Stéphane Mallarmé Poésies
SALUT
Rien,
cette écume, vierge vers
À ne désigner que
la coupe;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes
mainte à l'envers.
Nous
naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la
poupe
Vous l'avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et
d'hivers;
Une
ivresse belle m'engage
Sans craindre même son tangage
De
porter debout ce salut
Solitude,
récif, étoile
À n'importe ce qui valut
Le
blanc souci de notre toile.
LE
GUIGNON
Au-dessus
du bétail ahuri des humains
Bondissaient en clarté
les sauvages crinières
Des mendiants d'azur le pied dans
nos chemins.
Un noir
vent sur leur marche éployé pour bannières
La
flagellait de froid tel jusque dans la chair,
Qu'il y creusait
aussi d'irritables ornières.
Toujours
avec l'espoir de rencontrer la mer,
Ils voyageaient sans pain,
sans bâtons et sans urnes,
Mordant au citron d'or de
l'idéal amer.
La plupart
râla dans les défilés nocturnes,
S'enivrant
du bonheur de voir couler son sang,
O Mort le seul baiser aux
bouches taciturnes!
Leur
défaite, c'est par un ange très puissant
Debout à
l'horizon dans le nu de son glaive:
Une pourpre se caille au sein
reconnaissant.
Ils
tettent la douleur comme ils tétaient le rêve
Et
quand ils vont rythmant de pleurs voluptueux
Le peuple
s'agenouille et leur mère se lève.
Ceux-là
sont consolés, sûrs et majestueux;
Mais traînent
à leurs pas cent frères qu'on bafoue,
Dérisoires
martyrs de hasards tortueux.
Le sel
pareil des pleurs ronge leur douce joue,
Ils mangent de la cendre
avec le même amour,
Mais vulgaire ou bouffon le destin qui
les roue.
Ils
pouvaient exciter aussi comme un tambour
La servile pitié
des races à voix terne,
Égaux de Prométhée
à qui manque un vautour!
Non, vils
et fréquentant les déserts sans citerne,
Ils
courent sous le fouet d'un monarque rageur,
Le Guignon, dont le
rire inouï les prosterne.
Amants, il
saute en croupe à trois, le partageur!
Puis le torrent
franchi, vous plonge en une mare
Et laisse un bloc boueux du
blanc couple nageur.
Grâce
à lui, si l'un souffle à son buccin bizarre,
Des
enfants nous tordront en un rire obstiné
Qui, le poing à
leur cul, singeront sa fanfare.
Grâce
à lui, si l'une orne à point un sein fané
Par
une rose qui nubile le rallume,
De la bave luira sur son bouquet
damné.
Et ce
squelette nain, coiffé d'un feutre à plume
Et
botté, dont l'aisselle a pour poils vrais des vers,
Est
pour eux l'infini de la vaste amertume.
Vexés
ne vont-ils pas provoquer le pervers,
Leur rapière
grinçant suit le rayon de lune
Qui neige en sa carcasse et
qui passe au travers.
Désolés
sans l'orgueil qui sacre l'infortune,
Et tristes de venger leurs
os de coups de bec,
Ils convoitent la haine, au lieu de la
rancune.
Ils sont
l'amusement des racleurs de rebec,
Des marmots, des putains et de
la vieille engeance
Des loqueteux dansant quand le broc est à
sec.
Les poëtes
bons pour l'aumône ou la vengeance,
Ne connaissent le mal
de ces dieux effacés,
Les disent ennuyeux et sans
intelligence.
«
Ils peuvent fuir ayant de chaque exploit assez,
« Comme un
vierge cheval écume de tempête
« Plutôt
que de partir en galops cuirassés.
«
Nous soûlerons d'encens le vainqueur de la fête:
«
Mais eux, pourquoi n'endosser pas, ces baladins,
«
D'écarlate haillon hurlant que l'on s'arrête! »
Quand en
face tous leur ont craché les dédains,
Nuls et la
barbe à mots bas priant le tonnerre,
Ces héros
excédés de malaises badins
Vont ridiculement se pendre au réverbère.
APPARITION
La
lune s'attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant,
l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses,
tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur
l'azur des corolles.
- C'était le jour béni de ton
premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S'enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même
sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d'un
Rêve au coeur qui l'a cueilli.
J'errais donc, l'oeil rivé
sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans
la rue
Et dans le soir, tu m'es en riant apparue
Et j'ai cru
voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes
beaux sommeils d'enfant gâté
Passait, laissant
toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs
bouquets d'étoiles parfumées.
PLACET
FUTILE
Princesse!
à jalouser le destin d'une Hébé
Qui poind
sur cette tasse au baiser de vos lèvres,
J'use mes feux
mais n'ai rang discret que d'abbé
Et ne figurerai même
nu sur le Sèvres.
Comme je
ne suis pas ton bichon embarbé,
Ni la pastille ni du
rouge, ni jeux mièvres
Et que sur moi je sais ton regard
clos tombé,
Blonde dont les coiffeurs divins sont des
orfèvres!
Nommez-nous...
toi de qui tant de ris framboisés
Se joignent en troupeau
d'agneaux apprivoisés
Chez tous broutant les voeux et
bêlant aux délires,
Nommez-nous...
pour qu'Amour ailé d'un éventail
M'y peigne flûte
aux doigts endormant ce bercail,
Princesse, nommez-nous berger de
vos sourires.
LE
PITRE CHATIÉ
Yeux,
lacs avec ma simple ivresse de renaître
Autre que
l'histrion qui du geste évoquais
Comme plume la suie
ignoble des quinquets,
J'ai troué dans le mur de toile une
fenêtre.
De ma
jambe et des bras limpide nageur traître,
À bonds
multipliés, reniant le mauvais
Hamlet! c'est comme si dans
l'onde j'innovais
Mille sépulcres pour y vierge
disparaître.
Hilare or
de cymbale à des poings irrité,
Tout à coup
le soleil frappe la nudité
Qui pure s'exhala dans ma
fraîcheur de nacre,
Rance nuit
de la peau quand sur moi vous passiez,
Ne sachant pas, ingrat!
que c'était tout mon sacre,
Ce fard noyé dans l'eau
perfide des glaciers.
UNE
NÉGRESSE...
Une
négresse par le démon secouée
Veut goûter
une enfant triste de fruits nouveaux
Et criminels aussi sous leur
robe trouée
Cette goinfre s'apprête à de
rusés travaux:
À
son ventre compare heureuse deux tétines
Et, si haut que
la main ne le saura saisir,
Elle darde le choc obscur de ses
bottines
Ainsi que quelque langue inhabile au plaisir
Contre la
nudité peureuse de gazelle
Qui tremble, sur le dos tel un
fol éléphant
Renversée elle attend et
s'admire avec zèle,
En riant de ses dents naïves à
l'enfant;
Et, dans
ses jambes où la victime se couche,
Levant une peau noire
ouverte sous le crin,
Avance le palais de cette étrange
bouche
Pâle et rose comme un coquillage marin.
SOUPIR
Mon
âme vers ton front où rêve, ô calme soeur,
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le
ciel errant de ton oeil angélique
Monte, comme dans un
jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d'eau
soupire vers l'Azur!
- Vers l'Azur attendri d'Octobre pâle
et pur
Qui mire aux grands bassins sa langeur infinie
Et
laisse, sur l'eau morte où la fauve agonie
Des feuilles
erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le
soleil jaune d'un long rayon.
