s'y rattacher.
Mais toujours repasser par une même route,
Voir ses jours épuisés s'écouler goutte à goutte;
Mais suivre pas à pas dans l'immense troupeau
Ces générations, inutile fardeau,
Qui meurent pour mourir, qui vécurent pour vivre,
Et dont chaque printemps la terre se délivre,
Comme dans nos forêts le chêne avec mépris
Livre aux vents des hivers ses feuillages flétris;
Sans regrets, sans espoir, avancer dans la vie
Comme un vaisseau qui dort sur une onde assoupie;
Sentir son âme usée en impuissant effort
Se ronger lentement sous la rouille du sort;
Penser sans découvrir, aspirer sans atteindre,
Briller sans éclairer, et pâlir sans s'éteindre :
Hélas! tel est mon sort et celui des humains!
Nos pères ont passé par les mêmes chemins.
Chargés du même sort, nos fils prendront nos places.
Ceux qui ne sont pas nés y trouveront leurs traces.
Tout s'use, tout périt, tout passe : mais, hélas!
Excepté les mortels, rien ne change ici-bas!
-----
Toi qui rendais la force à mon âme affligée,
Esprit consolateur, que ta voix est changée!
On dirait qu'on entend, au séjour des douleurs,
Rouler, à flots plaintifs, le sourd torrent des pleurs.
Pourquoi gémir ainsi, comme un souffle d'orage,
A travers les rameaux qui pleurent leur feuillage?
Pourquoi ce vain retour vers la félicité?
Quoi donc! ce qui n'est plus a-t-il jamais été?
Faut-il que le regret, comme une ombre ennemie,
Vienne s'asseoir sans cesse au festin de la vie?
Et d'un regard funèbre effrayant les humains,
Fasse tomber toujours les coupes de leurs mains?
Non : de ce triste aspect que ta voix me délivre!
Oublions, oublions : c'est le secret de vivre.
Viens; chante, et du passé détournant mes regards
Précipite mon âme au milieu des hasards!
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De quels sons belliqueux mon oreille est frappée!
C'est le cri du clairon, c'est la voix du coursier;
La corde de sang trempée
Retentit comme l'épée
Sur l'orbe du bouclier.
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La trompette a jeté le signal des alarmes :
Aux armes! et l'écho répète au loin : Aux armes!
Dans la plaine soudain les escadrons épars,
Plus prompts que l'aquilon, fondent de toutes parts;
Et sur les flancs épais des légions mortelles
S'étendent tout à coup comme deux sombres ailes.
Le coursier, retenu par un frein impuissant,
Sur ses jarrets pliés s'arrête en frémissant;
La foudre dort encore, et sur la foule immense,
Plane, avec la terreur, un lugubre silence :
Un n'entend que le bruit de cent mille soldats,
Marchant comme un seul homme au-devant du trépas.
Les roulements des chars, les coursiers qui hennissent,
Les ordres répétés qui dans l'air retentissent,
Ou le bruit des drapeaux soulevés par les vents,
Qui, sur les camps rivaux flottant à plis mouvants,
Tantôt semblent, enflés d'un souffle de victoire,
Vouloir voler d'eux-même au-devant de la gloire,
Et tantôt retombant le long des pavillons,
De leurs funèbres plis couvrir leurs bataillons.
Mais sur le front des camps déjà les bronzes grondent,
Ces tonnerres lointains se croisent, se répondent;
Des tubes enflammés la foudre avec effort
Sort, et frappe en sifflant comme un souffle de mort;
Le boulet dans les rangs laisse une large trace.
Ainsi qu'un laboureur qui passe et qui repasse,
Et, sans se reposer déchirant le vallon,
A côté du sillon creuse un autre sillon :
Ainsi le trait fatal dans les rangs se promène
Et comme des épis les couche dans la plaine.
Ici tombe un héros moissonné dans sa fleur,
Superbe et l'oeil brillant d'orgueil et de valeur.
Sur son casque ondulant, d'où jaillit la lumière,
Flotte d'un noir coursier l'ondoyante crinière :
Ce casque éblouissant sert de but au trépas;
Par la foudre frappé d'un coup qu'il ne sent pas,
Comme un faisceau d'acier il tombe sur l'arène;
Son coursier bondissant, qui sent flotter la rêne,
Lance un regard oblique à son maître expirant,
Revient, penche sa tête et le flaire en pleurant.
Là, tombe un vieux guerrier qui, né dans les alarmes,
Eut les camps pour patrie, et pour amours, ses armes.
Il ne regrette rien que ses chers étendards,
Et les suit en mourant de ses derniers regards...
La mort vole au hasard dans l'horrible carrière :
L'un périt tout entier; l'autre, sur la poussière,
Comme un tronc dont la hache a coupé les rameaux,
De ses membres épars voit voler les lambeaux,
Et, se traînant encor sur la terre humectée,
Marque en ruisseaux de sang sa trace ensanglantée.
Le blessé que la mort n'a frappé qu'à demi
Fuit en vain, emporté dans les bras d'un ami :
Sur le sein l'un de l'autre ils sont frappés ensemble
Et bénissent du moins le coup qui les rassemble.
Mais de la foudre en vain les livides éclats
Pleuvent sur les deux camps; d'intrépides soldats,
Comme la mer qu'entrouvre une proue écumante
Se referme soudain sur sa trace fumante,
Sur les rangs écrasés formant de nouveaux rangs,
Viennent braver la mort sur les corps des mourants!...
Cependant, las d'attendre un trépas sans vengeance,
Les deux camps à la fois (l'un sur l'autre s'élance)
Se heurtent, et du choc ouvrant leurs bataillons,
Mêlent en tournoyant leurs sanglants tourbillons!
Sous le poids des coursiers les escadrons s'entrouvrent,
D'une voûte d'airain les rangs pressés se couvrent,
Les feux croisent les feux, le fer frappe le fer;
Les rangs entre-choqués lancent un seul désir :
Le salpêtre, au milieu des torrents de fumée,
Brille et court en grondant sur la ligne enflammée,
Et d'un nuage épais enveloppant leur sort,
Cache encore à nos yeux la victoire ou la mort.
Ainsi quand deux torrents dans deux gorges profondes
Dans le lit trop étroit qu'ils vont se disputer
Viennent au même instant tomber et se heurter,
Le flot choque le flot, les vagues courroucées
Rejaillissent au loin par les vagues poussées,
D'une poussière humide obscurcissent les airs,
Du fracas de leur chute ébranlent les déserts,
Et portant leur fureur au lit qui les rassemble,
Tout en s'y combattant leurs flots roulent ensemble.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais la foudre se tait. Ecoutez!... Des concerts
De cette plaine en deuil s'élèvent dans les airs :
La harpe, le clairon, la joyeuse cymbale,
Mêlant leurs voix d'airain, montent par intervalle,
S'éloignent par degrés, et sur l'aile des vents
Nous jettent leurs accords, et les cris des mourants!...
De leurs brillants éclats les coteaux retentissent,
Le coeur glacé s'arrête, et tous les sens frémissent,
Et dans les airs pesants que le son vient froisser
On dirait qu'on entend l'âme des morts passer!
Tout à coup le soleil, dissipant le nuage,
Eclaire avec horreur la scène du carnage;
Et son pâle rayon, sur la terre glissant,
Découvre à nos regards de longs ruisseaux de sang,
Des coursiers et des chars brisés dans la carrière,
Des membres mutilés épars sur la poussière,
Les débris confondus des armes et des corps,
Et les drapeaux jetés sur des monceaux de morts!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Accourez maintenant, amis, épouses, mères!