LES
FENÊTRES
Las du
triste hôpital, et de l'encens fétide
Qui monte en
la blancheur banale des rideaux
Vers le grand crucifix ennuyé
du mur vide,
Le moribond sournois y redresse un vieux dos,
Se traîne
et va, moins pour chauffer sa pourriture
Que pour voir du soleil
sur les pierres, coller
Les poils blancs et les os de la maigre
figure
Aux fenêtres qu'un beau rayon clair veut hâler.
Et la
bouche, fiévreuse et d'azur bleu vorace,
Telle, jeune,
elle alla respirer son trésor,
Une peau virginale et de
jadis! encrasse
D'un long baiser amer les tièdes carreaux
d'or.
Ivre, il
vit, oubliant l'horreur des saintes huiles,
Les tisanes,
l'horloge et le lit infligé,
La toux; et quand le soir
saigne parmi les tuiles,
Son oeil, à l'horizon de lumière
gorgé,
Voit des
galères d'or, belles comme des cygnes,
Sur un fleuve de
pourpre et de parfums dormir
En berçant l'éclair
fauve et riche de leurs lignes
Dans un grand nonchaloir chargé
de souvenirs!
Ainsi,
pris du dégoût de l'homme à l'âme dure
Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits
Mangent, et qui s'entête à chercher cette ordure
Pour l'offrir à la femme allaitant ses petits,
Je fuis et
je m'accroche à toutes les croisées
D'ou l'on
tourne l'épaule à la vie et, béni,
Dans leur
verre, lavé d'éternelles rosées,
Que dore le
matin chaste de l'Infini
Je me mire
et me vois ange! et je meurs, et j'aime
-- Que la vitre soit
l'art, soit la mysticité --
À renaître,
portant mon rêve en diadème,
Au ciel antérieur
où fleurit la Beauté!
Mais
hélas! Ici-bas est maître: sa hantise
Vient
m'écoeurer parfois jusqu'en cet abri sûr,
Et le
vomissement impur de la Bêtise
Me force à me boucher
le nez devant l'azur.
Est-il
moyen, ô Moi qui connais l'amertume,
D'enfoncer le cristal
par le monstre insulté
Et de m'enfuir, avec mes deux ailes
sans plume
-- Au risque de tomber pendant l'éternité?
LES
FLEURS
Des
avalanches d'or du vieil azur, au jour
Premier et de la neige
éternelle des astres
Jadis tu détachas les grand
calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres,
Le glaïeul
fauve, avec les cygnes au col fin,
Et ce divin laurier des âmes
exilées
Vermeil comme le pur orteil du séraphin
Que rougit la pudeur des aurores foulées,
L'hyacinthe,
le myrte à l'adorable éclair
Et, pareille à
la chair de la femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en fleur
du jardin clair,
Celle qu'un sang farouche et radieux arrose!
Et tu fis
la blancheur sanglotante des lys
Qui roulant sur des mers de
soupirs qu'elle effleure
À travers l'encens bleu des
horizons pâlis
Monte rêveusement vers la lune qui
pleure!
Hosannah
sur le cistre et dans les encensoirs,
Notre Dame, hosannah du
jardin de nos limbes!
Et finisse l'écho par les célestes
soirs,
Extase des regards, scintillements des nimbes!
O Mère
qui créas en ton sein juste et fort,
Calice balançant
la future fiole,
De grandes fleurs avec la balsamique Mort
Pour
le poëte las que la vie étiole.
RENOUVEAU
Le
printemps maladif a chassé tristement
L'hiver, saison de
l'art serein, l'hiver lucide,
Et, dans mon être à
qui le sang morne préside
L'impuissance s'étire en
un long bâillement.
Des
crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu'un cercle de fer serre ainsi qu'un vieux tombeau
Et
triste, j'erre après un rêve vague et beau,
Par les
champs où la sève immense se pavane
Puis je
tombe énervé de parfums d'arbres, las,
Et creusant
de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre
chaude où poussent les lilas,
J'attends,
en m'abîmant que mon ennui s'élève...
-
Cependant l'Azur rit sur la haie et l'éveil
De tant
d'oiseaux en fleur gazouillant au soleil.
ANGOISSE
Je ne
viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui
vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes
cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui
que verse mon baiser:
Je demande
à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les
rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après
tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que
les morts:
Car le
Vice, rongeant ma native noblesse,
M'a comme toi marqué de
sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre
est habité
Par un
coeur que la dent d'aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle,
défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir
lorsque je couche seul.
LAS
DE L'AMER REPOS...
Las de
l'amer repos où ma paresse offense
Une gloire pour qui
jadis j'ai fui l'enfance
Adorable des bois de roses sous l'azur
Naturel, et plus las sept fois du pacte dur
De creuser par
veillée une fosse nouvelle
Dans le terrain avare et froid
de ma cervelle,
Fossoyeur sans pitié pour la stérilité,
- Que dire à cette Aurore, ô Rêves, visité
Par les roses, quand, peur de ses roses livides,
Le vaste
cimetière unira les trous vides? -
Je veux délaisser
l'Art vorace d'un pays
Cruel, et, souriant aux reproches vieillis
Que me font mes amis, le passé, le génie,
Et ma
lampe qui sait pourtant mon agonie,
Imiter le Chinois au coeur
limpide et fin
De qui l'extase pure est de peindre la fin
Sur
ses tasses de neige à la lune ravie
D'une bizarre fleur
qui parfume sa vie
Transparente, la fleur qu'il a sentie, enfant,
Au filigrane bleu de l'âme se greffant.
Et, la mort
telle avec le seul rêve du sage,
Serein, je vais choisir un
jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d'azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le
ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche
nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de
trois grand cils d'émeraude, roseaux.
LE
SONNEUR
Cependant
que la cloche éveille sa voix claire
À l'air pur et
limpide et profond du matin
Et passe sur l'enfant qui jette pour
lui plaire
Un angélus parmi la lavande et le thym,
Le sonneur
effleuré par l'oiseau qu'il éclaire,
Chevauchant
tristement en geignant du latin
Sur la pierre qui tend la corde
séculaire,
N'entend descendre à lui qu'un tintement
lointain.
Je suis
cet homme. Hélas! de la nuit désireuse,
J'ai beau
tirer le câble à sonner l'Idéal,
De froids
péchés s'ébat un plumage féal,
Et la voix
ne me vient que par bribes et creuse!
Mais, un jour, fatigué
d'avoir en vain tiré,
O Satan, j'ôterai la pierre et
me pendrai.
TRISTESSE
D'ÉTÉ
Le
soleil, sur la table, ô lutteuse endormie,
En l'or de tes
cheveux chauffe un bain langoureux
Et, consumant l'encens sur ta
joue ennemie,
Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.
De ce
blanc Flamboiement l'immuable accalmie
T'a fait dire, attristée,
ô mes baisers peureux,
« Nous ne serons jamais une
seule momie
Sous l'antique désert et les palmiers heureux!
»
Mais ta
chevelure est une rivière tiède,
Où noyer
sans frissons l'âme qui nous obsède
Et trouver ce
Néant que tu ne connais pas.
Je
goûterai le fard pleuré par tes paupières,
Pour
voir s'il sait donner au coeur que tu frappas
L'insensibilité
de l'azur et des pierres.
L'AZUR
De
l'éternel azur la sereine ironie
Accable, belle
indolemment comme les fleurs,
Le poëte impuissant qui maudit
son génie
À travers un désert stérile
de Douleurs.
Fuyant,
les yeux fermés, je le sens qui regarde
Avec l'intensité
d'un remords atterrant,
Mon âme vide. Où fuir? Et
quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris
navrant?
Brouillards,
montez! Versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de
brume dans les cieux
Qui noiera le marais livide des automnes
Et
bâtissez un grand plafond silencieux!
Et toi,
sors des étangs léthéens et ramasse
En t'en
venant la vase et les pâles roseaux,
Cher Ennui, pour
boucher d'une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font
méchamment les oiseaux.
Encor! que
sans répit les tristes cheminées
Fument, et que de
suie une errante prison
Éteigne dans l'horreur de ses
noires traînées
Le soleil se mourant jaunâtre
à l'horizon!
-- Le Ciel
est mort. -- Vers toi, j'accours! donne, ô matière,
L'oubli de l'Idéal cruel et du Péché
À
ce martyr qui vient partager la litière
Où le
bétail heureux des hommes est couché,
Car j'y
veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
Comme le pot de
fard gisant au pied d'un mur,
N'a plus l'art d'attifer la
sanglotante idée,
Lugubrement bâiller vers un trépas
obscur...
En vain!
l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante
Dans les cloches. Mon
âme, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa
victoire méchante,
Et du métal vivant sort en bleus
angelus!
Il roule
par la brume, ancien et traverse
Ta native agonie ainsi qu'un
glaive sûr;
Où fuir dans la révolte inutile
et perverse?
Je suis hanté. L'Azur! l'Azur! l'Azur!
l'Azur!
BRISE
MARINE
La
chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir!
là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être
parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux
jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur
qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte
de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et
ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer
balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une
exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels
espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des
mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les
orages
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots!
AUMONE
Prends ce
sac, Mendiant! tu ne le cajolas
Sénile nourrisson d'une
tétine avare
Afin de pièce à pièce en
égoutter ton glas.
Tire du
métal cher quelque péché bizarre
Et vaste
comme nous, les poings pleins, le baisons
Souffles-y qu'il se
torde! une ardente fanfare.
Église
avec l'encens que toutes ces maisons
Sur les murs quand berceur
d'une bleue éclaircie
Le tabac sans parler roule les
oraisons,
Et l'opium
puissant brise la pharmacie!
Robes et peaux, veux-tu lacérer
le satin
Et boire en la salive l'heureuse inertie,
Par les
cafés princiers attendre le matin?
Les plafonds enrichis
de nymphes et de voiles,
On jette, au mendiant de la vitre, un
festin.
Et quand
tu sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles
D'emballage,
l'aurore est un lac de vin d'or
Et tu jures avoir au gosier les
étoiles!
Faute de
supputer l'éclat de ton trésor,
Tu peux du moins
t'orner d'une plume, à complies
Servir un cierge au saint
en qui tu crois encor.
Ne
t'imagine pas que je dis des folies.
La terre s'ouvre vieille à
qui crève la faim.
Je hais une autre aumône et veux
que tu m'oublies.
Et surtout ne va pas, frère, acheter du pain.
SONNET
(Pour votre chère morte, son ami.) 2
novembre 1877
Sur les
bois oubliés quand passe l'hiver sombre
Tu te plains, ô
captif solitaire du seuil,
Que ce sépulcre à deux
qui fera notre orgueil
Hélas! du manque seul des lourds
bouquet s'encombre.
Sans
écouter Minuit qui jeta son vain nombre,
Une veille
t'exalte à ne pas fermer l'oeil
Avant que dans les bras de
l'ancien fauteuil
Le suprême tison n'ait éclairé
mon Ombre.
Qui veut
souvent avoir la Visite ne doit
Par trop de fleurs charger la
pierre que mon doigt
Soulève avec l'ennui d'une force
défunte.
Ame au si
clair foyer tremblante de m'asseoir,
Pour revivre il suffit qu'à
tes lèvres j'emprunte
Le souffle de mon nom murmuré
tout un soir.
DON
DU POEME
Je
t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idumée!
Noire, à
l'aile saignante et pâle, déplumée,
Par le
verre brûlé d'aromates et d'or,
Par les carreaux
glacés, hélas! mornes encor,
L'aurore se jeta sur
la lampe angélique.
Palmes! et quand elle a montré
cette relique
A ce père essayant un sourire ennemi,
La
solitude bleue et stérile a frémi.
O la berceuse,
avec ta fille et l'innocence
De vos pieds froids, accueille une
horrible naissance:
Et ta voix rappelant viole et clavecin,
Avec
le doigt fané presseras-tu le sein
Par qui coule en
blancheur sibylline la femme
Pour les lèvres que l'air du
vierge azur affame?
SCENE.La
Nourrice - Hérodiade
N:
Tu
vis! ou vois-je ici l'ombre d'une princesse?
À mes lèvres
tes doigts et leurs bagues et cesse
De marcher dans un âge
ignoré...
H:
Reculez.
Le blond torrent de mes cheveux immaculés
Quand il baigne mon corps solitaire le glace
D'horreur, et
mes cheveux que la lumière enlace
Sont immortels. O femme,
un baiser me tûrait
Si la beauté n'était la
mort...
Par quel
attrait
Menée et quel matin oublié des prophètes
Verse, sur les lointains mourants, ses tristes fêtes,
Le
sais-je? tu m'as vue, ô nourrice d'hiver,
Sous la lourde
prison de pierres et de fer
Où de mes vieux lions traînent
les siècles fauves
Entrer, et je marchais, fatale, les
mains sauves,
dans le parfum désert de ses anciens rois:
Mais encore as-tu-vu quels furent mes effrois?
Je m'arrête
rêvant aux exils, et j'effeuille,
Comme près d'un
bassin dont le jet d'eau m'accueille
Les pâles lys qui sont
en moi, tandis qu'épris
De suivre du regard les languides
débris
Descendre, à travers ma rêverie, en
silence,
Les lions, de ma robe écartent l'indolence
Et
regardent mes pieds qui calmeraient la mer.
Calme, toi, les
frissons de ta sénile chair,
Viens et ma chevelure imitant
les manières
Trop farouches qui font votre peur des
crinières,
Aide-moi, puisqu'ainsi tu n'oses plus me voir,
A me peigner nonchalamment dans un miroir.
N.:
Sinon
la myrrhe gaie en ses bouteilles closes,
De l'essence ravie aux
vieillesses de roses,
Voulez-vous, mon enfant, essayer la vertu
Funèbre?
H.:
Laisse-là ces parfums! ne sais-tu
Que je les hais,
nourrice, et veux-tu que je sente
Leur ivresse noyer ma tête
languissante?
Je veux que mes cheveux qui ne sont pas des fleurs
À répandre l'oubli des humaines douleurs
Mais
de l'or, à jamais vierge des aromates,
Dans leurs éclairs
cruels et dans leurs pâleurs mates,
Observent la froideur
stérile du métal,
Vous ayant reflétés,
joyaux du mur natal,
Armes, vases depuis ma solitaire enfance.
N.:
Pardon! l'âge effaçait, reine, votre défense
De mon esprit pâli comme un vieux livre ou noir...
H.:
Assez! Tiens devant moi ce miroir.
O miroir!
Eau froide par l'ennui dans ton cadre gelée
Que de
fois et pendant les heures, désolée
Des songes et
cherchant mes souvenirs qui sont
Comme des feuilles sous ta glace
au trou profond,
Je m'apparus en toi comme une ombre lointaine
Mais, horreur! des soirs, dans ta sévère fontaine,
J'ai de mon rêve épars connu la nudité!
Nourrice, suis-je belle?