Venez compter vos fils, vos amants et vos frères!
Venez sur ces débris disputer aux vautours
L'espoir de vos vieux ans, le fruit de vos amours!
Que de larmes sans fin sur eux vont se répandre!
Dans vos cités en deuil, que de cris vont s'entendre,
Avant qu'avec douleur la terre ait reproduit,
Misérables mortels, ce qu'un jour a détruit!
Mais au sort des humains la nature insensible
Sur leurs débris épars suivra son cours paisible :
Demain, la douce aurore, en se levant sur eux,
Dans leur acier sanglant réfléchira ses feux;
Le fleuve lavera sa rive ensanglantée,
Les vents balayeront leur poussière infectée,
Et le sol, engraissé de leurs restes fumants,
Cachera sous des fleurs leurs pâles ossements!
Silence, esprit de feu! Mon âme épouvantée
Suit le frémissement de ta corde irritée,
Et court en frissonnant sur tes pas belliqueux,
Comme un char emporté par deux coursiers fougueux;
Mais mon oeil attristé de ces sombres images
Se détourne en pleurant vers de plus doux rivages;
N'as-tu point sur ta lyre un chant consolateur?
N'as-tu pas entendu la flûte du pasteur?
Quand seul, assis en paix sous le pampre qui plie,
Il charme par ses airs les heures qu'il oublie,
Et que l'écho des bois, ou le fleuve en coulant,
Porte de saule en saule un son plaintif et lent?
Souvent pour l'écouter, le soir, sur la colline,
Du côté de ses chants mon oreille s'incline,
Mon coeur, par un soupir soulagé de son poids,
Dans un monde étranger se perd avec la voix;
Et je sens par moments, sur mon âme calmée,
Passer avec le son une brise embaumée,
Plus douce qu'à mes sens l'ombre des arbrisseaux,
Ou que l'air rafraîchi qui sort du lit des eaux.
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Un vent caresse ma lyre
Comme l'aile d'un oiseau,
Sa voix dans le coeur expire,
Et l'humble corde soupire
Comme un flexible roseau!
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O vallons paternels! doux champs! humble chaumière,
Aux bords penchants des bois suspendus aux coteaux,
Dont l'humble toit, caché sous des touffes de lierre,
Ressemble au nid sous les rameaux!
Gazons entrecoupés de ruisseaux et d'ombrages,
Seuil antique où mon père, adoré comme un roi,
Comptait ses gras troupeaux rentrant des pâturages,
Ouvrez-vous! ouvrez-vous! c'est moi.
Voilà du dieu des champs la rustique demeure.
J'entends l'airain frémir au sommet de ses tours;
Il semble que dans l'air une voix qui me pleure
Me rappelle à mes premiers jours!
Oui, je reviens à toi, berceau de mon enfance,
Embrasser pour jamais tes foyers protecteurs;
Loin de moi les cités et leur vaine opulence,
Je suis né parmi les pasteurs!
Enfant, j'aimais, comme eux, à suivre dans la plaine
Les agneaux pas à pas, égarés jusqu'au soir;
A revenir, comme eux, baigner leur tendre laine
Dans l'eau courante du lavoir;
J'aimais à me suspendre aux lianes légères,
A gravir dans les airs de rameaux en rameaux,
Pour ravir, le premier, sous l'aile de leurs mères
Les tendres oeufs des tourtereaux;
J'aimais les voix du soir dans les airs répandues,
Le bruit lointain des chars gémissant sous leur poids,
Et le sourd tintement des cloches suspendues
Au cou des chevreaux, dans les bois;
Et depuis, exilé de ces douces retraites,
Comme un vase imprégné d'une première odeur,
Toujours, loin des cités, des voluptés secrètes
Entraînaient mes yeux et mon coeur.
Beaux lieux, recevez-moi sous vos sacrés ombrages!
Vous qui couvrez le seuil de rameaux éplorés,
Saules contemporains, courbez vos longs feuillages
Sur le frère que vous pleurez.
Reconnaissez mes pas, doux gazons que je foule,
Arbres, que dans mes jeux j'insultais autrefois,
Et toi qui, loin de moi, te cachais à la foule,
Triste écho, réponds à ma voix.
Je ne viens pas traîner, dans vos riants asiles,
Les regrets du passé, les songes du futur :
J'y viens vivre; et, couché sous vos berceaux fertiles,
Abriter mon repos obscur.
S'éveiller, le coeur pur, au réveil de l'aurore,
Pour bénir, au matin, le Dieu qui fait le jour;
Voir les fleurs du vallon sous la rosée éclore
Comme pour fêter son retour;
Respirer les parfums que la colline exhale,
Ou l'humide fraîcheur qui tombe des forêts;
Voir onduler de loin l'haleine matinale
Sur le sein flottant des guérets;
Conduire la génisse à la source qu'elle aime,
Ou suspendre la chèvre au cytise embaumé,
Ou voir ses blancs taureaux venir tendre d'eux-mêmes
Leur front au joug accoutumé;
Guider un soc tremblant dans le sillon qui crie,
Du pampre domestique émonder les berceaux,
Ou creuser mollement, au sein de la prairie,
Les lits murmurants des ruisseaux;
Le soir, assis en paix au seuil de la chaumière,
Tendre au pauvre qui passe un morceau de son pain;
Et, fatigué du jour, y fermer sa paupière
Loin des soucis du lendemain;
Sentir, sans les compter, dans leur ordre paisible,
Les jours suivre les jours, sans faire plus de bruit
Que ce sable léger dont la fuite insensible
Nous marque l'heure qui s'enfuit;
Voir, de vos doux vergers, sur vos fronts les fruits pendre
Les fruits d'un chaste amour dans vos bras accourir
Et sur eux appuyé doucement redescendre :
C'est assez pour qui doit mourir.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le chant meurt, la voix tombe : adieu, divin Génie!
Remonte au vrai séjour de la pure harmonie :
Tes chants ont arrêté les larmes dans mes yeux.
Je lui parlais encore... il était dans les cieux.
XVII
L'apparition de l'ombre de Samuel à Saül
Fragment dramatique
Saül, La Pythonisse d'Endor
Saül, seul.
Peut-être... Puisqu'enfin je puis le consulter,
Le Ciel peut-être, est las de me persécuter?
A mes yeux dessillés la vérité va luire :
Mais au livre du sort, ô Dieu! que vont-ils lire?...
De ce livre fatal qui s'explique trop tôt,
Chaque jour, chaque instant, hélas! révèle un mot.
Pourquoi donc devancer le temps qui nous l'apporte?
Pourquoi, dans cet abîme, avant l'heure...? N'importe
C'est trop, c'est trop longtemps attendre dans la nuit
Les invisibles coups du bras qui me poursuit!
J'aime mieux, déroulant la trame infortunée,
Y lire; d'un seul trait, toute ma destinée!
(La Pythonisse d'Endor entre sur la scène.)
Est-ce toi qui, portant l'avenir dans ton sein,
Viens, au roi d'Israël , annoncer son destin?
La Pythonisse
C'est moi.
Saül
Qui donc es-tu?
La Pythonisse
La voix du Dieu suprême.
Saül
Tremble de me tromper!
La Pythonisse
Saül, tremble toi-même!
Saül
Eh bien! qu'apportes-tu?
La Pythonisse
Ton arrêt!
Saül
Parle.
La Pythonisse
O ciel!
Pourquoi m'as-tu choisie entre tout Israël?