N.:
Un
astre, en vérité
Mais cette tresse tombe...
H.:
Arrête dans ton crime
Qui refroidit mon sang vers sa
source, et réprime
Ce geste, impiété
fameuse: ah! conte-moi
Quel sûr démon te jette en le
sinistre émoi,
Ce baiser, ces parfums offerts et, le
dirai-je?
O mon coeur, cette main encore sacrilège,
Car
tu voulais, je crois, me toucher, sont un jour
Qui ne finira pas
sans malheur sur la tour...
O jour qu'Hérodiade avec
effroi regarde!
N.:
Temps
bizarre, en effet, de quoi le ciel vous garde!
Vous errez, ombre
seule et nouvelle fureur,
Et regardant en vous précoce
avec terreur;
Mais toujours adorable autant qu'une immortelle,
O
mon enfant, et belle affreusement, et telle
Que...
H.:
Mais
n'allais-tu pas me toucher?
N.:
...
J'aimerais
Etre à qui le Destin réserve vos
secrets.
H.:
Oh!
tais-toi!
N.:
Viendra-t-il parfois?
H.:
Étoiles pures,
N'entendez pas!
N.:
Comment, sinon parmi d'obscures
Épouvantes, songer
plus implacable encor
Et comme suppliant le dieu que le trésor
De votre grâce attend! et pour qui, dévorée
D'angoisse, gardez-vous la splendeur ignorée
Et le
mystère vain de votre être?
H.:
Pour
moi.
N.:
Triste fleur qui croît seule et n'a pas d'autre émoi
Que son ombre dans l'eau vue avec atonie.
H.:
Va,
garde to pitié comme ton ironie.
N.:
Toutefois expliquez: oh! non, naïve enfant,
Décroîtra,
quelque jour, ce dédain triomphant...
H.:
Mais
qui me toucherait, des lions respectée?
Du reste, je ne
veux rien d'humain et, sculptée,
Si tu me vois les yeux
perdus au paradis,
C'est quand je me souviens de ton lait bu
jadis.
N.:
Victime lamentable à son destin offerte!
H.:
Oui,
c'est pour moi, pour moi, que je fleuris, déserte!
Vous le
savez, jardins d'améthyste, enfouis
Sans fin dans vos
savants abîmes éblouis,
Ors ignorés, gardant
votre antique lumière
Sous le sombre sommeil d'une terre
première,
Vous, pierres où mes yeux comme de purs
bijoux
Empruntent leur clarté mélodieuse, et vous
Métaux qui donnez à ma jeune chevelure
Une
splendeur fatale et sa massive allure!
Quant à toi, femme
née en des siècles malins
Pour la méchanceté
des antres sibyllins,
Qui parles d'un mortel! selon qui, des
calices
De mes robes, arôme aux farouches délices,
Sortirait le frisson blanc de ma nudité,
Prophétise
que si le tiède azur d'été,
Vers lui
nativement la femme se dévoile,
Me voit dans ma pudeur
grelottante d'étoile,
Je meurs!
J'aime
l'horreur d'être vierge et je veux
Vivre parmi l'effroi que
me font mes cheveux
Pour, le soir, retirée en ma couche,
reptile
Inviolé sentir en la chair inutile
Le froid
scintillement de ta pâle clarté
Toi qui te meurs,
toi qui brûles de chasteté
Nuit blanches de glaçons
et de neige cruelle!
Et ta
soeur solitaire, ô ma soeur éternelle
Mon rêve
montera vers toi: telle déjà,
Rare limpidité
d'un coeur qui le songea,
Je me crois seule en ma monotone patrie
Et tout, autour de moi, vit dans l'idolâtrie
D'un
miroir qui reflète en son calme dormant
Hérodiade
au clair regard de diamant...
O charme dernier, oui! je le sens,
je suis seule.
N.:
Madame, allez-vous donc mourir?
H.:
Non,
pauvre aïeule,
Sois calme et, t'éloignant, pardonne à
ce coeur dur,
Mais avant, si tu veux, clos les volets, l'azur
Séraphique sourit dans les vitres profondes,
Et je
déteste, moi, le bel azur!
Des ondes
Se bercent et, là-bas, sais-tu pas un pays
Où
le sinistre ciel ait les regards haïs
De Vénus qui,
le soir, brûle dans le feuillage:
J'y partirais.
Allume
encore, enfantillage
Dis-tu, ces flambeaux où la cire au
feu léger
Pleure parmi l'or vain quelque pleur étranger
Et...
N.:
Maintenant?
H.:
Adieu.
Vous mentez, ô fleur nue
De mes lèvres.
J'attends
une chose inconnue
Ou peut-être, ignorant le mystère
et vos cris,
Jetez-vous les sanglots suprêmes et meurtris
D'une enfance sentant parmi les rêveries
Se séparer
enfin ses froides pierreries.
CANTIQUE
DE SAINT JEAN
Le
soleil que sa halte
Surnaturelle exalte
Aussitôt
redescend
Incandescent
Je sens
comme aux vertèbres
S'éployer des ténèbres
Toutes dans un frisson
À l'unisson
Et ma tête
surgie
Solitaire vigie
Dans les vols triomphaux
De cette
faux
Comme
rupture franche
Plutôt refoule ou tranche
Les anciens
désaccords
Avec le corps
Qu'elle de
jeûnes ivre
S'opiniâtre à suivre
En
quelque bond hagard
Son pur regard
Là-haut
où la froidure
Éternelle n'endure
Que vous le
surpassiez
Tous ô glaciers
Mais selon
un baptème
Illuminée au même
Principe qui
m'élut
Penche un salut.
L'APRES-MIDI
D'UN FAUNE
Le
Faune:
Ces nymphes, je les veux perpétuer.
Si clair,
Leur incarnat léger, qu'il voltige dans l'air
Assoupi
de sommeils touffus.
Aimai-je
un rêve?
Mon doute, amas de nuit ancienne, s'achève
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
Bois
même, prouve, hélas! que bien seul je m'offrais
Pour
triomphe la faute idéale de roses.
Réfléchissons...
ou si les
femmes dont tu gloses
Figurent un souhait de tes sens fabuleux!
Faune, l'illusion s'échappe des yeux bleus
Et froids,
comme une source en pleurs, de la plus chaste:
Mais, l'autre tout
soupirs, dis-tu qu'elle contraste
Comme brise du jour chaude dans
ta toison?
Que non! par l'immobile et lasse pâmoison
Suffoquant de chaleurs le matin frais s'il lutte,
Ne murmure
point d'eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosé
d'accords; et le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à
s'exhaler avant
Qu'il disperse le son dans une pluie aride,
C'est, à l'horizon pas remué d'une ride
Le
visible et serein souffle artificiel
De l'inspiration, qui
regagne le ciel.
O bords
siciliens d'un calme marécage
Qu'à l'envi de
soleils ma vanité saccage
Tacite sous les fleurs
d'étincelles, CONTEZ
« Que je coupais ici les
creux roseaux domptés
» Par le talent; quand, sur
l'or glauque de lointaines
» Verdures dédiant leur
vigne à des fontaines,
» Ondoie une blancheur
animale au repos:
» Et qu'au prélude lent où
naissent les pipeaux
» Ce vol de cygnes, non! de naïades
se sauve
» Ou plonge...
Inerte,
tout brûle dans l'heure fauve
Sans marquer par quel art
ensemble détala
Trop d'hymen souhaité de qui
cherche le la:
Alors m'éveillerai-je à la
ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de
lumière,
Lys! et l'un de vous tous pour l'ingénuité.
Autre que
ce doux rien par leur lèvre ébruité,
Le
baiser, qui tout bas des perfides assure,
Mon sein, vierge de
preuve, atteste une morsure
Mystérieuse, due à
quelque auguste dent;
Mais, bast! arcane tel élut pour
confident
Le jonc vaste et jumeau dont sous l'azur on joue:
Qui,
détournant à soi le trouble de la joue,
Rêve,
dans un solo long, que nous amusions
La beauté d'alentour
par des confusions
Fausses entre elle-même et notre chant
crédule;
Et de faire aussi haut que l'amour se module
Évanouir du songe ordinaire de dos
Ou de flanc pur
suivis avec mes regards clos,
Une sonore, vaine et monotone
ligne.
Tâche
donc, instrument des fuites, ô maligne
Syrinx, de refleurir
aux lacs où tu m'attends!
Moi, de ma rumeur fier, je vais
parler longtemps
Des déesses; et par d'idolâtres
peintures
À leur ombre enlever encore des ceintures:
Ainsi, quand des raisins j'ai sucé la clarté,
Pour
bannir un regret par ma feinte écarté,
Rieur,
j'élève au ciel d'été la grappe vide
Et,
soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
D'ivresse, jusqu'au
soir je regarde au travers.
O nymphes,
regonflons des SOUVENIRS divers.
« Mon oeil, trouant le
joncs, dardait chaque encolure
» Immortelle, qui noie en
l'onde sa brûlure
» Avec un cri de rage au ciel de la
forêt;
» Et le splendide bain de cheveux disparaît
» Dans les clartés et les frissons, ô
pierreries!
» J'accours; quand, à mes pieds,
s'entrejoignent (meurtries
» De la langueur goûtée
à ce mal d'être deux)
» Des dormeuses parmi
leurs seuls bras hasardeux;
» Je les ravis, sans les
désenlacer, et vole
» À ce massif, haï
par l'ombrage frivole,
» De roses tarissant tout parfum au
soleil,
» Où notre ébat au jour consumé
soit pareil.
Je t'adore, courroux des vierges, ô délice
Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse
Pour fuir
ma lèvre en feu buvant, comme un éclair
Tressaille!
la frayeur secrète de la chair:
Des pieds de l'inhumaine
au coeur de la timide
Qui délaisse à la fois une
innocence, humide
De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.
« Mon crime, c'est d'avoir, gai de vaincre ces peurs
»
Traîtresses, divisé la touffe échevelée
»
De baisers que les dieux gardaient si bien mêlée:
»
Car, à peine j'allais cacher un rire ardent
» Sous
les replis heureux d'une seule (gardant
» Par un doigt
simple, afin que sa candeur de plume
» Se teignît à
l'émoi de sa soeur qui s'allume,
» La petite, naïve
et ne rougissant pas: )
» Que de mes bras, défaits
par de vagues trépas,
» Cette proie, à jamais
ingrate se délivre
» Sans pitié du sanglot
dont j'étais encore ivre.
Tant pis!
vers le bonheur d'autres m'entraîneront
Par leur tresse
nouée aux cornes de mon front:
Tu sais, ma passion, que,
pourpre et déjà mûre,
Chaque grenade éclate
et d'abeilles murmure;
Et notre sang, épris de qui le va
saisir,
Coule pour tout l'essaim éternel du désir.
À l'heure où ce bois d'or et de cendres se teinte
Une fête s'exalte en la feuillée éteinte:
Etna! c'est parmi toi visité de Vénus
Sur ta
lave posant tes talons ingénus,
Quand tonne une somme
triste ou s'épuise la flamme.
Je tiens la reine!
O sûr châtiment...
Non, mais
l'âme
De paroles vacante et ce corps alourdi
Tard
succombent au fier silence de midi:
Sans plus il faut dormir en
l'oubli du blasphème,
Sur le sable altéré
gisant et comme j'aime
Ouvrir ma bouche à l'astre efficace
des vins!
Couple, adieu; je vais voir l'ombre que tu devins.
SAINTE
À
la fenêtre recelant
Le santal vieux qui se dédore
De sa viole étincelant
Jadis avec flûte ou
mandore,
Est la
Sainte pâle, étalant
Le livre vieux qui se déplie
Du Magnificat ruisselant
Jadis selon vêpre et complie:
À
ce vitrage d'ostensoir
Que frôle une harpe par l'Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate
phalange
Du doigt
que, sans le vieux santal
Ni le vieux livre, elle balance
Sur
le plumage instrumental,
Musicienne du silence.
TOAST
FUNEBRE
O de
notre bonheur, toi, le fatal emblème!
Salut de
la démence et libation blême,
Ne crois pas qu'au
magique espoir du corridor
J'offre ma coupe vide où
souffre un monstre d'or!
Ton apparition ne va pas me suffire:
Car je t'ai mis, moi-même, en un lieu de porphyre.
Le
rite est pour les mains d'éteindre le flambeau
Contre le
fer épais des portes du tombeau:
Et l'on ignore mal, élu
pour notre fête
Très-simple de chanter l'absence du
poëte,
Que ce beau monument l'enferme tout entier:
Si ce
n'est que la gloire ardente du métier,
Jusqu'à
l'heure commune et vile de la cendre,
Par le carreau qu'allume un
soir fier d'y descendre,
Retourne vers les feux du pur soleil
mortel!
Magnifique,
total et solitaire, tel
Tremble de s'exhaler le faux orgueil des
hommes.
Cette foule hagarde! Elle annonce: Nous sommes
La
triste opacité de nos spectres futurs.
Mais le blason des
deuils épars sur de vains murs
J'ai méprisé
l'horreur lucide d'une larme,
Quand, sourd même à
mon vers sacré qui ne l'alarme
Quelqu'un de ces passants,
fier, aveugle et muet,
Hôte de son linceul vague, se
transmuait
En le vierge héros de l'attente posthume.
Vaste gouffre apporté dans l'amas de la brume
Par
l'irascible vent des mots qu'il n'a pas dits,
Le Néant à
cet Homme aboli de jadis:
« Souvenirs d'horizons,
qu'est-ce, ô toi, que la Terre? »
Hurle ce songe; et,
voix dont la clarté s'altère,
L'espace a pour jouet
le cri: « Je ne sais pas! »
Le Maître,
par un oeil profond, a, sur ses pas,
Apaisé de l'éden
l'inquiète merveille
Dont le frisson final, dans sa voix
seule, éveille
Pour la Rose et le Lys le mystère
d'un nom.
Est-il de ce destin rien qui demeure, non?
O vous
tous, oubliez une croyance sombre.
Le splendide génie
éternel n'a pas d'ombre.
Moi, de votre désir
soucieux, je veux voir,
À qui s'évanouit, hier,
dans le devoir
Idéal que nous font les jardins de cet
astre,
Survivre pour l'honneur du tranquille désastre
Une
agitation solennelle par l'air
De paroles, pourpre ivre et grand
calice clair,
Que, pluie et diamant, le regard diaphane
Reste
là sur ces fleurs dont nulle ne se fane
Isole parmi
l'heure et le rayon du jour!
C'est de nos vrais bosquets déjà
tout le séjour,
Où le poëte pur a pour geste
humble et large
De l'interdire au rêve, ennemi de sa
charge:
Afin que le matin de son repos altier,
Quand la mort
ancienne et comme pour Gautier
De n'ouvrir pas les yeux sacrés
et de se taire,
Surgisse, de l'allée ornement tributaire,
Le sépulcre solide où gît tout ce qui nuit,
Et l'avare silence et la massive nuit.