Mon coeur est faible, ô Ciel! et mon sexe est timide.
Choisis, pour ton organe, un sein plus intrépide;
Pour annoncer au roi tes divines fureurs,
Qui suis-je?
Saül, étonné
Eh quoi! tu trembles et tu verses des pleurs!
Quoi! ministre du Ciel, tu n'es plus qu'une femme!
La Pythonisse
Détruis donc, ô mon Dieu, la pitié dans mon âme!
Saül
Par tes feintes terreurs penses-tu m'ébranler?
La Pythonisse
Mais ma bouche, ô mon roi! se refuse à parler.
Saül, avec colère
Tes lenteurs, à la fin, lassent ma patience :
Parle, si tu le peux, ou sors de ma présence!
La Pythonisse
Que ne puis-je sortir, emportant avec moi
Tout ce qu'ici je viens prophétiser sur toi?
Mais un dieu me reticnt, me pousse, me ramène;
Je ne puis résister à son bras qui m'entraîne.
Oui, je sens ta présence, ô dieu persécuteur!
Et ta fureur divine a passé dans mon coeur.
(Avec plus d'horreur.)
Mais quel rayon sanglant vient frapper ma paupière!
Mon oeil épouvanté cherche et fuit la lumière!
Silence!... l'avenir ouvre ses noirs secrets!
Quel chaos de malheurs, de vertus, de forfaits!
Dans la confusion je les vois tous ensemble!
Comment, comment saisir le fil qui les rassemble!
Saül... Michol... David... Malheureux Jonathas!
Arrête! arrête, ô roi! ne m'interroge pas.
Saül, tremblant
Que dis-tu de David, de Jonathas? achève!
La Pythonisse, montrant une ombre du doigt.
Que l'ombre se dissipe et le voile se lève :
C'est lui!...
Saül
Qui donc?
La Pythonisse
David!...
Saül
Eh bien?
La Pythonisse
Il est vainqueur!
Quel triomphe! O David! que d'éclat t'environne!
Que vois-je sur ton front?
Saül
Achève!
La Pythonisse
Une couronne!...
Saül
Perfide! qu'as-tu dit? lui, David, couronné?
La Pythonisse, avec tristesse.
Hélas! et tu péris, jeune homme infortuné!
Pour pleurer ton sort, belle et tendre victime,
Les palmiers de Cadès ont incliné leur cime!...
Grâce! grâce, ô mon Dieu! détourne tes fureurs!
Saül a bien assez de ses propres malheurs!...
Mais la mort l'a frappé, sans pitié pour ses charmes,
Hélas! et David même en a versé des larmes!...
Saül
Silence! c'est assez : j'en ai trop écouté.
La Pythonisse
Saül, pour tes forfaits ton fils est rejeté.
D'un prince condamné Dieu détourne sa face,
D'un souffle de sa bouche il dissipe sa race :
Le sceptre est arraché!...
Saül, l'interrompant avec violence.
Tais-toi, dis-je, tais-toi!
La Pythonisse
Saül, Saül, écoute un Dieu plus fort que moi!
Le sceptre est arraché de tes mains sans défense;
Le sceptre dans Juda passe avec ta puissance,
Et ces biens, par Dieu même, à ta race promis,
Transportés à David, passent tous à ses fils.
Que David est brillant! que son triomphe est juste!
Qu'il sort de rejetons de cette tige auguste!
Que vois-je? un Dieu lui-même...! O vierges du saint lieu!
Chantez, chantez David! David enfante un Dieu!...
Saül
Ton audace à la fin a comblé la mesure :
Va, tout respire en toi la fourbe et l'imposture.
Dieu m'a promis le trône, et Dieu ne trompe pas.
La Pythonisse
Dieu promet ses fureurs à des princes ingrats.
Saül
Crois-tu qu'impunément ta bouche ici m'outrage?
La Pythonisse
Crois-tu faire d'un Dieu varier le langage?
Saül
Sais-tu quel sort t'attend? Sais-tu...?
La Pythonisse
Ce que je sais,
C'est que ton propre bras va punir tes forfaits;
Et qu'avant que des cieux le flambeau se retire,
Un Dieu justifiera tout ce qu'un Dieu m'inspire.
Adieu; malheureux père! adieu, malheureux roi!
(Elle se retire, Saül la retient par force.)
Saül
Non, non, perfide, arrête! écoute, et réponds-moi.
C'est souffrir trop longtemps l'insolence et l'injure :
Je veux convaincre ici ta bouche d'imposture.
Si le Ciel à tes yeux a su les révéler,
Quels sont donc ces forfaits dont tu m'oses parler?
La Pythonisse
L'ombre les a couverts, l'ombre les couvre encore,
Saül! Mais le Ciel voit ce que la terre ignore.
Ne tente pas le Ciel.
Saül
Non : parle si tu sais.
La Pythonisse
L'ombre de Samuel te dira ces forfaits...
Saül
Samuel! Samuel? Eh quoi! que veux-tu dire?
La Pythonisse
Toi-même, en traits de sang, ne peux-tu pas le lire?
Saül
Eh bien, qu'a de commun ce Samuel et moi?
La Pythonisse
Qui plongea dans son sein ce fer sanglant?
Saül
Qui?
La Pythonisse
Toi!
Saül,furieux et se précipitant sur elle avec sa lance.
Monstre, qu'a trop longtemps épargné ma clémence,
Ton audace à la fin appelle ma vengeance!
(Prêt à la frapper.)
Tiens; va dire à ton Dieu, va dire à Samuel,
Comment Saül punit ton imposture...
(Au moment où il va frapper, il voit l'ombre de Samuel,
il laisse tomber la lance, il recule.)
O Ciel!
Ciel! que vois-je? C'est toi! c'est ton ombre sanglante!
Quel regard!... Son aspect m'a glacé d'épouvante!
Pardonne, ombre fatale? oh! pardonne! oui, c'est moi,
C'est moi qui t'ai porté tous ces coups que je vois!
Quoi! depuis si longtemps! quoi! ton sang coule encore!
Viens-tu pour le venger?... Tiens...
(Il découvre sa poitrine et tombe à genoux.)
Mais il s'évapore!...
(La Pythonisse disparaît pendant ces derniers mots.)
XVIII
Stances
Et j'ai dit dans mon coeur : Que faire de la vie?
Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devancé,
Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé,
Imiter des mortels l'immortelle folie?
L'un cherche sur les mers les trésors de Memnom,
Et la vague engloutit ses voeux et son navire;
Dans le sein de la gloire où son génie aspire,
L'autre meurt enivré par l'écho d'un vain nom.
Avec nos passions formant sa vaste trame,
Celui-là fonde un trône, et monte pour tomber;
Dans des pièges plus doux aimant à succomber,
Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme.
Le paresseux s'endort dans les bras de la faim;
Le laboureur conduit sa fertile charrue;
Le savant pense et lit, le guerrier frappe et tue;
Le mendiant s'assied sur les bords du chemin.
Où vont-ils cependant? Ils vont où va la feuille
Que chasse devant lui le souffle des hivers.
Ainsi vont se flétrir dans leurs travaux divers
Ces générations que le temps sème et cueille!
Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu;
Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives,
Je l'ai vu dévorer leurs ombres fugitives.
Ils sont nés, ils sont morts : Seigneur, ont-ils vécu?
Pour moi, je chanterai le maître que j'adore,
Dans le bruit des cités, dans la paix des déserts,
Couché sur le rivage, ou flottant sur les mers,
Au déclin du soleil, au réveil de l'aurore.
La terre m'a crié : Qui donc est le Seigneur?
Celui dont l'âme immense est partout répandue,
Celui dont un seul pas mesure l'étendue,
Celui dont le soleil emprunte sa splendeur;
Celui qui du néant a tiré la matière,
Celui qui sur le vide a fondé l'univers,
Celui qui sans rivage a renfermé les mers,
Celui qui d'un regard a lancé la lumière;
Celui qui ne connaît ni jour ni lendemain,
Celui qui de tout temps de soi-même s'enfante,
Qui vit dans l'avenir comme à l'heure présente,
Et rappelle les temps échappés de sa main :
C'est lui! c'est le Seigneur : que ma langue redise
Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels.
Comme la harpe d'or pendue à ses autels,
Je chanterai pour lui, jusqu'à ce qu'il me brise...
XIX
La liberté, ou une nuit à Rome
A Eli..., Duch. de Dev...
Comme l'astre adouci de l'antique Elysée,
Sur les murs dentelés du sacré Colysée,
L'astre des nuits, perçant des nuages épars,
Laisse dormir en paix ses longs et doux regards,
Le rayon qui blanchit ses vastes flancs de pierre,
En glissant à travers les pans flottants du lierre,
Dessine dans l'enceinte un lumineux sentier;
On dirait le tombeau d'un peuple tout entier,
Où la mémoire, errante après des jours sans nombre,
Dans la nuit du passé viendrait chercher une ombre.
Ici, de voûte en voûte élevé dans les cieux,
Le monument debout défie encor les yeux;
Le regard égaré dans ce dédale oblique,
De degrés en degrés, de portique en portique,
Parcourt en serpentant ce lugubre désert,
Fuit, monte, redescend, se retrouve et se perd.
Là, comme un front penché sous le poids des années,
La ruine, abaissant ses voûtes inclinées,
Tout à coup se déchire en immenses lambeaux,
Pend comme un noir rocher sur l'abîme des eaux;
Ou des vastes hauteurs de son faîte superbe
Descendant par degrés jusqu'au niveau de l'herbe,
Comme un coteau qui meurt sous les fleurs du vallon,
Vient mourir à nos pieds sur des lits de gazon.
Sur les flancs décharnés de ces sombres collines,
Des forêts dans les airs ont jeté leurs racines :
Là, le lierre jaloux de l'immortalité,
Triomphe en possédant ce que l'homme a quitté;
Et pareil à l'oubli, sur ces murs qu'il enlace,
Monte de siècle en siècle aux sommets qu'il efface.
Le buis, l'if immobile, et l'arbre des tombeaux,
Dressent en frissonnant leurs funèbres rameaux,
Et l'humble giroflée, aux lambris suspendue,
Attachant ses pieds d'or dans la pierre fendue,
Et balançant dans l'air ses longs rameaux flétris,
Comme un doux souvenir fleurit sur des débris.
Aux sommets escarpés du fronton solitaire,
L'aigle à la frise étroite a suspendu son aire :
Au bruit sourd de mes pas, qui troublent son repos,
Il jette un cri d'effroi, grossi par mille échos,
S'élance dans le ciel, en redescend, s'arrête,
Et d'un vol menaçant plane autour de ma tête.
Du creux des monuments, de l'ombre des arceaux,
Sortent en gémissant de sinistres oiseaux :
Ouvrant en vain dans l'ombre une ardente prunelle,
L'aveugle amant des nuits bat les murs de son aile;
La colombe, inquiète à mes pas indiscrets,
Descend, vole et s'abat de cyprès en cyprès,
Et sur les bords brisés de quelque urne isolée,
Se pose en soupirant comme une âme exilée.
Les vents, en s'engouffrant sous ces vastes débris,
En tirent des soupirs, des hurlements, des cris :
On dirait qu'on entend le torrent des années
Rouler sous ces arceaux ses vagues déchaînées,
Renversant, emportant, minant de jours en jours
Tout ce que les mortels ont bâti sur son cours.
Les nuages flottants dans un ciel clair et sombre,
En passant sur l'enceinte y font courir leur ombre,
Et tantôt, nous cachant le rayon qui nous luit,
Couvrent le monument d'une profonde nuit,
Tantôt, se déchirant sous un souffle rapide,
Laissent sur le gazon tomber un jour livide,
Qui, semblable à l'éclair, montre à l'oeil ébloui
Ce fantôme debout du siècle évanoui;
Dessine en serpentant ses formes mutilées,
Les cintres verdoyants des arches écroulées,
Ses larges fondements sous nos pas entrouverts,
Et l'éternelle croix qui, surmontant le faîte,
Incline comme un mât battu par la tempête.
Rome! te voilà donc! Ô mère des Césars!
J'aime à fouler aux pieds tes monuments épars;
J'aime à sentir le temps, plus fort que ta mémoire,
Effacer pas à pas les traces de ta gloire!
L'homme serait-il donc de ses oeuvres jaloux?
Nos monuments sont-ils plus immortels que nous?
Egaux devant le temps, non, ta ruine immense
Nous console du moins de notre décadence.
J'aime, j'aime à venir rêver sur ce tombeau,
A l'heure où de la nuit le lugubre flambeau
Comme l'oeil du passé, flottant sur des ruines,
D'un pâle demi-deuil revêt tes sept collines,
Et, d'un ciel toujours jeune éclaircissant l'azur,
Fait briller les torrents sur les flancs de Tibur.
Ma harpe, qu'en passant l'oiseau des nuits effleure,
Sur tes propres débris te rappelle et te pleure,
Et jette aux flots du Tibre un cri de liberté,
Hélas! par l'écho même à peine répété.
"Liberté! nom sacré, profané par cet âge,
J'ai toujours dans mon coeur adoré ton image,
Telle qu'aux jours d'Emile et de Léonidas,
T'adorèrent jadis le Tibre et l'Eurotas;
Quand tes fils se levant contre la tyrannie,
Tu teignais leurs drapeaux du sang de Virginie,
Ou qu'à tes saintes lois glorieux d'obéir,
Tes trois cents immortels s'embrassaient pour mourir;
Telle enfin que d'Uri prenant ton vol sublime,
Comme un rapide éclair qui court de cime en cime,
Des rives du Léman aux rochers d'Appenzell,
Volant avec la mort sur la flèche de Tell,
Tu rassembles tes fils errants sur les montagnes,
Et, semblable au torrent qui fond sur leurs campagnes
Tu purges à jamais d'un peuple d'oppresseurs
Ces champs où tu fondas ton règne sur les moeurs!
"Alors!... mais aujourd'hui, pardonne à mon silence;
Quand ton nom, profané par l'infâme licence,
Du Tage à l'Éridan épouvantant les rois,
Fait crouler dans le sang les trônes et les lois;
Détournant leurs regards de ce culte adultère,
Tes purs adorateurs, étrangers sur la terre,
Voyant dans ces excès ton saint nom se flétrir,
Ne le prononcent plus... de peur de l'avilir.
Il fallait t'invoquer, quand un tyran superbe
Sous ses pieds teints de sang nous fouler comme l'herbe,
En pressant sur son coeur le poignard de Caton.
Alors il était beau de confesser ton nom :
La palme des martyrs couronnait tes victimes,
Et jusqu'à leurs soupirs, tout leur était des crimes.
L'univers cependant, prosterné devant lui,
Adorait, ou tremblait!... L'univers, aujourd'hui,
Au bruit des fers brisés en sursaut se réveille.
Mais, qu'entends-je? et quels cris ont frappé mon oreille?