PROSE
pour des Esseintes
Hyperbole!
de ma mémoire
Triomphalement ne sais-tu
Te lever,
aujourd'hui grimoire
Dans un livre de fer vêtu:
Car
j'installe, par la science,
L'hymne des coeurs spirituels
En
l'oeuvre de ma patience,
Atlas, herbiers et rituels.
Nous
promenions notre visage
(Nous fûmes deux, je le maintiens)
Sur maints charmes de paysage,
O soeur, y comparant les
tiens.
L'ère
d'autorité se trouble
Lorsque, sans nul motif, on dit
De
ce midi que notre double
Inconscience approfondit
Que, sol
des cent iris, son site
Il savent s'il a bien été,
Ne porte pas de nom que cite
L'or de la trompette d'Été.
Oui, dans
une île que l'air charge
De vue et non de visions
Toute
fleur s'étalait plus large
Sans que nous en devisions.
Telles,
immenses, que chacune
Ordinairement se para
D'un lucide
contour, lacune,
Qui des jardins la sépara.
Gloire du
long désir, Idées
Tout en moi s'exaltait de voir
La famille des iridées
Surgir à ce nouveau
devoir.
Mais cette
soeur sensée et tendre
Ne porta son regard plus loin
Que
sourire, et comme à l'entendre
J'occupe mon antique soin.
Oh! sache
l'Esprit de litige,
À cette heure où nous nous
taisons,
Que de lis multiples la tige
Grandissait trop pour
nos raisons
Et non
comme pleure la rive
Quand son jeu monotone ment
À
vouloir que l'ampleur arrive
Parmi mon jeune étonnement
D'ouïr
tout le ciel et la carte
Sans fin attestés sur mes pas
Par le flot même qui s'écarte,
Que ce pays
n'exista pas.
L'enfant
abdique son extase
Et docte déjà par chemins
Elle
dit le mot: Anastase!
Né pour d'éternels
parchemins,
Avant
qu'un sépulcre ne rie
Sous aucun climat, son aïeul,
De porter ce nom: Pulchérie!
Caché par le trop
grand glaïeul.
ÉVENTAIL
de Madame Mallarmé
Avec
comme pour langage
Rien qu'un battement aux cieux
Le futur
vers se dégage
Du logis très précieux
Aile tout
bas la courrière
Cet éventail si c'est lui
Le
même par qui derrière
Toi quelque miroir a lui
Limpide
(où va redescendre
Pourchassée en chaque grain
Un
peu d'invisible cendre
Seule à me rendre chagrin)
Toujours
tel il apparaisse
Entre tes mains sans paresse.
AUTRE
ÉVENTAIL de Mademoiselle Mallarmé
O
rêveuse, pour que je plonge
Au pur délice sans
chemin,
Sache, par un subtil mensonge,
Garder mon aile dans
ta main.
Une
fraîcheur de crépuscule
Te vient à chaque
battement
Dont le coup prisonnier recule
L'horizon
délicatement.
Vertige!
voici que frissonne
L'espace comme un grand baiser
Qui, fou
de naître pour personne,
Ne peut jaillir ni s'apaiser.
Sens-tu le
paradis farouche
Ainsi qu'un rire enseveli
Se couler du coin
de ta bouche
Au fond de l'unanime pli!
Le sceptre
des rivages roses
Stagnants sur les soirs d'or, ce l'est,
Ce
blanc vol fermé que tu poses
Contre le feu d'un bracelet.
FEUILLET
D'ALBUM
Tout à
coup et comme par jeu
Mademoiselle qui voulûtes
Ouïr
se révéler un peu
Le bois de mes diverses flûtes
Il me
semble que cet essai
Tenté devant un paysage
A du bon
quand je le cessai
Pour vous regarder au visage
Oui ce
vain souffle que j'exclus
Jusqu'à la dernière
limite
Selon mes quelques doigts perclus
Manque de moyens
s'il imite
Votre très
naturel et clair
Rire d'enfant qui charme l'air.
SONNET
Mary
sans trop
d'ardeur à la fois enflammant
La rose qui cruelle ou
déchirée et lasse
Même du blanc habit de
pourpre le délace
Pour ouïr dans sa chair pleurer le
diamant
Oui sans
ces crises de rosée et gentiment
Ni brise quoique, avec,
le ciel orageux passe
Jalouse d'apporter je ne sais quel espace
Au simple jour le jour très vrai du sentiment
Ne te
semble-t-il pas, Mary, que chaque année
Dont sur ton front
renaît la grâce spontanée
Suffise selon
quelque apparence et pour moi
Comme un
éventail frais dans la chambre s'étonne
À
raviver du peu qu'il faut ici d'émoi
Toute notre native
amitié monotone.
SONNET
O si
chère de loin et proche et blanche, si
Délicieusement
toi, Mary, que je songe
À quelque baume rare émané
par mensonge
Sur aucun bouquetier de cristal obscurci
Le
sais-tu, oui! pour moi voici des ans, voici
Toujours que ton
sourire éblouissant prolonge
La même rose avec son
bel été qui plonge
Dans autrefois et puis dans le
futur aussi.
Mon coeur
qui dans les nuits parfois cherche à s'entendre
Ou de quel
dernier mot t'appeler le plus tendre
S'exalte en celui rien que
chuchoté de soeur
N'étant,
très grand trésor et tête si petite,
Que tu
m'enseignes bien toute une autre douceur
Tout bas par le baiser
seul dans tes cheveux dite.
REMÉMORATION
D'AMIS BELGES
A des
heures et sans que tel souffle l'émeuve
Toute la vétusté
presque couleur encens
Comme furtive d'elle et visible je sens
Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve
Flotte ou
semble par soi n'apporter une preuve
Sinon d'épandre pour
baume antique le temps
Nous immémoriaux quelques-uns si
contents
Sur la soudaineté de notre amitié neuve
O très
chers rencontrés en le jamais banal
Bruges multipliant
l'aube au défunt canal
Avec la promenade éparse de
maint cygne
Quand
solennellement cette cité m'apprit
Lesquels entre ses fils
un autre vol désigne
À prompte irradier ainsi
qu'aile l'esprit.
LE
SAVETIER
Hors
de la poix rien à faire
Le lys naît blanc, comme
odeur
Simplement je le préfère
À ce bon
raccommodeur.
Il va de
cuir à ma paire
Adjoindre plus que je n'eus
Jamais,
cela désespère
Un besoin de talons nus.
Son
marteau qui ne dévie
Fixe de clous gouailleurs
Sur la
semelle l'envie
Toujours conduisant ailleurs.
Il
recréerait des souliers,
O pieds! si vous le vouliez!
LA
MARCHANDE D'HERBES AROMATIQUES
Ta paille
azur de lavandes,
Ne crois pas avec ce cil
Osé que tu
me la vendes
Comme a l'hypocrite s'il
En tapisse
la muraille
De lieux les absolus lieux
Pour le ventre qui se
raille
Renaître aux sentiments bleus.
Mieux
entre une envahissante
Chevelure ici mets-la
Que le brin
salubre y sente
Zéphirine, Paméla
Ou
conduise vers l'époux
Les prémices de tes poux.
LE
CANTONNIER
Ces
cailloux, tu les nivelles
Et c'est, comme troubadour,
Un cube
aussi de cervelles
Qu'il me faut ouvrir par jour.