Esclaves et tyrans, opprimés, oppresseurs,
Quand tes droits ont vaincu, s'offrent pour tes vengeurs;
Insultant sans péril la tyrannie absente,
Ils poursuivent partout son ombre renaissante;
Et, de la vérité couvrant la faible voix,
Quand le peuple est tyran, ils insultent aux rois.
Tu règnes cependant sur un siècle qui t'aime,
Liberté; tu n'as rien à craindre que toi-même.
Sur la pente rapide où roule en paix ton char,
Je vois mille Brutus... mais où donc est César?"
XX
Adieux à la mer
Naples, 1822.
Murmure autour de ma nacelle,
Douce mer dont les flots chéris,
Ainsi qu'une amante fidèle,
Jettent une plainte éternelle
Sur ces poétiques débris.
Que j'aime à flotter sur ton onde,
A l'heure où du haut du rocher
L'oranger, la vigne féconde,
Versent sur ta vague profonde
Une ombre propice au nocher!
Souvent, dans ma barque sans rame,
Me confiant à ton amour,
Comme pour assoupir mon âme,
Je ferme au branle de ta lame
Mes regards fatigués du jour.
Comme un coursier souple et docile
Dont on laisse flotter le mors,
Toujours, vers quelque frais asile,
Tu pousses ma barque fragile
Avec l'écume de tes bords.
Ah! berce, berce, berce encore,
Berce pour la dernière fois,
Berce cet enfant qui t'adore,
Et qui depuis sa tendre aurore
N'a rêvé que l'onde et les bois!
Le Dieu qui décora le monde
De ton élément gracieux,
Afin qu'ici tout se réponde,
Fit les cieux pour briller sur l'onde,
L'onde pour réfléchir les cieux.
Aussi pur que dans ma paupière,
Le jour pénètre ton flot pur,
Et dans ta brillante carrière
Tu sembles rouler la lumière
Avec tes flots d'or et d'azur.
Aussi libre que la pensée,
Tu brises le vaisseau des rois,
Et dans ta colère insensée,
Fidèle au Dieu qui t'a lancée,
Tu ne t'arrêtes qu'à sa voix.
De l'infini sublime image,
De flots en flots l'oeil emporté
Te suit en vain de plage en plage,
L'esprit cherche en vain ton rivage,
Comme ceux de l'éternité.
Ta voix majestueuse et douce
Fait trembler l'écho de tes bords,
Ou sur l'herbe qui te repousse,
Comme le zéphyr dans la mousse,
Murmure de mourants accords.
Que je t'aime, ô vague assouplie,
Quand, sous mon timide vaisseau,
Comme un géant qui s'humilie,
Sous ce vain poids l'onde qui plie
Me creuse un liquide berceau.
Que je t'aime quand, le zéphire
Endormi dans tes antres frais,
Ton rivage semble sourire
De voir dans ton sein qu'il admire
Flotter l'ombre de ses forêts!
Que je t'aime quand sur ma poupe
Des festons de mille couleurs,
Pendant au vent qui les découpe,
Te couronnent comme une coupe
Dont les bords sont voilés de fleurs!
Qu'il est doux, quand le vent caresse
Ton sein mollement agité,
De voir, sous ma main qui la presse,
Ta vague, qui s'enfle et s'abaisse
Comme le sein de la beauté!
Viens, à ma barque fugitive
Viens donner le baiser d'adieux;
Roule autour une voix plaintive,
Et de l'écume de ta rive
Mouille encor mon front et mes yeux.
Laisse sur ta plaine mobile
Flotter ma nacelle à son gré,
Ou sous l'antre de la sibylle,
Ou sur le tombeau de Virgile :
Chacun de tes flots m'est sacré.
Partout, sur ta rive chérie,
Où l'amour éveilla mon coeur,
Mon âme, à sa vue attendrie,
Trouve un asile, une patrie,
Et des débris de son bonheur,
Flotte au hasard : sur quelque plage
Que tu me fasses dériver,
Chaque flot m'apporte une image;
Chaque rocher de ton rivage
Me fait souvenir ou rêver...
XXI
Le Crucifix
Toi que j'ai recueilli sur sa bouche expirante
Avec son dernier souffle et son dernier adieu,
Symbole deux fois saint, don d'une main mourante,
Image de mon Dieu!
Que de pleurs ont coulé sur tes pieds, que j'adore,
Depuis l'heure sacrée où, du sein d'un martyr,
Dans mes tremblantes mains tu passas, tiède encore
De son dernier soupir!
Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme;
Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort,
Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme
A l'enfant qui s'endort.
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De son pieux espoir son front gardait la trace,
Et sur ses traits, frappés d'une auguste beauté,
La douleur fugitive avait empreint sa grâce,
La mort sa majesté.
Le vent qui caressait sa tête échevelée
Me montrait tour à tour ou me voilait ses traits,
Comme l'on voit flotter sur un blanc mausolée
L'ombre des noirs cyprès.
Un de ses bras pendait de la funèbre couche,
L'autre, languissamment replié sur son coeur,
Semblait chercher encore et presser sur sa bouche
L'image du Sauveur.
Ses lèvres s'entr'ouvraient pour l'embrasser encore,
Mais son âme avait fui dans ce divin baiser,
Comme un léger parfum que la flamme dévore
Avant de l'embraser.
Maintenant tout dormait sur sa bouche glacée,
Le souffle se taisait dans son sein endormi,
Et sur l'oeil sans regard la paupière affaissée
Retombait à demi.
Et moi, debout, saisi d'une terreur secrète,
Je n'osais m'approcher de ce reste adoré,
Comme si du trépas la majesté muette
L'eût déjà consacré.
Je n'osais!... mais le prêtre entendit mon silence,
Et, de ses doigts glacés prenant le crucifix :
"Voilà le souvenir, et voilà l'espérance :
Emportez-les, mon fils!"
Oui, tu me resteras, ô funèbre héritage!
Sept fois depuis ce jour l'arbre que j'ai planté
Sur sa tombe sans nom a changé son feuillage :
Tu ne m'as pas quitté.
Placé près de ce coeur, hélas! où tout s'efface,
Tu l'as contre le temps défendu de l'oubli,
Et mes yeux, goutte à goutte, ont imprimé leur trace
Sur l'ivoire amolli.
O dernier confident de l'âme qui s'envole,
Viens, reste sur mon coeur! parle encore, et dis-moi
Ce qu'elle te disait quand sa faible parole
N'arrivait plus qu'à toi.
A cette heure douteuse où l'âme recueillie,
Se cachant sous le voile épaissi sur nos yeux,
Hors de nos sens glacés pas à pas se replie,
Sourde aux derniers adieux;
Alors qu'entre la vie et la mort incertaine,
Comme un fruit par son poids détaché du rameau,
Notre âme est suspendue et tremble à chaque haleine
Sur la nuit du tombeau;
Quand des chants, des sanglots la confuse harmonie
N'éveille déjà plus notre esprit endormi,
Aux lèvres du mourant collé dans l'agonie,
Comme un dernier ami;
Pour éclaircir l'horreur de cet étroit passage,
Pour relever vers Dieu son regard abattu,
Divin consolateur, dont nous baisons l'image,
Réponds! Que lui dis-tu?
Tu sais, tu sais mourir! et tes larmes divines,
Dans cette nuit terrible où tu prias en vain,
De l'olivier sacré baignèrent les racines
Du soir jusqu'au matin!
De la croix, où ton oeil sonda ce grand mystère,
Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil;
Tu laissas comme nous tes amis sur la terre,
Et ton corps au cercueil!
Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir :
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne,
O toi qui sais mourir!
Je chercherai la place où sa bouche expirante
Exhala sur tes pieds l'irrévocable adieu,
Et son âme viendra guider mon âme errante
Au sein du même Dieu!
Ah! puisse, puisse alors sur ma funèbre couche,
Triste et calme à la fois, comme un ange éploré,
Une figure en deuil recueillir sur ma bouche
L'héritage sacré!
Soutiens ses derniers pas, charme sa dernière heure,
Et, gage consacré d'espérance et d'amour,
De celui qui s'éloigne à celui qui demeure
Passe ainsi tour à tour!
Jusqu'au jour où, des morts percant la voûte sombre,
Une voix dans le ciel, les appelant sept fois,
Ensemble éveillera ceux qui dormaient à l'ombre
De l'éternelle croix!
XXII
La sagesse
Ô vous, qui passez comme l'ombre
Par ce triste vallon des pleurs,
Passagers sur ce globe sombre,
Hommes! mes frères en douleurs,
Ecoutez : voici vers Solime
Un son de la harpe sublime
Qui charmait l'écho du Thabor :
Sion en frémit sous sa cendre,
Et le vieux palmier croit entendre
La voix du vieillard de Ségor!
Insensé le mortel qui pense!
Toute pensée est une erreur.
Vivez, et mourez en silence;
Car la parole est au Seigneur!
Il sait pourquoi flottent les mondes;
Il sait pourquoi coulent les ondes,
Pourquoi les cieux pendent sur nous,
Pourquoi le jour brille et s'efface,
Pourquoi l'homme soupire et passe :
Et vous, mortels, que savez-vous?
Asseyez-vous près des fontaines,
Tandis qu'agitant les rameaux,
Du midi les tièdes haleines
Font flotter l'ombre sur les eaux :
Au doux murmure de leurs ondes
Exprimez vos grappes fécondes
Où rougit l'heureuse liqueur;
Et de main en main sous vos treilles
Passez-vous ces coupes vermeilles
Pleines de l'ivresse du coeur.
Ainsi qu'on choisit une rose
Dans les guirlandes de Sârons,
Choisissez une vierge éclose
Parmi les lis de vos vallons!
Enivrez-vous de son haleine;
Ecartez ses tresses d'ébène,
Goûtez les fruits de sa beauté.
Vivez, aimez, c'est la sagesse :
Hors le plaisir et la tendresse,
Tout est mensonge et vanité!
Comme un lis penché par la pluie
Courbe ses rameaux éplorés,
Si la main du Seigneur vous plie,
Baissez votre tête, et pleurez.
Une larme à ses pieds versée
Luit plus que la perle enchâssée
Dans son tabernacle immortel;
Et le coeur blessé qui soupire
Rend un son plus doux que la lyre
Sous les colonnes de l'autel!
Les astres roulent en silence
Sans savoir les routes des cieux;
Le Jourdain vers l'abîme immense
Poursuit son cours mystérieux;
L'aquilon, d'une aile rapide,
Sans savoir où l'instinct le guide,
S'élance et court sur vos sillons;
Les feuilles que l'hiver entasse,
Sans savoir où le vent les chasse,
Volent en pâles tourbillons!
Et vous, pourquoi d'un soin stérile
Empoisonner vos jours bornés?
Le jour présent vaut mieux que mille
Des siècles qui ne sont pas nés.
Passez, passez, ombres légères,
Allez où sont allés vos pères,
Dormir auprès de vos aïeux.
De ce lit où la mort sommeille,
On dit qu'un jour elle s'éveille
Comme l'aurore dans les cieux!
XXIII
Apparition
Toi qui du jour mourant consoles la nature,
Parais, flambeau des nuits, lève-toi dans les cieux;
Etends autour de moi, sur la pâle verdure,
Les douteuses clartés d'un jour mystérieux!
Tous les infortunés chérissent ta lumière;
L'éclat brillant du jour repousse leurs douleurs :
Aux regards du soleil ils ferment leur paupière,
Et rouvrent devant toi leurs yeux noyés de pleurs.
Viens guider mes pas vers la tombe
Où ton rayon s'est abaissé,
Où chaque soir mon genou tombe
Sur un saint nom presque effacé.
Mais quoi! la pierre le repousse!...
J'entends!... oui! des pas sur la mousse!
Un léger souffle a murmuré;
Mon oeil se trouble, je chancelle :
Non, non, ce n'est plus toi; c'est elle
Dont le regard m'a pénétré!...
Est-ce bien toi? toi qui t'inclines
Sur celui qui fut ton amant?
Parle; que tes lèvres divines
Prononcent un mot seulement.
Ce mot que murmurait ta bouche
Quand, planant sur ta sombre couche,
La mort interrompit ta voix.
Sa bouche commence... Ah! j'achève :
Oui, c'est toi! ce n'est point un rêve!
Anges du ciel, je la revois!...
Ainsi donc l'ardente prière
Perce le ciel et les enfers!
Ton âme a franchi la barrière
Qui sépare deux univers!
Gloire à ton nom, Dieu qui l'envoie!
Ta grâce a permis que je voie
Ce que mes yeux cherchaient toujours.
Que veux-tu? faut-il que je meure?
Tiens, je te donne pour cette heure
Toutes les heures de mes jours!
Mais quoi! sur ce rayon déjà l'ombre s'envole!
Pour un siècle de pleurs une seule parole!
Est-ce tout?... C'est assez! Astre que j'ai chanté,
J'en bénirai toujours ta pieuse clarté,
Soit que dans nos climats, empire des orages,
Comme un vaisseau voguant sur la mer des nuages,
Tu perces rarement la triste obscurité;
Soit que sous ce beau ciel, propice à ta lumière,
Dans un limpide azur poursuivant ta carrière,
Des couleurs du matin tu dores les coteaux;
Ou que, te balançant sur une mer tranquille,
Et teignant de tes feux sa surface immobile,
Tes rayons argentés se brisent dans les eaux!
XXIV
Chant d'amour
Naples, 1822.
Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre,
Le doux frémissement des ailes du zéphyre
À travers les rameaux,
Ou l'onde qui murmure en caressant ces rives,
Ou le roucoulement des colombes plaintives,
Jouant aux bords des eaux;
Si, comme ce roseau qu'un souffle heureux anime,
Tes cordes exhalaient ce langage sublime,
Divin secret des cieux,
Que, dans le pur séjour où l'esprit seul s'envole,
Les anges amoureux se parlent sans parole,
Comme les yeux aux yeux;
Si de ta douce voix la flexible harmonie,
Caressant doucement une âme épanouie
Au souffle de l'amour,
La berçait mollement sur de vagues images,
Comme le vent du ciel fait flotter les nuages
Dans la pourpre du jour :
Tandis que sur les fleurs mon amante sommeille,
Ma voix murmurerait tout bas à son oreille
Des soupirs, des accords,
Aussi purs que l'extase où son regard me plonge,
Aussi doux que le son que nous apporte un songe
Des ineffables bords!
Ouvre les yeux, dirais-je, à ma seule lumière!
Laisse-moi, laisse-moi lire dans ta paupière
Ma vie et ton amour!
Ton regard languissant est plus cher à mon âme
Que le premier rayon de la céleste flamme
Aux yeux privés du jour.
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Un de ses bras fléchit sous son cou qui le presse,
L'autre sur son beau front retombe avec mollesse,
Et le couvre à demi :
Telle, pour sommeiller, la blanche tourterelle
Courbe son cou d'albâtre et ramène son aile
Sur son oeil endormi!
Le doux gémissement de son sein qui respire
se mêle au bruit plaintif de l'onde qui soupire
À flots harmonieux;
Et l'ombre de ses cils, que le zéphyr soulève,
Flotte légèrement comme l'ombre d'un rêve
Qui passe sur ses yeux!
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Que ton sommeil est doux, ô vierge! ô ma colombe!
Comme d'un cours égal ton sein monte et retombe
Avec un long soupir!
Deux vagues que blanchit le rayon de la lune,
D'un mouvement moins doux viennent l'une après l'une
Murmurer et mourir!
Laisse-moi respirer sur ces lèvres vermeilles
Ce souffle parfumé!... Qu'ai-je fait? Tu t'éveilles :
L'azur voilé des cieux
Vient chercher doucement ta timide paupière;
Mais toi, ton doux regard, en voyant la lumière,
N'a cherché que mes yeux!
Ah! que nos longs regards se suivent, se prolongent,
Comme deux purs rayons l'un dans l'autre se plongent,
Et portent tour à tour
Dans le coeur l'un de l'autre une tremblante flamme,
Ce jour intérieur que donne seul à l'âme
Le regard de l'amour!
Jusqu'à ce qu'une larme aux bords de ta paupière,
De son nuage errant te cachant la lumière,
Vienne baigner tes yeux,
Comme on voit, au réveil d'une charmante aurore,
Les larmes du matin, qu'elle attire et colore,
L'ombrager dans les cieux.
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Parle-moi! Que ta voix me touche!
Chaque parole sur ta bouche
Est un écho mélodieux!
Quand ta voix meurt dans mon oreille,
Mon âme résonne et s'éveille,
Comme un temple à la voix des dieux!
Un souffle, un mot, puis un silence,
C'est assez : mon âme devance
Le sens interrompu des mots,
Et comprend ta voix fugitive,
Comme le gazon de la rive
Comprend le murmure des flots.
Un son qui sur ta bouche expire,
Une plainte, un demi-sourire,
Mon coeur entend tout sans effort :
Tel, en passant par une lyre,
Le souffle même du zéphyre
Devient un ravissant accord!
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Pourquoi sous tes cheveux me cacher ton visage?
Laisse mes doigts jaloux écarter ce nuage :
Rougis-tu d'être belle, ô charme de mes yeux?
L'aurore, ainsi que toi, de ses roses s'ombrage.
Pudeur! honte céleste! instinct mystérieux,
Ce qui brille le plus se voile davantage;
Comme si la beauté, cette divine image,
N'était faite que pour les cieux!
Tes yeux sont deux sources vives
Où vient se peindre un ciel pur,
Quand les rameaux de leurs rives
Leur découvrent son azur.
Dans ce miroir retracées,
Chacune de tes pensées
Jette en passant son éclair,
Comme on voit sur l'eau limpide
Flotter l'image rapide
Des cygnes qui fendent l'air!
Ton front, que ton voile ombrage
Et découvre tour à tour,
Est une nuit sans nuage
Prête à recevoir le jour;
Ta bouche, qui va sourire,
Est l'onde qui se retire
Au souffle errant du zéphyr,
Et, sur ces bords qu'elle quitte,
Laisse au regard qu'elle invite,
Compter les perles d'Ophyr!
Ton cou, penché sur l'épaule,
Tombe sous son doux fardeau,
Comme les branches du saule
Sous le poids d'un passereau;
Ton sein, que l'oeil voit à peine
Soulevant à chaque haleine
Le poids léger de ton coeur,
Est comme deux tourterelles
Qui font palpiter leurs ailes
Dans la main de l'oiseleur.
Tes deux mains sont deux corbeilles
Qui laissent passer le jour;
Tes doigts de roses vermeilles
En couronnent le contour.
Sur le gazon qui l'embrasse
Ton pied se pose, et la grâce,
Comme un divin instrument,
Aux sons égaux d'une lyre
Semble accorder et conduire
Ton plus léger mouvement.
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Pourquoi de tes regards percer ainsi mon âme?
Baisse, oh! baisse tes yeux pleins d'une chaste flamme :
Baisse-les, ou je meurs.
Viens plutôt, lève-toi! Mets ta main dans la mienne,
Que mon bras arrondi t'entoure et te soutienne
Sur ces tapis de fleurs.
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Aux bords d'un lac d'azur il est une colline
Dont le front verdoyant légèrement s'incline
Pour contempler les eaux;
Le regard du soleil tout le jour la caresse,
Et l'haleine de l'onde y fait flotter sans cesse
Les ombres des rameaux.
Entourant de ses plis deux chênes qu'elle embrasse
Une vigne sauvage à leurs rameaux s'enlace,
Et, couronnant leurs fronts,
De sa pâle verdure éclaircit leur feuillage,
Puis sur des champs coupés de lumière et d'ombrage
Court en riants festons.
Là, dans les flancs creusés d'un rocher qui surplombe,
S'ouvre une grotte obscure, un nid où la colombe
Aime à gémir d'amour;
La vigne, le figuier, la voilent, la tapissent,
Et les rayons du ciel, qui lentement s'y glissent,
Y mesurent le jour.
La nuit et la fraîcheur de ces ombres discrètes
conservent plus longtemps aux pâles violettes
Leurs timides couleurs;
Une source plaintive en habite la voûte,
Et semble sur vos fronts distiller goutte à goutte
Des accords et des pleurs.
Le regard, à travers ce rideau de verdure,
Ne voit rien que le ciel et l'onde qu'il azure;
Et sur le sein des eaux
Les voiles du pêcheur, qui, couvrant sa nacelle,
Fendent ce ciel limpide, et battent comme l'aile
Des rapides oiseaux.
L'oreille n'entend rien qu'une vague plaintive
Qui, comme un long baiser, murmure sur sa rive,
Ou la voix des zéphyrs,
Ou les sons cadencés que gémit Philomèle,
Ou l'écho du rocher, dont un soupir se mêle
À nos propres soupirs.
....................................................
Viens, cherchons cette ombre propice
Jusqu'à l'heure où de ce séjour
Les fleurs fermeront leur calice
Aux regards languissants du jour.
Voilà ton ciel, ô mon étoile!
Soulève, oh! soulève ce voile,
Éclaire la nuit de oes lieux;
Parle, chante, rêve, soupire,
Pourvu que mon regard attire
Un regard errant de tes yeux.
Laisse-moi parsemer de roses
La tendre mousse où tu t'assieds,
Et près du lit où tu reposes
Laisse-moi m'asseoir à tes pieds.
Heureux le gazon que tu foules,
Et le bouton dont tu déroules
Sous tes doigts les fraîches couleurs!
Heureuses ces coupes vermeilles
Que pressent tes lèvres, pareilles
Aux frelons qui tètent les fleurs!
Si l'onde des lis que tu cueilles
Roule les calices flétris,
Des tiges que ta bouche effeuille
Si le vent m'apporte un débris,
Si ta bouche qui se dénoue
Vient, en ondulant sur ma joue,
De ma lèvre effleurer le bord;
Si ton souffle léger résonne,
Je sens sur mon front qui frissonne
Passer les ailes de la mort.
Souviens-toi de l'heure bénie
Où les dieux, d'une tendre main,
Te répandirent sur ma vie
Comme l'ombre sur le chemin.
Depuis cette heure fortunée,
Ma vie à ta vie enchaînée,
Qui s'écoule comme un seul jour,
Est une coupe toujours pleine,
Où mes lèvres à longue haleine
Puisent l'innocence et l'amour.