LE
MARCHAND D'AIL ET D'OIGNONS
L'ennui
d'aller en visite
Avec l'ail nous l'éloignons
L'élégie
au pleur hésite
Peu si je fends des oignons.
LA
FEMME DE L'OUVRIER
La femme,
l'enfant, la soupe
En chemin pour le carrier
Le complimentent
qu'il coupe
Dans l'us de se marier.
LE
VITRIER
Le pur
soleil qui remise
Trop d'éclat pour l'y trier
Ote
ébloui sa chemise
Sur le dos du vitrier.
LE
CRIEUR D'IMPRIMÉS
Toujours,
n'importe le titre
Sans même s'enrhumer au
Dégel,
ce gai siffle-litre
Crie un premier numéro.
LA
MARCHANDE D'HABITS
Le vif
oeil dont tu regardes
Jusques à leur contenu
Me sépare
de mes hardes
Et comme un dieu je vais nu.
BILLET
À WHISTLER
Pas les
rafales à propos
De rien comme occuper la rue
Sujette
au noir vol de chapeaux;
Mais une danseuse apparue
Tourbillon
de mousseline ou
Fureur éparse en écumes
Que
soulève par son genou
Celle même dont nous vécûmes
Pour tout,
hormis lui, rebattu
Spirituelle, ivre, immobile
Foudroyer
avec le tutu,
sans se faire autrement de bile
Sinon
rieur que puisse l'air
De sa jupe éventer Whistler.
RONDEL
Rien au
réveil que vous n'ayez
Envisagé de quelque moue
Pire si le rire secoue
Votre aile sur les oreillers
Indifféremment
sommeillez
Sans crainte qu'une haleine avoue
Rien au réveil
que vous n'ayez
Envisagé de quelque moue
Tous les
rêves émerveillés
Quand cette beauté
les déjoue
Ne produisent fleur sur la joue
Dans l'oeil
diamants impayés
Rien au réveil que vous n'ayez
RONDEL
Si tu veux
nous nous aimerons
Avec tes lèvres sans le dire
Cette
rose ne l'interromps
Qu'à verser un silence pire
Jamais de
chants ne lancent prompts
Le scintillement du sourire
Si tu
veux nous nous aimerons
Avec tes lèvres sans le dire
Muet muet
entre les ronds
Sylphe dans la pourpre d'empire
Un baiser
flambant se déchire
Jusqu'aux pointes des ailerons
Si
tu veux nous nous aimerons
PETIT
AIR I
Quelconque
une solitude
Sans le cygne ni le quai
Mire sa désuétude
Au regard que j'abdiquai
Ici de la
gloriole
Haute à ne la pas toucher
Dont main ciel se
bariole
Avec les ors de coucher
Mais
langoureusement longe
Comme de blanc linge ôté
Tel
fugace oiseau si plonge
Exultatrice à côté
Dans
l'onde toi devenue
Ta jubilation nue.
PETIT
AIR II
Indomptablement
a dû
Comme mon espoir s'y lance
Éclater là-haut
perdu
Avec furie et silence,
Voix
étrangère au bosquet
Ou par nul écho suivie
L'oiseau qu'on n'ouït jamais
Une autre fois en la vie.
Le hagard
musicien,
Cela dans le doute expire
Si de mon sein pas du
sien
A jailli le sanglot pire
Déchiré
va-t-il entier
Rester sur quelque sentier!
PETIT
AIR (GUERRIER)
Ce me va
hormis l'y taire
Que je sente du foyer
Un pantalon militaire
À ma jambe rougeoyer
L'invasion
je la guette
Avec le vierge courroux
Tout juste de la
baguette
Au gant blancs des tourlourous
Nue ou
d'écorce tenace
Pas pour battre le Teuton
Mais comme
une autre menace
À la fin que me veut-on
De
trancher ras cette ortie
Folle de la sympathie.
SONNET
Quand
l'Ombre menaça de la fatale loi,
Tel vieux Rêve,
désir et mal de mes vertèbres,
Affligé de
périr sous les plafonds funèbres
Il a ployé
son aile indubitable en moi.
Luxe, ô
salle d'ébène où, pour séduire un roi
Se
tordent dans leur mort des guirlandes célèbres,
Vous
n'êtes qu'un orgueil menti par les ténèbres
Aux
yeux du solitaire ébloui de sa foi
Oui, je
sais qu'au lointain de cette nuit, la Terre
Jette d'un grand
éclat l'insolite mystère
Sous les siècles
hideux qui l'obscurcissent moins.
L'espace à
soi pareil qu'il s'accroisse ou se nie
Roule dans cet ennui des
feux vils pour témoins
Que c'est d'un astre en fête
allumé le génie.
SONNET
Le vierge,
le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec
un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le
givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui!
Un cygne
d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans
espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région
où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi
l'ennui.
Tout son
col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligée à
l'oiseau qui le nie,
Mais non l'horreur du sol où le
plumage est pris.
Fantôme
qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise
au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil
inutile le Cygne.
SONNET
Victorieusement fui le suicide beau
Tison de gloire,
sang par écume, or, tempête!
O rire si là-bas
une pourpre s'apprête
À ne tendre royal que mon
absent tombeau.
Quoi! de
tout cet éclat pas même le lambeau
S'attarde, il est
minuit, à l'ombre qui nous fête
Excepté qu'un
trésor présomptueux de tête
Verse son caressé
nonchaloir sans flambeau,
La tienne
si toujours le délice! la tienne
Oui seule qui du ciel
évanoui retienne
Un peu de puéril triomphe en t'en
coiffant
Avec
clarté quand sur les coussins tu la poses
Comme un casque
guerrier d'impératrice enfant
Dont pour te figurer il
tomberait des roses.
SONNET
Ses
purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse,
ce minuit, soutient, lampadophore,
Main rêve vespéral
brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de
cinéraire amphore
Sur les
crédences, au salon vide: nul ptyx,
Aboli bibelot
d'inanité sonore,
(Car le Maître est aller puiser
des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant
s'honore).
Mais
proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon
peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre
une nixe,
Elle,
défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli fermé
par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.
SONNET
La
chevelure vol d'une flamme à l'extrême
Occident de
désirs pour la tout déployer
Se pose (je dirais
mourir un diadème)
Vers le front couronné son
ancien foyer
Mais sans
or soupirer que cette vive nue
L'ignition du feu toujours
intérieur
Originellement la seule continue
Dans le
joyau de l'oeil véridique ou rieur
Une nudité
de héros tendre diffame
Celle qui ne mouvant astre ni feux
au doigt
Rien qu'à simplifier avec gloire la femme
Accomplit par son chef fulgurante l'exploit
De semer
de rubis le doute qu'elle écorche
Ainsi qu'une joyeuse et
tutélaire torche.
LE
TOMBEAU D'EDGAR POE
Tel
qu'en Lui-même enfin l'éternité le change,
Le
Poëte suscite avec un glaive nu
Son siècle épouvanté
de n'avoir pas connu
Que la mort triomphait dans cette voix
étrange!
Eux, comme
un vil sursaut d'hydre oyant jadis l'Ange
Donner un sens plus pur
aux mots de la tribu
Proclamèrent très haut le
sortilège bu
Dans le flot sans honneur de quelque noir
mélange.
Du sol et
de la nue hostiles, ô grief!
Si notre idée avec ne
sculpte un bas-relief
Dont la tombe de Poe éblouissante
s'orne
Calme bloc
ici-bas chu d'un désastre obscur,
Que ce granit du moins
montre à jamais sa borne
Aux noirs vols du Blasphème
épars dans le futur.