Ah! lorsque mon front qui s'incline
Chargé d'une douce langueur,
S'endort bercé sur ta poitrine
Par le mouvement de ton coeur,
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....................................................
....................................................
....................................................
Un jour, le temps jaloux, d'une haleine glacée,
Fanera tes couleurs comme une fleur passée
Sur ces lits de gazon;
Et sa main flétrira sur tes charmantes lèvres
Ces rapides baisers, hélas! dont tu me sèvres
Dans leur fraîche saison.
Mais quand tes yeux, voilés d'un nuage de larmes,
De ces jours écoulés qui t'ont ravi tes charmes
Pleureront la rigueur;
Quand dans ton souvenir, dans l'onde du rivage
Tu chercheras en vain ta ravissante image,
Regarde dans mon coeur!
Là ta beauté fleurit pour des siècles sans nombre;
Là ton doux souvenir veille à jamais à l'ombre
De ma fidélité,
Comme une lampe d'or dont une vierge sainte
Protège avec la main, en traversant l'enceinte,
La tremblante clarté.
Et quand la mort viendra, d'un autre amour suivie,
Eteindre en souriant de notre double vie
L'un et l'autre flambeau,
Qu'elle étende ma couche à côté de la tienne,
Et que ta main fidèle embrasse encor la mienne
Dans le lit du tombeau.
Ou plutôt puissions-nous passer sur cette terre,
Comme on voit en automne un couple solitaire
De cygnes amoureux
Partir, en s'embrassant, du nid qui les rassemble,
Et vers les doux climats qu'ils vont chercher ensemble
S'envoler deux à deux.
XXV
Improvisée
A la grande Chartreuse
Jéhova de la terre a consacré les cimes;
Elles sont de ses pas le divin marchepied,
C'est là qu'environné de ses foudres sublimes
Il vole, il descend, il s'assied.
Sina, l'Olympe même, en conservent la trace;
L'Oreb, en tressaillant, s'inclina sous ses pas;
Thor entendit sa voix, Gelboé vit sa face;
Golgotha pleura son trépas.
Dieu que l'Hébron connaît, Dieu que Cédar adore,
Ta gloire à ces rochers jadis se dévoila;
Sur le sommet des monts nous te cherchons encore;
Seigneur, réponds-nous! es-tu là?
Paisibles habitants de ces saintes retraites,
Comme l'ont entendu les guides d'Israël,
Dans le calme des nuits, des hauteurs où vous êtes
N'entendez-vous donc rien du ciel?
Ne voyez-vous jamais les divines phalanges
Sur vos dômes sacrés descendre et se pencher?
N'entendez-vous jamais des doux concerts des anges
Retentir l'écho du rocher?
Quoi! l'âme en vain regarde, aspire, implore, écoute;
Entre le ciel et nous, est-il un mur d'airain?
Vos yeux, toujours levés vers la céleste voûte,
Vos yeux sont-ils levés en vain?
Pour s'élancer, Seigneur, où ta voix les appelle,
Les astres de la nuit ont des chars de saphirs,
Pour s'élever à toi, l'aigle au moins a son aile;
Nous n'avons rien que nos soupirs!
Que la voix de tes saints s'élève et te désarme,
La prière du juste est l'encens des mortels;
Et nous, pêcheurs, passons: nous n'avons qu'une larme
A répandre sur tes autels.
XXVI
Adieux à la poésie
Il est une heure de silence
Où la solitude est sans voix,
Où tout dort, même l'Espérance;
Où nul zéphyr ne se balance
Sous l'ombre immobile des bois;
Il est un âge où de la lyre
L'âme aussi semble s'endormir,
Où du poétique délire
Le souffle harmonieux expire
Dans le sein qu'il faisait frémir.
L'oiseau qui charme le bocage,
Hélas! ne chante pas toujours;
A midi, caché sous l'ombrage,
Il n'enchante de son ramage
Que l'aube et le déclin des jours.
Adieu donc, adieu, voici l'heure,
Lyre aux soupirs mélodieux!
En vain à la main qui t'effleure
Ta fibre encor répond et pleure :
Voici l'heure de nos adieux.
Reçois cette larme rebelle
Que mes yeux ne peuvent cacher.
Combien sur ta corde fidèle
Mon âme, hélas! en versa-t-elle,
Que tes soupirs n'ont pu sécher!
Sur cette terre infortunée,
Où tous les yeux versent des pleurs,
Toujours de cyprès couronnée,
La lyre ne nous fut donnée
Que pour endormir nos douleurs.
Tout ce qui chante ne répète
Que des regrets ou des désirs,
Du bonheur la corde est muette,
De Philomèle et du poète
Les plus doux chants sont des soupirs :
Dans l'ombre, auprès d'un mausolée,
O lyre! tu suivis mes pas,
Et des doux festins exilée
Jamais ta voix ne s'est mêlée
Aux chants des heureux d'ici-bas.
Pendue aux saules de la rive,
Libre comme l'oiseau des bois,
On n'a point vu ma main craintive
T'attacher comme une captive
Aux portes des palais des rois.
Des partis l'haleine glacée
Ne t'inspira pas tour à tour;
Aussi chaste que la pensée,
Nul souffle ne t'a caressée,
Excepté celui de l'Amour.
En quelque lieu qu'un sort sévère
Fît plier mon front sous ses lois,
Grâce à toi, mon âme étrangère
A trouvé partout sur la terre
Un céleste écho de sa voix.
Aux monts d'où le jour semble éclore,
Quand je t'emportais avec moi
Pour louer celui que j'adore,
Le premier rayon de l'aurore
Ne se réveillait qu'après toi.
Au bruit des flots et des cordages,
Aux feux livides des éclairs,
Tu jetais des accords sauvages,
Et comme l'oiseau des orages
Tu rasais l'écume des mers.
Celle dont le regard m'enchaîne
À tes soupirs mêlait sa voix,
Et souvent ses tresses d'ébène
Frissonnaient sous ma molle haleine,
Comme tes cordes sous mes doigts.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Peut-être à moi, lyre chérie,
Un jour tu pourras revenir,
Quand, de songes divins suivie,
La mort approche, et que la vie
S'éloigne comme un souvenir.
Dans cette seconde jeunesse
Qu'un doux oubli rend aux humains,
Souvent l'homme, dans sa tristesse,
Sur toi se penche et te caresse,
Et tu résonnes sous ses mains.
Ce vent qui sur nos âmes passe
Souffle à l'aurore, ou souffle tard;
Il aime à jouer avec grâce
Dans les cheveux qu'un myrte enlace,
Ou dans la barbe du vieillard.
En vain une neige glacée
D'Homère ombrageait le menton;
Et le rayon de la pensée
Rendait la lumière éclipsée
Aux yeux aveugles de Milton :
Autour d'eux voltigeaient encore
L'amour, l'illusion, l'espoir,
Comme l'insecte amant de Flore,
Dont les ailes semblent éclore
Aux tardives lueurs du soir.
Peut-être ainsi!... mais avant l'âge
Où tu reviens nous visiter,
Flottant de rivage en rivage,
J'aurai péri dans un naufrage,
Loin des cieux que je vais quitter.
Depuis longtemps ma voix plaintive
Sera couverte par les flots,
Et, comme l'algue fugitive,
Sur quelque sable de la rive
La vague aura roulé mes os.
Mais toi, lyre mélodieuse,
Surnageant sur les flots amers,
Des cygnes la troupe envieuse
Suivra ta trace harmonieuse
Sur l'abîme roulant des mers.