LE
TOMBEAU DE CHARLES BAUDELAIRE
Le
temple enseveli divulgue par la bouche
Sépulcrale d'égout
bavant boue et rubis
Abominablement quelque idole Anubis
Tout
le museau flambé comme un aboi farouche
Ou que le
gaz récent torde la mèche louche
Essuyeuse on le
sait des opprobres subis
Il allume hagard un immortel pubis
Dont
le vol selon le réverbère découche
Quel
feuillage séché dans les cités sans soir
Votif
pourra bénir comme elle se rasseoir
Contre le marbre
vainement de Baudelaire
Au voile
qui la ceint absente avec frissons
Celle son Ombre même un
poison tutélaire
Toujours à respirer si nous en
périssons.
TOMBEAU
Anniversaire - Janvier 1897
Le
noir roc courroucé que la bise le roule
Ne s'arrêtera
ni sous de pieuses mains
Tâtant sa ressemblance avec les
maux humains
Comme pour en bénir quelque funeste moule.
Ici
presque toujours si le ramier roucoule
Cet immatériel
deuil opprime de maints
Nubiles plis l'astre mûri des
lendemains
Dont un scintillement argentera la foule.
Qui
cherche, parcourant le solitaire bond
Tantôt extérieur
de notre vagabond -
Verlaine? Il est caché parmi l'herbe,
Verlaine
À
ne surprendre que naïvement d'accord
La lèvre sans y
boire ou tarir son haleine
Un peu profond ruisseau calomnié
la mort.
HOMMAGE
Le
silence déjà funèbre d'une moire
Dispose
plus qu'un pli seul sur le mobilier
Que doit un tassement du
principal pilier
Précipiter avec le manque de mémoire.
Notre si
vieil ébat triomphal du grimoire,
Hiéroglyphes dont
s'exalte le millier
À propager de l'aile un frisson
familier!
Enfouissez-le-moi plutôt dans une armoire.
Du
souriant fracas originel haï
Entre elles de clartés
maîtresses a jailli
Jusque vers un parvis né pour
leur simulacre,
Trompettes
tout haut d'or pâmé sur les vélins
Le dieu
Richard Wagner irradiant un sacre
Mal tu par l'encre même
en sanglots sibyllins.
HOMMAGE
Toute
Aurore même gourde
À crisper un poing obscur
Contre
des clairons d'azur
Embouchés par cette sourde
A le pâtre
avec la gourde
Jointe au bâton frappant dur
Le long de
son pas futur
Tant que la source ample sourde
Par avance
ainsi tu vis
O solitaire Puvis
De Chavannes
jamais seul
De
conduire le temps boire
À la nymphe sans linceul
Que
lui découvre ta Gloire.
HOMMAGE
Toute
l'âme résumée
Quand lente nous l'expirons
Dans plusieurs ronds de fumée
Abolis en autres ronds
Atteste
quelque cigare
Brûlant savamment pour peu
Que la cendre
se sépare
De son clair baiser de feu
Ainsi le
choeur des romances
À la lèvre vole-t-il
Exclus-en
si tu commences
Le réel parce que vil
Les sens
trop précis rature
Ta vague littérature.
HOMMAGE
Au
seul souci de voyager
Outre une Inde splendide et trouble
--
Ce salut soit le messager
Du temps, cap que ta poupe double
Comme sur
quelque vergue bas
Plongeante avec la caravelle
Écumait
toujours en ébats
Un oiseau d'annonce nouvelle
Qui criait
monotonement
Sans que la barre ne varie
Un inutile gisement
Nuit, désespoir et pierrerie
Par son
chant reflété jusqu'au
Sourire du pâle Vasco.
SONNET
Tout
Orgueil fume-t-il du soir,
Torche dans un branle étouffée
Sans que l'immortelle bouffée
Ne puisse à
l'abandon surseoir!
La chambre
ancienne de l'hoir
De maint riche mais chu trophée
Ne
serait pas même chauffée
S'il survenait par le
couloir.
Affres du
passé nécessaires
Agrippant comme avec des serres
Le sépulcre de désaveu,
Sous un
marbre lourd qu'elle isole
Ne s'allume pas d'autre feu
Que la
fulgurante console.
SONNET
Surgi
de la croupe et du bond
D'une verrerie éphémère
Sans fleurir la veillée amère
Le col ignoré
s'interrompt.
Je crois
bien que deux bouches n'ont
Bu, ni son amant ni ma mère,
Jamais à la même Chimère,
Moi, sylphe de
ce froid plafond!
Le pur
vase d'aucun breuvage
Que l'inexhaustible veuvage
Agonise
mais ne consent,
Naïf
baiser des plus funèbres!
À rien expirer annonçant
Une rose dans les ténèbres.
SONNET
Une
dentelle s'abolit
Dans le doute du Jeu suprême
À
n'entr'ouvrir comme un blasphème
Qu'absence éternelle
de lit.
Cet
unanime blanc conflit
D'une guirlande avec la même,
Enfoui
contre la vitre blême
Flotte plus qu'il n'ensevelit.
Mais, chez
qui du rêve se dore
Tristement dort une mandore
Au
creux néant musicien
Telle que
vers quelque fenêtre
Selon nul ventre que le sein,
Filial
on aurait pu naître.
SONNET
Quelle
soie aux baumes de temps
Où la Chimère s'exténue
Vaut la torse et native nue
Que, hors de ton miroir, tu
tends!
Les trous
de drapeaux méditants
S'exaltent dans notre avenue:
Moi,
j'ai la chevelure nue
Pour enfouir mes yeux contents.
Non! La
bouche ne sera sûre
De rien goûter à sa
morsure
S'il ne fait, ton princier amant,
Dans la
considérable touffe
Expirer, comme un diamant,
Le cri
des Gloires qu'il étouffe.
SONNET
M'introduire
dans ton histoire
C'est en héros effarouché
S'il
a du talon nu touché
Quelque gazon de territoire
À
des glaciers attentatoire
Je ne sais le naïf péché
Que tu n'auras pas empêché
De rire très
haut sa victoire
Dis si je
ne suis pas joyeux
Tonnerre et rubis aux moyeux
De voir en
l'air que ce feu troue
Avec des
royaumes épars
Comme mourir pourpre la roue
Du seul
vespéral de mes chars.
SONNET
À
la nue accablante tu
Basse de basaltes et de laves
À
même les échos esclaves
Par une trompe sans vertu
Quel
sépulcral naufrage (tu
Le sais, écume, mais y
baves)
Suprême une entre les épaves
Abolit le
mât dévêtu
Ou cela
que furibond faute
De quelque perdition haute
Tout l'abîme
vain éployé
Dans le si
blanc cheveu qui traîne
Avarement aura noyé
Le
flanc enfant d'une sirène.
SONNET
Mes
bouquins refermés sur le nom de Paphos
Il m'amuse d'élire
avec le seul génie
Une ruine, par mille écumes
bénie
Sous l'hyacinthe, au loin, de ses jours triomphaux.
Coure le
froid avec ses silences de faux,
Je n'y hululerai pas de vide
nénie
Si ce très blanc ébat au ras du sol
dénie
À tout site l'honneur du paysage faux.
Ma faim
qui d'aucuns fruits ici ne se régale
Trouve dans leur
docte manque une saveur égale:
Qu'un éclate de
chair humain et parfumant!
Le pied
sur quelque guivre où notre amour tisonne,
Je pense plus
longtemps peut-être éperdument
À l'autre, au
sein brûlé d'une antique amazone.